LES
RÉFORMES SOCIALES
EN ANGLETERRE

MORALISATION DES CLASSES DANGEREUSES.
ÉCOLES INDUSTRIELLES. — LOGEMENS DES PAUVRES. — PRISONS.

I. Punishment and Prévention, by Alexander Thomson ; London 1857. — II. Suggestions for the repression of crime, by Matthew Davenport ; Hill, London 1857. — III. A Paper on the Irish convict prisons, by Matthew Davenport ; Hill, London 1857. — IV. Memoranda relative to the intermediate convict prisons in Ireland, by Walter Crofton ; Dublin 1857.



Rien n’est plus favorable au progrès social que les mouvemens de l’opinion, les agitations pacifiques qui sont en Angleterre l’exercice habituel de la liberté. Parmi les réformes entreprises depuis une vingtaine d’années sous cette énergique et salutaire influence, il en est trois qui méritent principalement d’attirer l’attention. L’une vient d’obtenir un succès consacré par plusieurs dispositions législatives ; une autre s’appuie sur une propagande de plus en plus active ; la troisième est l’objet d’une expérience qui s’accomplit sur une grande échelle en Irlande. Adopter les enfans dénués de moyens d’existence, — améliorer la santé publique par la prohibition des liqueurs enivrantes et l’assainissement des demeures des pauvres, — faire prévaloir un système pénitentiaire assez ingénieux pour concilier le châtiment avec la moralisation des coupables, — telles sont les charitables œuvres auxquelles s’est dévouée l’élite de la société anglaise avec une ardeur infatigable dont nous voudrions ici exposer les principaux résultats, depuis les écoles où l’on s’étudie à moraliser les pauvres jusqu’aux prisons où l’on s’applique à réformer les criminels.


I. — ÉCOLES INDUSTRIELLES ET RÉFORMATOIRES. — Teetotal, lodging-houses.


On n’évalue pas à moins de 5,250,000 liv. sterl. (131,250,000 fr.) le montant annuel des objets volés dans le royaume-uni. La cause première de ces nombreux méfaits se trouve presque toujours dans les vices d’une enfance abandonnée à la misère et aux mauvais exemples. Il y a en Angleterre (le fait a été constaté récemment à la chambre des communes) deux millions d’enfans qui ne reçoivent aucun enseignement primaire ou professionnel. Aussi toutes les forces actives du pays se sont-elles coalisées contre les dangers de cette situation avec une ardeur que n’ont pu ralentir ni les sacrifices imposés par la guerre, ni la lutte des partis, ni la vivacité des controverses religieuses. Whigs, tories et radicaux, catholiques, anglicans, puseyistes, baptistes, quakers, unitaires, tous agissent avec un admirable accord pour soulager la misère et pour prévenir le crime. L’Angleterre n’a pas trop de toute son énergie pour lutter contre les progrès d’un paupérisme et d’une dépravation qui semblent s’accroître avec la prospérité nationale.

Un shérif d’Aberdeen, M. Watson, déplorait la nécessité d’emprisonner une multitude de petits voleurs à qui leur âge et leur délaissement auraient dû enlever la responsabilité de leurs actes. Dégoûté d’une répression inintelligente, il se demanda s’il ne vaudrait pas mieux prévenir tous ces crimes de l’enfance que d’être réduit à les châtier. Il mûrit cette idée, conçut un plan d’exécution, et avec l’aide de quelques amis, le 1er  octobre 1841, il ouvrait dans la ville d’Aberdeen un établissement d’une espèce nouvelle, qui tenait à la fois de la maison des pauvres, de l’école primaire et de l’atelier. Dès ce premier jour, vingt enfans, qui ne vivaient que de mendicité et de rapine, se rendirent à cet asile, où, avec la nourriture du corps et celle de l’esprit, on leur offrait l’apprentissage d’un métier à leur choix. De tels bienfaits ne pouvaient manquer d’être appréciés de toutes les classes de la population ; les ressources de l’école industrielle et nourricière d’Aberdeen s’accrurent rapidement, et en 1856 elle comptait soixante-cinq élèves de sept à quatorze ans, dont la dépense moyenne personnelle, déduction faite du léger produit de leur travail, ne s’élevait par an qu’à la somme de 3 livres 1 shill. 7 deniers et demi (76 fr. 95 c). Mais comment, sans se préoccuper des moyens d’apaiser leur faim, attirer et retenir durant tout le jour des enfans habitués aux impressions variées d’une vie errante? Un argument irrésistible, la privation de trois repas substantiels infligée aux élèves coupables de négligence ou de vagabondage, assura à l’établissement d’Aberdeen une population notablement plus assidue et plus sédentaire que celle des écoles où l’on ne dînait pas.

Une éducation qui n’ouvrirait point l’âme aux espérances d’un monde meilleur ne pourrait que rendre de tels enfans plus enclins à la convoitise et plus habiles à la fraude. « Les hautes et les moyennes classes de la société, dit M. Alexandre Thomson, qui a écrit l’histoire de ces écoles populaires, ont d’autres freins qui les détournent du crime et qui maintiennent les apparences de la vertu dans un milieu où elle manque réellement; mais dans les derniers rangs de la misère, sans la perspective d’un immense dédommagement, sans une foi sincère et profonde, il n’y a et il ne peut y avoir que le désordre le plus effréné. » Avant tout, c’est donc à faire des hommes religieux que tendent l’enseignement et la discipline du refuge d’Aberdeen.

Rien dans la demeure paternelle ne donnant à ces enfans l’exemple d’occupations régulières et suivies, le travail était pour eux chose toute nouvelle, et l’on eut d’abord une peine incroyable à obtenir d’eux un peu d’application pour quelque étude et pour quelque apprentissage que ce fut. Peu à peu cependant l’autorité des maîtres dompta ces natures à demi sauvages, et l’on vint à bout de mettre presque tous les élèves en état de gagner leur vie au sortir de l’école. On s’était beaucoup occupé de la question du logement, et l’on pensait d’abord que, si on laissait les enfans coucher chez eux, toutes les bonnes impressions de la journée seraient détruites par les mauvais exemples du soir. Heureusement pour la cause de l’institution, l’insuffisance des ressources fit abandonner l’idée de loger les élèves, et aujourd’hui, après plus de quinze ans d’expérience, il est constant que leur retour quotidien sous le toit paternel a rarement des conséquences fâcheuses, tandis que les leçons qu’ils rapportent au sein de la famille y exercent souvent l’influence la plus salutaire. Les premiers germes d’une transformation morale ont été maintes fois jetés dans le cœur de parens dépravés par le bégaiement de ces lèvres innocentes.

Le succès de cette première tentative détermina bientôt la création d’une école semblable pour les filles : elle fut ouverte le 5 juin 1843, et le nombre des élèves s’éleva promptement de trente à soixante. Ces deux maisons ouvertes aux enfans des deux sexes ne satisfaisaient pas cependant à toutes les nécessités de la population d’Aberdeen. Il existait une nombreuse classe d’enfans tombés encore plus bas dans l’abîme de la misère et du vice, qui ne paraissaient jamais dans ces écoles. Leurs fondateurs se concertèrent avec les magistrats pour en créer une troisième, qu’on appela l’école juvénile. Elle devait recevoir garçons et filles, car chez nos voisins les deux sexes sont souvent réunis sur les bancs comme dans les récréations jusqu’à l’âge de dix ou onze ans, et l’on regarde comme favorable aux mœurs ce rapprochement, qui chez nous ne serait pas sans inconvénient. Le comité des soupes de charité prêta son bâtiment, la vestry (comité des paroisses) s’engagea à payer des instituteurs, et la police fut chargée d’amener dans l’école tous les jeunes vagabonds passibles, en vertu d’un acte de George IV, d’une condamnation à soixante jours d’emprisonnement. L’œuvre commença le 19 mai 1845 avec un fonds de 4 liv. (100 francs). Les artisans de la ville d’Aberdeen sentirent si bien l’utilité d’un établissement qui préservait leurs enfans d’un dangereux contact, qu’ils contribuèrent la première année pour 250 livres aux dépenses de l’école juvénile, tandis que la souscription des citoyens plus riches ne s’éleva qu’à 150.

Tout n’était pas fait encore pour les enfans délaissés. Ces trois asiles ne recevaient que ceux qui n’avaient pas été condamnés. En 1846, on en ouvrit un quatrième pour les petits voleurs traduits à la barre des cours criminelles. Les juges, qu’aucune loi n’autorisait à soustraire ces jeunes malfaiteurs à une peine infamante, ajournaient le verdict pour établir une enquête sur la situation des familles et sur les ressources des prévenus, disposant provisoirement de leur personne et se réservant de donner suite à l’accusation en cas d’évasion ou de récidive. On logea ces prévenus à part dans la maison des pauvres, et on les admit à l’enseignement des écoles industrielles. En 1854, cet état de choses fut régularisé par une disposition législative (Dunlop’s act) qui prescrivait à la police d’Aberdeen d’amener de force tous les jeunes vagabonds à ces établissemens.

En 1841, première année de l’ouverture des nouveaux asiles, il y avait à Aberdeen 61 enfans écroués à la prison. Dix ans plus tard, il n’y en avait plus que 8; mais en 1853 le nombre des emprisonnemens s’accrut de nouveau, et en 1854 il remontait au chiffre de 49. On rechercha la cause d’un fait trop grave pour ne pas éveiller la sollicitude des bienfaiteurs de l’enfance. Voici ce qui s’était passé. Des voleurs de profession, édifiés par les résultats des écoles industrielles, en avaient établi précisément sur le même modèle; la nature seule de l’enseignement différait. Ils nourrissaient, logeaient, habillaient un grand nombre d’enfans, leur apprenaient le métier de voleur, et leur indiquaient les occasions de l’exercer. L’arrestation de ces pédagogues d’un nouveau genre mit fin à leur concurrence et rendit aux écoles leur personnel ordinaire en diminuant celui des prisons. Telle est l’histoire abrégée des écoles industrielles d’Aberdeen : aujourd’hui presque toutes les villes de la Grande-Bretagne en ont de semblables.

