Trentième

Salazienne.


A WON FRERE.
Comme l’oiseau qui craint l’hiver et les orages,
Pour de plus doux climats déserte nos rivages
Quand il voit s’envoler la saison des beaux jours ;
Suivant dans tes avis l’avis de la sagesse,
Dans ce monde incertain ma docile jeunesse
A voulu prendre un autre cours.

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Mais avec la craintive et prudente hirondelle,
Mon frère, je n’ai pu par un vol infidèle
Éviter de mon sont les plaisirs on les pleurs ;
Ei, semblable au ruissean que son courant domine,
J’irai peut-être, héas ! m’éteindre sous l’épine,
Ou promener mes lois sous l’ombra des fleurs.
Car un secret penchant, une ardeur inquiète,
Me porte à ressaisir le luth que je rejette,
Et me forech ch mier quand j’étouffe ma voix.
Ainsi l’oiseau du soir séduit par le silence,
Prélude à ses concerts d’amour et de souffrance
Sous l’ombre nocturne des bois.
Et sans s’inquiéter qu’on l’écoute et l’admire,
Exhalant dans sa voix qui s’igaie on soupire
De son cœur oppressé les amoureux transports,
Il chante pour chanter quand son instinct le pousse ;
Comme une eau qui murmure en glissant sur la mousse,
Ne sait pas si ses bruits enchanteront ses bords.

267
You cœur désabusé d’un éclat illusoire,
Plus que le « barde ailé » n’a pas rèvé la gloire ;
Ei, voyageur pensif sur le fleuve des jours,
Si j’élève la voix dans ma mélancolie,
C’est afin d’assouple des pensers que j’oublie
Dans mes jeus reyes d’amours.
Les enfants d’él, assis dans les vallées
Dont l’Euphrate arrosait les rives isolées,
Détachaient pour charmer leur exil malheureux
La harpe de Sion aux saules suspendue,
Et sentaient leurdouleur dans leurs chants répandue
S’évanouir avec les sons mélodieux.
Et comme eux opprimé, dans les lieux où nous sommes,
Portant l’injuste poids des préjugés des hommes,
Si parfois dans mes yeux je sens rouler des pleurs,
A de tristes pensers si mon cœur s’abandonne,
Comme eux, pour oublier une autre Babylone,
Laisse-moi chanter mes malheurs !

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Le poète qui cède au penchant qui l’entraine,
D’un joug triste et honteux ne ressent plus la chaine ;
Pour adoucir ses maux il chante dans les fers.
Ainsi la fleur des champs sous la ronce et l’épine
Exhale, humble et cachée, une senteur divine
Dont les zephyrs légers vont parfumant les airs.
A tes yeux cependant ne crois pas que j’excuse
Le séduisant orgueil d’un espoir qui m’abuse :
Cette ardeur de survivre aux siècles à venir,
A qui ne veut qu’aimer fut toujours étrangère ;
Et je n’aspire pas à l’éclat éphémère,
Dont brille un mortel souvenir.
Oh ! qu’il m’importe peu qu’oublié de la gloire,
Dans la paix des tombeaux je dorme sans mémoire !
Qu’un autre, sur les temps s’élançant en vainqueur,
Rêve dans l’avenir une noble chimère !
Mon nom, pour échapper à l’oubli de la terre,
O vous que je chéris, n’a-t-il pas votre cœur ?

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Mais humble en mes désirs, pauvre enfant solitaire,
Si je n’ai pas nourri dans l’ombre et le mystère
De l’immortalité le rève ambitieux,
J’en caresse un plus doux, dont la vague pensée,
Ranimant l’espérance où mon âme est bercée,
Me fait voir l’avenir sous un jour amoureux.
Ah ! posséder un ange au front pur et timide,
Se suspendre d’amour à sa lèvre candide,
Comme l’abeille aux fleurs pour s’enivrer de miel !
Sentir sous ses baisers s’évaporer son âme,
Comme on voit sur l’autel une odorante flamme
S’éteindre et monter vers le ciel !
Aimer, aimer, aimer et puis aimer encore,
Aimer quand la nuit vient, aimer quand nait l’aurore
Ne vivre que d’aimer ! et quand luira le jour
Où j’abandonnerai ma dépouille à la tombe,
N’exhaler en mourant, comme une fleur qui tombe,
Qu’un céleste parfum d’innocence et d’amour !

