Les Rôdeurs de frontières/Chapitre 22

Fayard (p. 258-271).


XXII

LE RENARD-BLEU.


Nous reviendrons maintenant au Renard-Bleu et à ses deux compagnons, que dans un précédent chapitre nous avons abandonnés au moment où, venant d’entendre siffler des balles à leurs oreilles, ils s’étaient instinctivement retranchés derrière des rochers et des troncs d’arbres.

Dès qu’ils eurent pris cette précaution indispensable contre leurs invisibles agresseurs, les trois hommes visitèrent leurs armes avec soin afin d’être prêts à la riposte, puis ils attendirent, le doigt sur la détente en promenant dans toutes les directions un regard investigateur.

Ils demeurèrent ainsi pendant un laps de temps assez long, sans que rien vint troubler de nouveau le silence de la prairie et que le plus léger indice leur fît supposer que l’attaque dirigée contre eux dût se renouveler.

En proie à la plus grande anxiété, ne sachant à quoi attribuer cette agression et quels ennemis ils avaient à redouter, les trois hommes ne savaient quel parti prendre ni comment sortir à leur honneur de la position embarrassante dans laquelle le hasard les avait tout à coup si singulièrement placés, lorsque le Renard-Bleu se décida enfin à aller à la découverte.

Cependant comme le chef craignait avec raison de tomber dans une embuscade habilement tendue pour s’emparer sans coup férir de lui et de ses compagnons, il jugea prudent, avant que de s’éloigner, de prendre les plus minutieuses précautions.

Les Indiens sont à juste titre renommés pour leur finesse ; contraints, à cause de la vie qu’ils mènent dès leur naissance, à se servir continuellement des facultés physiques dont la Providence les a doués, chez eux, l’ouïe, l’odorat et surtout la vue se sont tellement perfectionnés et ont acquis un si grand développement, qu’ils peuvent avec avantage lutter avec les bêtes fauves, dont au reste ils ne sont que les plagiaires ; mais, ayant à leur disposition de plus que les animaux l’intelligence qui leur permet de combiner leurs actions et d’en prévoir les conséquences probables, ils ont acquis une science féline, s’il nous est permis d’employer cette expression, qui leur fait accomplir des choses surprenantes et dont ceux-là seuls qui les ont vus à l’œuvre peuvent se faire une idée juste, tant leur habileté dépasse toutes les limites du possible.

C’est surtout lorsqu’il s’agit de suivre une piste, que cette finesse des Indiens et cette science qu’ils possèdent des lois de la nature, acquiert des proportions extraordinaires. Quelque soin que leur ennemi ait pris, quelques précautions dont il se soit servi pour dissimuler ses traces et les rendre invisibles, ils finissent toujours par les découvrir ; pour eux le désert n’a pas conservé de secrets, pour eux cette nature vierge et majestueuse est un livre dont toutes les pages leur sont connues et dans lequel ils lisent couramment sans jamais, nous ne disons pas se tromper, mais seulement hésiter.

Le Renard-Bleu, bien qu’il fût encore fort jeune avait acquis déjà une réputation bien méritée de finesse et d’astuce ; aussi dans la circonstance présente, enveloppé, selon toutes probabilités, d’ennemis invisibles dont les yeux incessamment fixés sur l’endroit qui lui servait de retraite surveillaient attentivement chacun de ses mouvements, il se prépara avec un redoublement de prudence à déjouer leurs machinations et à contreminer leurs projets.

Après être convenu avec ses deux compagnons d’un signal au cas probable où leur secours lui serait nécessaire, il se débarrassa de sa robe de bison dont l’ampleur aurait pu gêner ses mouvements, quitta tous les ornements dont sa tête, son cou et sa poitrine étaient chargés, et ne conserva sur lui que son mitasse, espèce de caleçon en deux parties, cousu d’espace en espace avec des cheveux, qui est retenu aux hanches au moyen d’une courroie de peau de daim non tannée, et qui descend jusqu’aux chevilles.

