Les Romanciers d’aujourd’hui/Les Symbolistes

Léon Vanier, libraire-éditeur (p. 105-132).


CHAPITRE III

LES SYMBOLISTES




Joris-Karl Huysmans. — Paul Adam. — Jean Moréas. — Édouard Dujardin. — Gustave Kahn. — Francis Poictevin. — Maurice de Fleury. — Léo d’Arkaï. — Charles Vignier.

Le symbolisme date, à proprement parler, de la création des langues. L’anthropopithèque qui s’avisa le premier de désigner un objet par une onomatopée fit du symbolisme, et il ne paraît pas que le symbolisme contemporain diffère sensiblement du symbolisme de ce primitif.

Dans sa forme définitive (Jean Moréas, Poictevin, Kahn, etc.), le symbolisme consiste en ceci : qu’une pensée étant donnée, avec l’image qui la traduit, l’image seule sera mise en valeur. C’est de l’art sensationnel, et il est au moins curieux qu’avec une pareille formule il ait des prétentions à l’idéalisme. On pourra voir, tout au contraire, que le symbolisme est né directement du naturalisme qui le contenait mêlé à d’autres éléments.

Les symbolistes s’appellent quelquefois aussi décadents, décadistes et déliquescents [1]. En poésie, ils se réclament de M. Paul Verlaine ; mais M. Verlaine avait fait de bien beaux vers avant de s’apercevoir qu’il était symboliste.[2]. En prose, ils relèvent de M. Joris-Karl Huysmans et de M. Arthur Rimbaud. Mais M. Huysmans n’est qu’un demisymboliste, et M. Rimbaud est mort.


I


Voici pour le vivant. Les conceptions de M. Huysmans (Joris-Karl) se distinguent par leur extrême simplicité. Dans En ménage, un mari, trompé par sa femme, la quitte, essaie de l’amour libre, s’ennuie à périr, et de lassitude conclut qu’il vaut encore mieux reprendre son collier de misère. Dans À vau-l’eau, un employé de mairie, écœuré des fromages au savon de Marseille, des carnes fétides et des litharges coupées d’eau de pompe qu’on lui sert à son restaurant ordinaire, le quitte, tâte de restaurants nouveaux, y trouve la nourriture un peu plus détestable, et de lassitude conclut qu’il vaut encore mieux rentrera son ancienne « gargote ». Dans les Sœurs Vatard, un garçon et une fille qui ne s’aiment point, qui ne se désirent point, et qu’une commune horreur de la solitude a rapprochés un temps, jugent bientôt toute cohabitation impossible, et de lassitude concluent qu’il vaut encore mieux retourner chacun chez soi. Dans À rebours, un gentilhomme de la décadence, un « fin de siècle », qu’énerve notre monotone train de vie, se lance, trois cents pages durant, dans des sensations rares, s’y énerve un peu plus, et de lassitude conclut qu’il vaut encore mieux revenir à la vie normale. Enfin, dans En rade[3], deux Parisiens, rassasiés de Paris, des clubs, des théâtres, des musées, de l’Institut et de M. Déroulède, se réfugient à la campagne, y souffrent mille avanies, et de lassitude concluent qu’il vaut encore mieux regagner leur entresol du boulevard. Ainsi, l’œuvre entier de M. Huysmans se ramène à cette proposition renouvelée du sage Siddartha : « Toute agitation est vaine. Ne demande jamais d’œufs frais au garçon de ton restaurant. Outre que ces ambitieuses pensées te perdraient dans son estime, elles auraient cet autre résultat de te faire trouver ton omelette un peu plus rance que d’habitude. Ici-bas, le mieux ne se rencontre jamais ; le pire seul arrive. Or, je vais te prouver ça en six volumes de la collection Charpentier. Ça m’embêtera, mais ça t’embêtera. Et tout ça, ce sera le symbolisme ! »


II


Mais M. Huysmans reste sur la lisière du naturalisme et du symbolisme ; avec MM. Poictevin, Paul Adam, Moréas, Kahn, Dujardin, Viguier, etc., nous entrons dans le symbolisme pur. Voici comment :

Si l’on veut bien ouvrir À rebours, En rade, ou tout autre livre de M. Huysmans, on y trouvera deux sortes d’esprit. Naturaliste, M. Huysmans l’est surtout par les mauvais côtés (thèmes vulgaires, détails bas, fausse méthode scientifique). Symboliste, c’est un autre homme. Il lui faut la fine fleur de l’étrange ; sa fantaisie sort du présent, vagabonde en des décors de rêve, évoque d’inconcevables magies qu’il tâche à rendre d’une langue extraordinaire comme elles, somptueuse, barbare et maniérée.

