Les Rochelais à Terre-Neuve/7° Prêts à la grosse aventure


Chez Georges Musset (p. 53-55).

7o Prêts à la grosse aventure.


La grosse aventure était pratiquée sur tout et à l’occasion de tout. L’argent prêté pour les « victuailles, munytions et apparaulx » du navire était à la grosse aventure ; aussi, les avances faites aux mariniers ; le sel fourni, pour la salaison du poisson ; les étoffes et les objets d’équipement vendus aux équipages. Un maître obtenait-il pour ses bons services la vente d’une part du navire, on le laissait débiteur de son prix à la grosse aventure.

Le risque visait les accidents de mer et les dommages causés par les ennemis ou les corsaires. Il commençait toujours aussitôt l’ancre levée et ne cessait qu’au retour du navire soi « incontinent l’ancre posée », soit après « deux gabarrées déchargées du navire », soit vingt-quatre heures après l’arrivée.

Jusqu’aux environs de l’année 1550, on constate une certaine hésitation à mentionner l’intérêt du placement, par crainte sans doute de tomber sous le coup des lois prohibitives soit ecclésiastiques soit laïques.

On risque parfois timidement le mot de profit pour désigner cet intérêt ; mais le plus souvent on le sent capitalisé avec le principal sans que la distinction soit faite de l’un avec l’autre. C’était là d’ailleurs la manière la plus habituelle de dissimuler l’intérêt des prêts.

L’intérêt toutefois était chose courante et ouvertement pratiquée, puisque dans certains contrats, il est stipulé que le profit sera payé au cours de Bordeaux.

Vers le milieu du xvie siècle, on fait litière des prescriptions prohibitives. Et le profit apparaît régulièrement sous les noms habituels de profit ou d’aventure. Le taux de cet intérêt subit de nombreuses fluctuations. Au début, en 1537, on le rencontre à un taux peu élevé, 20 pour 100. Puis Il s’élève à 25, 30, 35 pour 100. Vers 1555, l’argent est cher, on prête à 40 pour 100 ; mais il retombe jusqu’à 22 pour 100, et son taux habituel va de 25 à 30 pour 100, bien que ce chiffre soit quelquefois dépassé. La cherté de l’aventure est d’ailleurs en proportion de la solvabilité de l’emprunteur et de l’éloignement de son port d’attache ou de son domicile. Ainsi les Basques et les Bretons payent parfois plus cher que les Rochelais.

Le remboursement du principal et de l’aventure se fait, au pis aller, dans le mois qui suit l’arrivée du navire bien que le risque cesse vingt-quatre heures après l’ancre posée. On ne fixe habituellement qu’un délai de douze à quinze jours après l’ancre posée, Il est stipulé néanmoins que les emprunteurs pourront se libérer plus tôt si leur poisson est vendu. Dans la seconde moitié du xvie siècle et le xviie, le délai de payement est généralement reporté à la quinzaine après l’arrivée du navire.

Il est une clause courante qu’il est bon de signaler, car elle démontre le soin que les prêteurs à la grosse aventure mettaient à développer leur commerce et à multiplier leurs occasions de trafic. Il est souvent spécifié pour les prêteurs, comme pour les avitailleurs, que les prêteurs auront la préférence pour l’acquisition du poisson au prix du cours ou de l’offre faite par d’autres marchands. Et les débiteurs ne sont libres de vendre leurs marchandises à qui bon leur semble, que si les prêteurs ont refusé de les acheter.