Ainsi vêtu, il se roula à plusieurs reprises dans le sable afin de faire prendre à son corps une couleur terreuse puis il passa dans sa ceinture son tomahawk et son couteau à scalper, armes dont un Indien ne se dessaisit jamais, saisit son rifle de la main droite, et après avoir fait un dernier signe d’adieu à ses compagnons qui suivaient attentivement ces divers préparatifs, il s’allongea sur le sol, et commença à ramper comme un serpent au milieu des hautes herbes et des détritus de toutes sortes.

Bien que le soleil fût levé depuis quelque temps déjà, et qu’il déversât à profusion des flots de lumière éblouissante sur la prairie, cependant le départ du Renard-Bleu fut effectué avec une circonspection si grande que déjà il était loin dans la plaine que ses compagnons le croyaient encore auprès d’eux ; pas un brin d’herbe n’avait été agité sur son passage, pas un caillou n’avait roulé sous ses pieds.

De temps en temps le Peau-Rouge s’arrêtait, explorait les alentours d’un regard perçant, puis, lorsqu’il se croyait assuré que tout était tranquille, que rien n’avait révélé sa présence, il recommençait à ramper sur les mains et sur les genoux, dans la direction du couvert de la forêt, dont il ne se trouva plus bientôt qu’à une faible distance.

Il atteignit ainsi une place entièrement dégarnie d’arbres, où l’herbe, légèrement foulée en plusieurs endroits, lui fit supposer qu’il approchait du lieu où ceux qui avaient fait feu devaient être embusqués.

L’Indien s’arrêta, afin d’étudier avec soin les traces qu’il avait découvertes.

Ces traces semblaient appartenir à un seul individu ; elles étaient lourdes, larges, faites sans précaution, et paraissaient plutôt le fait d’un homme blanc ignorant les usages de la prairie que celui d’un chasseur ou d’un Indien.

Les buissons étaient froissés comme si la personne qui les avait traversés l’avait fait de vive force et en courant sans se donner la peine d’écarter les branches ; la terre piétinée était, par places, imbibée de sang.

Le Renard-Bleu ne comprenait rien à cette piste étrange, qui ne ressemblait en aucune façon à celles qu’il était habitué à suivre.

Était-ce une feinte employée par ses ennemis pour le tromper plus facilement en lui laissant voir une piste grossière destinée à dissimuler la véritable ? Était-ce au contraire réellement la trace d’un homme blanc fourvoyé dans le désert dont il ignorait les coutumes ?

L’Indien ne savait à quelle opinion s’arrêter, sa perplexité était grande. Pour lui, il était évident que c’était de cet endroit qu’était partie la fusillade dont il avait été salué au moment où il allait commencer son discours ; mais dans quel intérêt l’homme, quel qu’il fût, qui avait choisit cette embuscade, avait-il laissé des traces si manifestes de son passage ? Il devait bien supposer que son agression ne demeurerait pas impunie, et que ceux qu’il avait voulu prendre pour cible se mettraient immédiatement à sa poursuite.

Enfin, après avoir longtemps cherché dans son esprit la solution de ce problème et s’être vainement creusé la tête pour arriver à une conclusion probable, le Peau-Rouge à bout de suppositions, s’arrêta à la première qui lui était venue à la pensée, à savoir que cette piste était fictive et seulement destinée à cacher la véritable et à fourvoyer ceux qui la suivraient.

Le grand défaut des gens habitués à ruser, est de supposer que tous les hommes sont comme eux et n’emploient que la ruse pour les combattre ; aussi, souvent ils se trompent, et la franchise des moyens employés par leurs adversaires les déroute complétement et leur fait souvent perdre une partie que dans toute autre circonstance ils auraient gagnée.

Le Renard-Bleu s’aperçut bientôt que sa supposition était fausse, qu’il avait fait à son ennemi honneur de beaucoup plus de finesse et de sagacité que celui-ci n’en possédait réellement, et que, là où il avait cru voir une ruse excessivement compliquée, dans le but de le tromper, il n’existait en fait que ce qu’il avait aperçu d’abord, c’est-à-dire tout simplemement le passage d’un homme.

