Les Sciences au XVIIIe siècle/I/VIII

Librairie Germer Baillière (p. 93-106).

CHAPITRE VIII

Voltaire établi à Ferney. — Le livre des Singularités de la nature. — Théories géologiques de l’Angleterre et de la France : Burnet, Woodward et Whiston ; Telliamed et Buffon.

Il passa dix-huit mois en Alsace, tâtant le terrain à Paris pour savoir s’il y pourrait revenir sans danger, si la cour ne lui témoignerait pas d’hostilité. Peu rassuré par les renseignements qu’il reçut à cet égard, il vint se fixer sur les bords du lac de Genève, ayant un pied en France, l’autre en Suisse, de façon à fuir au besoin les persécutions que le fanatisme religieux pourrait lui susciter, soit d’un côté, soit de l’autre.

Il se fit ainsi, en ayant soin de ménager ses voisins, une sorte de petite principauté indépendante, cultivant ses terres, fondant des villages, établissant des industries.

C’est là, à Tourney d’abord, puis aux Délices et à Ferney, qu’il passa les vingt-trois dernières années de sa vie. Du fond de sa retraite il suivait le mouvement des esprits dans toute l’Europe, encourageant les efforts des philosophes et les soutenant de sa verve intarissable, s’élevant contre toutes les erreurs et toutes les oppressions, défendant et répandant toutes les vérités utiles. Il recevait de loin les hommages des rois, des savants, des lettrés, et sa voix se faisait entendre partout où la raison avait besoin de soutien. L’ermite de Ferney, le patriarche des Alpes, tout en paraissant retiré du monde, régnait, à vrai dire, sur l’opinion. Il était comme le souverain de l’empire des lettres. Sa renommée, son influence, servies par son incessante activité, allaient sans cesse en grandissant, et, quand il quitta ses montagnes en 1778 pour venir mourir à Paris, il put jouir à ses derniers moments d’une sorte d’apothéose.

Ce n’est point ici le lieu de rappeler les innombrables écrits de toute espèce qui sont sortis de la plume de Voltaire pendant sa longue retraite à Ferney, les tragédies de l’Orphelin de la Chine, de Tancrède, d’Irène, les poèmes de La loi naturelle, de la Destruction de Lisbonne, de la Guerre de Genève ; les contes et les romans philosophiques, comme Candide, L’homme aux quarante écus, etc. ; l’Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, le Siècle de Louis XIV, le Dictionnaire philosophique, les articles donnés à l’Encyclopédie ; sans compter les éditions de ses ouvrages antérieurs incessamment remaniés ; sans compter tant d’œuvres satiriques et polémiques par lesquelles il se défendait contre ses ennemis et les attaquait au besoin ; sans compter tant de mémoires rédigés pour la défense des Calas, des Sirven, des la Barre, des Lally-Tollendal, des paysans de Saint-Claude ; sans compter enfin cette inépuisable et immortelle correspondance, qui est à elle seule un des monuments de la langue française et une des gaietés de l’esprit humain. Dans sa laborieuse solitude, attentif à tout ce qui se produisait de nouveau en tous lieux et en tous genres, il connut et jugea les diverses opinions émises par les savants de son siècle sur les grands problèmes de la nature. Les vues principales de Voltaire sur les sciences naturelles sont réunies dans un livre qui parut en 1768, et qui portait pour titre : Des singularités de la nature. C’était une réunion d’articles détachés, de notes diverses, plutôt qu’un traité régulier.

Le livre débute par ces paroles : « On se propose ici d’examiner plusieurs objets de notre curiosité avec la défiance qu’on doit avoir de tout système jusqu’à ce qu’il soit démontré aux yeux ou à la raison. Il faut bannir autant qu’on le pourra toute plaisanterie dans cette recherche ; les railleries ne sont pas des convictions. » Mais, après cet exorde, Voltaire oublie facilement le dessein qu’il a formé de garder son sérieux ; il remplace trop souvent la discussion par la plaisanterie.

