Les Relations de la chimie minérale avec les autres sciences

Les relations de la chimie minérale avec les autres sciences [1]
Henri Moissan

Revue des Deux Mondes tome 24, 1904


LES RELATIONS
DE LA
CHIMIE MINÉRAE
AVEC LES AUTRES SCIENCES[2]

La chimie, jeune comme science, voit ses premières applications remonter au berceau même du genre humain. Dès que l’homme, dans sa lutte avec la nature, eut pris possession de son individualité, son esprit d’observation lui permit de reconnaître quelques-uns des phénomènes qui se produisaient autour de lui, puis d’en poursuivre l’étude. Il comprit l’importance du feu ; il reconnut bientôt que certaines substances métalliques pouvaient remplacer le silex dans la fabrication des armes. Dès lors, il apporta tous ses soins à cette primitive métallurgie du cuivre dont nous trouvons encore des exemplaires, plus ou moins transformés, dans les premières fondations de Babylone. Ce sont là des témoins peu explicites de la plus lointaine de nos civilisations.

Du reste, nous avons si bien apprécié cette importance du métal dans les différentes périodes de l’humanité que, sous un seul nom, nous avons confondu tous les siècles qui ont utilisé le même métal. Après l’âge du cuivre viendra l’âge du bronze. Au même moment l’or, qui va se rencontrer à l’état natif, sera connu et travaillé au marteau. Le fer, d’une préparation beaucoup plus difficile, ne pourra être utilisé que plus tard.

En ces temps reculés, l’époque la plus féconde en applications chimiques fut celle qui correspond à la civilisation égyptienne. A la suite d’un grand nombre d’essais industriels, on put teindre les tissus avec la pourpre, travailler les métaux rares, fondre les émaux, fabriquer et façonner le verre, et préparer des liqueurs fermentées.

D’autre part, un petit peuple qui, en toutes choses, devait jeter le plus vif éclat sans produire d’applications nouvelles, cherchait à expliquer philosophiquement ces transformations de la matière. Les philosophes grecs dissertèrent longuement sur ce sujet. Empédocle ramena tous les corps que la nature peut nous présenter à quatre élémens : le feu, l’air, l’eau et la terre, Pour lui, ces élémens sont composés d’une multitude de particules très petites, indivisibles et insécables. Une telle théorie nous conduira aux atomes de Démocrite. Soit que nous prenions ces élémens pour des symboles, soit que nous les regardions comme une classification véritable des manifestations de la matière qui nous entoure, l’idée d’Empédocle, reprise par Aristote, enseignée par toutes les écoles, devait être pendant longtemps envisagée comme indiscutable. Epicure soutiendra la théorie des atomes, et Lucrèce, dans une divination poétique, pourra écrire :


Principio, quoniam terrai corpus, et humor
Aurarumque leves animæ, calidique vapores,
Et quibus hæc rerum consistere summa videtur,
Omnia nativo ac mortati corpore constant ;
Debet eodem omnis mundi natuca putari.


L’idée des quatre élémens va se retrouver intacte chez les chimistes arabes et chez les alchimistes du moyen âge, bien qu’elle subisse différentes transformations avec Paracelse qui reconnaît cinq élémens : l’esprit, le mercure, le phlegme ou l’eau, le sel, le soufre ou l’huile et la terre ; puis avec Beecher qui admet trois essences de terres : la terre vitrifiable, inflammable et mercurielle.

Cette théorie des quatre élémens régnera, sans conteste, jusqu’au moment où Stahl, professeur à l’Université de Halle, développera son importante conception du phlogistique. Pour Beecher, les corps combustibles et les métaux contenaient les trois terres réunies. Pour Stahl, cette terre inflammable devient le phlogistique. Le charbon, par sa combustion, donne de la chaleur et de la lumière ; il renferme donc du phlogistique. Lorsque l’on chauffe une chaux, c’est-à-dire un oxyde métallique, avec du charbon, il fixe ce phlogistique et donne un métal.

C’étaient là des idées importantes, parce qu’elles permettaient de réunir, en un corps de doctrine, les phénomènes d’oxydation et de réduction.

Tel était l’état de la science, lorsque Lavoisier, à la suite d’expériences mémorables, développa la notion de corps simples. Ce grand savant fit voir que le même corps peut changer d’état et il dégagea nettement, dans les phénomènes de la chimie, d’une part les poids des corps mis en réaction, et, d’autre part, la chaleur mise en liberté. En pesant les corps simples qui s’unissent entre eux et en pesant le composé produit, il établit nettement l’équation pondérale de la réaction chimique. En mesurant au calorimètre les chaleurs dégagées, il sépara la matière pondérable des agens impondérables. Toutes ces vues, d’ailleurs, se tenaient logiquement entre elles, et il était impossible d’étudier les phénomènes de la combustion, si l’on ne se faisait pas une idée exacte du passage d’un corps de l’état solide à l’état liquide et à l’état gazeux.