Après avoir longtemps hésité et tergiversé, l’Indien se décida enfin à pousser en avant et à suivre ce qu’il croyait une fausse piste, convaincu qu’il ne tarderait pas à découvrir la véritable ; seulement comme il était persuadé qu’il avait affaire à des gens excessivement madrés, il redoubla de prudence et de précaution, n’avançant que pas à pas, explorant avec soin les haziers et les buissons et ne s’aventurant que lorsqu’il se croyait certain de n’avoir aucune surprise à redouter.

Ce manège dura assez longtemps ; il y avait près de deux heures qu’il avait quitté ses compagnons lorsqu’il se trouva tout à coup à l’entrée d’une clairière assez vaste dont il n’était séparé que par un rideau de feuillage.

L’Indien s’arrêta, se redressa doucement, écarta les branches à droite et à gauche de façon à ce que son regard pût, sans que lui-même fût aperçu, plonger dans la clairière, et il regarda.

Les forêts américaines fourmillent de ces clairières, produites, soit par la chute d’arbres émiettés par le temps et tombés de vétusté, soit par des arbres frappés par la foudre et renversés à la suite de ces terribles ouragans qui bouleversent si souvent de fond en comble le sol du Nouveau-Monde. La clairière dont nous parlons était assez vaste ; un large ruisseau la traversait dans toute sa longueur, et dans la vase de ses rives on voyait profondément empreints les pieds des bêtes fauves dont il était un des abreuvoirs ignorés.

Un magnifique chêne-acajou dont la luxuriante ramure ombrageait toute la clairière se trouvait à peu près au centre. Au pied de ce gigantesque hôte des forêts deux hommes se tenaient l’un près de l’autre.

Le premier, revêtu d’une robe de moine, était étendu sur le sol, les yeux fermés et le visage couvert d’une pâleur mortelle ; le second, agenouillé auprès de lui, semblait lui prodiguer les soins les plus empressés.

Grâce à la position occupée par le Peau-Rouge, il lui fut facile de distinguer les traits de ce second personnage qui lui faisait face.

Cet individu était d’une taille élevée, mais d’une maigreur extrême ; son visage qui, à cause des intempéries des saisons auxquelles il avait probablement longtemps été exposé, avait acquis la couleur de la brique, était sillonné de rides profondes ; une barbe blanche comme la neige tombait sur sa poitrine, mêlée aux longues boucles de ses cheveux blancs aussi, qui s’étalaient en désordre sur ses épaules ; il portait le costume des partisans du Nord-Amérique mêlé au costume mexicain : ainsi un chapeau de poils de vigogne, garni d’une golille d’or, couvrait sa tête, un zarapé lui servait de manteau, son pantalon de velours de coton violet était étroitement serré dans de longues guêtres de peau de daim qui lui montaient jusqu’au genou.

Il était impossible de pouvoir supputer l’âge de cet homme. Bien que ses traits sombres et accentués, ses yeux fauves qui brûlaient d’un feu concentré et avaient une expression égarée, révélassent qu’il avait atteint une vieillesse avancée, cependant aucune trace de décrépitude ne se laissait voir dans toute sa personne ; sa taille semblait ne pas avoir perdu un pouce de sa hauteur, tant son torse était droit encore ; ses membres noueux, garnis de muscles dur comme des cordes, paraissaient doués d’une force et d’une souplesse extraordinaires : en somme, il avait toute l’apparence d’un redoutable partisan, dont le coup d’œil devait être aussi sûr et le bras aussi prompt que s’il n’eût eu que quarante ans.

À sa ceinture, il portait une paire de longs pistolets, et un sabre à lame droite et large nommé machete, passé, sans fourreau, à un anneau de fer, pendait à son côté gauche. Deux rifles, dont l’un sans doute lui appartenait, étaient appuyés contre le tronc de l’arbre, et un magnifique mustang, entravé à quelques pas, broyait à pleine bouche les jeunes pousses des arbres.

Ce qu’il nous a fallu tant de temps à décrire, l’Indien le vit d’un coup d’œil ; mais il parut que pour lui cette scène, à laquelle il était sans doute loin de s’attendre, n’avait rien de rassurant ; car ses sourcils se froncèrent, et il retint avec peine une exclamation de surprise et de désappointement en apercevant les deux individus.

Par un mouvement instinctif de prudence, il arma son rifle, puis, cette précaution prise, il recommença à observer ce qui se faisait dans la clairière et ce que devenaient les deux personnages.