En revanche, il suit fidèlement la première partie de son programme ; il pousse jusqu’à l’extrême la défiance contre les systèmes. C’est là ce qui constitue, à proprement parler, sa méthode scientifique dans les matières que nous examinons maintenant. Quand nous nous sommes occupé des œuvres de Voltaire relatives à la physique proprement dite, nous avons trouvé chez lui des idées neuves, des vues systématiques, beaucoup d’erreurs par conséquent, mais aussi un certain nombre d’inspirations heureuses ; nous avons constaté que sur plusieurs points il a devancé par instinct le progrès de la science et touché du doigt des vérités qui ne devaient être proclamées que longtemps après lui. C’est qu’en physique Voltaire a travaillé par lui-même, il a mis la main à l’œuvre, il a fait des études expérimentales. Or, en faisant des expériences, en découvrant des faits nouveaux, on est facilement amené à leur donner une importance excessive et à en tirer ces conclusions exagérées qui se formulent en systèmes. Dans les sciences naturelles, Voltaire prend aux choses une part moins directe. En général, il n’expérimente pas lui-même, il se contente de suivre les travaux des naturalistes, et il est plus facile de regarder froidement les conquêtes des autres que celles qu’on a faites soi-même.

Voltaire d’ailleurs demande dans tous les sujets une clarté complète, il lui faut des vérités démontrées jusqu’à l’évidence. En physique, il a vu clairement les choses ; ce que l’on a fait soi-même est toujours clair. Dans les sciences naturelles, on ne lui présente la plupart du temps que des théories confuses ; il ne prend pas la peine d’y chercher les germes heureux qui peuvent s’y rencontrer, et il s’arme contre elles de toute sa verve.

Débarrasser la science des erreurs qu’on y a accumulées, faire au moins le terrain net à défaut de constructions nouvelles ; ramener les hommes aux faits simples et nus, à défaut d’explications raisonnables, tel est le but qu’il se propose.

C’est là, disons-nous, l’idée qui le guide d’ordinaire dans ses jugements ; mais il y a des exceptions. En parcourant les Singularités de la nature et quelques opuscules complémentaires, nous trouverons des occasions où sa critique est moins négative, et où elle met en lumière des détails intéressants que l’avenir doit féconder. Gardons-nous donc d’une opinion trop absolue, et, pour nous éclairer, prenons l’un après l’autre les principaux problèmes qui se présentaient aux contemporains de Voltaire.

Voici d’abord les questions relatives à la formation de la terre et ce que nous appelons maintenant les problèmes géologiques. Quelles étaient à cet égard les idées reçues, ou du moins proposées dans la science ? En Angleterre, Burnet, Woodward, Whiston, avaient mis en avant des systèmes géogéniques dont Voltaire avait eu connaissance pendant son séjour à Londres. En France, de Maillet, puis Buffon, avaient fait chacun une théorie de la formation de la terre.

Burnet, chapelain du roi Guillaume III, s’était préoccupé de faire un système qui ne fût pas en désaccord avec la genèse biblique. Suivant lui, la terre n’était d’abord qu’une masse fluide, un chaos composé de matières de toute espèce et de toutes sortes de figures. À un certain moment, les parties les plus pesantes se réunirent au centre et y formèrent un noyau dur et solide ; les eaux, plus légères, se groupèrent au-dessus de ce noyau, et enfin l’air, s’échappant de cette enveloppe, constitua l’atmosphère. Cependant une couche de matières grasses et huileuses, moins denses que l’eau, surnagea d’abord au-dessus de l’enveloppe aqueuse et attira toutes les particules terreuses que l’atmosphère avait d’abord entraînées. Ainsi se forma une petite croûte, pâteuse au début, puis solide : ce fut la première terre, celle que les hommes cultivaient avant le déluge ; elle était légère, très-fertile, unie sur toute la surface, sans montagnes ni inégalités :

Le globe ne demeura que seize siècles dans cet état. Peu à peu la chaleur du soleil dessécha la croûte solide, de telle sorte qu’elle se fendilla de toutes parts, et un certain jour elle s’effondra dans les eaux sur lesquelles elle était placée. Voilà, suivant Burnet, la cause du déluge universel.