Vers le même temps, des entreprises analogues se poursuivaient dans la capitale de l’Angleterre. Trois jours après la promulgation de l’acte de Dunlop, une nouvelle décision du parlement (Palmerston’s act) autorisait dans tout le royaume des écoles dites réformatories à élever les enfans condamnés pour vol qui leur seraient livrés après un emprisonnement de quatorze jours. Dès 1838, lord Shaftesbury avait fondé à Londres une école du dimanche soir pour les enfans en haillons (ragged-school). Ils y étaient accourus en foule, et l’école était bientôt devenue quotidienne, quoique les élèves n’y reçussent qu’une instruction primaire. Plus tard, un établissement beaucoup plus important fut fondé dans la même ville sous le nom de ragged and industrial school, et devint le modèle d’un grand nombre d’autres, ouverts dans tout le royaume-uni.

Les rapports annuels de l’intendant-général des prisons avaient enfin éveillé l’attention publique sur l’accroissement continu du nombre des jeunes voleurs. Grâce à d’autres travaux sur le même sujet et à l’agitation qu’ils suscitèrent, la partie éclairée de la population anglaise comprit le devoir et la nécessité de donner l’habitude et le goût du travail à ces multitudes d’enfans destinés par les misères de leur condition à devenir les ennemis de la société. Les ragged schools, les écoles industrielles, les reformatories se multiplièrent et devinrent l’objet d’une sollicitude générale. Un journal spécial leur fut consacré. Deux grandes associations, la reformatory and refuge union et la national reformatory union, furent fondées par les hommes les plus éminens pour aider à la création de ces établissemens. Aujourd’hui le nombre des institutions de Londres qui dépendent de la ragged school union est de 166, savoir 16 refuges ou écoles nourricières et 150 ragged schools. Elles ont 330 maîtres payés et 2,139 non payés, car il y a en Angleterre un grand nombre de personnes des deux sexes qui s’imposent le devoir d’aller plusieurs fois par semaine donner des leçons aux élèves des écoles gratuites[1]. Les classes du soir sont parfaitement adaptées aux besoins de la population de Londres, où des milliers d’enfans gagnent leur vie par des moyens qui n’existent pas ailleurs, où un grand nombre d’adultes, qui n’ont pas dans la journée un seul moment disponible, peuvent cependant consacrer la soirée au progrès de leur instruction. Pour les élèves au-dessous de quatorze ans, les leçons du soir sont insuffisantes, et pour les plus pauvres elles ne deviennent possibles qu’autant qu’elles sont combinées avec des repas. Aussi, indépendamment des refuges que j’ai mentionnés, existe-t-il déjà dans la capitale plusieurs écoles qui nourrissent et logent les enfans.

Outre les divers établissemens que je viens de signaler, il en existe à Londres seize autres de même nature, qui appartiennent à l’œuvre de Field-Lane, ainsi nommée à cause du quartier où elle exerce son action bienfaisante. Le point de départ de ces asiles, il y a quatorze ans, fut une ragged school qui, fidèle à sa destination, n’a pas cessé de se recruter dans l’allée noire et dans l’égout. Successivement accrue, l’œuvre de Field-Lane comprend aujourd’hui une classe de jour pour enfans des deux sexes, des classes du soir pour les jeunes adultes et les jeunes apprentis, des classes industrielles pour les garçons, une classe pour les mères de famille, un ouvroir, un refuge qui a reçu l’année passée cinquante-cinq personnes par nuit, et leur a distribué cinquante-six mille six cent douze pains. — Des leçons sur la Bible y ont réuni jusqu’à quatre cents auditeurs à la fois. La même institution a établi une caisse d’épargne qui reçoit des dépôts de deux sous. Enfin elle a ouvert une église pour les gens en haillons (ragged church).

On rencontre peut-être plus de haillons en Angleterre, ce pays de la richesse, que dans toute autre contrée civilisée. Beaucoup d’artisans y sont déguenillés qui pourraient ne pas l’être, et seulement parce que ni eux ni leurs femmes ne savent coudre. Cependant ceux-là mêmes qui ne rougissent pas de leur misère dans la rue n’aiment pas à la porter où elle se remarque davantage, et renoncent souvent par amour-propre au bénéfice de l’enseignement et à l’accomplissement des devoirs religieux. De là vient la nécessité des établissemens destinés à cette classe d’auditeurs, et qui conservent comme moyen d’attraction un nom qu’en général ils ont cessé de mériter. J’ai visité plusieurs ragged schools, et je n’y ai pas vu de guenilles; elles ont toutes des classes de couture, et les enfans des deux sexes y apprennent le métier de tailleur, souvent même celui de cordonnier.

On s’y occupe aussi beaucoup de l’éducation pratique des filles, parce qu’on a reconnu combien elle laissait généralement à désirer. Les traditions de famille font souvent de la paysanne anglaise un type de parfaite ménagère, et le petit cottage d’une vallée du Gloucestershire ou du Devonshire, avec ses espaliers de clématite et de jasmin, ses petits rideaux blancs, sa natte ou son tapis étendu sous une table savonnée, ses ustensiles de ménage brillans comme de l’or, tout cet ensemble d’ordre et de comfort dû à l’activité industrieuse de sa compagne assure à l’ouvrier des champs un bien-être qu’il ne trouverait pas hors de chez lui. Aussi le home lui est-il cher, et, sa journée finie, s’il s’arrache aux caresses de ses enfans frais et roses, c’est pour cultiver dans son jardin de belles fleurs qui, aux concours d’horticulture, disputent le prix à celles du seigneur, son voisin. Dans les grands centres de population, principalement dans les villes manufacturières, l’intérieur de l’artisan est souvent tout autre. Une chambre en désordre, une table grasse, un repas mal apprêté, des enfans sales et criards, une femme incapable de subvenir aux besoins du ménage, voilà ce qui l’attend le soir à son foyer. Alors il s’éloigne, va chercher des distractions dans le seul lieu qui lui en offre, à la taverne, s’enivre avec des maris mécontens, et revient chez lui pour maltraiter sa femme. On a plusieurs fois présenté à la chambre des communes un bill tendant à punir de la peine du fouet ces brutalités qui sont la honte des classes ouvrières de l’Angleterre. On les préviendra plus sûrement par un système d’éducation dont on trouve déjà d’excellens modèles dans plusieurs paroisses, et notamment à Sandbach, dans le comté de Cheshire. Là, toutes les jeunes filles apprennent à faire la cuisine et la lessive, à choisir les étoffes de leurs vêtemens, à les tailler et à les coudre. Le lavoir public, l’hospice, les maisons d’école, sont pour elles comme autant d’ateliers où elles font l’apprentissage de toutes les industries domestiques. Tout cela est d’une exécution facile, et l’on s’étonne qu’on n’y ait pas songé plus tôt; mais tandis que l’esprit humain s’épuise en efforts malheureux et va souvent s’égarer si loin dans l’utopie, il arrive que l’application des idées les plus simples demande des siècles.

Aujourd’hui cet enseignement professionnel et domestique est également introduit pour les enfans des deux sexes dans un grand nombre de workhouses. Depuis quelques années, il s’est formé des syndicats de paroisses pour un emploi mieux entendu de la taxe des pauvres, et les avantages de ces associations ont permis de donner une éducation professionnelle aux enfans, qui auparavant sortaient des workhouses sans y avoir appris aucun métier. La dépense annuelle faite pour chacun d’eux est de 350 francs, dont l’état prend un quart à sa charge.

Si l’exemple donné par les écoles industrielles a introduit l’éducation professionnelle dans les maisons des pauvres, il semble impossible que les écoles rétribuées ne soient pas bientôt gratifiées du même bienfait. Ce serait en effet encourager le vagabondage que de lui assurer à la fois une alimentation quotidienne et le bénéfice de l’éducation la plus fructueuse, tandis que les enfans qui appartiennent à des parens honnêtes ne pourraient prétendre qu’aux avantages assez restreints de l’enseignement primaire. Les écoles populaires de la Grande-Bretagne deviendront donc en général des ateliers d’apprentissage. Il en résultera dans les villes un encombrement d’ouvriers qui devra faire modifier le système d’éducation adopté jusqu’ici. Une grande partie de ces institutions urbaines devra être remplacée par des écoles d’agriculture telles qu’il en existe déjà. La métropole a trop d’artisans, et les colonies réclament surtout des cultivateurs. Le sentiment de ce besoin se révèle dans le vif intérêt que l’Angleterre prend à notre établissement de Mettray. Beaucoup d’Anglais en font le but spécial d’un voyage en France, et il n’y a pas dans la Grande-Bretagne de noms plus populaires et plus respectés que ceux de MM. de Courteille et de Metz.

Pour comprendre l’importance que les classes éclairées de l’Angleterre attachent à ces établissemens fondés et entretenus par elles, il faut se rappeler qu’elles ont déjà à leur charge, pour les trois quarts des dépenses, les écoles nationales, qui sont celles de l’église anglicane, les écoles britanniques, qui sont celles des communautés dissidentes, les écoles des manufactures, que les grandes usines sont obligées d’ouvrir aux enfans de leurs ouvriers, les petites écoles paroissiales, dirigées par les pasteurs, etc., sans compter les hôpitaux, les refuges, les asiles ouverts à chaque espèce de maladie et de misère, et enfin les reformatories d’adultes, fondations nouvelles dont nous parlerons ailleurs. C’est à tant de sacrifices volontaires que l’aristocratie, la gentry et les classes moyennes n’hésitent pas à ajouter les dépenses des ragged schools, des reformatories d’enfans, des écoles industrielles et des écoles d’agriculture, immense réseau qui ne laisse pas un seul enfant pauvre en dehors de l’action combinée de la charité privée et de l’assistance publique. Le gouvernement est trop intéressé au succès de ces institutions pour ne pas y concourir de tous ses moyens; mais en général les fondateurs ne sollicitent pas son assistance, parce qu’elle implique toujours une intervention qui les gêne, et beaucoup d’établissemens, ceux de Field-Lane entre autres, aiment mieux se passer des secours administratifs que de les acheter au prix de la moindre part de leur liberté d’action.