Nous n’avons pas besoin de rappeler ici les expériences de Lavoisier sur la composition de l’air et de l’eau, sur l’augmentation de poids des métaux lorsqu’ils s’oxydent, sur les phénomènes de la combustion, de la respiration et de la production de la chaleur animale, de la fermentation, enfin la création de la nomenclature. Ces idées nouvelles ont renversé la théorie du phlogistique. Elles ont apporté de la clarté dans les laborieuses recherches des alchimistes, elles ont préparé la voie à l’étude de la chimie organique et de la chimie biologique ; elles ont donné aux réactions chimiques la rigueur et l’exactitude. En un mot, elles ont fondé la chimie à l’état de science.

A partir de cette époque, nous pouvons diviser en trois grandes périodes les multiples recherches qui seront poursuivies dans différens pays. Dans une première période, se dégagera l’idée des élémens. Dans une deuxième, les lois chimiques seront établies, et, dans une troisième, on déterminera les poids atomiques de ces mêmes élémens.

La première période comprend les études d’un grand nombre de chercheurs, mais, parmi ceux-ci, quatre noms émergent au-dessus de tous les autres : Scheele, dont le génie chimique devait enrichir notre science ; Priestley, esprit tout à la fois très original et très conservateur ; Cavendish, dont les analyses n’ont pas été surpassées ; et enfin Humphry Davy qui, par la découverte des métaux alcalins et alcalino-terreux, expliquait la constitution des terres et consacrait définitivement l’idée des élémens.

La deuxième période nous présente les législateurs de notre science. Wenzel, à la suite des travaux de Rouelle, précise nos connaissances sur les sels et sur les doubles décompositions : Richter publie les premières tables de neutralisation des acides et des bases. Proust formule la loi de la constance des proportions (1806) ; et, en même temps, Dalton expose d’une façon complète la loi des proportions multiples, dont un premier aperçu avait été donné, en 1803, à la Société littéraire et scientifique de Manchester. Comme nous le verrons plus loin, l’importance de la loi de Dalton ne fut appréciée à sa juste valeur que beaucoup plus tard. Enfin, en 1808, Gay-Lussac indiqua les lois si simples des combinaisons gazeuses. Par leur énoncé, Gay-Lussac venait apporter à l’idée de combinaison une rigueur véritablement mathématique.

Dès lors, l’étude des poids des différens élémens qui entrent dans la combinaison put être poursuivie avec succès, surtout lorsque furent connues la loi de l’isomorphisme de Mitscherlich (1819) et la loi des chaleurs spécifiques de Dulong et Petit (1819). Dans cette troisième période, où la précision expérimentale sera portée à ses dernières limites, à côté des recherches de Victor Regnault, de Faraday, de Marignac et de beaucoup d’autres, les travaux les plus importans, publiés sur le sujet qui nous occupe, seront ceux de Berzélius, de Dumas et de Stas.

Le magnifique effort de Berzélius nous fournira une étude aussi complète que possible de la plupart de nos corps simples. Ces expériences seront reprises avec le plus grand soin par Dumas qui fixe d’abord la composition en poids de l’eau et de l’air, puis, qui nous donne un certain nombre de poids atomiques et, parmi ceux-ci, celui du carbone, pivot de toute la chimie organique.

Stas reprend ensuite l’étude de ces questions, et, à propos de l’hypothèse de William Prout sur l’unité de la matière, il établit nettement que les poids atomiques ne sont pas des multiples de l’unité. Les expériences de Stas resteront dans notre science comme un modèle d’exactitude.

Et pendant cette période qui demandera environ un siècle, les théories, par lesquelles nous relions l’immense détail de notre science, auront eu le temps de changer plusieurs fois.

Nous avons vu précédemment comment les idées de Lavoisier ont remplacé la théorie du phlogistique. Plus tard, Humphry Davy, après ses belles découvertes, donne à l’électricité un rôle prépondérant et crée la théorie électrochimique, reprise et modifiée par Berzélius. Puis viennent les recherches sur les densités de vapeurs et, à la suite de discussions prolongées, de nombreux chimistes abandonnent les chiffres de Berzélius et suivent la notation dite des équivalens, proposée par Wollaston et adoptée par Gmelin, Liebig et Dumas.

Mais Gerhardt, considérant comme équivalentes les quantités d’acide chlorhydrique, d’eau et d’ammoniaque qui correspondent à des volumes égaux, proposera bientôt un système de poids atomiques auquel se rallient : en France, Laurent, Wurtz ; en Angleterre, Williamson, Frankland ; en Allemagne, Hoffmann, Kékulé, Baeyer ; en Italie, Cannizaro. L’hypothèse d’Avogadro et d’Ampère sera reprise, et une distinction nette entre les atomes et les molécules permettra de reconstituer la théorie atomique sur la grande loi de Dalton.

Bien avant cette période, la chimie était divisée en deux grands chapitres : la chimie minérale et la chimie organique.

L’étude de la chimie organique avait été commencée avant les recherches de Lavoisier. Pendant plus d’un siècle, les savans essayèrent tout d’abord d’isoler les principes immédiats qui se rencontrent dans les végétaux et les animaux. Ces études furent poursuivies de tous côtés avec des succès divers et dotèrent la chimie d’un grand nombre de composés nettement définis, et dont certains avaient des propriétés thérapeutiques importantes. L’analyse de tous ces corps fut assez délicate, et, comme il arrive dans les sciences, rien de définitif ne put être établi tant que les méthodes analytiques ne furent pas portées à un point suffisant d’exactitude. Ce n’est qu’après ce premier travail qu’il a été possible de classer ces innombrables composés.