270
Ah ! voilà le désir qui seul remplit mon àme !
Le rêve que poursuit sur des ailes de flamme
Un cœur jeune et brûlant, qu’ont flétri tour à tour
L’injustice et l’orgueil et les dédains du monde,
Et qui, sous les dégoûts dont la terre l’inonde,
N’a plus de foi que dans l’amour !
Sans amour, sans espoir, qu’est-ce done que la vie ?
Des jours indifférents que l’on voit sans envie,
Des matins sans parfums et des cieux sans flambeaux ;
Lesrayons languissanis d’un froid soleil d’automne,
Un songe épais et lourd, une onde monotone
Qui nous porte assoupis dans la nuit des tombeaux.
Le bonheur pour notre âme est un besoin suprème.
Il existe, ô mon frère, en la beauté qu’on aime !
Mais nous le demandons à mille objets divers,
Semblables, dans leurs cours, à ces fleuves rapides,
Qui, par des lits nombreux, de leurs ondes limpides
Vont porter le tribut aux mers.

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Les uns placent dans l’or leur unique espérance,
Pour un renom futur veillent dans le silence,
Aspirent en secret au sceptre des tyrans ;
D’autres, brigands armés pour ravager le monde,
Promènent en tous lieux leur fureur vagabonde,
Sous l’éclat usurpé du nom de conquérants.
Tous enfin nous voulons, dans l’éclat, l’opulence,
L’empire ou les honneurs, la gloire ou la puissance,
Éteindre cette soif de la félicité ;
Mais le bonheur, hélas ! n’est pas fait pour la terre !
Il est au fond de tout un dégoût salutaire
Dont l’homme est sans cesse attristé.
Pour moi, dans cet ennui, ce dégoût indicible,
Ce vide, ce néant, où le cœur trop sensible,
D’un besoin inconnu sans cesse consumé,
Ne trouve où reposer sa vague incertitude ;
J’ai vonka par l’amour charmer ma solitude :
Ah ! qui peut se lasser d’aimer et d’être aimé !

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Lorsque la nuit descend et que ses voiles sombres
Sur les monts obscurcis ont répandu leurs ombres,
Que les brises du jour, sommeillant dans les fleurs,
Au feuillage des bois ont rendu le silence,
Et
que
l’astre du soir à l’horizon s’avance
Porté sur un char de vapeurs ;
Pensif et contemplant l’obscurité qui tombe,
Je vais, en soupirant, semblable à la colombe
Qui foule à pas craintifs le sable uni des mers,
Sur des bords isolés continuer mon rève ;
Et mêler au bruit sourd qu’a murmuré la grève
L’accent doux et plaintif de mes tristes concerts.
L’Océan à mes pieds déroulant l’étendue,
Dans un ciel vaste et pur la lune suspendue,
Qui répand sur les flots sa tremblante clarté,
Sur les rochers noircis une onde bondissante,
Dans le vague des airs une ombre blanchissante
Roulant sous un ciel argenté ;

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Sur le sable amolli par les baisers de l’onde
Le flot blen déroulani sa nappe vagabonde,
Dans l’éther vaporeux les lueurs de la nuit,
Le lointain se fondant sous de bleuâtres brumes,
Et sur la rive au loin la ceinture d’écumes
Que roule en murmurant la vague qui s’enfuit ;
L’oiseau pêcheur des nuits de son vol taciturne
Fendant les airs blanchis par le rayon nocturne,
Comme l’esprit des eaux rasant le sein des mers ;
Et les brises du soir se jouant sur les vagues :
Tout éveille en mon cœur des pensers doux et vagues
Que j’aime à redire en mes vers.
Je veux couler ainsi mes jours dans le silence.
Ne me reproche plus mon heureuse indolence ;
Que pourrais-tu m’offrir pour mes rêves du cœur ?
Dans ces sentiers fleuris que crains-tu pour ma vie,
Est-ee l’œil des méchanis, ou de la sombre Envie,
La clameur importune et le rire moqueur ?
18

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Dans les roes tortueux et les gorges profondes,
Quand un fleuve en grondant fait bouillonner ses ondes
Et roule avec ses flots sa fange et son horreur ;
La foule, sur ses bords, immobile, attentive,
L’entend sous les rochers rouler une eau captive
Et le contemple avec terreur.
Mais le ruisseau, glissant à l’ombre d’une rose,
Coule en baisant la flear que sa belle onde arrose,
Et de son bruit léger ne charme sur ses bords
Que l’oiseau reposant sous un dais de verdure,
Ou la muse pensive, écoutant son murmure,
Et sur un luth aimé méditant des accords.
Semblable à ce ruisseau, ma voix faible et plaintive
N’éveille pas la foule et l’envie attentive ;
Et si ma muse un jour, en chantant ses malheurs,
Des heureux d’ici-bas vient troubler l’allégresse ;
Ils lui pardonneront ses doux cliants de tristesse
Car ils aurent séché mes pleurs !
FIN.


NOTES.