Les Rêves morts (Montreuil, deuxième édition)/Ma vieille église St-Roch

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MA VIEILLE ÉGLISE ST-ROCH

Elle n’existe plus la chère vieille église
Où souvent j’ai prié, lorsque j’étais enfant.
L’orgueil a démoli ses murs de pierre grise
Pour bâtir à leur place un temple triomphant.
Et dans l’étroite rue, où l’autre était à l’aise,
Avec un air d’aïeul toujours prêt à bénir,
Le nouvel édifice est encombrant et lèse
De son luxe insolent mon pieux souvenir :
Les chapitaux seulptés, le somptueux portique
Offrent au cœur fidèle un visage étranger.
Je te regrette encore, ô mon église antique,
Contre ce luxe fat je voudrais t’échanger :
On pouvait d’un coup d’œil t’admirer, humble
[temple,

Pour contempler le neuf il faut s’en éloigner.
Je hais ce monument comme un mauvais exemple
Et pleure sur l’absent, qu’on aurait dû soigner.
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Ah ! je porte le deuil de l’église moins fière,
Où je venais, jadis, seule et comme en secret,
Rêver, pleurer, peut-être, et dire une prière
Qui montait d’un cœur pur, vierge de tout regret.
Saintes illusions de la tendre jeunesse
Vous êtes dans la vie un beau temps mortel :
L’âme y suspend ses vœux, ses espoirs, sa tendresse
Et l’amour est le dieu qu’elle adore à l’autel.
Mais le temps sans pitié passe, ruine et brise
Et le temple et l’autel et l’idole au front d’or
Un penser douleureux au cœur se cicatrise
Et le rêve nouveau garde un nouveau trésor.
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