Les Sérails de Londres (éd. 1911)/34
CHAPITRE XXXIV
Nous croyons devoir entretenir nos lecteurs du séminaire de Madame R...ds..n, près de Bolton-Street, Piccadilly. Cette dame joue le bon ton au suprême degré ; elle n’admet point dans sa maison, les femmes qui fréquentent les séminaires, ni celles que l’on peut se procurer à la minute, par un messager de Bebford Arms, ou de Maltby. Ses amies femelles sont des dames grandement entretenues, ou des femmes mariées, qui viennent, incognito, s’amuser avec un beau garçon, et gagner, par leurs exploits multipliés, des couronnes de laurier, pour en ceindre le front de leurs chers, doux et impotents maris. À cet effet, nous trouvons, en ce moment, dans sa maison, Madame T...s, dont la connoissance intime avec le feu maire de la ville étoit bien connue. Cette dame est toujours agitée des passions amoureuses, quoiqu’elle ne soit plus dans son printemps : elle a, depuis la mort de son ami le baronet R... L..., cédé aux impulsions de ses inclinations ; et elle est disposée à employer le reste de ses beaux jours dans les exploits amoureux. Le lord P...y la vit dans ce séminaire, un jour qu’il étoit pris de vin. Sur ce qu’on lui dit que Madame T...s étoit une très-belle femme, et qu’elle avoit été superbe dans sa grande jeunesse, se croyant abusé dans la dernière partie de l’assertion, il dit rudement à Madame T...s : « Veuillez, je vous prie, Madame, m’informer à quelle époque de la vie, les passions amoureuses d’une femme doivent s’arrêter ? — Vous devriez, milord, lui répliqua-t-elle, faire cette question à une femme beaucoup plus âgée que moi ; mais, ce que je puis vous répondre en cette occasion, et ce qui arrive fréquemment, c’est que les capacités amoureuses de l’homme lui manquent souvent avant qu’il ait atteint sa quinzième année. »
Madame M...s, une dame que le lord Pyebald a entretenu pendant plusieurs années, rend de fréquentes visites à Madame R... ds.n pour y jouir de ses plaisirs que son lord a oublié, pendant un temps considérable, de lui procurer ; et elle pense qu’un rouleau, quoiqu’il soit pour elle l’entretien d’un mois entier, n’est pas trop pour gratifier une soirée de l’enseigne Pat...n.
Miss Ken...dy est une autre dame qui fréquente ce rendez-vous ; elle est si bien connue par ses amours, et par l’intérêt qu’elle prit à sauver ses frères d’une fin prématurée, qu’il n’est pas nécessaire de donner un long récit de son caractère ; il suffit seulement de dire qu’elle ne vient pas ici, comme Madame M...sh, disposer de ses rouleaux, mais pour en gagner s’il est possible. Cependant, comme ses charmes sont plutôt sur le déclin que dans leur aurore, elle pense qu’il est prudent pour elle de ne pas refuser cinq guinées lorsqu’on les lui offre. Cette femme est si accoutumée, depuis long-temps, à tenir des propos libres et obscènes, que ses expressions blessent souvent les oreilles chastes de Madame R... ds..n. La vérité est, que rien ne chatouille plus l’imagination de cette dame, qu’un mot double, ou même le simple entendre.
Nous allons donner, pour preuve de cette assertion, l’anecdote suivante qui la concerne. Se trouvant, il y a quelque temps, dans la salle de Old-Bailey, au moment où l’on plaidoit une cause pour viol, le juge, après avoir dit qu’il alloit produire quelques scènes indélicates, engagea les dames de se retirer, de crainte que les expressions, dont il étoit obligé de se servir, ne les fissent rougir. « Ne vous mettez pas en peine pour moi, s’écria Madame R..ds.n, j’en prendrai ma part. »
Miss H...d, dont nous avons déjà eu occasion de parler comme la dulcinée du lord Del..., et pour le portrait de laquelle nous renvoyons le lecteur à l’historiette, où il est question de cette liaison, fréquente souvent ce séminaire ; il est vrai que depuis les malheurs de ce gentilhomme, elle s’est vu contrainte d’adoucir ses regards pour se procurer une aisance agréable ; elle s’efforce de thésauriser pour l’avenir, d’autant qu’elle ne se dissimule point que ses charmes sont sur leur déclin, et qu’elle sait qu’une belle antique, au lieu d’être dans la passe de fixer un prix pour ses charmes, doit au contraire, si elle veut donner carrière à ses désirs amoureux, payer, à son tour, pour les satisfaire.
Ces dames, et plusieurs autres du même rang et de la même disposition, viennent souvent visiter cette maison. Madame R.ds.n prend ordinairement soin de rassembler chez elle des parties suivant qu’elle les juge satisfaisantes aux deux sexes, mais elle a été quelquefois fautive d’erreur dans son jugement (comme il est arrivé à l’infortuné Byng) et quoiqu’elle ait reçu mille compliments avantageux du côté mâle, et une multiplicité de réprimandes et d’abus de la part des dames, elle a toujours eu le bonheur de s’en retirer avec avantage, malgré les fréquentes et sévères mortifications que ses erreurs lui ont attiré, et lui font essuyer journellement.