Que si l’on s’inquiète à présent comment ce symboliste et ce naturaliste, d’essence si contradictoire, peuvent cohabiter en M. Huysmans sans se prendre aux cheveux et se manger le nez deux fois par ligne, je ferai observer d’abord qu’ils ont bien réussi à vivre en bonne intelligence chez M. Zola lui-même, qu’il y a, au reste, une excellente façon pour les empêcher de s’entre-dévorer, qui est de les mettre chacun à part, et que c’est très sagement à quoi s’est résolu l’auteur d’En rade, divisant son livre en deux compartiments, l’un pour la réalité (Inslallation du couple Malles à la campagne, saillies, vêlages, etc.), et l’autre pour le rêve (M. et Mme Malles s’intoxiquant de haschich et leur voyage dans les nues).

Ces deux tendances, qui n’ont point cessé de gouverner M. Huysmans, ont gouverné quelque temps eux-mêmes les plus en vue de nos jeunes romanciers symbolistes. Ils n’ont point trouvé leur voie du premier coup. C’est qu’en effet les littératures sont soumises aux lois des autres productions et ne sortent guère des cerveaux tout armées. Mais rappelez-vous La faute de l’abbé Mouret, Le ventre de Paris, La curée, Nana. Le naturalisme était gros du symbolisme. Si le cordon a été coupé un peu vite, si l’enfant s’est retourné contre sa nourrice, c’est par une fatalité d’ingratitude où les écoles n’échappent pas plus que les hommes. Après cela, relèverai-je l’étonnante phrase de M. Paul Adam, affirmant que « le naturalisme s’est écroulé parce qu’il ne croyait pas à l’idéalisme[4] » ? C’est donc qu’il n’eût plus été le naturalisme, ou qu’il faut demander aux contraires de se concilier. Pour ma part, et si tant est que le naturalisme soit mort, je ne serais point éloigné d’en donner l’explication opposée, et que son échec final vient justement de ce qu’il n’a point su se renfermer en lui-même et rester le naturalisme tout court, l’école de l’observation nette et précise. Ces raisons-ci sont-elles préférables, que donne à la suite M. Paul Adam, dont la première qu’en tant que patriote « il faut haïr l’œuvre naturaliste, qui tâche pour avilir à la face du monde la plus perfectible des races, en souillant son effigie de toutes les ordures morales comme de toutes les infirmités physiques » et l’autre qu’en tant que politique « soucieux d’apaiser les guerres intestines, il faut réprouver une littérature qui excite la rage idiote des plèbes, afin que ces pitoyables multitudes soient grugées dans la suite, au bénéfice de triomphateurs cupides » ? J’ai un peu de peine à le croire. Au reste, concède M. Adam, s’il est permis « aux gens du monde de flétrir pour ces motifs une œuvre, il messied aux littérateurs de reprendre un écrivain sur de telles raisons ». La réprobation de ceux-ci se justifiera par d’autres chefs, et d’abord par les ordures de M. Zola (M. Zola est évidemment ici pour naturalisme, une religion s’écroulant avec son dieu), par ses procédés romantiques de composition, par ses inconséquences, par son sans-gêne avec la vérité. Enfin, dernier reproche, et non celui qui tient le moins au cœur des symbolistes, M. Zola « manque de style ».

