Albin Michel (p. 326-329).

CHAPITRE XLII

Sur la laideur, les avantages qui en résultent dans le sexe
femelle. Échelle de la laideur.

Par manière de contraste au dernier Chapitre, et en imitation de l’ingénieux feu M. Hay, après avoir mal parlé de nos beautés dans le Chapitre précédent, nous avons lieu d’être effrayés des personnes des autres classes. Cependant pour mettre nos beaux lecteurs un peu en bonne humeur, et les réconcilier avec les portraits désagréables dont nous leur avons donné plus haut la description, nous allons leur faire envisager les avantages que l’on peut retirer de la laideur, et même de la difformité dans son degré superlatif. Examinons bien le monde, et nous voyons combien il y a peu de femmes qui, en quelque sorte, sont parvenues au bonheur par le chemin de la beauté ; et combien plus encore il y en a qui ont été ruinées, ayant une belle figure. Dans le rang le plus élevé de la vie, une belle femme ne paroit pas plutôt sur l’horizon de la gaieté, qu’elle est aussi-tôt entourée, même incommodée d’un grand nombre de petits maîtres et sots du jour. Si elle a une grande fortune qui lui donne le titre de prétendre à un établissement très-avantageux, elle peut épouser un homme de rang, d’une constitution foible et d’un caractère vicieux, qui, dans toutes les probabilités, est assidu auprès d’elle pendant quelques semaines ; et qui pense alors, que lui ayant conferré le titre de son époux, il a suffisamment contrebalancé sa fortune, qui doit maintenant être grandement anticipée par les dettes de jeux, les hypothèques et les droits d’arrérages. La jeune personne se trouve ainsi méprisée par l’homme qu’elle a écouté par rapport à la grandeur de son rang : sa vanité est blessée de sa froideur, et elle se décide à prendre sa revanche à la première occasion, qui souvent se rencontre avec son domestique ou avec son coiffeur. Bientôt le divorce s’ensuit, d’autant que le lord trouve une autre fortune convenable qu’il ne juge pas moins nécessaire : sa dame, il est vrai, peut courir et roder sans que rien l’en empêche, mais alors elle est méprisée et évitée par la partie vertueuse et sensible de son propre sexe ; elle est traitée avec indignité par chaque homme qui s’imagine qu’il a le droit de participer à ses charmes, d’autant plus qu’elle s’est publiquement enregistrée sur la liste des prostituées. Cet état doit répugner à toute femme sensible et délicate, qui, en dépit de sa légèreté, doit, dans tous les temps, s’occuper de ces réflexions qui seront toujours révoltantes pour celles qui ne se sont pas livrées à cette infamie.

Mais envisageons une jolie personne à l’aurore de la beauté, exposée à tous les artifices de la séduction, à toutes les ruses des mercures, et des pendarts, sans amis pour la protéger ni la conseiller ; sans fortune pour trouver un mari ; avec, peut-être, trop d’orgueil pour condescendre à servir ; s’imaginant que sa beauté lui suffit pour aller de pair, si non avec la noblesse, du moins avec la bourgeoisie la plus distinguée ; elle devient bientôt une proie facile à la vanité et à l’ambition ; elle se trouve alors sacrifiée à la tyrannie des abbesses de séminaire, à la laideur et aux maladies ; elle est méprisée de la société ; et elle est peut-être, à la fin, condamnée à payer la dernière dette de la nature dans une prison ou dans un hôpital. Mes lecteurs gaillards penseront, sans doute, que nous sommes trop sérieux en cette occasion, et que nous moralisons au lieu de les réjouir et de les amuser ; nous allons donc terminer ce Chapitre d’une manière moins sentencieuse.

Comme Hogarth a décrit la beauté par une S. D’après un pareil raisonnement la laideur doit être figurée par un Z, comme la lettre la plus crochue de l’alphabet. L’échelle de la laideur sera comme il suit.

Le nec plus ultra de la laideur ou la dernière lettre de l’alphabet.

Difforme.
Laide.
Rebutante.
Dure.
Désagréable.
Lourdaude
Insignifiante.
Passable.

Parmi toutes nos connoissances femelles, nous n’en connoissons pas une qui ne se croyent au-dessus du passable, et nous ne pouvons pas supposer qu’aucune dame quelconque ait la prétention d’avoir une niche dans cette galerie, quoiqu’il y ait un endroit assez ample pour y placer convenablement les bustes des deux tiers de la création femelle. Mais comme nous nous sommes fait une loi de ne point mortifier aucune personne du beau sexe, en ne leur donnant point un rang inférieur dans l’échelle de la beauté, de même nous ne pousserons point l’impolitesse jusqu’à soupçonner qu’aucune d’elles, puisse avec plus de justice parvenir au nec plus ultra de la laideur que Miss…, lady… et plusieurs autres belles du siècle, malgré les avantages dont nous avons si clairement rendu compte dans la première partie de ce Chapitre ; avantages qui proviennent de la laideur et de la difformité.