Cependant l’homme revêtu d’une robe de moine fit un léger mouvement comme pour se relever, et entr’ouvrit les yeux ; mais, trop faible encore, probablement, pour supporter l’éclat des rayons du soleil, bien qu’ils fussent tamisés par l’épais feuillage des arbres, il les referma aussitôt ; pourtant l’individu qui le soignait s’aperçut qu’il avait repris connaissance au mouvement de ses lèvres qui s’agitaient comme s’il eût murmuré une prière à voix basse.

Jugeant alors que, provisoirement du moins, ses soins n’étaient plus nécessaires à celui qu’il secourait, l’inconnu se redressa, saisit son rifle, appuya les deux mains croisées sur le canon et attendit impassible, après avoir jeté sur la clairière un regard circulaire dont la sombre et haineuse expression fit tressaillir d’épouvante le chef indien au fond du fourré sous lequel il s’abritait.

Quelques minutes s’écoulèrent pendant lesquelles on n’entendit d’autre bruit que le bruissement continu de l’eau du ruisseau sur le sable de son lit et le murmure mystérieux des insectes de toutes sortes cachés dans l’herbe.

Enfin, l’homme étendu sur le sol fit un second mouvement, plus fort que le premier et ouvrit les yeux.

Après avoir promené un regard égaré autour de lui, ses yeux s’attachèrent avec une sorte de fixité étrange sur le grand vieillard, toujours immobile à son côté, et qui l’examinait avec une expression mêlée de compassion ironique et de sombre mélancolie.

— Merci, murmura-t-il enfin d’une voix faible.

— Merci, de quoi ? répondit durement l’inconnu.

— Merci de m’avoir sauvé la vie, mon frère, reprit le blessé.

— Je ne suis pas votre frère, moine, riposta railleusement l’inconnu ; je suis un hérétique, un gringo, ainsi qu’il vous plaît de nous nommer ; regardez-moi bien, vous ne m’avez pas encore examiné avec soin : n’ai-je pas des cornes à la tête et des pieds de boucs ?

Ces paroles furent prononcés avec un tel accent de sarcasme que le moine demeura un instant confondu.

— Qui donc êtes-vous ? lui demanda-t-il enfin avec une secrète appréhension.

— Que vous importe ? fit l’autre avec un rire de mauvais augure, le diable peut-être.

Le blessé fit un brusque mouvement pour se lever et se signa à plusieurs reprises.

— Dieu me préserve d’être tombé entre les mains de l’esprit du mal, balbutia-t-il.

— Allons, fou que vous êtes, reprit l’autre en haussant les épaules avec mépris, rassurez-vous : je ne suis pas le démon, mais bien un homme comme vous, peut-être un peu moins hypocrite, ce qui fait la seule différence, voilà tout.

— Dites-vous vrai ? Êtes-vous réellement un de mes semblables disposé à m’être utile ?

— Qui peut répondre de l’avenir, reprit l’inconnu avec un sourire énigmatique ; jusqu’à présent du moins vous n’avez pas eu, je suppose, à vous plaindre de moi.

— Non, oh ! non, je ne le crois pas, bien que depuis mon évanouissement mes idées se soient totalement brouillées et que je ne me souvienne plus de rien.

— Peu m’importe, cela ne me regarde pas, je ne vous demande rien ; j’ai assez de mes propres affaires, sans m’occuper de celles des autres. Voyons, vous sentez-vous mieux ? Êtes-vous assez remis pour continuer votre route ?

— Comment ! continuer ma route ? demanda le moine avec crainte, comptez-vous donc m’abandonner seul ici ?

— Pourquoi pas ? Je n’ai déjà perdu que trop de temps auprès de vous, je dois maintenant songer à mes affaires.

— Eh quoi ! se récria le moine, après l’intérêt que vous m’avez si bénévolement témoigné, vous auriez le courage de m’abandonner ainsi presque mourant, sans souci de ce qui pourrait m’advenir après votre départ ?