C’est la préoccupation de l’école. La phrase plus qu’assouplie, disloquée ; les règles, la syntaxe, la vieille construction logique dont parle Fénelon, abolies ; mots anciens et de jargon, grecs, latins, picards, toute l’érudition en délire et monstrueusement goguenarde de Rabelais, versée dogmatiquement et pontificalement dans la langue par ces prêtres du Son ; l’absence de rythme devenant le rythme suprême ; et des effets de verbe, des cabrioles d’adjectifs, des dégingandements de périodes, la langue entière prise d’hystérie, les oh ! les ah ! les si ! les pâmoisons, les spasmes, les râles et les roulements d’yeux coupant la prose en bonne santé de nos pères ; par là-dessus, je ne sais quelle affectation de mystère et d’hiérophantisme, voilà, en fin de compte, à quoi se réduit « l’écriture symboliste ». Mais de philosophie ou d’idées, l’école n’en a pas ou n’en a que d’emprunt. Elle en est restée au nihilisme de Flaubert et de Zola. Tout le thème de l’école est, à bien prendre, dans le vers du pauvre Laforgue : Ah ! que la vie est quotidienne ! Et d’immenses lassitudes, du dédain et du dégoût, transcendantalement rendus dans le style qu’on sait[5]. Le seul, ou presque, qui pense de cette école, car je n’y range point M. Barrès, bien que l’école se réclame de lui plus que lui-même ne se réclame de l’école, le seul qui pense, dis-je, qui ait raisonné sur son art et qui soit peut-être un écrivain de promesse. M. Paul Adam, en est encore à se chercher, donne du front tour à tour contre le réalisme et l’idéalisme, et vague un peu à l’inconnu[6]. Mais la prose de M. Moréas, avec son chant, ses rythmes, sa noblesse souvent, qui a lu ce grec frotté de Rutebœuf et de Rabelais peut-il rêver une absence d’idées plus élémentaire sous une rhétorique plus ornée ? M. Moréas s’en est si bien rendu compte lui-même qu’il semble avoir renoncé à toute création personnelle pour s’abriter dans des adaptations de légendes moyen âge, où s’éploient à l’aise ses richesses de langue : « Et la belle princesse portait une robe de soie, où l’on voyait brodés à fin or des pards et des dragons, des serpents volants et des escramors et bien d’autres bêtes. Et le beau valet Constant chevauchait un cheval baillet couvert d’un drap de couleur azurée, « etc., etc.[7]. » Et il n’y a pas plus de raison pour que cela finisse qu’il n’y en a eu pour que cela ait commencé.


III


Encore M. Moréas peut-il se réclamer du rythme. Maladroit aux idées, c’est un subtil manieur de phrases, et il est bon qu’on s’en souvienne[8]. Mais pour M. Dujardin et M. Kahn, je crois bien qu’ils échappent entièrement à toute littérature. Ce dernier a publié dans les revues sémites des pages dont il n’y a rien à écrire[9]. M. Dujardin, lui, a publié les Hantises (un recueil dans la manière noire d’Hoffman, compliquée d’inventions baroques à la Marck Twain), puis Les lauriers sont coupés, roman symboliste, qui, si on ne connaissait l’auteur pour imperturbable, semblerait la parodie anticipée de la belle monographie de M. Maurice Barrès : Sous l’œil des barbares. J’ai quelque inquiétude à analyser de tels livres. Qu’un romancier s’impose le programme suivant : dans le désordre de la vie cérébrale, avec la confusion perpétuelle des sentiments, des idées et des sensations, le trouble qu’apportent les circonstances extérieures au développement logique de la pensée, les sautes brusques de cette pensée même, se rappeler et tâcher à décrire dans leur minutie absolue tous les sentiments, idées, sensations, qui peuvent traverser un cerveau humain de sept heures à dix heures du soir, si vous n’arrivez pas avec un programme comme celui-là à confectiomier un monologue pour Coquelin cadet, je dis que vous n’aurez point été fidèle à votre programme. C’est ici l’éternel sophisme du réel pris et donné pour le vrai. En admettant que ce fût un homme de talent qui eût conçu le programme de M. Dujardin, et qu’il l’eut intégralement exécuté (chose que je tiens pour impossible), pensez-vous que son œuvre produirait l’impression de vie qu’il en attend ? Eh ! oui, je sais que le cerveau est ainsi fait. C’est, par exemple, en moi, dans le moment où j’écris, tout un chaos de perceptions, bruits de voix, roulements de voiture, coups sourds de marteaux sur l’enclume, et la palpitation du sang aux tempes, l’afflux de mille sensations de bien-être ou de malaise, et ma pensée courant au travers, toute à sa tâche de réflexion. Mais quoi ! si je ne venais pas de les noter ici pêle-mêle, perceptions confuses et perceptions distinctes, ne serais-je pas bien embarrassé, une heure après, pour trouver dans mon souvenir la moindre trace des premières, alors que les secondes auront survécu ? Et même dans celles-ci, dans les perceptions distinctes, un choix se fera encore à mesure. Mon passé finira par se ramasser en quelques traits nets et caractéristiques. Au romancier d’observer ces traits, car c’est avec eux seulement qu’il reconstituera mon « moi ». La nature simplifie ; l’art ne peut que suivre la nature. À les vouloir violenter tous deux, on risque la cocasserie, uniment.