Cependant les droits de l’état sur les écoles auxquelles il confie l’enfant frappé par la loi étaient trop évidens pour qu’on pût les contester. On a présenté, dans le courant de l’avant-dernière session, un bill qui autorise les magistrats à donner aux reformatories des secours pris sur les fonds des comtés. Cette disposition, également facultative à l’égard de la magistrature et des fondateurs (car ils ne sont pas obligés de recevoir tous les enfans qu’on leur envoie), a été adoptée par les deux chambres. Un bill a été aussi voté, sur la proposition de M. Adderley, représentant du Staffordshire, qui oblige la police à mettre en état d’arrestation tout enfant non condamné, mais mendiant ou vagabond, et autorise le magistrat à contraindre la famille, s’il y a lieu, au paiement de 2 ou 3 shillings par semaine pour l’entretien de l’enfant dans une école industrielle. Cette maison devra loger les jeunes délinquans amenés à sa porte, mais il sera facultatif aux directeurs de l’établissement de laisser coucher dans la demeure paternelle ceux pour lesquels ils jugeront l’influence de la famille sans danger. Ce dernier bill garantit la société contre le calcul qui pourrait porter les familles pauvres à délaisser leurs enfans pour les faire élever aux frais des associations charitables. Il faut d’ailleurs remarquer qu’en Angleterre l’assistance légale n’a pas, au même degré qu’en France, l’inconvénient d’encourager le vagabondage et le paupérisme. Depuis la fondation de Mettray et des pénitenciers auxquels cet admirable établissement a servi de modèle, le nombre des délits de l’enfance semble suivre une progression ascendante. En Angleterre au contraire, il a considérablement diminué depuis que des écoles industrielles et des reformatories ont été établies dans tous les comtés. Les causes de la misère sont d’ailleurs si multiples dans l’état social de la Grande-Bretagne, qu’on conçoit parfaitement que cet élan de la conscience publique ne soit pas arrêté par la crainte de favoriser la négligence des parens pauvres.

Les attaques toutefois ne manquent pas aux reformatories. On leur reproche, comme en France, d’encourager le vagabondage et d’énerver la moralité du peuple. On voudrait, en conséquence, reporter tous les efforts des associations charitables sur les mesures préventives, et abandonner les jeunes coupables à la rigueur salutaire des lois; mais ceux qui font ces objections oublient qu’au nombre des moyens de prévenir le crime il faut évidemment compter les institutions qui préservent les enfans honnêtes de tout rapprochement contagieux. Quant à l’accusation d’encourager les méfaits de l’enfance, les chiffres y répondent victorieusement. Nous avons déjà dit la diminution du nombre des enfans condamnés à Aberdeen. On pourrait signaler beaucoup d’autres résultats semblables. Pour n’en citer que deux, à Cheltenham, dans le Glocestershire, pendant trois mois, de juillet à septembre 1856, il y eut dix-huit condamnations : dans les trois mois suivans, il n’y en eut que six; pendant le premier trimestre de 1857, il y en eut trois; dans le trimestre suivant, cinq, et de juillet à septembre, il n’y en eut pas une seule. L’école réformatoire de la même ville a 49 élèves, et dans tout le comté aujourd’hui il n’est pas un seul enfant prévenu de vol. Celle du comté de Norfolk fut ouverte dans l’été de 1855. Pendant les six mois d’hiver 1855-1856, 69 enfans furent traduits à la barre des magistrats de Norwich. Dans les mois correspondans de 1856-1857, il n’y en eut que 34, et depuis lors le chef de la police a déclaré que sa surveillance, à l’égard des jeunes malfaiteurs, devenait une sinécure.

La promulgation du bill des écoles réformatoires prouve d’ailleurs que leur cause est gagnée, car en Angleterre le parlement n’est guère que l’interprète et l’instrument de la majorité du pays. Ce n’est pas, à vrai dire, le parlement qui fait les affaires de la Grande-Bretagne, c’est l’opinion publique, c’est la nation elle-même qui agite pendant longtemps les questions économiques dans ses fréquens meetings et par ses mille organes quotidiens. Le gouvernement et les chambres ne songent à discuter et à édicter une loi que lorsqu’après de longs débats elle a été déjà décrétée par le plus grand nombre. Les lois anglaises sont l’œuvre d’un peuple qui se gouverne lui-même et qui est porté par ses aptitudes et ses goûts à examiner chaque jour toutes les affaires, celles de la paroisse comme celles du comté, du royaume et du monde entier. Voilà la grande différence qui existe entre les Anglais et nous; voilà en outre, à moins que l’équilibre des pouvoirs ne vienne aussi à se trouver rompu, l’une des principales causes qui assurent chez eux la durée des institutions que la France n’a pu encore réussir à s’approprier.

Pendant que le parlement régularisait la condition des établissemens destinés aux enfans des classes dangereuses, la conférence d’éducation, société composée d’hommes distingués de tous les comtés, se réunissait à Londres et délibérait sur les moyens de retenir plus longtemps aux cours des écoles les jeunes élèves, qui les quittent ordinairement quand ils ont atteint l’âge de dix ans. Elle a cru trouver l’appât le plus puissant dans des distributions de prix en argent et en ustensiles, et surtout dans une éducation professionnelle et des leçons d’agriculture pratique. Ce nouvel enseignement, déjà en vigueur dans plusieurs paroisses, est évidemment le but où tendent aujourd’hui toutes les écoles primaires de la Grande-Bretagne, et il n’est pas douteux qu’elles ne l’atteignent malgré toutes les difficultés qui proviennent pour cette tentative, comme pour beaucoup d’autres, d’une centralisation imparfaite.

Un principe fécond est donc consacré par la loi anglaise et appliqué dans toutes les villes du royaume-uni. La société adopte l’enfant que le malheur laisse sans éducation et sans ressources. La civilisation répare les maux qu’elle entraîne à sa suite ou que lui inflige l’imperfection humaine. D’une armée de malfaiteurs et d’ennemis, l’Angleterre fait une pépinière d’artisans, de marins, de soldats, de laboureurs, qui augmenteront les forces défensives et productives de la métropole, iront accroître la population des colonies et en fonder de nouvelles. En satisfaisant au devoir suprême de la charité, les bills des écoles industrielles et des écoles réformatoires conjurent les plus redoutables éventualités, celles qui naissent de la surabondance de la population. En préparant à la vie sociale des masses qui ne pourraient plus tard trouver place sur un sol encombré, l’Angleterre régularise et féconde son mouvement d’expansion, elle élargit et assure les voies de l’avenir.

Le délaissement auquel est exposée l’enfance du pauvre n’est pas cependant la seule cause de crime et de désordre que la société anglaise ait entrepris de combattre. Elle a tourné ses efforts contre d’autres influences non moins pernicieuses, et en première ligne contre le vice national, l’intempérance. La statistique attribue à l’ivrognerie les neuf dixièmes des actes criminels qui se commettent dans ce pays, et les années de prospérité sont celles où il s’en commet le plus, parce que ce sont les plus favorables à la fatale passion des classes inférieures. C’est d’abord dans la misère que l’ivrognerie les jette, en paralysant les forces de l’ouvrier, en lui faisant perdre le goût du travail, en absorbant une partie des salaires nécessaires à sa famille, en développant chez lui toutes les passions ruineuses. Il ne s’en faut pas moins d’un milliard que le produit des accises compense les pertes de tout genre qui résultent pour le pays de l’abus des liqueurs spiritueuses. En présence de ces désastreuses conséquences, M. Hill, recorder de Birmingham, dans ses rapports trimestriels au grand jury, n’hésite pas à demander, non pas au gouvernement, mais à la nation elle-même, à la majorité de la nation, qui seule peut décréter une pareille mesure, la prohibition de toutes les boissons fermentées, sans en excepter la bière. L’honorable magistrat regarde comme impossible la suppression de l’abus tant que subsistera l’usage. Pour extirper le mal, il faut, selon M. Hill, prohiber tout ce qui peut le produire. Cette prohibition serait-elle constitutionnelle? L’intérêt public peut-il autoriser la majorité des citoyens à s’immiscer dans la vie privée au point d’interdire un usage sans inconvéniens pour un grand nombre? — M. Hill ne doute pas que la majorité n’ait le droit de limiter ainsi la liberté personnelle, parce que, la loi des pauvres imposant aux citoyens qui vivent de leur travail l’obligation de soutenir ceux qui ne peuvent pas et même ceux qui ne veulent pas pourvoir à leurs propres besoins, les premiers doivent avoir la faculté de recourir aux mesures propres à diminuer le nombre des individus à nourrir. Il est probable néanmoins qu’aucun brasseur ou marchand de boissons de la génération actuelle ne sera témoin de l’abolition de son industrie; mais M. Hill les engage à ne pas destiner leurs enfans à un commerce qui doit s’amoindrir de jour en jour jusqu’à ce qu’il soit absolument interdit.