Différentes théories se succédèrent ensuite, et, enfin, la synthèse vint terminer l’œuvre commencée. Nous rappelons les grandes recherches de Berthelot sur ce sujet : synthèse des principes immédiats des graisses animales, des alcools, des acides, des carbures, et en particulier de l’acétylène, du camphre, de différentes essences, etc., etc. La force vitale admise par Berzélius, par Liebig et par Gerhardt n’existera plus. L’homme, dont le pouvoir est borné en tant de choses, peut faire la synthèse de la matière organique inerte.

Les schémas de Kékulé viendront bientôt donner à la chimie organique une orientation nouvelle ; la reproduction des composés les plus compliqués se poursuivra avec succès. Graebe et Liebermann feront la synthèse de l’alizarine et, plus tard, dans une magnifique étude de l’indigo, Baeyer pourra annoncer que la place de chaque atome de la molécule de cette matière colorante a été déterminée par l’expérience. De ces recherches, sortiront les différentes synthèses de l’indigo. Enfin Emil Fischer vient de réaliser les synthèses des sacres et d’ouvrir ainsi à la biologie de nouveaux horizons.

Depuis une cinquantaine d’années, la chimie du carbone a formé un chapitre à part et nous avons eu le merveilleux spectacle de son développement et de ses importantes applications industrielles. Au point de vue de la recherche, la chimie organique, dont les théories fécondes se sont transformées lentement, n’éprouve plus aucune difficulté pour établir la composition des innombrables dérivés qu’elle étudie. Au contraire, la chimie minérale, qui a suscité tant d’efforts pour établir l’analyse qualitative et quantitative des différens composés, est loin d’être parfaite. Cette partie de la science est encore en évolution : c’est que certains élémens sont incomplètement étudiés.

Le grand nombre de corps simples que comprend la chimie minérale augmente cette difficulté.

Lorsque les poids atomiques eurent été en partie établis, l’effort qu’a nécessité l’étude de la chimie organique a fait diminuer le nombre des recherches de chimie minérale. Mais aujourd’hui que les grandes lignes de la chimie organique sont tracées, et qu’à la place de la forêt vierge, comme le disait Hofmann, on voit apparaître une ville entière, harmonieusement tracée, l’étude de la chimie minérale a été remise en honneur.

Cependant cette chimie minérale poursuivait ses découvertes. Un certain nombre d’élémens nouveaux, rares pour la plupart, ont été isolés dans les trente dernières années. Lecoq de Boisbaudran, en 1875, a retiré de la blende des Asturies un nouveau métal bien curieux fondant à 30°, le gallium. Winkler, à la suite d’analyses très délicates, a obtenu le germanium, en partant de l’argyrodite de Freiberg. Enfin, en 1886, l’auteur de cet article a pu isoler le fluor qui, bien qu’assez répandu dans la nature, avait résisté jusque-là aux efforts d’Humphry Davy, de Louyet, des frères Knox, de Fremy et de Gore.

Dans ces dernières années, une autre série de découvertes a vivement frappé l’attention des savans. A la suite d’expériences délicates sur la détermination de la densité de l’azote, préparé par réaction chimique, ou retiré de l’air, lord Rayleigh a déclaré que la différence, qui portait sur la troisième décimale de ses chiffres, devait être attribuée à l’existence d’un élément gazeux plus lourd que le gaz azote et qui se trouvait dans notre atmosphère. Après cette détermination physique, lord Rayleigh et sir William Ramsay isolèrent le gaz argon, puis sir William Ramsay obtint les satellites de l’argon, tels que le krypton, le xénon et le néon. Ces études le conduisirent aussi à reconnaître et à étudier, à la surface de la terre, l’hélium dont les raies spectrales avaient été simultanément découvertes dans le soleil par sir Normann Lockyer et par Janssen. Ce sont là de beaux résultats, d’autant plus curieux qu’il s’agit d’une série de corps gazeux qui, par leur paresse chimique, embarrassent beaucoup le savant et le philosophe.

Mais il est un groupe de métaux qui, malgré les efforts continus des chimistes, n’a pu encore être complètement étudié. Nous voulons parler des terres rares divisées en deux séries : celle du cérium et celle de l’yttrium.

En 1751, Cronstedt découvrit la cérite dans une mine de Bastnaes. En 1794, Gadolin indiqua l’existence d’une terre rare, l’yttria, dans un minéral noir et pesant qui se rencontrait abondamment aux environs d’Ytterby et qui, plus tard, fut nommé gadolinite. Le cérium fut caractérisé comme élément, en 1804, par Berzélius et Hisinger en Suède, et par Klaproth en Allemagne. Des recherches nombreuses et assez confuses suivirent ces premiers travaux jusqu’au moment où Mosander, en 1839 et 1842, sépara le lanthane et le didyme du véritable cérium. L’étude du cérium et de ses composés fut enfin complétée par les recherches magistrales de Clève, par celles de Marignac, de Brauner, de Wyrouboff et Verneuil. Plus tard, le didyme de Mosander fut séparé en deux élémens, le praséodyme et le néodyme, par Auer von Welsbach.