Les débris de la croûte rompue vinrent s’entasser en certains endroits de façon à former nos continents actuels avec leurs inégalités et leurs montagnes. Quelques fragments isolés ont constitué les îles et les écueils. Quant aux mers actuelles, c’est ce qui reste de l’ancien abîme ; une partie des eaux s’est dérobée dans les cavités du noyau intérieur.

Telle était la Théorie sacrée de la terre, qui parut d’abord en latin en 1681, puis en anglais en 1690.

Dans cette théorie, Burnet négligeait un fait important, capital, et sur lequel l’attention des savants était cependant appelée depuis quelque temps : c’est que l’on rencontre des débris d’animaux marins dans des terrains situés à une grande distance de la mer et au sein même des roches les plus dures.

Comment ces dépouilles marines peuvent-elles se trouver au milieu des continents, et comment se trouvent-elles d’ailleurs dans des couches superposées les unes aux autres et de nature différente ?

Ce sont ces phénomènes que Woodward essaya d’expliquer à sa manière.

Il supposa qu’à l’époque du déluge, les lois qui règlent la cohésion des molécules avaient subi des modifications surnaturelles ; les particules solides du globe terrestre s’étaient ainsi détachées jusqu’à un certain point les unes des autres, et avaient pu être pénétrées par les eaux qui montaient du fond des abîmes ; il en était résulté une pâte molle dans laquelle les hôtes des mers avaient enfoncé et où ils s’étaient arrêtés. Cette hypothèse servait à expliquer comment tant de débris d’animaux avaient pu, dans une période très-courte, c’est-à-dire pendant le temps du déluge, s’accumuler à des profondeurs diverses en dépôts réguliers.

Woodward en effet avait regardé les faits de très-près, et, si sa théorie est bizarre, ses observations géologiques ne sont pas sans valeur. Il a constaté que toutes les matières qui composent le sol en Angleterre, depuis la surface jusqu’aux plus grandes profondeurs que l’on a pu atteindre, sont disposées par couches plus ou moins régulières, et que, dans un certain nombre seulement de ces couches, il y a des coquilles et des restes d’animaux marins ; il s’est assuré ensuite par ses correspondants et ses amis que dans tous les autres pays la terre est composée de même, et qu’on y trouve des coquilles non-seulement dans les plaines, mais aussi dans les carrières les plus profondes et sur les montagnes les plus élevées. Il a reconnu que les couches de terrains sont ordinairement horizontales, qu’elles sont placées les unes sur les autres comme le seraient des matières transportées par les eaux et déposées en forme de sédiment.

Tous ces faits étaient fort bien décrits par Woodward ; il est vrai qu’il y ajoutait une observation grossièrement erronée, mais qui cadrait avec sa théorie, en assurant que les couches étaient superposées dans l’ordre même de la densité de chacune d’elles. C’était là une conséquence nécessaire dès que l’on admettait que toutes les matières avaient été précipitées dans l’espace d’un déluge de quarante jours.

Whiston avait de son côté publié un système complet (A new Theory of the earth, Londres, 1708), où il s’efforçait d’interpréter les phénomènes conformément aux récits bibliques de la création et du déluge. Whiston était un habile astronome et le propre successeur de Newton dans la chaire de mathématiques de Cambridge. Son opinion était donc faite pour compter dans le monde scientifique.

La terre, avant les six jours, n’était qu’une comète, c’est-à-dire un astre inhabitable, errant à travers l’espace, souffrant alternativement de l’excès du froid et du chaud, et dans lequel les matières, tour à tour fondues et glacées, formaient un chaos enveloppé d’épaisses ténèbres : Tenebrœ erant super faciem abyssi.

Tout à coup la comète devint une planète, c’est-à-dire que son orbite excentrique fut changée en une ellipse presque circulaire. Chaque chose prit alors sa place, les corps s’arrangèrent suivant leur gravité spécifique ; la terre, qui occupait un grand espace à l’état de chaos, se réduisit en un globe de volume médiocre, dont le noyau conserva la chaleur que le soleil lui avait communiquée quand elle pouvait s’en approcher sous forme de comète.