Tel est le langage de l’honorable recorder, et l’on doit y voir autre chose que l’expression d’un sentiment individuel et isolé. M. Hill est ici l’interprète d’une opinion fort répandue et devenue l’objet d’une de ces agitations qui ont fait triompher en Angleterre tant d’idées jugées d’abord impraticables. Une vaste association s’est formée depuis deux ans, sous le nom de l’Alliance du royaume-uni, pour opérer cette grande réforme diététique. Présidée par sir Walter Trevelyan, cette société a trente-trois vice-présidens, dont le premier est le comte de Harrington, un comité exécutif composé de vingt et un membres, une banque et un grand nombre d’agens dans toutes les parties des trois îles. Elle compte au nombre de ses adhérens la plupart des ministres de toutes les communions religieuses et tous les membres des anciennes sociétés de tempérance. Son siège principal est à Manchester. Elle y publie un journal hebdomadaire dont le but est d’obtenir par la voie législative la prohibition totale et immédiate du trafic de toute liqueur fermentée. On voit que ses prétentions vont au-delà des espérances du docte juge de Birmingham.

Dans un pays de monarchie constitutionnelle, ce n’est souvent qu’après beaucoup d’hésitations, de ménagemens et de débats, que la majorité parvient à imposer sa volonté au plus petit nombre; mais dans une république la pluralité des suffrages n’admet pas de réplique et tranche péremptoirement les questions sans se soucier de la liberté individuelle. Aussi les mesures légales contre l’ivrognerie, que l’Angleterre n’a pu obtenir encore, sont-elles adoptées déjà dans une partie de l’Amérique du Nord. Aux États-Unis d’ailleurs, l’alcool et la bière causent encore plus de maux que dans la Grande-Bretagne, et il est peu de familles qui n’aient à déplorer le sort de quelque victime de l’intempérance. En 1851, par une loi rendue sur l’initiative de l’honorable citoyen Neal Dow, l’état du Maine frappa d’une prohibition absolue le trafic de toute liqueur enivrante, sous peine d’une amende de 5 dollars pour la première contravention, de 10 dollars pour la seconde, de 10 dollars et d’un emprisonnement d’un mois pour la troisième. Au mois de janvier 1857, cette mesure était adoptée dans les états de Massachusetts, Rhode-Island, Vermont, Michigan, Connecticut, Delaware, Iowa, New-Hampshire. A la même époque, dans cinq autres états, le vin et le cidre pouvaient seuls se vendre en détail, et dans cinq autres toute boisson fermentée ne pouvait se vendre qu’en gros. Souvent éludées dans les villes, ces lois sont en pleine vigueur dans les districts ruraux, et quelque incomplète qu’en soit l’exécution, elles ont déjà diminué de moitié le nombre des accidens, des suicides et des crimes. Si le progrès en est depuis quelque temps ralenti par la question de l’esclavage, qui absorbe tous les esprits, elles ne perdent pas de terrain et se maintiennent même dans les états à esclaves.

A quels effets aboutira en Angleterre l’agitation du teetotal? Elle pourra réussir à diminuer dans les classes ouvrières ce que Montesquieu appelle l’ivrognerie de nation, comme le progrès des mœurs l’a supprimée depuis vingt ou trente ans dans les classes supérieures; mais il n’est pas probable que les habitans de la Grande-Bretagne se contentent jamais des boissons chaudes, et se mettent au régime des Arabes de l’Yémen. Les climats ont des exigences dont les réformes doivent tenir compte, si elles ne veulent s’épuiser en efforts stériles. Il nous paraît impossible de ne pas établir de différence entre les boissons dont l’usage même est dangereux et celles dont l’usage est salutaire, et qui ne deviennent nuisibles que par l’abus. Les habitans d’un pays humide ne peuvent se passer de boissons fermentées, telles que le vin et la bière. Les Anglais n’y renonceront certainement pas, seulement ils pourront en supprimer l’abus par des mesures semblables à celles que nous avons signalées dans quelques états de l’Amérique, et aussi par la fermeture d’une grande partie des tavernes, dont le nombre est avec celui des habitations dans le rapport de 2 1/2 à 100. Une pétition à cet effet a été présentée par une députation nombreuse à lord Palmerston pendant son dernier ministère. Quant à l’alcool, dont l’usage habituel n’est jamais nécessaire, si ce n’est aux équipages en mer et aux armées en campagne, qui au contraire est presque toujours nuisible dans la vie civile, et fait à coup sûr plus de ravages que les poisons, nous ne voyons pas pourquoi le trafic n’en serait pas soumis à des conditions restrictives, aussi bien que la vente des substances vénéneuses. Les Anglais sont en général disposés aux sacrifices commandés par leurs véritables intérêts; cependant cette réforme s’attaque à une passion tellement invétérée, qu’on peut craindre d’attendre longtemps le jour où leur self government donnera ce bon exemple à l’Europe.

Une des causes qui contribuent encore le plus activement à la dépravation des classes pauvres est l’insuffisance et l’insalubrité de leurs logemens. Il y a depuis des siècles dans toutes les grandes villes du royaume-uni des taudis infects encombrés de créatures humaines réduites au plus affreux état de misère. On se rappelle le tableau que la plume d’un économiste français traçait, il y a quinze ans, de ces charniers de chairs vivantes, de ces nids de corbeaux (rookeries), comme on les appelle à Londres[2]. M. Léon Faucher n’exagérait pas, et encore aujourd’hui les économistes anglais eux-mêmes font de ces incroyables horreurs une peinture tout aussi désolante. Dans tous les grands centres de population, principalement à Londres dans les quartiers de Kensington, de Saint-Giles, de White-Chapel, de Wapping, au centre même de la Cité, ce plus riche amas des richesses de la terre, à deux pas du palais de la reine, sous les murs de Westminster-Hall, palais du parlement, des êtres humains, et surtout des Irlandais, à la fois victimes et fléaux d’une société qui fait peser sur eux les iniquités de la conquête, pourrissent entassés sur un fumier de haillons et dévorés par la vermine et la fièvre. Dans cette condition, bien inférieure à celle des animaux domestiques, les germes du sens moral sont étouffés dès l’enfance, les miasmes lourds et empoisonnés de l’atmosphère entretiennent le besoin des liqueurs fortes, et une habituelle intempérance complète l’abrutissement d’une population dont les courtes existences se reproduisent par la plus hideuse débauche. Faut-il s’étonner que le vol et le meurtre soient fréquens dans ces pandémoniums, dont l’aspect n’est comparable qu’à celui des prisons de la Chine?

Il y a vingt-quatre ans seulement que l’état sanitaire des logemens des classes pauvres attira l’attention des esprits éclairés de la Grande-Bretagne. Le docteur Southwood-Smith, par des études qui devinrent les élémens de son bel ouvrage sur la fièvre, fut amené à constater la nécessité impérieuse d’attaquer le mal à sa racine, non-seulement dans l’intérêt des victimes immédiates, mais encore pour défendre de ses atteintes pestilentielles les habitans des plus riches quartiers. En même temps M. Edwin Chadwick, secrétaire du bureau de la loi des pauvres, en recherchant les causes principales du paupérisme, les trouva en grande partie dans les maladies engendrées par l’insalubrité des habitations. Ainsi le médecin et l’administrateur, abordant le sujet par des côtés opposés, se rencontrèrent sur le même terrain, et aboutirent au même point. Il devint manifeste que l’encombrement des locataires, l’insuffisance de la ventilation et les vices du drainage entretenaient une peste permanente dans la population des cours, des allées et des mauvaises rues, et que cet état morbide, aggravé par les habitudes d’intempérance qui en résultaient, détruisait graduellement toutes les facultés du corps et de l’âme. Les rapports du docteur Southwood-Smith et de M. Chadwick faisaient en outre peser sur la société en général toute la responsabilité de ce mal révoltant. En effet, si le riche lui-même ne peut pas toujours imposer à son voisin les travaux qui seraient nécessaires pour rendre parfaitement convenables les dispositions sanitaires de deux maisons contiguës, le pauvre, sans compter qu’il est à la merci de la cupidité privée, est encore plus forcément obligé de subir toutes les conséquences de la négligence publique, car, alors même que les autorités municipales ont amélioré le drainage de la voirie, ce progrès peut être pour lui comme non avenu par suite de la vicieuse construction de son logement.

Ces révélations consternèrent l’élite de la population anglaise; mais, il faut bien le dire, l’opinion publique ne s’empara point de la question avec cette ardeur qui avait mené à bonne fin des améliorations pourtant moins urgentes, La question ne fut pas l’objet d’un seul meeting, ne suscita la création d’aucun journal, ne donna lieu à aucune agitation. Ce ne fut que dans le courant de l’année 1851 que, sur les instances du comte de Shaftesbury, fut édicté l’acte des maisons de logement en commun (common lodging houses act), qui donna aux autorités locales le pouvoir de faire disparaître des logemens fréquentés par les pauvres de passage et par ceux de la paroisse les causes de maladies résultant de la négligence des mesures sanitaires. Un autre acte de la même année, concernant les habitations des classes ouvrières (labouring classes lodging houses act), autorisa les corporations municipales à contracter des emprunts pour bâtir de nouveaux logemens ou pour améliorer des maisons déjà construites. Cette dernière mesure ne paraît toutefois avoir reçu aucune application. Les corps représentatifs répugnent à augmenter le fardeau qui pèse sur leurs commettans, et quoiqu’il soit évident que les dépenses faites pour l’assainissement des villes ne tardent pas à diminuer les impôts, cependant, comme elles commencent par les augmenter, les autorités attendent l’impulsion décisive des contribuables. Le sens pratique des populations anglaises semble ici leur avoir fait défaut malgré les terribles avertissemens que ne leur ont pas épargnés les ravages du choléra. Quant à l’acte des logemens en commun, il détermina la création d’une société de bienfaisance établie en vertu de deux chartes royales, qui limitent la responsabilité de chaque actionnaire au montant de ses actions, mais qui restreignent en même temps l’éventualité de ses bénéfices à 5 pour 100 du capital dépensé. Il est à regretter que la couronne n’ait pu se montrer plus libérale à l’égard de cette association, qu’elle aurait dû de préférence encourager par ses propres subventions. Les frais des deux chartes accordées à cette entreprise si intimement liée à l’intérêt public se sont élevés à la somme exorbitante de 1,430 livres (26,750 francs). On réclame avec raison une considérable réduction de cet impôt levé sur l’article bienfaisance. En vertu des chartes de la société, des succursales peuvent être fondées dans toute partie de l’Angleterre et du pays de Galles, et jouir du même privilège de responsabilité limitée, la société mère recevant la gratification d’un demi pour 100 sur les premières dépenses, et un autre demi pour 100 d’année en année, comme rétribution de la jouissance de la charte et des facilités qu’elle procure à ces corps affiliés. Quatre succursales ont été fondées, dont une à Brighton et l’autre à Dudley. Les bénéfices n’en ont pas été jusqu’à présent fort considérables; mais ils ne sont que le but secondaire de l’œuvre, et ne pourront d’ailleurs qu’augmenter.

