Les Rétractations (Augustin)/I/VIII

Œuvres complètes de Saint Augustin, Texte établi par Poujoulat et Raulx, L. Guérin & Cie (p. 313-314).
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CHAPITRE VIII.

de la grandeur de l’âme.


1. C’est dans la même ville, à Rome, que j’ai écrit un dialogue où sont traitées diverses questions relatives à l’âme, à savoir : d’où elle est, ce qu’elle est, quelle est sa grandeur, pourquoi elle a été donnée au corps, ce qu’elle devient quand elle s’unit au corps, et quand elle s’en sépare. Mais ce que nous avons discuté avec le plus de soin et d’application, c’est sa grandeur ; désirant démontrer, si nous le pouvions, qu’elle n’est pas grande à la manière du corps, et que cependant elle est quelque chose de grand. Aussi cette étude a donné son nom à tout le livre qui a été appelé : De la Grandeur de l’Âme.

2. Lorsque j’ai dit dans ce livre : « L’âme me paraît avoir apporté avec elle tous les arts ; et ce qu’on nomme apprendre ne me semble pas autre chose que se rappeler et se souvenir[1] ; » il ne faut pas induire, de cette parole, que je suppose que l’âme ait vécu pendant un temps, soit ici-bas, dans un autre corps, soit ailleurs, dans un corps ou sans corps, ni qu’elle ait appris antérieurement dans une autre vie les connaissances sur lesquelles elle répond quand on l’interroge et sur lesquelles elle n’a pas encore été instruite ici-bas. Il se peut faire, en effet, comme nous l’avons remarqué dans le présent ouvrage[2], qu’elle en soit capable parce qu’elle est une nature intellectuelle, en relation non-seulement avec les choses intellectuelles, mais avec les immuables, et ainsi ordonnée que, lorsqu’elle se tourne vers les objets avec lesquels elle est en rapport ou vers elle-même, elle puisse, autant qu’elle les voit, donner à leur sujet des réponses véritables. Sans doute elle n’a pas apporté avec elle et ne connaît pas tous les arts de cette manière ; en effet, elle ne saurait, sans avoir été enseignée, parler des arts qui se rapportent aux sens corporels, comme presque toute la médecine, comme toute l’astronomie. Mais sur ce que l’intelligence seule suffit à comprendre, ainsi que je l’ai dit, elle peut, quand elle s’interroge ou qu’on l’interroge bien et quand elle réfléchit, répondre justement.

3. Ailleurs : « Je voudrais, ai-je dit, faire ici bien des additions, et me contraindre, tandis que je vous enseigne, à ne rien faire autre chose que de me rendre à moi-même, à qui je me dois surtout. » J’aurais dû plutôt dire : « Me rendre à Dieu, à qui surtout je me dois. » Mais comme l’homme doit d’abord se rendre à lui-même, afin que partant de soi comme d’un degré il s’élève jusqu’à Dieu, à l’exemple de l’enfant prodigue, qui commença à revenir à soi avant de dire : « Je me lèverai et j’irai à mon père[3] » voilà pourquoi je me suis exprimé de la sorte. Peu après, du reste, j’ai ajouté : « Puissé-je devenir aussi l’ami et l’esclave de Dieu[4] ! » Ces mots : « à qui je me dois surtout, » je les entendais donc par rapport aux hommes ; en effet, je me dois beaucoup plus à moi qu’aux autres hommes, quoique je me doive à Dieu plus qu’à moi-même. Ce livre commence ainsi : « Puisque je vous vois des loisirs surabondants. »

  1. C. XX, n. 34.
  2. C. IV, n. 4.
  3. Luc, XV, 18.
  4. C. XXVIII, n. 55.