IV


Parlerai-je à présent des obscénités symbolistes de M. Poictevin[10] ? Citerai-je, comme la seule critique qu’on en puisse faire, — et le sujet mis à part, — des phrases de français taillées sur ce patron ? « Invinciblement elle avançait, comme sans arrêt concevable, et le mouvement et la pose impassible du pied cambré, et la minime flexion de la taille droite, et le feu fixe des grands yeux d’où, par intervalles, coule une lueur fauve, sans jamais un battement ce de paupières, disent qu’elle ne supporte tout au plus que des tangences. Et, dans cet avancement illusoire, dans ce va-et-vient trompeur, elle garde une sinueuse immobilité. De la voix métallique le résonnant timbre un peu dur signifie que toute indiscrétion serait irrépondue. Comme cette voix scandait, on une mesure concordante, l’insondable, l’inexorable fluence du pas, de tout le corps[11]! » Insondable fluence, inexorable fluence, admirable invention que le symbolisme ! Et si je nomme seulement, à la suite de M. Poictevin, M. Maurice de Fleury, auteur d’Hydrargyre, et M. Léo d’Arkaï, auteur de Il, et que je dise du premier qu’il a trouvé le secret d’une forme encore plus compliquée, et de l’autre qu’il a découvert des thèmes un peu plus obscènes, n’aurai-je point fait tout le possible pour m’acquitter envers l’école symboliste ? Non, pourtant. Ouvrez l’Officlel de ces messieurs, la Revue indépendante de juin 1887, et lisez à la page 405 une nouvelle assez courte, Pubère, signée de M. Charles Vignier[12]. Elle est délicieuse d’ironie. Si M. Vignier, comme je le crois, a voulu faire là pour les symbolistes ce que Gautier fit pour les romantiques dans ses Jeunes-France, le pastiche est de tous points admirable. C’est le récit en prose symboliste des amours d’une laveuse de vaisselle. J’ai regret à n’en pouvoir rien citer. Mais, comme il est vrai qu’on ne combat bien les gens qu’avec leurs propres armes et quand on a déjà un peu couché sous leur tente, j’avancerai de la nouvelle symboliste de M. Vignier, qu’encore que très courte elle est peut-être la meilleure critique qu’on ait faite et qu’on fera du symbolisme, de cette école prétentieuse et vide, toute en dehors, excellant, non point, comme le clament ses esthètes, à exprimer l’inexprimable, mais bien au contraire à rendre inintelligibles les plus simples notions de l’expérience[13], véritable école normale de jongleurs et d’avaleurs d’étoupes enflammées, où l’on prépare à Bicêtre, je le pense, mais à la littérature, c’est encore à prouver.




