Les Rossignols et le Bengali (Leconte de Lisle, Premières poésies)

Premières Poésies et Lettres intimes, Texte établi par Préface de B. Guinaudeau, Bibliothèque-Charpentier ; Eugène Fasquelle, éditeur (p. 116-117).



LES ROSSIGNOLS ET LE BENGALI



les rossignols


Un soir, banni des cieux, un ange solitaire
               A passé dans nos voix,
Parfums vivants et doux de cette fleur des bois
               Qu’on nomme le mystère ;
Viendrais-tu, comme lui, du ciel bleu sur la terre
               Pour la première fois ?
               Enfant d’un autre monde,
               Es-tu perle de l’onde,
Ou des étoiles d’or un rubis égaré
               Vers nous, ou bien encore,
Viens-tu, doux messager de l’Orient sacré,
Dire au pâle Occident les clartés de l’Aurore ?


le bengali


               Quand l’Aurore ouvre aux cieux
               Ses prunelles mi-closes,
               Rayon capricieux.
               Jaspé de taches roses,

               J’effleure les jam-roses
               De mon vol radieux
               Et confonds dans les roses
               Mon être gracieux.

Oui, je viens d’Orient, où les palmes bénies
               Près des flots, bleu miroir,
Berçaient avec amour, ainsi qu’un doux espoir,
               Mes ailes endormies,
Mes deux ailes de gaze, au souffle frais du soir ;
Oui, je viens d’Orient vers ce jardin austère,
               Où vos divines voix
Couvriraient d’un accord ma voix douce et légère ;
Je voudrais, près de vous, ne chanter qu’une fois :
               Accueillez ma prière !

Oh ! non, je ne suis pas perle de nos flots bleus ;
De l’enceinte des cieux je n’ai nulle mémoire ;
Mais, guidé vers ces bords par des chants merveilleux,
Mon cœur vous devinait : n’êtes-vous pas la gloire ?

Ô rossignols divins, j’ai fui mon sol natal
Pour ouïr vos accents que j’aime et que j’admire ;
               Poètes, donnez un sourire
               Au rossignol oriental !