Ce noyau était un fluide très-dense sur lequel s’appuya la croûte terrestre comme du liège sur du vif-argent. Le contact n’était cependant pas direct entre le noyau et l’enveloppe ; entre l’un et l’autre s’était logée une immense quantité d’eau formant le grand abîme.

En cet état, la terre était mille fois plus peuplée et plus fertile qu’elle ne l’est aujourd’hui, grâce à l’intensité de sa chaleur propre ; mais cette chaleur, en même temps qu’elle communiquait à la nature une grande puissance de production, alluma les passions des hommes au point de rendre leur destruction nécessaire. Le déluge fut résolu, et la queue d’une comète vint rencontrer notre globe. Par l’effet de l’attraction, les vapeurs aqueuses qui composaient cette queue se précipitèrent aussitôt sur la terre, sous la forme d’une pluie abondante, et ce sont là les cataractes du ciel qui s’ouvrirent : Cataractœ cœli apertœ sunt.

Whiston avait là de quoi expliquer le déluge ; mais il tenait encore à justifier cet autre passage du récit mosaïque : et rupti sunt fontes abyssi. Il suppose donc qu’à l’approche de la comète et sous l’influence de l’attraction qu’elle exerçait, les eaux accumulées entre le noyau et l’écorce de la terre ont été agitées de mouvements violents ; brisant la couche superficielle, elles sont venues se répandre sur la surface terrestre et mêler à la pluie du ciel les sources du grand abîme.

Voilà la création et le déluge ; mais que faire ensuite de ces eaux répandues sur la surface de la terre ?

Quand l’astre vagabond qui avait rencontré notre globe se fut éloigné dans l’espace, le grand abîme les recueillit peu à peu, et non-seulement il résorba celles qu’il avait vomies, mais, comme la croûte terrestre avait subi une distension, il put contenir encore la plus grande partie des eaux abandonnées par la comète.

La France, avons-nous dit, avait ses systèmes comme l’Angleterre, et d’abord celui auquel de Maillet avait donné son nom.

Benoît de Maillet avait été longtemps consul et agent français dans les États du Levant : c’était un voyageur, ce n’était pas un savant. Sa théorie de la terre eut cependant une grande célébrité ; il l’avait publiée sous le pseudonyme de Telliamed, qui était l’anagramme de son nom[1].

Telliamed, ou le philosophe indien, admettait que notre globe a été d’abord entièrement recouvert par les eaux, et que la mer immense a formé dans son sein les montagnes. Peu à peu les eaux ont commencé à se retirer et à laisser paraître les sommets de quelques éminences ; la mer baissant toujours, la surface entière de nos continents s’est enfin trouvée à sec. La même action doit continuer : de nouvelles îles sortiront du sein des flots, les anciennes se réuniront aux continents par la retraite des mers qui les en séparent ; notre globe se desséchera ainsi graduellement, et finira par n’être plus qu’une masse aride.

Que seront devenues alors toutes les eaux ? Absorbées par le noyau terrestre, elles auront changé de nature, et toute fluidité aura disparu de la terre.

Vers la même époque, Buffon donnait sa théorie, qui empruntait une valeur toute spéciale à l’autorité d’un nom justement célèbre dans le monde des sciences.

Buffon, considérant que les six planètes connues de son temps tournaient dans le même sens et dans des orbites peu inclinées l’une sur l’autre, eut l’idée de rapporter à une cause unique l’origine de leurs mouvements. Il supposa qu’une comète, tombant sur le soleil et le heurtant obliquement, en détacha une masse assez considérable, — la 650e partie de la masse totale, — qui se divisa en éclats de façon à former les planètes et leurs satellites. Dans cette division, les parties les plus légères s’éloignèrent le plus du soleil : c’est ainsi que Saturne est moins dense que Jupiter, et ainsi de suite pour Mars, la Terre, Vénus et Mercure.

Le globe terrestre, d’abord incandescent, fut longtemps avant de permettre à la vapeur d’eau contenue dans son atmosphère de se déposer à l’état liquide. Les pôles de la sphère se refroidirent les premiers ; l’eau y tomba en pluies abondantes et se réunit en vastes mers. Il se forma de même sur les sommets un peu élevés des lacs ou grandes mares, qui se sont depuis écoulés sur les terres basses. D’un côté, les mers polaires envahirent une grande portion du globe à mesure que le refroidissement général le permit, et, de l’autre, les bassins des sommets vinrent former de petites mers intérieures dans les parties que les mers des deux pôles n’avaient pas encore atteintes.

