Treizième

Salazienne.


A Monsieur C. S.,
PENDANT SA DÉTENTION POUR CAUSE POLITIQUE.
Souvent triste et rêveur, sur un roc solitaire
Je m’assieds en portant mes regards vers la terre,
Et des pleurs tombent de mes yeux.
C’est qu’alors la douleur et présente et passée,
De son voile de deuil ombrageant ma pensée,
Courbe mon front silencieux.

Puis mon regard s’élève à la voûte céleste :
J’y retrouve l’ami, le seul ami qui reste
A l’homme affaissé sous ses maux ;
Ma voix monte à ce Dieu qui dans notre détresse,
Daigne encore assoupir notre amère tristesse
A ses chants qui n’ont pas d’échos.
Nos droits à son amour, c’est notre âme qui fume
De ce céleste encens que son regard allume
Dans un cœur jeune et malheureux ;
C’est de souffrir, hélas ! d’un joug illégitime,
D’ètre des préjugés une faible victime,
Et d’être innocent à ses yeux.
Juste dans ses rigueurs, jamais à l’innocence
Dieu ne vient demander compte de sa naissance ;
Baisant au front l’humilié,
Il sait, du pauvre enfant que ce n’est pas la faute,
Si dans ce monde il vint, étranger, comme un hôte
Que l’on n’avait pas convié.

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Qu’importe qu’on le fuie et qu’il n’ait sur la terre,
Nul ami pour l’aider à porter sa misère,
Aux sombres jours de son malheur ?
Pour relever son front que l’infortune affaisse,
Pour alléger ses fers sous le sort qui l’oppresse,
Ne lui restes-tu pas, Seigneur ?
Il a tourné vers toi son humide paupière,
Tes anges dans les cieux t’ont porté sa prière,
Ah ! prète l’oreille à sa voix !
Ses accents douloureux sont ceux de la gazelle,
Ceux du timide agneau qui se plaint et qui bèle,
Egaré dans la nuit des bois.
C’est un autre Israël pleurant sa servitude,
C’est l’imprudent oiseau tombé de lassitude
Sur l’abime orageux des mers ;
Il fait de vains efforts pour regagner la plage ;
Ne sauveras-tu pas cet oiseau de passage
De la fureur des flots amers ?

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Quand ces tristes pensers s’amassent dans ma tète,
Tel qu’un faible roseau qu’a courbé la tempête,
Mon front s’incline sur mon sein ;
Mon âme s’abandonne à sa douleur profonde,
Et mon luth, arrosé d’une larme inféconde,
Demeure sans voix sous ma main.
Mais plus souvent, ami, pour charmer ma tristesse,
Sur la lyre, mes doigts, errant avec mollesse,
Mêlent de murmurants accords
Aux mille accords secrets qu’exhale la nature,
Aux soupirs de la nuit, au faible et doux murmure
De l’onde expirant sur ses bords.
Car celui qui dispense une eau féconde et pure
A l’humble fleur deschamps qui germa sans culture,
Comme au lis qu’arrosent nos mains ;
Eclaira mon esprit à sa flamme secrète,
Et dans ma bouche a mis les doux chants du poète
Pour consoler mes lendemains.

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Oh ! que j’aime le bruit des ondes sur les grèves !
Alors le vague objet que caressent mes rêves,
Déployant ses ailes d’azur
Sur le front de celui qu’a repoussé le monde,
Assoupit de mon cœur la tristesse profonde
A son accent plaintif’et pur.
Si l’astre de la nuit, entr’ouvrant sa paupière,
Verse d’un jour plus doux la tremblante lumière
Sur le sein endormi des eaux ;
Alcyon sur les flots d’une amère existence,
Je gémis, et ma voix qu’écoute le silence
A ses soupirs endort mes maux.
Si la brise des soirs qui balance la feuille,
Si le souffle amoureux d’un doux zéphyr quicueille
Des baisers sur le sein des fleurs,
De son frémissement vient flatter mon oreille ;
Je demande à mon luth que d’une voix pareille
Il chante pour sécher mes pleurs.

Otoi, qu’um sort fatal abreuva d’amertume,
Chante donc pour charmer l’ennui qui te consume !
La muse a pour le malheureux
Des paroles d’amour, des secrets pleins de charmes ;
Elle pleure s’il pleure, et pour verser des larmes
Combien il est doux d’être deux !
Chante pour oublier ton affligeante histoire,
Pour que le souvenir qui pèse à la mémoire
En soit à jamais effacé ;
Comme ces monts altiers, rois géants de notre ile,
Qui montrent dans les cieux un front calme et tranquille
Alors que l’orage a passé !
Fuis le pénible aspect des misères mortelles,
Ami, prends ton essor de ces rives cruelles
Où gémit le faible opprimé,
Vers les célestes lieux où de la poésie,
Ta muse versera l’enivrante ambroisie
Dans le cœur de son bien-aimé.

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Et sur un luth plaintif, dans une amère ivresse,
Exhale tes soupirs et tes chants de tristesse
Avec tant d’âme et de douceurs,
Que le cœur le plus dur s’attendrisse à tes peines,
Que ton sombre geôlier même, en rivant tes chaînes,
T’écoute… et répande des pleurs.