Quels sont en définitive les effets de l’acte des logemens en commun sur la population qui est l’objet de cette mesure? Ils sont tels qu’on ne peut s’expliquer comment l’application n’en est pas encore générale. D’après un rapport du docteur Southwood-Smith, le chiffre de la mortalité annuelle dans les maisons bâties à Londres par la société métropolitaine pour l’amélioration des logemens des ouvriers n’est que de 7 sur 1,000, tandis que la somme moyenne des décès dans toute la capitale est triple, c’est-à-dire de 22 sur 1,000. Dans l’un des plus mauvais quartiers de Londres, dans la paroisse de Kensington, la mortalité s’élève à la somme effrayante de 40 sur 1,000. En octobre 1853, la police de Londres a constaté l’existence de 7,053 maisons de logement. A cette époque seulement, les principaux locataires ou gérans de ces habitations ont reçu l’ordre de tenir le registre prescrit par l’acte de 1851. Sur ce nombre, 1,308 maisons, comptant au moins 25,000 locataires, se sont conformées à cette injonction, et pendant le trimestre qui suivit l’accomplissement de cette mesure, elles n’ont pas présenté un seul cas de fièvre, tandis qu’avant le nouveau régime une seule avait envoyé dans le cours d’une semaine 20 malades à l’hôpital des fiévreux. Enfin aucun des logemens améliorés n’a plus été visité par le choléra et le typhus, tandis que dans l’automne de 1854 on comptait 20 victimes de l’épidémie dans une seule rue de la capitale, et jusqu’à 6 dans une seule maison. La statistique sanitaire des habitations améliorées n’a pas été moins satisfaisante dans d’autres villes. A Wigan, qui a 24 maisons de logement, recevant 30,000 voyageurs par an, à Wolverhampton, qui en a 200, recevant le nombre incroyable de 511,000 locataires de passage, la police n’a pas eu à constater un seul cas de fièvre dans ces bâtimens. Il résulte de tous les rapports qu’il y a beaucoup moins de maladies dans les maisons de logement en commun soumises à l’inspection que dans les chambres des ouvriers dont la police n’a pas à s’occuper.

L’effet moral de ces mesures hygiéniques est analogue à leur influence sur la santé. Le docteur Southwood-Smith signale les heureux changemens produits par l’assainissement des logis dans les appétences et conséquemment dans les habitudes des occupans. Un air dégagé de miasmes méphitiques n’excite plus le besoin de boissons stimulantes, et quand le vice n’est pas enraciné, il disparaît avec les causes qui l’avaient fait contracter. Un progrès en amène un autre; le respect de soi-même accompagne la sobriété, et le goût d’un certain comfort suit le rétablissement des forces physiques. On veut avoir une table, puis deux chaises. Avec la propreté s’introduisent peu à peu dans la chambre quelques ornemens; en un mot, toutes les aspirations s’élèvent. Qui peut expliquer les secrètes affinités de l’âme humaine? qui peut dire les révélations soudaines que le malheureux ouvrier des travaux souterrains trouve dans le rayon de soleil qui vient caresser le chevet de son grabat et dans le parfum de la fleur que ses soins ont fait éclore?

On est toujours disposé à exagérer les effets des remèdes nouveaux : il ne faudrait pas attendre du drainage et de la ventilation le retour de l’âge d’or sur la terre; mais les rapports de la police ne sont pas suspects d’enthousiasme, et en 1854 ils constataient que, depuis l’amélioration d’un certain nombre de misérables gîtes, aucune accusation de crime, aucune plainte même de tapage, n’avaient été portées aux stations de Londres contre un seul locataire de ces nouveaux logis. Dans les classes qui fréquentent les maisons de logement en commun, le progrès est encore plus frappant : non-seulement le crime en a été expulsé avec l’infection et la peste, mais le vice et l’immoralité semblent avoir disparu de ces demeures saines et paisibles.

Comment se fait-il donc que dans un pays où tant de choses sont si admirablement ordonnées, où tant d’intelligences, de forces et de richesses sont toujours prêtes à accomplir tout ce que peut suggérer l’esprit de justice et de bienfaisance, on laisse encore subsister en si grand nombre et partout tant de foyers d’infection matérielle et de pestilence morale? Cette déplorable anomalie n’a qu’une seule cause, le respect exagéré pour la liberté individuelle, qui va, sinon jusqu’à tolérer le crime, du moins jusqu’à en souffrir les prédications et les complots. Le mal a été aggravé par un autre tort de l’autorité. Tandis qu’on ouvrait des rues nouvelles, qu’on remplaçait des quartiers malsains par des voies larges et des constructions magnifiques, aucune disposition n’a pourvu aux logemens des pauvres dont on renversait la demeure. Il en est résulté un surcroît d’encombrement dans les maisons restées debout. L’application incomplète de l’acte des maisons de logement en commun a des conséquences également funestes; l’inexécution fait autant de mal dans un quartier que la pratique produit de bien dans un autre. En diminuant le nombre des locataires dans chaque maison enregistrée, l’acte de 1851 introduit en plus grand nombre les pauvres dans celles que l’enregistrement n’a pas atteintes, soit que l’acte ne les ait pas désignées, soit que leurs propriétaires n’aient pas rempli les prescriptions légales. Ainsi donc, si toutes les maisons de logement ne sont pas enregistrées, et si l’on n’en construit pas un beaucoup plus grand nombre, l’acte de 1851 ne produira que des avantages très partiels et achetés au prix d’un plus grand encombrement des gîtes qui se trouvent dans les pires conditions.

Un fait très digne de remarque, c’est que les plus pauvres habitans des grandes villes sont ceux qui paient le plus cher le pied cube d’air qu’ils respirent et d’espace qu’ils occupent. Les loyers de Tyburnia et de Belgravia sont modérés en comparaison de ceux de Saint-Giles et de White-Chapel. Les bénéfices assurés aux logeurs devraient leur susciter une concurrence très active, mais les habitudes des cliens rendent le métier singulièrement rude et dégoûtent beaucoup de ceux qui seraient tentés de l’entreprendre. L’intempérance absorbe les ressources qui pourraient être affectées aux frais du minimum de décence requis dans les habitations humaines; elle encourage, elle oblige même le logeur, par toutes les peines et les dégâts qu’elle entraîne à sa suite, à surélever le montant du loyer, tandis que d’un autre côté elle diminue les moyens de le payer.

On voit combien la Grande-Bretagne, malgré les progrès dont elle est justement fière, est encore loin d’assurer à tous ses enfans les avantages auxquels peut prétendre en tout pays chaque membre du corps social. Quand parviendra-t-elle à combler cette profonde lacune qui peut-être ne préoccupe pas assez sérieusement ses hommes d’état et ses philanthropes? Je l’ignore; mais en présence de cette plaie si désolante on a peine à comprendre ces diatribes si violentes contre les états italiens par exemple, à qui l’on fait un crime irrémissible de la mendicité qu’ils tolèrent. La mendicité n’est pas moins tolérée à Londres, et le gueux des Apennins, qui, drapé dans sa souquenille, demande fièrement l’aumône sur la piazza del Popolo, aurait l’air d’un empereur romain à côté des larves humaines accroupies tous les jours aux coins des beaux carrefours du West-End.


II. — LA RÉFORME PÉNITENTIAIRE. — PENTONVILLE, MILLBANK, ETC. — LES PRISONS EN IRLANDE.


Le code criminel de l’Angleterre était, dans les premières années de ce siècle, le plus sanguinaire de l’Europe : il n’y a pas plus de trente ans qu’il punissait encore de la peine capitale le vol d’une somme de 5 shillings. Chez ce peuple à qui nous devons l’institution du jury, alors que les droits individuels étaient depuis longtemps entourés de tant de garanties, le défenseur ne pouvait même pas parler en faveur de l’accusé, et quelque incapable que fût ce dernier de se défendre lui-même, toute l’assistance à laquelle il pouvait prétendre se bornait à des conseils. La détention était un affreux supplice, non-seulement pour les condamnés, mais encore pour les prévenus. Elle entassait sur une paille infecte hommes, femmes, enfans, dans une promiscuité révoltante; elle ajoutait la plus hideuse débauche à toutes les souffrances du corps et de l’âme; une foule de malheureux n’y échappaient que par la mort.

