Le Caveau de 186027e année, volume 27 (p. 379-381).

LES REINES DU JOUR.



Air d’Aristipe.


Fières beautés, qu’une troupe idolâtre
Couvre de fleurs, de diamants et d’or,
Rappelez-vous votre premier théâtre,
L’humble foyer d’où vous prîtes l’essor…
Rappelez-vous ce temps de votre enfance,
Où la misère, assise à votre seuil,
Quêtait pour vous le pain de l’indigence,
Reines du jour, abaissez votre orgueil !

Le gai printemps qui voit poindre la rose,
Qui fait rêver et palpiter le cœur,
Est la saison où, fleur à peine éclose,
La jeune fille est belle de candeur…
Mais votre cœur rêvait une chimère,
Vous avez fui sans craindre maint écueil,
Et sans songer aux larmes d’une mère !
Reines du jour, abaissez votre orgueil !


Enfants perdus… en entrant dans la lice,
Vous avez dû subir revers !… affronts !
Mais franchissant les échelons du vice,
D’un triple airain vous couvrîtes vos fronts ;
De la pudeur, ce gothique apanage,
Vous aviez fait d’avance votre deuil,
Elle paya ce noble apprentissage…
Reines du jour, abaissez votre orgueil !

De vos attraits, une habile tactique
Sut faire alors un réseau dangereux,
Où le novice et le vieillard cynique
Sont pris au piége et fascinés tous deux ;
Leur écusson de marquis ou de comte
Dans le boudoir a droit au même accueil,
Votre opulence est le prix de la honte !…
Reines du jour, abaissez votre orgueil !

On voit le luxe, en son brillant cortège,
Sous vos lambris étaler ses splendeurs !
Et vos coursiers au pelage de neige
Semblent narguer les princières grandeurs !
Votre livrée est presque une merveille,
Et son éclat éblouit… charme l’œil…
Mais votre père a porté la pareille…
Reines du jour, abaissez votre orgueil !


De jolis noms, lionnes et panthères,
Vous sont donnés par vos adorateurs,
Mais, quelquefois, des retours salutaires
Vous valent d’eux des titres moins flatteurs ;
De leur vertige avouant les faiblesses,
Ils ont, pour vous, dans leur galant recueil,
Ceux plus réels de catins… de drôlesses…
Reines du jour, abaissez votre orgueil !

Oui, votre règne est fragile et rapide,
Les nuits d’orgie emportent la beauté,
Un cheveu blanc, précurseur d’une ride,
Chasse à jamais amour et volupté !
Si vous n’avez rempli votre aumônière,
On pourra voir, un jour, un froid cercueil
Sortir sans bruit de la Salpêtrière…
Reines du jour, abaissez votre orgueil !


A. Salin,
Membre honoraire.