La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 99-100).


LES SAVETIERS


Les savetiers de la savatterie
A Saint-Pierre-aux liens faisant leur confrérie
Dedans l’église sont entrés deux à deux.
               Place à Messieurs.

Des procureurs assis dedans leurs places,
Les voyant venir faisant laides grimaces
Disent à leurs clercs : Que demandent ces gueux ?
               Place à Messieurs.

Les femmes ont dit : voilà grand’ diablerie
De toujours parler de la savatterie.
Ces procureurs ne se passent point d’eux.
               Place à Messieurs.

Et quand ce vint à aller à l’offrande,
Maistre Guillaume est sorti de sa bande
Disant aux jeunes : laissez passer les vieux,
               Place à Messieurs.

Maistre Tobie reconnu bien capable
D’aller aux Trois Maillets faire dresser la table,
Car des procès il est solliciteux ;
               Place à Messieurs.
 
Et quand ce vint à sortir de Saint-Pierre,
Aux Trois Maillets ils ont couru grand erre[1]
Et le bedeau qui marchait devant eux :
               Place à Messieurs.

Bien altérés ils ont fait leur entrée,
Pour premiers mets des cardes, de poirée,
Des pois au lard on leur mit devant eux.
               Place à Messieurs.


Après suivaient le boudin et l’andouille
De gros navets et des plats de citrouille,
Les aloyaux y étaient deux à deux.
               Place à Messieurs.

Les pieds de porc, les grouins et les oreilles
Dans ce festin leur semblaient des merveilles,
C’étaient leurs mets les plus délicieux.
               Place à Messieurs.

Les raves étaient à deux doubles la botte,
Il y avait cinq ou six carottes,
Ragoût du tout réservé pour les vieux.
               Place à Messieurs.

Voilà de quoi fut composée la fête,
Mais le dessert y était plus honnête ;
Car le fromage y était tout véreux.
               Place à Messieurs.

Marrons pourris, poires et pommes molles,
En les mangeant ils semblaient de la colle,
Car leurs mentons en étaient tout baveux ;
               Place à Messieurs.

Le vin clairet à trois sols ou à quatre ;
Il en fut bu jusques à deux cents quartes ;
Si ivres étaient qu’il leur ressort des yeux.
               Place à Messieurs.

Ils sont sortis lorsqu’on ne voyait goutte ;
De son logis chacun a pris la route ;
Minuit était avant qu’être chez eux.
               Place à Messieurs.

Ceux qui ont fait cette chanson jolie
Étaient présents à cette confrérie,
Et au festin allèrent avec eux.
               Place à Messieurs.


(Le Nouveau Entretien des bonnes compagnies, 1635.)
  1. En grande hâte.