Les Rossignols et le Bengali (Leconte de Lisle, Premières poésies)
Un soir, banni des cieux, un ange solitaire
A passé dans nos voix,
Parfums vivants et doux de cette fleur des bois
Qu’on nomme le mystère ;
Viendrais-tu, comme lui, du ciel bleu sur la terre
Pour la première fois ?
Enfant d’un autre monde,
Es-tu perle de l’onde,
Ou des étoiles d’or un rubis égaré
Vers nous, ou bien encore,
Viens-tu, doux messager de l’Orient sacré,
Dire au pâle Occident les clartés de l’Aurore ?
Quand l’Aurore ouvre aux cieux
Ses prunelles mi-closes,
Rayon capricieux.
Jaspé de taches roses,
J’effleure les jam-roses
De mon vol radieux
Et confonds dans les roses
Mon être gracieux.
Oui, je viens d’Orient, où les palmes bénies
Près des flots, bleu miroir,
Berçaient avec amour, ainsi qu’un doux espoir,
Mes ailes endormies,
Mes deux ailes de gaze, au souffle frais du soir ;
Oui, je viens d’Orient vers ce jardin austère,
Où vos divines voix
Couvriraient d’un accord ma voix douce et légère ;
Je voudrais, près de vous, ne chanter qu’une fois :
Accueillez ma prière !
Oh ! non, je ne suis pas perle de nos flots bleus ;
De l’enceinte des cieux je n’ai nulle mémoire ;
Mais, guidé vers ces bords par des chants merveilleux,
Mon cœur vous devinait : n’êtes-vous pas la gloire ?
Ô rossignols divins, j’ai fui mon sol natal
Pour ouïr vos accents que j’aime et que j’admire ;
Poètes, donnez un sourire
Au rossignol oriental !