Puis l’étude du samarium fut poursuivie par Clève, Lecoq de Boisbaudran, Demarçay, Brauner et Bettendorf. En étudiant le fractionnement du samarium, Demarçay indiqua l’existence d’un nouvel élément, l’europium.

En même temps que Mosander terminait ses travaux sur le cérium, il reprenait l’étude de l’yttria et en séparait l’erbine et la terbine. Cette étude fut continuée par Clève, Marignac, Crookes, Delafontaine. Clève démontra nettement, en 1879, que l’erbine est un mélange de plusieurs terres, et, depuis cette époque, de nombreuses recherches sont poursuivies sur ce sujet.

Quatre élémens : l’yttrium, l’ytterbium, l’erbium et le scandium de Nilson, paraissent indiscutables. Les beaux travaux de Clève ont montré qu’il existait, dans ce groupe, d’autres élémens, et, en particulier, l’holmium.

Enfin de ce même groupe de l’yttria, Marignac a séparé une terre que Lecoq de Boisbaudran a nommée oxyde de gadolinium.

Malgré les efforts continus de l’École suédoise, malgré les recherches de tant de savans, Berzélius, Mosander, Clève, Nilson, Crookes, Marignac, Lecoq de Boisbaudran, Demarçay, Brauner, Wyrouboff et Verneuil, Urbain, cette question capitale des terres rares est loin d’être terminée. La séparation de ces différens oxydes reste une des opérations les plus délicates de la chimie, et, cependant, lorsque l’on compare des élémens aussi voisins, on sent combien leur étude complète présenterait d’intérêt pour la science.

Du reste, cette chimie minérale ne s’est jamais arrêtée et l’on peut dire qu’elle a bénéficié de toutes les découvertes réalisées dans les autres sciences.

L’exemple le plus frappant que nous puissions en donner est celui de l’analyse spectrale. On se souvient que Wollaston, dès 1802, avait indiqué la discontinuité du spectre solaire. Plus tard, en 1815, Frauenhoffer a étudié les raies obscures de la lumière solaire, et les raies lumineuses de certains spectres. Après les nombreux travaux de Brewster, de Wheatstone, d’Alter, d’Angslröm, de Masson et de Plucker, il faut arriver jusqu’à la grande découverte de Kirchhoff, en 1860, pour connaître la parfaite concordance des raies brillantes des spectres, et des raies noires du soleil et des étoiles.

Dès lors, l’analyse spectrale est établie par Kirchhoff et Bunsen, et ces savans démontrèrent tout de suite son importance par la découverte de nouveaux élémens : le rubidium et le cœsium. La chimie minérale s’empare de l’analyse spectrale. Sir William Crookes caractérise le thallium, isolé bientôt par Lamy. Reich et Richter découvrent l’indium. Puis vient la découverte du gallium. Enfin, dans les mains de nombreux savans, Bunsen, Thalen, Clève, Nilson, Crookes, Lecoq de Boisbaudran, Demarçay, Becquerel, Benedicks, cette méthode peut être appliquée à l’étude si difficile des terres rares.

Le phénomène si simple du renversement des raies devait étendre l’empire de la chimie analytique jusqu’aux confins- des dernières étoiles visibles. Il devait démontrer que la même matière est distribuée dans tout l’univers. En effet, Kirchhoff reconnut la présence, dans l’atmosphère du soleil, du sodium, du calcium et du baryum, du manganèse, du fer, du chrome, du cuivre et du zinc. Plus tard, Angström et Thalen indiquèrent l’existence, dans le soleil, de l’hydrogène, du magnésium et de l’aluminium. Sir Normann Lockyer, dans ses belles recherches spectrales sur l’analyse des astres, nous a démontré que le soleil renfermait aussi du cadmium, du strontium, du cérium, du plomb et du potassium. Huggins poursuivit l’étude du spectre des étoiles et des nébuleuses ; il y rencontra les mêmes corps simples. Le P. Secchi établit que le spectre des comètes fournit les raies des hydrocarbures.

Toute cette grande question a été reprise et mise au point, grâce à des méthodes nouvelles par Rowland, professeur à l’Université de Baltimore. Ce savant a donné, sur la composition 5u soleil, d’après l’étude de son spectre, les résultats les plus importans que nous possédions. Il a relevé 20 000 raies, dont un tiers seulement fournit des coïncidences certaines avec nos raies terrestres. Il est vrai que, dans ces coïncidences, se trouvent les raies les plus fortes des corps simples. De cette belle étude, Rowland conclut que la terre, portée à la température du soleil, donnerait un spectre à peu près semblable.

La chimie minérale a encore utilisé l’analyse spectrale pour l’étude des spectres de bandes. Ces spectres ont servi aux chimistes comme moyen analytique.