Le duc de A... vint un soir avec plusieurs de
ses amis dans ce séminaire ; ils pensèrent que les
dames devoient être contraintes de capituler sur
leurs conditions ; ils se trouvèrent tous trompés
dans leur attente ; ils se retirèrent, à l’exception
d’un seul qui crut, qu’en leur absence, il pourroit
vaincre Miss L...n qui passoit pour une prude, et
qui, au rapport de plusieurs personnes, n’avoit
jamais cédé à aucun homme, malgré qu’elle fréquenta
la maison de Mad. R...ds.n. Il commença
d’abord par railler sa prétendue modestie, et lui
dit qu’il vouloit la convaincre qu’il n’y avoit rien
de moins réel dans le monde femelle que la chasteté ;
il l’assura qu’il avoit scrupuleusement
étudié le sexe, pendant plusieurs années, leur
artifices, ruses, stratagèmes, affectations, hypocrisie
et dissimulation ; il ajouta, qu’à la fin de
raisonner avec précision sur ce sujet, il avoit avec
beaucoup de travail et d’assiduité, formé une
échelle des passions amoureuses du sexe femelle,
et de leur continence prétendue, laquelle il se proposoit
de présenter à la Société royale, et pour laquelle
il recevroit, comme il n’en doutoit point, son
approbation et ses remerciments : en disant cela,
il tira de sa poche un papier qui étoit intitulé :
Le vieux libertin et la demoiselle de qualité.
(Gravure du Cabinet des estampes.)
FEMELLE
Nous supposerons le plus haut degré être trente et un, et lorsque le jeu est avec certitude porté avec une couverture, le calcul doit être ainsi trouvé :
1 Furor uterinus | 31 | 2 | en | 100 |
2 Un pouce au-dessous de Furor | 30 | 4 | en | 100 |
3 Pour être complètement satisfaite | 29 | 6 | en | 40 |
4 Passions extravagantes | 28 | 10 | en | 50 |
5 Désirs insurmontables | 27 | 12 | en | 60 |
6 Palpitations enchanteresses | 26 | 6 | en | 20 |
7 Chatouillement déréglé | 25 | 8 | en | 30 |
8 Frénésies d’occasion | 24 | 9 | en | 17 |
9 Langueurs perpétuelles | 23 | 5 | en | 18 |
10 Affections violentes | 22 | 3 | en | 12 |
11 Appétits incontestables | 21 | 6 | en | 25 |
12 Démangeaisons lubriques | 20 | 1 | en | 3 |
13 Désirs déréglés | 19 | 3 | en | 4 |
14 Sensations voluptueuses | 18 | 1 | en | 1 |
15 Caprices vicieux et opiniâtres | 17 | 4 | en | 11 |
16 Idées séduisantes | 16 | 4 | en | 5 |
17 Émissions involontaires et secrettes | 15 | 2 | en | 30 |
18 Jeunes filles frustrées et agitées de pâles couleurs | 14 | 1 | en | 100 |
19 Masturbation dans les écoles | 13 | 12 | en | 13 |
20 Jouissances en perspective | 12 | 12 | toutes | |
21 Sur le bord de la consommation | 11 | 14 | en | 15 |
22 Lenteur fatale | 10 | 1 | en | 11 |
23 Espérances séduisantes | 9 | 1 | en | 2 |
24 Mûre pour la jouissance | 8 | toutes au-dessus de 14 | ||
25 Penchant de jeunesse | 7 | toute demoiselle à tout âge. | ||
26 Plaisirs antidatés | 6 | 4 | en | 5 |
27 Espérances flatteuses et attentes agitées | 5 | 3 | en | 9 |
28 Lubricité temporaire | 4 | 3 | en | 4 |
29 Pruderie judicieuse | 3 | 1 | en | 2 |
30 Chasteté à contrôler | 2 | 4 | en | 1000 |
31 Insensibilité glaciale et froide[1] | 1 | 1 | en | 10000 |
Vous voyez, Madame, dit le calculateur à Miss L...n, combien il y a, au tressaillement, d’impair contre vous ; et je suppose, en ce moment, qu’au lieu de cent mille, il y a contre vous, plus d’un million à un. En un mot, le calculateur parla si bien comme orateur, amant ou calculateur, que Miss L...n, tomba agréablement dans ses bras, et avoua qu’elle ne devoit plus soutenir le caractère d’une prude, puisqu’il y avoit tant d’impairs contre elle.
Cette échelle d’incontinence nous a un peu figurativement conduit au-delà des bornes que nous nous sommes prescrites ; mais comme on nous annonce la fugitive Clara et la belle Madame W...n, nous allons baisser le rideau calculatif, en supposant que le calculateur aura profité de ce moment pour convaincre Miss L...n qu’il est un aussi bon juge tant en pratique qu’en théorie. Quant à ce qui regarde les passions du beau sexe, nous allons nous retirer pour faire place au baronet William B... et au lord S... qui est très-affligé de la perte de sa chère syrène, et de la triste situation des affaires de l’Hôpital Greenwich, et encore plus de l’état inquiétant où se trouve la grande nation. On attend, à chaque heure, le retour du duc de A..., et de crainte d’un tourbillon, comme il n’est pas impossible que le baronet Hugues n’allume une ou deux chandelles en réjouissances de son acquit honorable, nous allons quitter d’avance les préliminaires à la sourdine.
- ↑ Le lecteur s’apercevra que nous avons pris cette échelle du haut en bas et de bas en haut, ayant envisagé l’Arétin dans chaque particularité.