  1. Remarquons pourtant que M. Moréas proteste contre ces qualifications : « Cette manifestation (la manifestation symboliste), couvée depuis longtemps, vient d’éclore. Et toutes les anodines facéties des joyeux de la presse, toutes les inquiétudes des critiques graves, toute la mauvaise humeur du public surpris dans ses nonchalances moutonnières ne font qu’affirmer chaque jour davantage la vitalité de l’évolution actuelle dans les lettres françaises, cette évolution que des juges pressés notèrent, par une inexplicable antinomie, de décadence. Remarquez pourtant que les littératures décadentes se révèlent essentiellement coriaces, filandreuses, timorées et serviles… Et que peut-on reprocher, que reproche-t-on à la nouvelle école ? L’abus de la pompe, l’étrangeté de la métaphore, un vocabulaire neuf où les harmonies se combinent avec les couleurs et les lignes : caratéristiques de toute renaissance… » (Manifeste des symbolistes.)
  2. Et d’autres grands poètes avant lui. « C’est à mon avis, dit M. Paul Bourget, une des preuves les plus frappantes de la hauteur de vue d’Alfred de Vigny que d’avoir deviné la valeur poétique du symbolisme. La beauté poétique pure réside en effet dans la suggestion plus encore que dans l’expression… Il faut, pour que le sortilège des beaux vers s’accomplisse, du rêve et de l’au-delà, de la pénombre morale et du mystérieux. » (Journal des Débats, 24 mars 1885.) Mais mystérieux n’est pas synonyme d’obscur.
  3. J’abrège la nomenclature. Pourtant il serait dommage d’oublier «l’histoire du monsieur qui a la diarrhée ».
  4. Cf. le no 1 de la Revue de Paris et de Saint-Pétersbourg. Première année.
  5. Rouvrons le manifeste de M. Moréas : « Ennemi de l’enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la description objective », le symbolisme « cherche à vêtir l’Idée d’une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l’Idée, demeurerait sujette. L’Idée, à son tour, ne doit point se laisser voir privée des somptueuses simarres des analogies extérieures ; car le caractère essentiel de l’art symbolique consiste à lie jamais aller jusqu’à la conception de l’Idée en soi… »
  6. Voir non les Demoiselles Goubert (médiocre), Le thé chez Miranda (médiocre encore), mais Soi et Être.
  7. Cf. la Revue indépendante de juillet 1887 (L’empereur Constant, paraphrase).
  8. Sur M. Moréas, poète, et de premier ordre souvent, voir Nos poètes, de M. Jules Tellier (art. Symbolistes).
  9. Plus des vers incompréhensibles, sous les « simarres de leurs analogies extérieures », Les palais nomades.
  10. Voir Ludine surtout. Seuls marque un progrès. Je renvoie sur Ludine à un excellent article de M. Gustave Geffroy, réimprimé dans Les notes d’un journaliste.
  11. Encore cette page s’entend-elle nettement. Mais que démêler dans celle-ci, Seigneur, que j’emprunte à des notes de M. Stéphane Mallarmé ? « La Gloire ! je ne la sus qu’hier, irréfragable, et rien ne m’intéressera d’appelé par quelqu’un ainsi. « Cent affiches s’assimilant l’or incompris des jours, trahison de la lettre, ont fui, comme à tous confins de la ville, mes yeux au ras de l’horizon, par un départ sur le rail traînés avant de se recueillir dans l’abstruse fierté que donne une approche de forêt en son temps d’apothéose. « Si discord parmi l’exaltation de l’heure, un cri faussa ce nom connu, pour déployer la continuité de cimes tard évanouies, Fontainebleau, que je pensai, la glace du compartiment violentée, du poing aussi etreindre à la gorge l’interrupteur : Tais-toi ! Ne divulgue pas, du fait d’un aboi indifférent, l’ombre ici insinuée dans mon esprit, aux portières de wagons battant sous un vent inspiré et égalitaire, les touristes omniprésents vomis. Une quiétude menteuse de riches bois suspend alentour quelque extraordinaire état d’illusion, que ne réponds-tu ? qu’ils ont ces voyageurs, pour ta gare aujourd’hui quitté la capitale, — (oh ! cet alexandrin de Baour-Lormian dans cette prose !) — bon employé vociférateur par devoir, et dont je n’attends, loin d’accaparer une ivresse à tous départie par les libéralités conjointes de la Nature et de l’État, rien qu’un silence prolongé, le temps de m’isoler de la délégation urbaine vers l’Extatique torpeur de ces feuillages là-bas trop immobilisés pour qu’une crise ne les éparpille bientôt dans l’air ; voici, sans attenter à ton intégrité, tiens, une monnaie. « Un uniforme inattentif m’invitant vers quelque barrière, je remets sans dire mot, au lieu du suborneur métal, mon billet. « Obéi pourtant, oui, à ne voir que l’asphalte s’étaler nette de pas, car je ne peux encore imaginer qu’en ce pompeux octobre exceptionnel du million d’existences étageant leur vacuité en tant qu’une monotomie énorme de capitale dont va s’effacer ici la hantise avec le coup de sifflet sous la brume, aucun furtivement évadé que moi n’ait senti qu’il est, cet an, d’amers et lumineux sanglots, mainte indécise flottaison d’idée désertant les hasards comme des branches, tel frisson et ce qui fait penser à un automne sous les cieux. « Personne et, les bras de doute envolés comme qui porte aussi un lot d’une splendeur secrète, trop inappréciable trophée pour paraître ! mais sans du coup m’élancer dans cette diurne veillée d’immortels troncs au déversement sur un d’orgueils surhumains (or ne faut-il pas qu’on en constate l’authenticité ?), ni passer le seuil où des torches consument, dans une haute garde, tous rêves antérieurs à leur éclat, répercutant en pourpre dans la nue l’universel sacre de l’intrus royal qui n’aura eu qu’à venir : j’attendis, pour l’être, que lent et repris du mouvement ordinaire, se réduisit à ses proportions d’une chimère puérile emportant du monde quelque part, le train qui m’avait là déposé seul. »
  12. M. Vignier n’a pas réuni ses nouvelles. Comme poète, il tient un rang très estimable. (Voir Centon.)
  13. Et ils s’en font gloire ! Dans un article de la Caravane du 10 novembre 1889, je lis sous la signature P. Marins André : « Scientifiquement, voici l’évidence de la théorie symboliste : « Comme il faut plus d’énergie pour retrouver un objet sous un signe indirect que sous un signe direct, on fournit à l’entendement l’occasion d’employer plus de force disponible et par conséquent d’éprouver plus de plaisir. » (Dumont, Théorie scientifique de la sensibilité). La raison est amusante, tout de même. Mais alors qu’on nous ramène aux logogriphes et aux rébus.