S’il était besoin d’un autre exemple pour démontrer la fusion de la chimie minérale et de la physique, nous pourrions rappeler les applications si nombreuses de l’électrolyse, utilisées par les chimistes. A peine Volta a-t-il publié sa grande découverte de la pile électrique qu’immédiatement Carlisle et Nicholson l’utilisent pour la décomposition de l’eau, et, peu d’années après, Humphry Davy prépare, par ce procédé, les métaux alcalins et alcalino-terreux. Ces métaux devaient eux-mêmes servir à isoler le bore, le silicium, le magnésium et l’aluminium.

Depuis cette époque, une année ne s’écoule pas sans mettre à contribution l’électrolyse pour augmenter le champ de nos découvertes. Un grand nombre de métalloïdes et de métaux sont obtenus aujourd’hui par ce moyen, et l’agent le plus actif de la chimie minérale, le fluor, n’a pu être isolé que par cette méthode. Mais nous devrons rappeler aussi que l’étude de l’électro-chimie et les belles recherches de Faraday sur la conductibilité électrique, recherches complétées et étendues par Kohlrausch, ont fourni aux chimistes une direction nouvelle et de précieux enseignemens. Si bien que lord Rayleigh a pu dire au Congrès de l’Association britannique de Montréal : « C’est par l’étude de l’électrolyse que nous pourrons augmenter nos connaissances sur les réactions chimiques et sur les forces qui les produisent ; à mon avis, le premier progrès de la science se fera dans cette voie. »

Cette pénétration de la chimie par la physique est devenue plus complète à la suite des recherches magistrales de Henri Sainte-Claire Deville sur la dissociation. En étudiant d’une façon systématique la décomposition incomplète d’un-certain nombre de corps et en rattachant par un lien étroit cette dissociation à l’évaporation, Deville a fait tomber les barrières qui séparaient les phénomènes physiques des phénomènes chimiques. Il a rendu compte d’un grand nombre de réactions incomprises ; il a expliqué comment s’accomplissent les réactions inverses et comment se sont formés les minéraux dans leurs filons métalliques.

Henri Debray a, de suite, démontré l’importance des idées de Deville par ses expériences élégantes sur la dissociation du carbonate de chaux et des sels hydratés. Cette question de la dissociation touchait par certains, points aux phénomènes d’équilibre dont il est fait mention dans l’important mémoire de Berthelot et Péan de Saint-Gilles sur les vitesses d’éthérification. Mais nous ne voulons pas aborder l’historique de cette question. Il nous suffira de rappeler que, de tout temps, les deux sciences, physique et chimie, se sont prêté un mutuel appui. Victor Regnault a commencé ce grand mouvement de la physicochimie, agrandi par les travaux de Joule, illustré par les brillantes découvertes de Deville et poursuivi ensuite avec tant d’éclat par Gibbs, Van der Vais, Van’t’ Hoff et Arrhénius.

Dans un ordre d’idées différent, nous rappellerons les beaux travaux de Pasteur sur la dissymétrie moléculaire qui ont été le point de départ des recherches si originales de Lebel et de Van’t’Hoff sur l’isomérie des corps doués de pouvoir rotatoire. A chaque instant la chimie minérale s’appuie sur les données de la physique. La détermination des constantes physiques se poursuit chaque jour dans le laboratoire. Souvent, c’est le seul gage de la pureté de nos produits. Dans les cas douteux, où il devient difficile d’établir un poids atomique, la loi de Dulong et Petit nous donne de précieux enseignemens. Enfin toute la thermo : chimie, établie avec tant de succès par Berthelot et par Thomsen, n’utilise que les méthodes de la calorimétre.

Il est une autre partie de la physique qui est appelée à rendre des services à la chimie minérale et qui, dans ces dernières années, a pris un grand développement : nous voulons parler de l’obtention facile des hautes et des basses températures. Dans la métallurgie et la céramique, l’industriel, depuis des milliers d’années, a utilisé de hautes températures pour obtenir des métaux, des verres et des terres cuites. Ces températures élevées étaient produites par la combustion du bois ou du charbon. Plus tard, les savans ont concentré la chaleur solaire au moyen des miroirs et des verres ardens pour réaliser quelques expériences intéressantes. Il y a deux siècles, l’importance de l’action de la chaleur dans les différentes réactions était si bien appréciée qu’elle a servi de base à la théorie du phlogistique de Stahl. Et lorsque la chimie s’est constituée à l’état de science, les idées de Lavoisier sur la combustion ont été le point de départ de cette profonde transformation.

L’emploi du chalumeau à hydrogène et à oxygène permit, en 1802, à Robert Hare, professeur à Philadelphie, d’obtenir des températures plus élevées que celles des fours industriels les plus puissans et de réaliser en petit plusieurs expériences très curieuses, telles que la fusion du platine et la volatilisation de la silice. On sait quelle heureuse application Deville et Debray firent plus tard du chalumeau à hydrogène pour l’étude de la métallurgie des métaux du platine.

