Les Rochelais à Terre-Neuve/5° Solde des équipages. Partage des bénéfices


Chez Georges Musset (p. 47-51).

5o Solde des équipages. Partage des bénéfices.


Jusqu’au milieu du xvie siècle, le mode de salaire des équipages terre-neuviers varie à l’infini. On cherche encore un modus vivendi qui satisfasse tous les intérêts. Tantôt les avitailleurs se réservent la totalité de la pêche et assurent à leurs mariniers un payement en argent. Tantôt au contraire, l’équipage a sa part en nature. Mais dans tous les cas, sans exception, cette part des mariniers doit être offerte aux avitailleurs préalablement à tous autres marchands et aux prix du cours. Ajoutons d’ailleurs que, malgré tout, ainsi que cela ressort des documents, il y avait déjà des usages en cours sur la place de La Rochelle, puisque pour le payement de certains salaires, on s’en réfère à ce qui se fait entre marchands. Il est vraisemblable que les armements de Terre-Neuve avaient été assimilés dès l’origine à la pêche des baleines dans le golfe de Gascogne ou les mers du nord, ou à toutes autres pêches, comme celles des merlus dans les eaux de l’Irlande.

Il peut être intéressant de signaler par le menu quelques-unes des conventions faites entre les avitailleurs et les équipages.

Sur la Marguerite, de Saint-Brieuc (1523), sur le Christophe, de La Rochelle (1534), l’équipage a droit au tiers de la pêche, huile, gains et profits « selon le cours de la mer », mais dans l’un de ces cas, les mariniers payent leur part de salaire du maître ou pilote. Les victuailles toutefois seront fournies, pour la totalité, par les avitailleurs qui reprendront le reste, s’il y en a. Les mariniers reçoivent une avance de 78 livres 5 sols tournois qui iront à la grosse aventure.

Le 19 février 1534 (n. s.), Guillaume Legatz, marinier de Paimpol en Goelo (Goulle) est gagé comme maître et pilote de la Marguerite-Antoinette, de La Rochelle, au prix de 30 livres tournois.

Jean Guibert, marchand de Portereau en Bretagne, embarque le 24 janvier 1535, comme maître et pilote sur l’Esprit, de La Rochelle, au prix de 22 écus d’or sol. Ses dix-huit mariniers bretons recevront une pipe de vin, à leur arrivée, en plus de leur salaire. Le 23 janvier 1537 (n. s.), Micheau Herlant, marinier, est engagé comme maître de la Marguerite de La Rochelle, au prix de 30 livres tournois, en outre de son lot de pêche.

Le traité, du 12 avril 1541, de la Julienne de Barfleur, contient une clause pénale : si les mariniers ne font pas leur devoir, il leur sera rabattu « aux dires des maîtres, contre-maîtres, pilotes et maîtres des bateaux ».

Le 26 mars 1541, un marinier breton est arrêté aux gages de 8 livres et une paire de bottes.

Le pilote et le canonnier qui : commandent la Pierre, de Penmarc, reçoivent 80 livres, pour leur pot-de-vin ; ils auront en outre chacun à prendre 20 livres sur le poisson.

Dans le traité relatif au Laurent, de Saint-Paul-de-Léon, il est convenu que les avitailleurs rochelais prendront d’abord une valeur de 1.500 livres de poisson vert pour leur avitaillement, et que le reste de la pêche sera partagé dans la proportion d’un tiers pour les avitailleurs et deux tiers pour les maîtres et équipage.

En résumé, et à tout bien considérer, la part en nature abandonnée à l’équipage paraît être tout d’abord du tiers ; des deux autres tiers, l’un revenait au corps du navire, c’est-à-dire, à l’armateur, l’autre tiers aux avitailleurs. Dans la seconde moitié du xvie siècle, une modification se produit dans le lotissement. On maintient la division par tierce partie pour la pêche du poisson sec, mais on la réduit au quart pour le poisson vert. On ne tarde pas, en effet, à s’apercevoir qu’il y a plus de peine à préparer la morue séchée qu’à rapporter simplement la morue verte. Pour la première, il faut en effet créer des établissements sur la côte de la Terre- Neuve, et attendre le poisson à sécher. Il arrive même à la fin du xvie siècle que les équipages luttent, pour obtenir une plus forte part dans la pêche. À la date du 4 octobre 1608, vingt-sept propriétaires ou armateurs de navires se proposant d’envoyer à Terre-Neuve pour établir des sécheries de poisson, s’engagent, sous peine de 1.500 livres d’amende, par navire, à partager au prorata des navires, à n’accorder au maître et à l’équipage de leurs bâtiments que le tiers du produit de la pêche, pour leur salaire.

La base de ces participations ainsi établies se maintint pendant tout le xviie siècle et le xviiie siècle, si nous en jugeons par les documents que nous connaissons. Elle ne varia, dans tous les temps d’ailleurs, que pour certains produits accessoires de la pêche.