Malgré la terreur dont une pareille répression aurait dû frapper les malfaiteurs, leur nombre se multipliait tellement que, si le but du châtiment eût été de faire le moins de bien et le plus de mal possible à la population criminelle et à la société, on n’aurait rien pu imaginer de plus sûr pour satisfaire à cette double intention. Vainement Olivier Goldsmith en Angleterre, comme Montesquieu en France et Beccaria en Italie, élevaient la voix contre de si affreux abus, et recommandaient un juste tempérament des peines; partout des âmes effarouchées, suivant une expression empruntée à l’Esprit des Lois, et rendues plus atroces, continuèrent à être soumises à une atrocité plus grande. Aujourd’hui, par suite d’une de ces réactions dont les exemples ne manquent pas dans l’histoire des institutions humaines, l’Angleterre est le pays du monde qui traite les criminels avec le moins de rigueur, et le régime des prisons y est tel qu’importé en France, il y serait considéré comme un scandaleux encouragement au crime.

Que s’est-il passé dans cette transition d’un extrême à l’autre, et quels en ont été jusqu’ici les résultats? Nous répondrons à cette question par quelques documens que le lecteur ne trouvera peut-être pas sans intérêt.

Un philanthrope anglais du siècle dernier, Howard, avait dévoué sa vie à la réforme du régime pénal. Il connaissait sans doute la dissertation du père Mabillon sur le régime d’emprisonnement cellulaire imaginé par saint Jean Climaque pour les couvens, et l’application de ce système faite à Rome en 1703 par le pape Clément XI à la maison de correction de Saint-Michel. Pour donner à sa parole toute l’autorité de l’expérience, il visita toutes les prisons de l’Europe. Ses observations le convainquirent que, pour réprimer et prévenir le crime, la terreur était impuissante, que le seul moyen d’y parvenir était la réformation des criminels, et enfin que cette réformation n’était possible que par l’isolement individuel. Ces idées, qu’il développa dans un ouvrage publié en 1775, peu de temps avant de succomber à une maladie dont il avait pris le germe dans les prisons de Crimée, furent adoptées par le célèbre légiste William Blackstone. Un acte du parlement prescrivit même en 1778 la pratique de cette nouvelle théorie. On en fit l’essai à Glocester: mais, comme il ne réussit pas, on n’y donna aucune suite, et les choses restèrent partout dans le même état.

Cependant une épidémie appelée la fièvre des prisons apporta bientôt un terrible argument à l’appui de ces propositions, trop légèrement abandonnées. Il arriva que ce fléau, engendré par l’encombrement, la malpropreté et la mauvaise nourriture, fit tout à coup irruption dans les cours criminelles anglaises, frappant d’une mort presque subite, et par centaines, juges, jurés, témoins et auditeurs. Ces séances mortelles sont connues dans l’histoire d’Angleterre sous le nom des assises noires. Alors on se rappela les recommandations de Howard, du moins en ce qui concernait l’état matériel des prisons : elles furent aérées et assainies, on donna aux détenus une nourriture suffisante et de bons vêtemens, on renouvela plus souvent leur couche de paille, puis on les sépara par sexe et par catégories, qu’un acte de George III porta au nombre de 11. Toutefois en 1818, sur les 510 maisons de détention du royaume-uni, il n’y en avait encore que 23 où les prisonniers fussent séparés conformément à cette loi, et dans 59 les hommes et les femmes étaient encore renfermés ensemble. Dans 445, ils étaient livrés à une oisiveté complète, et dans les 73 autres occupés à des travaux à peu près insignifians. Quant à leur moralisation, aucune mesure n’y pourvoyait, et la plupart des prisons n’avaient pas même de chapelain.

Ce furent les Américains, comme on le sait, qui firent les premiers essais sérieux du système de Howard. Ils construisirent d’abord deux prisons cellulaires soumises à deux régimes différens, l’une à Auburn, dans laquelle l’isolement était absolu, l’autre à Philadelphie, où le détenu était séparé de ses compagnons de captivité, mais fréquemment visité par les employés de la maison. En 1834, des commissaires du gouvernement anglais furent chargés d’aller étudier sur les lieux ces deux systèmes, dont, sur leur rapport, l’application fut recommandée en 1837 par lord John Russell, secrétaire d’état de l’intérieur. Bientôt après, le même ministre fit construire deux édifices cellulaires, l’un à Reading, dans le comté de Berkshire, pour l’essai du régime d’Auburn, l’autre à Pentonville, un des faubourgs de Londres, pour l’expérimentation du système de Philadelphie. Un grand nombre de suicides et de cas d’aliénation mentale démontrèrent bientôt l’impossibilité d’appliquer l’isolement absolu aux longues détentions. L’établissement de Reading ne fut plus affecté alors qu’à des dépôts provisoires ou à des emprisonnemens de courte durée. Le système de Philadelphie fut seul maintenu, et Pentonville dut devenir, en cas de succès, la prison modèle. Commencé en avril 1840, cet édifice, destiné à cinq cent soixante détenus, fut achevé en 1842. On en fit un lieu d’épreuve et de discipline préparatoire pour les condamnés à la transportation; une fois le seuil de la prison franchi, ils ne devaient plus revoir parens ni amis; une vie nouvelle commençait pour eux. Durant une captivité de dix-huit mois (c’était le plus long terme qu’on avait cru devoir assigner à l’incarcération cellulaire), des maîtres ouvriers les mettaient en état de gagner leur vie; un enseignement moral et religieux leur donnait les principes qui devaient les guider dans l’usage de leur liberté future. A la fin de leur détention, ceux qu’on jugeait suffisamment réformés étaient envoyés à la terre de Van-Diémen. Là, s’ils se conduisaient bien pendant un certain laps de temps, pourvus d’un billet de licence (tickel of leave), ils étaient provisoirement élargis avec la perspective de ressources abondantes. Si leur conduite n’offrait pas de garanties satisfaisantes, ils recevaient dans la colonie un passeport d’essai, qui ne laissait à leur disposition qu’une faible part de leurs salaires, et qui apportait diverses entraves à leur liberté. Enfin, en cas de mauvaises notes, ils étaient transportés à la péninsule de Tasman pour y être employés à des travaux publics sans aucune rémunération, comme de vils forçats, disait l’instruction ministérielle. On était donc entré pleinement dans les idées de Howard. Le caractère de la répression pénale changeait : elle devenait moralisatrice, et elle mettait en pratique ce nouveau et fécond principe, énoncé pour la première fois par l’archevêque Whately, que le condamné doit être mis à même d’abréger par son travail et par sa bonne conduite le temps de sa captivité.

La prison de Pentonville fut d’abord réservée aux adultes de dix-huit à trente-cinq ans, et depuis 1843 jusqu’à 1848 la population de cet établissement fut choisie avec soin sur toute la masse des condamnés; mais durant cette dernière année on y admit des individus qui ne se trouvaient pas dans les conditions physiques requises pour ce genre d’incarcération, et il en résulta de nombreux cas de mort et d’aliénation mentale. L’expérience démontrant la nécessité d’abréger cette épreuve pour la rendre applicable à toutes les classes de convicts, on en réduisit la durée d’abord à douze mois, puis à neuf. Malgré cette réduction, au commencement de l’année 1852, beaucoup de cas de démence se produisirent de nouveau. Depuis cette époque, en prolongeant l’exercice en plein air et en le rendant plus actif, on a réduit la proportion des cas de folie au chiffre de 1 pour 400, et encore la plupart de ces affections se guérissent-elles par le seul effet de la vie en commun.

Quand je visitai cet établissement en 1857, j’en remarquai l’excellente tenue, et je fus frappé du bien-être matériel qu’il procure à ceux qu’il renferme; il serait assurément à désirer que tous les honnêtes ouvriers fussent en tout pays assurés de la même alimentation que les habitans de Pentonville et de toutes les prisons d’Angleterre[3]. Les détenus travaillent dans leurs cellules à divers métiers, et quand ils n’en savent aucun, on leur enseigne celui qu’ils choisissent. Ils font eux-mêmes le drap dont ils sont vêtus et tout ce qui peut se fabriquer en chambre pour le service de la maison. Un bec de gaz leur permet de consacrer leurs soirées à la lecture. Ils reçoivent des leçons d’un instituteur, de fréquentes visites, et notamment celles du gouverneur. Tous les jours ils vont à la chapelle, le visage couvert d’un masque, s’y placent dans des stalles étagées sur des gradins, de manière qu’ils ne puissent se voir, et après l’instruction religieuse ils chantent en chœur avec accompagnement de l’orgue. Comme exercice hygiénique, ils font quatre milles par jour dans un cirque en marchant et en courant. Les indisciplinés eux-mêmes prennent l’air dans des préaux réservés.

Toutefois l’on n’a pas voulu s’en tenir uniquement à l’essai de Pentonville. Dans une autre prison de Londres, à Millbank, treize ou quatorze cents condamnés sont en cellule pendant la nuit, et le jour ils se réunissent dans de vastes ateliers de cordonniers et de tailleurs, où ils travaillent sous, la loi du silence. C’est un système mixte également emprunté aux États-Unis et qui ne paraît pas moins contraire aux instincts de la nature humaine que le régime de la prison de Reading. Les lèvres sont closes, mais les yeux restent ouverts; des signes muets volent à travers les salles, et toutes les punitions sont impuissantes pour empêcher un commerce continuel de mauvaises pensées.