Enfin la question du chauffage des fours ordinaires, après de grandes discussions, a été fixée, comme pratique et comme théorie, par les travaux d’Ebelmen et les importantes recherches de Siemens. A chacune de ces étapes, correspond un ensemble de découvertes, soit que l’étude d’un certain nombre de réactions fût poussée plus loin, soit que de nouveaux composés vinssent enrichir la science et finalement l’industrie. Mais le chalumeau à oxygène et à hydrogène ne permet d’atteindre qu’une température de 1 800°. Le point de fusion du platine, mesuré par Violle est de 1 775°. Il était utile d’étudier nos réactions chimiques au-delà de cette température.

Lorsque nous avons voulu reproduire le diamant, nous avons vite reconnu que nos recherches devaient s’étendre et embrasser l’étude des différentes variétés de carbone. Cette question, ainsi généralisée, comprenait un chapitre intéressant qui était celui de la solubilité du carbone dans les métaux en fusion. Comme un certain nombre de ces métaux avaient un point de fusion très élevé, nous avons entrepris des expériences au moyen du chalumeau à gaz oxygène et hydrogène.

Dans ces conditions, la fusion du métal, en présence d’un excès de charbon, se produit dans une atmosphère riche en vapeur d’eau, c’est-à-dire oxydante. D’autre part, la combustion du charbon et la vapeur du carbone fournissent un milieu réducteur. De telle sorte que, si l’on n’atteint pas une température constante, il est impossible d’obtenir un équilibre défini entre ces différentes réactions. De plus, on n’arrive pas, dans ces conditions, à des réactions complètes, et les résultats sont variables d’une expérience à l’autre.

Déjà différens chercheurs, parmi les savans et les industriels, avaient tenté d’utiliser la température élevée de l’arc électrique, découvert il y a un siècle, par Humphry Davy. Mais ces essais ne pouvaient être poursuivis avec succès, avant la mise au point de la machine dynamo-électrique. La découverte de Gramme et le perfectionnement continu des dynamos mettaient enfin, dans la main des chimistes, une source puissante de courant électrique qu’il était facile de transformer en chaleur.

Par une coïncidence assez curieuse, notre science a pu, en quelques années, reculer les frontières connues de la chaleur et du froid. Après les expériences si importantes de Cailletet, qui ont servi de point de départ à ces nouvelles études, après les recherches originales de Raoul Pictet, d’Olszewski, de Wroblewski, sir James Dewar a pu obtenir de l’hydrogène liquide à l’état statique et, par l’ébullition de ce dernier, descendre à la température la plus basse obtenue jusqu’ici, celle de la solidification de l’hydrogène, — 252°, 5, c’est-à-dire 20°, 5 au-dessus du 0 absolu. L’échelle maniable de nos températures s’est donc considérablement agrandie.

Moins heureux que sir James Dewar, nous n’avons pu, dans la longue série d’expériences que nous avons exécutées au moyen du four électrique, déterminer d’une façon exacte à quelle limite extrême de température nous étions parvenu.

A la suite d’expériences délicates, Violle a donné comme point de volatilisation du carbone la température de 3 500°. Mais, ainsi que nous le démontrerons plus loin, la température de l’arc grandit avec l’intensité du courant, et la question de la mesure de ces températures élevées exige de nouvelles recherches. Pour fixer dès lors les conditions de nos essais, nous avons indiqué avec soin le voltage et l’ampérage du courant et la durée de l’expérience. Le diamètre des électrodes et la capacité du four avaient été établis au préalable et restaient constans.

Tout d’abord, nous avons reconnu qu’à la température de notre four électrique, les oxydes métalliques, regardés jusqu’à présent comme irréductibles, sont facilement décomposés. De même, des réactions qui étaient limitées aux plus hautes températures de nos fourneaux ordinaires, sont devenues totales. Un grand nombre de nos corps composés ont été dissociés à ces températures élevées, et, par contre, de nouvelles séries de combinaisons définies et cristallisées ont été obtenues. Nous avons préparé ainsi des composés inconnus, présentant une grande stabilité, tels que les carbures, les borures et les siliciures. La plupart de ces nouveaux composés binaires peuvent aussi être détruits en tout ou en partie si nous augmentons l’intensité du courant, c’est-à-dire la température.

Quelques-uns de ces carbures nous présenteront une gamme bien nette de dissociation. Nous retrouvons aussi, aux environs de 3 000°, les mêmes lois générales qui régissent la décomposition des corps par la chaleur à des températures plus basses. De même, l’ébullition d’un mélange de cuivre et de plomb, d’étain et de plomb ou de cuivre et d’étain, présentera entre 2 000° et 3 000° les mêmes particularités qu’un mélange d’eau et d’éther, d’eau et d’alcool, d’eau et d’acide formique. Les lois qui président au fractionnement de deux liquides, par distillation, s’appliquent donc à l’ébullition des métaux à très haute température.

Avec notre four électrique, nous opérons dans une atmosphère réductrice, et, si l’on utilise un courant assez intense, on obtient très rapidement une température constante, qui est celle de l’ébullition de la chaux vive. Au contraire, si l’on place la substance à étudier très près de l’arc, c’est-à-dire très près du conducteur gazeux de vapeur de carbone qui réunit les électrodes, la température s’élève avec l’intensité du courant. Une réaction chimique va nous le démontrer.