Les eaux, continuant à tomber jusqu’à ce que l’atmosphère en fût totalement purgée, envahirent successivement tous les terrains, et couvrirent enfin la surface du globe jusqu’à une hauteur de 2000 toises au-dessus de notre Océan actuel. Comment les continents furent-ils ensuite mis à découvert ? C’est qu’il s’était formé sous la couche supérieure de la terre, pendant qu’elle se refroidissait, d’énormes boursouflures, de vastes cavernes, sur lesquelles les eaux reposèrent d’abord, mais où elles se précipitèrent quand elles eurent miné par leur poids la mince écorce qui les en séparait.

L’abaissement produit ainsi dans le niveau des mers découvrit d’abord la tête des hautes montagnes, qui se chargea aussitôt de grands arbres et de végétaux de toute sorte. Ces arbres, entraînés par les pentes, allaient rouler au milieu des flots, et, comme d’ailleurs les mers s’étaient peuplées d’animaux marins, les débris des végétaux et des animaux s’entassaient ensemble au fond des océans. Cependant, à mesure que les eaux allaient s’engouffrant dans les cavernes intra-terrestres, les plateaux, les continents, émergeaient à leur tour, et, comme ils ont tous été des fonds de mer, ils contiennent tous des coquilles marines mêlées à des végétaux fossiles.

Tels étaient les systèmes en face desquels se trouvait Voltaire. Ils avaient tous ce caractère commun, de supposer que la terre avait été, à un certain moment, couverte entièrement par les eaux ; ils plaçaient en général aux origines de l’histoire un grand cataclysme dont la tradition nous avait été conservée par le récit du déluge universel ; les Anglais avaient même fait, comme nous l’avons montré, de grands efforts pour suivre pas à pas dans leur théorie la version mosaïque. Ce fut peut-être pour Voltaire un motif de se prononcer contre ces systèmes, car on sait qu’il aimait à prendre l’Écriture en défaut.

En dehors de toute idée préconçue à cet égard, il n’avait que trop de raisons de critiquer des théories dont les auteurs avaient fait tant de frais d’imagination.

C’est contre leur tendance que Voltaire se révolte, et, par un mouvement de réaction énergique, il se place tout de suite au point de vue diamétralement opposé. L’excès des conceptions utopiques l’amène à ne souffrir aucune explication des phénomènes. Il ne veut pas entendre parler de révolutions survenues autrefois sur notre globe. La terre est ce qu’elle est, prenons-la en bloc telle que nous la voyons, et ne cherchons pas à imaginer comment ses différentes parties ont pu se former. C’est un tout indivisible, comme le corps humain. Nous n’imaginons pas que des accidents successifs aient créé le squelette du corps, attaché les jambes au bassin ou les bras aux épaules. De même la terre a une assiette de continents et une ossature de montagnes qui lui donnent son individualité et qui la rendent propre au rôle qu’elle remplit. Des chaînes de rochers apparaissent d’un bout de l’univers à l’autre, arrangées avec un ordre infini, s’ouvrant en plusieurs endroits pour laisser aux fleuves et aux bras de mer l’espace dont ils ont besoin. Elles sont des pièces essentielles à la machine du monde ; elles reçoivent l’eau des mers, purifiée par une évaporation continuelle, la répandent en pluies ou la font couler en fleuves et en rivières. Dans leur disposition régulière. Voltaire ne reconnaît aucune trace des bouleversements qu’on veut placer à l’origine des choses ou des changements qu’on croit voir dans la suite des siècles. « Rien de ce qui végète et de ce qui est animé n’a changé, toutes les espèces sont demeurées invariablement les mêmes : il serait bien étrange que la graine de millet conservât éternellement sa nature et que le globe entier variât la sienne. »



  1. Telliamed, ou Entretiens d’un philosophe indien et d’un missionnaire français. Amsterdam, 1748.