Dans toutes les prisons dites correctionnelles, notamment dans celles de Coldbath-Fields à Londres, le temps des détenus se partage entre la gymnastique et des occupations plus ou moins productives. La gymnastique, absolument nécessaire à des gens renfermés dans des cellules, quand on ne leur procure pas, comme à Pentonville, l’exercice de la promenade, se fait au moyen d’une machine assez curieuse qu’on appelle tread-wheel ou tread-mill (marche-roue ou marche-moulin). C’est un cylindre d’environ dix pieds de diamètre fixé horizontalement et garni de marches ou palettes disposées sur sa surface comme des aubes de moulin. La machine étant immobile, quinze ou vingt hommes sont rangés debout sur une seule marche, les deux mains appuyées à une traverse placée un peu au-dessus de leur tête. Un mouvement de rotation est imprimé au cylindre, et alors les hommes sont obligés de mettre le pied sur chaque marche au moment où elle passe sous eux, piaffant comme des chevaux embourbés. Ils font ainsi quatre cent quatre-vingt-quinze pas en un quart d’heure, et comme à Goldbath-Fields on les met au tread-wheel quinze quarts d’heure par jour, le mouvement quotidien qu’ils accomplissent équivaut à une ascension perpendiculaire de plus d’un mille. Dans d’autres prisons où l’emploi de cette machine est moins fréquent, la santé des détenus s’en trouve bien; mais à Goldbath-Fields la trop longue durée de cet exercice le rend si fatigant qu’il n’est pas de moyens qu’ils n’imaginent pour se donner des maladies ou se faire des blessures qui les en exemptent. Dans ce cas, lorsqu’ils sont guéris, on introduit dans leur cellule un instrument qu’on appelle crank. C’est un tambour de fer à moitié plein de sable et muni d’une manivelle au moyen de laquelle on fait mouvoir une roue à godets tournant dans l’intérieur, de manière que chaque godet se remplit en traversant la couche de sable et se vide en complétant son évolution. Le prisonnier doit imprimer à cette roue dix mille tours dans la journée. Il n’en est pas qui, au bout de quelques heures de cet exercice qui remplit la cellule de bruit et de poussière, ne demande à être ramené au tread-mill. Le crank, en usage dans toutes les prisons anglaises il y a peu d’années encore, en a été écarté par suite de deux cas de mort attribués à l’excessive rigueur d’un gouverneur de la prison de Birmingham, et qui sont devenus le sujet d’un roman populaire. Il y a encore une autre occupation du même genre pour les hommes qui n’ont pas atteint l’âge de quarante-cinq ans : c’est le shot-drill, la manœuvre du boulet, qui consiste à transporter des boulets d’une place à une autre, par des mouvemens simultanés, pendant cinq quarts d’heure.

Toute cette fatigue ingénieusement inutile humilie le condamné, augmente son dégoût pour le travail, et irrite sa haine contre une société qui lui semble ne le châtier que par vengeance. Un luxe de précautions et de contraintes toujours déjouées ne fait qu’exalter ces sentimens. Le masque qui couvre les visages pendant ces divers mouvemens n’empêche pas plus que la règle du silence les prisonniers de se connaître, de s’apprendre l’époque de leur libération et de convenir de leur réunion à l’expiration de leur peine. Il y aurait cependant un bon parti à tirer du tread-wheel. On pourrait l’employer comme moteur d’une machine productive et donner au condamné une part de la valeur des produits, ainsi que cela se pratique déjà dans la prison de Worcester, où cette roue est employée à moudre du blé.

Tel est dans ses principaux détails le régime des prisons en Angleterre. On voit qu’on n’y a rien épargné de ce qui, dans la pensée des directeurs de ce service, pouvait amener le coupable à résipiscence ; mais, comme je l’ai dit, plusieurs de ces mesures vont précisément contre le but, et, par une inconséquence qui ne semble avoir d’autres causes que des nécessités pécuniaires, tout ce que ces établissemens ont pu inculquer de bons principes aux convicts vient se perdre dans la mesure générale qui, après leur temps de captivité cellulaire ou silencieuse, les rapproche les uns des autres dans les chantiers de Portland, de Portsmouth et de Dartmouth. Cette dernière période de leur détention, en les livrant à une contagion continuelle et à peu près sans obstacles, les rejette presque tous dans leur première corruption. Ceux même qui sont transportés en sortant de leur cellule se dépravent de nouveau pendant une traversée de long cours, de sorte que, malgré toutes les améliorations du régime pénitentiaire depuis 1843, les condamnés n’ont pas apporté de meilleures dispositions morales aux lieux de transportation. Tant que les diverses possessions anglaises qui les recevaient depuis le règne de Jacques Ier, avaient eu un besoin urgent de leurs bras, elles s’étaient résignées aux terribles inconvéniens de leur contact; mais le moment devait venir où, le travail des convicts cessant d’être nécessaire, leur présence ne pouvait plus être qu’un fléau sans compensation. Dès lors, sous l’impression de la terreur répandue par le pillage et le meurtre, les colonies réclamèrent contre une servitude désastreuse qu’en bonne justice on ne pouvait leur imposer; elles la rejetèrent même par une déclaration péremptoire, et en 1853 il n’y avait plus que l’Australie septentrionale qui consentît encore à ouvrir ses ports à cette immigration dangereuse.

Dans cette situation, il fallut, sinon abolir la transportation, du moins y suppléer en grande partie par une autre peine, la servitude pénale, qui diminua la durée de la captivité, mais qui ne laissa plus au convict la faculté de l’abréger par sa bonne conduite. En même temps, les prisons de la métropole ne pouvant plus contenir tout ce que les cours criminelles leur envoyaient, on fut obligé d’accorder des tickets of leave à un grand nombre de condamnés à la transportation, et rien moins que préparés à l’usage de la liberté. Il en résulta que l’Angleterre, outre tous les crimes dont elle était déjà infestée, devint encore le théâtre de tous ceux qui se commettaient précédemment aux colonies. Des hommes enfermés pour offense à la société lui furent rendus malgré la conviction où l’on était qu’ils renouvelleraient leurs outrages contre elle. Ces élargissemens intempestifs se multiplièrent d’autant plus que la réaction contre les lois de sang dont nous avons parlé était plus complète. En effet, par l’acte de 1853, qui institue la servitude pénale, le vol, quelle que soit la valeur de l’objet volé, ne peut être puni de plus de deux années de travaux forcés, et le voleur récidiviste, quel que soit le nombre de ses condamnations précédentes, ne peut encourir que dix ans de servitude. Des malfaiteurs furent donc continuellement libérés, même indépendamment de la faveur du ticket of leave, après une détention trop courte pour pouvoir être salutaire. Ainsi qu’on devait s’y attendre, le crime déborda dans toutes les parties du royaume-uni et surtout à Londres. Le public s’alarma sérieusement, et un tolle général s’éleva contre le système des libérations provisoires, sur le compte duquel on mettait assez inconsidérément toutes les attaques contre les personnes et contre les propriétés. On accusa la théorie du châtiment réformatoire des mêmes sophismes et des mêmes exagérations que le système utilitaire de Bentham. Qui peut savoir, disait-on, si un condamné a pris ou non la résolution de remplir désormais ses devoirs envers l’homme et envers Dieu, s’il a ou n’a pas surmonté tous les obstacles qui peuvent l’empêcher d’exécuter ses bonnes résolutions? dans la plupart des cas, le plus coupable sera le moins puni. Les plus endurcis ne sont nullement ceux qui le paraissent, et au contraire ce sont eux qui montrent le plus de soumission à la discipline de la prison. Il n’y a qu’une chose à faire, c’est de revenir à une pénalité plus rigoureuse.

Au milieu de ces récriminations universelles, une voix s’élevait pour défendre le nouveau système. La théorie du châtiment réformatoire, disait M. Hill, le recorder de Birmingham, est excellente; mais nous l’appliquons sans les précautions qu’elle exige. Les prisonniers libérés provisoirement ou définitivement doivent être préparés à la liberté, et ni le régime, ni le personnel de nos prisons ne sont encore ce qu’ils doivent être pour assurer, autant que possible, la réformation des coupables. Il faut ouvrir un compte à chaque détenu, pour le créditer de la valeur réelle ou fictive de son travail. La quantité et la qualité de son ouvrage doivent avancer ou retarder l’époque de sa libération. Des espérances lointaines, fût-ce même la perspective de la liberté, n’agiraient pas suffisamment sur lui sans l’espoir de quelque avantage immédiat. Il doit donc avoir la faculté d’affecter une part de ses bénéfices à l’amélioration de sa nourriture. Ce sera un moyen de lui faire contracter des habitudes laborieuses. Quoique le travail doive lui procurer une existence honnête, il ne le protégera pas assez contre les tentations, si on ne lui apprend à maîtriser ses passions et à se gouverner soi-même. Il faut donc que tout prélèvement fait pour sa bouche sur le fonds créé par son travail retarde, aussi bien que la paresse, l’heure de son élargissement. Par là, il apprendra l’économie. Enfin il y a tout un système d’éducation et d’épreuves à fonder pour faire de l’homme qui s’est mis en état de révolte contre les lois un membre honnête de la société. Ce n’est pas tout. La liberté provisoire du condamné ne requiert pas moins de surveillance que son état de détention, et dès que ses relations et ses habitudes sont de nature à faire douter de la sincérité de son amendement, il faut l’écrouer de nouveau et jusqu’à l’expiration de sa peine. Alors même qu’il est définitivement élargi, il doit être passible d’un emprisonnement préventif, si sa conduite est suspecte et s’il ne justifie pas de moyens légitimes d’existence. C’est une disposition nouvelle à introduire dans la législation. D’un autre côté, les sociétés de patronage doivent procurer de l’ouvrage à tous les hommes libérés et résolus à vivre honnêtement. Quant à la possibilité de réformer la plus grande partie des condamnés, elle est, ajoutait l’honorable recorder, démontrée par des faits irrécusables. De 1843 à 1845, 298 détenus sont sortis de la prison de Munich après un emprisonnement de une à vingt années; 246 ont tenu jusqu’à ce jour une conduite irréprochable, sur lesquels 189 avaient été condamnés pour meurtres, homicides et vols qualifiés. Comment ce résultat a-t-il été obtenu? Par le régime le plus doux, celui du travail en commun et en silence. Tous ces prisonniers, traités d’abord comme des bêtes féroces, chargés de chaînes, accablés de coups, entourés de gardes et de chiens énormes, ont été humanisés par un nouveau gouverneur, M. Le conseiller d’état Obermaier, qui avait déjà dirigé avec le même succès la prison de Kaiserslautern. M. Obermaier s’appuie sur la conviction que les plus grands criminels conservent le germe de quelque bonne qualité, et qu’une discipline inspirée plutôt par la pitié que par la rigueur, en s’adressant aux nobles tendances de la nature humaine plutôt qu’à ses instincts brutaux, doit éveiller en eux un nouveau sentiment, le respect de soi-même, et développer graduellement leur moralité.