— Pourquoi pas ? Je ne vous connais point, moi ; je n’ai aucun besoin de vous venir en aide. En traversant par hasard cette clairière je vous ai aperçu étendu là sans souffle et pâle comme un cadavre ; je vous ai accordé ces soins qu’au désert on ne refuse à personne : maintenant, vous êtes revenu à la vie, je ne vous suis plus utile, je pars ; quoi de plus simple et de plus logique ? Adieu, et que le diable, pour qui vous me preniez tout à l’heure, vous accorde sa protection.

Après avoir prononcé ces paroles d’un ton de sarcasme et d’ironie amer, l’inconnu jeta son rifle sur l’épaule et fit quelques pas du côté de son cheval.

— Arrêtez ! au nom du ciel ! s’écria le moine en se levant plus prestement que son état de faiblesse ne l’aurait fait supposer, mais la peur lui en rendit l’effort possible. Que deviendrai-je, seul, dans ce désert ?

— Peu m’importe, répondit l’inconnu en dégageant froidement le bas de son zarapé, que le moine avait saisi ; la maxime du désert ne dit-elle pas : Chacun pour soi ?

— Écoutez ! s’écria le moine avec volubilité, je me nomme fray Antonio, je suis riche : si vous me protégez, je vous récompenserai généreusement.

L’inconnu sourit avec dédain.

— Qu’avez-vous à redouter. Vous êtes jeune, robuste, bien armé ; n’êtes-vous donc pas en mesure de vous protéger vous-même ?

— Non, parce que je suis poursuivi par des ennemis implacables. Cette nuit ils m’ont infligé une torture horrible et avilissante : je suis parvenu à m’échapper à grand’peine d’entre leurs mains. Ce matin le hasard m’a mis en présence de deux de ces hommes. À leur vue une espèce de folie furieuse s’est emparée de moi ; l’idée de me venger m’est venue ; je les ai couchés en joue, et j’ai tiré, puis je me suis mis à fuir sans savoir où j’allais, ivre, fou de colère et d’épouvante ; arrivé ici je suis tombé accablé, anéanti, autant par les souffrances que j’ai endurées cette nuit qu’à cause de la fatigue causée par une course longue et précipitée à travers des chemins abominables. Ces hommes sont sans doute à ma poursuite ; s’ils me trouvent, et ils me trouveront car se sont des coureurs des bois auxquels le désert est parfaitement connu, ils me tueront sans pitié ; je n’ai espoir qu’en vous ; au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, sauvez-moi ! Sauvez-moi et ma reconnaissance sera sans bornes.

L’inconnu avait écouté ce long et pathétique plaidoyer sans qu’un muscle de son visage bougeât. Lorsque le moine se fut arrêté, à bout probablement d’haleine et de raisonnement, il posa à terre la crosse de son fusil.

— Tout ce que vous dites là peut être vrai, répondit-il sèchement, mais je m’en soucie comme d’une charge de poudre éventée ; sortez-vous d’affaire comme vous l’entendrez, vos prières sont inutiles : si vous saviez qui je suis, vous vous dispenseriez de m’en rabattre plus longtemps les oreilles.

Le moine fixait sur cet homme étrange un regard épouvanté, ne sachant plus que lui dire, ni quel moyen employer pour arriver jusqu’à son cœur.

— Mais qui donc êtes-vous ? lui demanda-t-il plutôt pour dire quelque chose, que dans l’espoir d’une réponse.

— Qui je suis ? fit-il avec un sourire ironique ; vous voulez le savoir ? soit, écoutez donc à votre tour, je n’ai que quelques paroles à prononcer, mais elles suffiront pour glacer d’effroi le sang dans vos veines : je suis celui qu’on nomme le Scalpeur-Blanc, le Sans-Pitié !

Le moine fit quelques pas en arrière en trébuchant, et joignant les mains avec effort :

— Mon Dieu ! s’écria-t-il avec terreur, je suis perdu !

En ce moment, le houhoulement du hibou se fit entendre à peu de distance.

Le chasseur tressaillit.

— On nous écoutait ! s’écria-t-il, et il se précipita rapidement du côté où le signal venait de se faire entendre, pendant que le moine, à demi mort de frayeur, se laissait tomber à genoux sur le sol, et adressait au ciel une fervente prière.