Les Races de chèvres de la Suisse/Origine et descendance des principales races de chèvres de la Suisse


I.

Origine et descendance des principales races de chèvres de la Suisse.


Peu d’auteurs sont d’accord sur l’origine de la chèvre commune dont les races suisses ne seraient que des rameaux. La plupart des zoologistes prétendent que la chèvre de l’Europe descend de l’Aegagre « Capra Aegagrus » qu’on trouve encore de nos jours à l’état sauvage dans les montagnes de l’Asie Mineure et de la Perse ; d’autres la font remonter au bouquetin des Alpes « Capra Ibex » et des croisements du bouquetin avec la chèvre domestique ont été maintes fois constatés.[1]

L’Aegagre a en effet, beaucoup d’analogie avec la chèvre commune : il a le corps bien découplé sur des membres sveltes et nerveux, la tête vive et insouciante ; deux yeux aux reflets jaunâtres et pleins de malice, une bouche aux lèvres fines et serrées donnent à sa physionomie un cachet tout particulier. — « Ma foi ! disait un plaisant qui contemplait ces intéressants quadrupèdes, si ces chèvres causent entre elles, je plains fort leur prochain. » —

Tels sont, esquissés à grands traits, les caractères de l’Aegagre et même de nos chèvres communes, mais cela ne démontre pas suffisamment l’origine de la chèvre, pas plus que cela ne justifie la croyance très répandue que toutes nos espèces d’animaux domestiques auraient une souche à l’état sauvage et qu’il faudrait la chercher dans un pays quelconque de l’Orient. — En étudiant l’Aegagre au point de vue zootechnique nous restons au contraire persuadés que rien n’établit d’une façon certaine que ce soit là la souche de nos races de chèvres domestiques.

Nous n’entrerons pas dans de plus amples détails pour ne pas sortir de la voie que nous nous sommes tracée en publiant cette monographie.

Les squelettes de chèvres que l’on a découverts dans les restes d’habitations lacustres en Suisse, indiqueraient au contraire que la chèvre était connue dès les temps les plus reculés. On peut donc en conclure que les Alpes ont vu naître l’espèce caprine d’Europe « Capra Europæa. »

Le mot chèvre vient du latin « Capra,[2] Capricus» (d’où caprice, capricieux). Ce qualificatif convient à merveille à la chèvre, le vieux chevrier des Alpes en sait quelque chose, lui à qui la troupe vagabonde dont il a la garde, ne laisse souvent ni trêve, ni repos.

Quand à savoir comment la chèvre a passé de l’état sauvage à l’état domestique, c’est encore un problème à résoudre, et qui ne le sera pas de sitôt ; au reste ceci est d’un intérêt secondaire pour qui s’occupe d’agriculture d’une façon pratique et non en simple amateur. Peu-à-peu la chèvre s’est propagée dans tous les pays et sous tous les climats ; au pied des glaciers suisses, au nord des pays Scandinaves, au sein des brûlantes contrées de la Nubie, partout nous la retrouvons. Depuis la grosse et paisible chèvre de cette dernière région, que des explorateurs ont prise plus d’une fois pour une brebis et qui supporte sans inconvénient des chaleurs tropicales, jusqu’à la chèvre du Valais qui vit près des glaciers, que de variétés, ayant des qualités et des mœurs propres à satisfaire les besoins multiples du cultivateur ![3]

Or, comme l’a très bien dit dans le bulletin agricole neuchâtelois, au sujet de l’Exposition de Berne, mon collègue et ami M. E. Bille, directeur à Dombresson : Il faut remettre de l’ordre dans ce monde caprin et, ce ne sera pas facile avec cette macédoine de variétés. — Voilà cependant la tâche qui nous incombe et nous tenterons de le faire.

Pour ce qui concerne le gros bétail on a répété depuis longtemps et avec raison : pas de bon élevage possible sans race, alors pourquoi cette vérité ne s’appliquerait-elle pas à l’espèce caprine ?

Sous l’influence de la migration des peuples, du changement de climat, de nourriture et de procédés d’élevage, la race unique qui devait exister à l’origine a donné naissance à toutes ces variétés, sous-variétés, métis qui abondent de nos jours.

  1. La Rhâtia, section grisonne du Club Alpin Suisse, introduisit à plusieurs reprises, des animaux issus de croisements entre bouquetins et chèvres pour repeupler les Alpes Suisses, mais ce fut sans succès.
  2. En patois fribourgeois, le mot « Capra » est encore employé pour désigner la chèvre.
  3. Nous ne décrirons pas les chèvres d’Angora, de Cachemire, etc. lesquelles tout en étant des animaux très productifs, n’intéressent nullement les éleveurs de notre pays.