Avec un courant de 10 ampères sous 50 volts, la réduction de l’acide titanique par le charbon fournit un oxyde de couleur bleu indigo. Avec 300 ampères et 70 volts, on obtient une masse fondue d’azoture jaune, tandis que la haute température d’un arc de 1 200 ampères sous 70 volts donne un carbure de titane exempt d’azote. Avec un courant aussi intense, l’azoture de titane ne peut plus se former ; sa dissociation, par la chaleur, est complète et le carbure seul peut subsister. Nous avons rencontré, en poursuivant cette étude, d’autres exemples de combinaison, puis de décomposition sous l’action d’un arc électrique de plus en plus intense.

La chimie organique touche à la biologie : de là sa grandeur, et aussi ses difficultés. La chimie biologique ne pouvait se développer qu’après l’étude systématique de la chimie du carbone. Durant un siècle, on a pensé que la chimie biologique n’utilisait dans ses multiples transformations que quatre corps simples : le carbone, l’hydrogène, l’azote et l’oxygène. Mais dans ces dernières années, nos idées, sur ce point, se sont considérablement modifiées. On savait depuis longtemps que le fer était indispensable aussi bien dans le règne végétal que dans le règne animal. De plus, Raulin avait démontré, par de curieuses expériences, l’importance de traces de métaux étrangers sur la culture de l'aspergillus niger. Ces expériences avaient été oubliées : elles venaient trop tôt.

Mais, sur ce sujet, les découvertes apparaissent aujourd’hui de plus en plus nombreuses. C’est ainsi que les belles recherches de Frederick et celles de Henze nous ont montré que le cuivre fait partie de l’hémocyanine du sang des poulpes et des crustacés. Nous savons maintenant que l’iode et le brome doivent se rencontrer dans la glande thyroïde ; ces corps simples deviennent indispensables à la marche régulière de la vie normale. L’existence de l’arsenic, il y a quelques années, n’était pas connue dans les tissus animaux. Armand Gautier, à la suite d’expériences très délicates, vient d’établir que l’arsenic se rencontre constamment dans les tissus kératiniques et la glande thyroïde. Gabriel Bertrand a démontré l’existence normale de l’arsenic dans les cellules vivantes de poissons pêches à 3 000 mètres au fond des mers.

De même, une trace d’un autre corps simple, tel que le manganèse, va intervenir, sous forme de ferment soluble dans les oxydases. On comprend alors l’importance de nos différens corps simples, et l’on voit que, parfois, à l’état de traces, leur rôle physiologique peut être des plus importans. Nous savons depuis longtemps que le soufre fait partie de la molécule de l’albumine, bien que nous soyons encore ignorans des phénomènes de transformation qui amènent ce corps simple dans des combinaisons complexes.

Il est bien évident que de grandes découvertes restent encore à réaliser dans cette voie. Nous ne faisons qu’aborder aujourd’hui l’étude de nos différens élémens dans les groupemens carbonés, au point de vue physiologique : on peut dire que la physiologie de la cellule est entièrement à faire. Nous sommes heureux de reconnaître qu’au moyen des réactions microchimiques on commence à aborder ce sujet.

La biologie réunit donc à nouveau la chimie minérale et la chimie organique. C’est qu’en effet il n’y a qu’une science chimique ; toute séparation est artificielle. De même que l’énergie est une, la chimie est une.

Les belles études de Curtius sur l’acide azothydrique, nos recherches sur les carbures métalliques et sur les hydrures alcalins et alcalino-terreux établissent que les deux chimies se pénètrent sans cesse et démontrent l’unité de la science. Cependant, la chimie minérale possède une technique particulière. Pour faire des découvertes dans cette science, il faut atteindre la précision de la physique. Quelques exemples feront mieux comprendre ma pensée.

Lavoisier n’a renversé la théorie de Stahl qu’à la suite d’expériences rigoureuses préparées avec le plus grand soin et la plus grande exactitude. Nous rappellerons à ce propos ses recherches sur la combustion, sur la respiration et sur la fermentation.

Cavendish, lorsqu’il a étudié l’action de l’étincelle électrique sur un mélange d’oxygène et d’azote, a poussé son expérience jusqu’à ce qu’il restât une très petite quantité d’un gaz incapable de se combiner avec l’oxygène. Il en mentionne l’existence. Depuis cette époque, il y a plus d’un siècle, dans combien d’universités, de lycées et de gymnases n’a-t-on pas répété cette expérience de Cavendish ? Et cependant personne, pendant un siècle, n’a terminé cette analyse. On la commençait, on ne la finissait pas. Celui qui l’eût conduite patiemment jusqu’à l’absorption complète de l’azote aurait découvert l’argon. Il a fallu que lord Rayleigh déterminât les densités du gaz, en répondant de la troisième décimale, pour que cette découverte prît corps. La méthode est élégante, mais le détour est bien long.

Nous pouvons citer un autre exemple. Lorsque Gay-Lussac découvrit, en 1815, le cyanogène, ce premier exemple d’un composé jouant le rôle de corps simple, ce premier radical formé d’azote et de carbone, il le prépara en chauffant modérément du cyanure de mercure pur et sec. Il se produit, dans ces conditions, un dédoublement en gaz cyanogène et en mercure. L’expérience est des plus simples. Proust, peu d’années auparavant, avait, lui aussi, chauffé du cyanure de mercure dans une cornue. Il avait obtenu de l’ammoniaque, un composé d’apparence huileuse, du gaz carbonique, de l’azote et de l’oxyde de carbone. C’est que Proust employait du cyanure humide. La différence dans la façon de faire la même expérience, avec deux hommes de la valeur de Gay-Lussac et de Proust, nous a semblé assez intéressante.

Revenons à cette préparation du cyanogène de Gay-Lussac. Il restait au fond de sa cornue une poudre noire en petite quantité. Après avoir établi la formule du cyanogène, l’existence de l’acide cyanhydrique, des cyanures, des cyanates, il fit l’analyse de cette poudre. Elle avait exactement la composition du cyanogène. Gay-Lussac l’indique, mais il se garde bien d’aller plus loin, et il a fallu attendre les belles recherches de Troost et Hautefeuille, publiées en 1873, pour connaître les lois de la transformation du cyanogène en son polymère le paracyanogène.

Nous pourrions encore sur ce point citer la méthode de travail d’Humphry Davy ; rappeler que Wöhler était un maître dans l’analyse chimique et résumer les recherches de Berzélius ou de Stas. Si nous nous arrêtons sur ce sujet, c’est que nous le regardons comme très important. Beaucoup de grandes recherches restent encore à poursuivre en chimie minérale ; mais, pour les réaliser, les méthodes doivent s’affiner et atteindre une grande précision. En un mot, la recherche expérimentale, en chimie, doit présenter la rigueur des expériences de physique.

Mais revenons aux rapports de la chimie avec les autres sciences. Nous avons indiqué précédemment ceux de la physique et de la biologie. Nous ne nous étendrons pas outre mesure sur ce point. Rappelons seulement que l’astronomie, grâce à l’analyse spectrale, œuvre commune de la physique et de la chimie, a pu étendre et développer certaines de ses théories jusqu’à la dernière étoile visible à notre horizon. De plus la méthode spectroscopique Doppler-Fizeau a rendu de grands services pour la détermination de la vitesse des corps célestes.

Notre chimie va aussi se réclamer des mathématiques par deux points importans. Elle se rattachera à la statique par la stéréochimie et le groupement des atomes dans l’espace, les questions de symétrie et l’analyse combinatoire qui étudie les combinaisons des objets associés dans différentes conditions. Elle se rattachera encore aux mathématiques par un côté dynamique, en invoquant les principes de la mécanique moléculaire en ce qui touche la conservation de l’énergie et la théorie mécanique de la chaleur.

L’analyse chimique sera la base de la minéralogie, car cette science définit l’espèce d’après sa composition. La minéralogie étudie, non seulement les produits de la nature, mais encore les innombrables composés qui sortent de nos laboratoires. Enfin, c’est grâce aux méthodes de la chimie que la synthèse des minéraux a pu être produite. Par reconnaissance sans doute, la minéralogie, à la suite des belles études de Mitscherlitch, nous a donné la loi importante de l’isomorphisme.

Les rapports de la chimie avec la géologie devraient être très étendus ; ils sont au contraire restreints. Dans quelques questions, cette science a utilisé les résultats de la chimie pour expliquer la formation des bancs salins de Stassfurt, du gypse, du nitre. Quelques tentatives ont été poursuivies pour classer les roches d’après leur composition, mais sur ce point il reste beaucoup à faire.

La plupart des sciences auront besoin du concours de la chimie et l’historien lui-même viendra lui demander l’âge des fondations superposées des ruines de Babylone, en lui apportant à analyser les objets de bronze ou de cuivre que les dernières fouilles auront mis dans ses mains.

Quant aux applications industrielles des différentes sciences, bien peu ne seront pas justiciables de la chimie. L’ingénieur en aura un besoin constant. Les études poursuivies sur les métaux et les alliages ont donné toute leur valeur aux machines, aux navires et aux armes à feu. Mais deux chapitres des applications des sciences dépendront absolument des progrès de la chimie : nous voulons parler de l’industrie chimique et de l’économie rurale qui transforment la fortune des États, mélangent les peuples et modifient les conditions de leur existence.

Il ne nous appartient pas de développer ce côté de la question ; il nous suffit de l’avoir indiqué et de rappeler, pour terminer, la somme d’efforts que ces recherches ont nécessités. Au milieu de ces transformations incessantes, de ces progrès continus, nous voyons que la recherche scientifique n’a jamais eu qu’une méthode : l’expérience. Le mot de Faraday est toujours vrai : « La chimie est une science essentiellement expérimentale. »


HEXNRI MOISSAN.


  1. Nous croyons devoir avertir le lecteur que quelques-unes de ces idées ont servi de matière à une conférence faite au Congrès des Arts et des Sciences de Saint-Louis.
  2. Nous croyons devoir avertir le lecteur que quelques-unes de ces idées ont servi de matière à une conférence faite au Congrès des Arts et des Sciences de Saint-Louis.