Le colonel don Manuel Montesinos, gouverneur de la prison de Valence pendant vingt ans, a obtenu des résultats encore plus remarquables par un régime encore plus indulgent. Il avait fait de la prison une cité ouvrière où quinze cents détenus, travaillant par groupes, dans divers ateliers, à quarante métiers différens, confectionnaient les meubles les plus élégans et les plus riches étoffes, dont le prix était partagé entre eux et l’état, pourvoyaient à toutes les dépenses de la maison, et gagnaient chacun environ 450 francs par an. Les prisonniers de Valence pouvaient, comme ceux de Munich, abréger d’un tiers, par leur bonne conduite, le temps de leur captivité. Ils recevaient l’enseignement primaire et disposaient d’une bibliothèque choisie. Ils avaient un jardin, des orangers, une faisanderie. A peine étaient-ils gardés; sans chaînes et sans verroux, ils ne semblaient retenus que par le sentiment de l’obéissance, et, ce qu’il y a de plus remarquable, une fois sortis de prison, sauf très peu d’exceptions, ils n’y rentraient plus. La proportion des récidives n’était que de 2 pour 100 au lieu de 35, chiffre approximatif donné par les statistiques d’Angleterre et de France. Cependant on pensa que tant de bien-être accordé à des condamnés était d’un dangereux exemple, et que la concurrence de leur travail compromettait les intérêts des ouvriers honnêtes. Des mesures de rigueur furent introduites dans le régime de la prison de Valence : on priva les détenus de la part qu’ils recevaient sur le produit de leur travail, on leur ôta la possibilité d’abréger par leur bonne conduite la durée de leur peine. Dès ce moment, ils ne travaillèrent plus qu’avec mollesse et dégoût; les infractions à la discipline se multiplièrent, et le nombre des récidives augmenta dans une rapide proportion.

Après des expériences aussi concluantes, il faut bien reconnaître avec M. Hill que les bons traitemens ont plus d’empire sur l’âme des criminels qu’une discipline rigoureuse. Est-ce à dire qu’il faille supprimer dans les maisons de correction toute apparence de châtiment, et traiter les condamnés comme d’honnêtes gens qui se rassembleraient par goût dans une espèce de phalanstère? Nous sommes loin de le penser. Les succès obtenus à Munich et à Valence sont dus aux facultés tout à fait exceptionnelles de MM. Obermaier et Montesinos. Il y a des hommes nés pour le gouvernement moral, doués d’une puissance de persuasion irrésistible, qui domptent par leur ascendant ce qu’il y a de pire dans la nature humaine, comme il en est d’autres dont le regard fascine, dont la voix et le geste maîtrisent les animaux les plus terribles. Ce sont là des exceptions, et l’on échouerait presque toujours en confiant des essais du même genre à des gouverneurs qui ne se recommanderaient point par ces facultés spéciales. En second lieu, il y aurait une injustice profonde à former aux industries les plus lucratives des meurtriers et des voleurs, tandis que tant de braves gens ont bien de la peine à apprendre un métier qui leur procure les premières nécessités de la vie. Les résultats de Munich et de Valence sont de précieux documens acquis à la cause de la réformabilité, mais il ne faut pas compter sur les mêmes procédés pour obtenir des succès semblables.

D’autres moyens existent-ils donc? Peut-on voir autre chose qu’une généreuse illusion dans les systèmes pénitentiaires? Est-ce une science rationnelle, fondée sur des principes sérieux, que celle qui se propose de ramener au sentiment de l’honneur des êtres dépravés par l’habitude du vice et du crime? Que les idées soient innées dans l’homme ou que l’éducation seule éclaire sa conscience, il est certain que chez la plupart des malfaiteurs ce flambeau intérieur s’est éteint de bonne heure au souffle impur des passions. Cependant, quelque oblitérée qu’elle puisse être, la notion du bien et du mal ne se perd jamais complètement, et ce rayon de l’âme disparaît plus rarement que celui de l’intelligence. Je visitais, il y a quelques années, l’hôpital des aliénés d’Auxerre, dirigé par un jeune médecin plein de savoir et de dévouement, M. de Cayeux. « Jamais, me disait-il, les ressorts de l’entendement ne sont complètement brisés. L’homme ne perd que la puissance de les diriger, et encore même n’est-ce pas précisément le ressort de cette puissance qui lui fait défaut, mais plutôt la relation qui doit exister entre elle et les facultés intellectuelles. En un mot, l’aliénation mentale résulte non pas de la perte, mais de la désorganisation des facultés. Toute la cure consiste à rétablir dans leurs relations normales, dans leur engrenage, si l’on peut appliquer ce mot au mécanisme de l’esprit, des rouages accidentellement disjoints, mais toujours subsistans. C’est en lui rendant, par une continuelle gymnastique de l’intelligence, l’usage de sa volonté, que je parviens souvent à guérir le malade, et toujours à le préserver de ces accès de fureur qu’on ne savait pas prévenir autrefois. En obéissant à ma pensée, il finit par rentrer dans l’usage de la sienne. Le grand point est de ne jamais le laisser livré à lui-même. » Et en effet le docteur me montrait tous ses malades écrivant sous la dictée, apprenant à lire, récitant leurs leçons, ou occupés à des travaux de terrassement et de jardinage.

S’il y a beaucoup de différence, il y a aussi beaucoup de rapport entre l’insanité intellectuelle et l’insanité morale, entre la folie et l’habitude du crime. Dans l’un et l’autre cas, les remèdes violens irritent et aggravent le mal: dans l’un comme dans l’autre, c’est la faculté de vouloir, de mettre la volonté à exécution, qui est affectée. Sans parler de la monomanie du crime, il est constaté qu’un grand nombre de récidivistes avaient formé les meilleures résolutions, et que c’est l’énergie seule qui leur a manqué pour y rester fidèles. L’hypocrisie sans doute n’est pas rare dans cette malheureuse catégorie, mais on y trouve aussi beaucoup de repentirs sincères et même beaucoup de véritables conversions religieuses. Tel condamné que vous voyez à genoux, priant avec ferveur, une fois élargi, pourra sans doute retomber dans ses premiers erremens. Est-il certain qu’il ait voulu vous tromper par l’apparence de la piété? Non. Le plus souvent il se trompe lui-même en se croyant réformé, ou plutôt il l’est réellement au moment où il croit l’être; malheureusement, rendu à la liberté, il n’a plus la force de résister longtemps aux tentations contre lesquelles il n’a été exercé ni dans son état de captivité, ni lorsqu’il disposait de lui-même. Cette impuissance, après tout, est-elle particulière à la population criminelle, et ne la retrouve-t-on pas au fond même de la nature humaine? « Je fais le mal que je ne veux pas, dit l’apôtre, et je ne fais pas le bien que je veux. » Il paraît donc rationnel de chercher la réforme du coupable dans des procédés analogues à ceux qui guérissent les fous, c’est-à-dire dans une continuelle gymnastique des facultés morales, dans des épreuves sans cesse renouvelées, qui lui rendent la force initiale qu’il a perdue, ou qui lui donnent celle qui n’a jamais été en lui.

Un argument bien puissant, celui des faits, vient à l’appui de ces considérations psychologiques. Le président des directeurs des prisons irlandaises, M. Le capitaine Crofton, avait été frappé de ce qu’il y avait de juste et de fécond dans les idées que M. Hill exposait tous les ans au grand jury de Birmingham. Au mois de novembre 1855, il proposa au gouvernement des mesures qui devaient être l’application complète de ce nouveau système. « La réformabilité du plus grand nombre des criminels, disait-il dans son mémoire, a été admise en 1850, après une laborieuse investigation par un comité spécial de la chambre des communes, et son opinion a été corroborée par beaucoup de faits et de chiffres. L’objet reconnu de tout régime pénitentiaire est de combiner les moyens d’intimidation et de réforme. Le système actuel commence par l’intimidation et finit par une période de discipline réformatoire. Instituons un stage intermédiaire qui réunisse les caractères des deux autres, mais dans lequel domine l’élément réformatoire, comme l’élément afflictif domine dans le premier. La grande difficulté, ajoutait le capitaine, contre laquelle ont à lutter les prisonniers élargis, est le manque de travail. Tant que cette difficulté existera, la population criminelle, réformée ou non, demeurera une partie distincte de la communauté; la première chose à faire est donc de remédier à cette séparation. Nous avons demandé à la communauté de recevoir et d’employer la partie réformée de nos convicts, en présentant pour garantie de leur repentir leur conduite exemplaire en prison. Or le public ne considère pas comme une preuve suffisante d’amendement un certificat obtenu loin des tentations auxquelles les libérés sont exposés dans le monde. On ne reconnaît donc aucune valeur à ce témoignage, et en refusant d’employer ces criminels, on repousse ceux qui sont réellement corrigés aussi bien que ceux qui ne le sont pas. Le stage proposé du traitement réformatoire placera le prisonnier dans un milieu où il pourra être assailli par les tentations, et où le public aura l’occasion de juger de sa transformation morale, de ses habitudes laborieuses et de son aptitude au travail. Il ne faut que la complète évidence de ces faits pour rapprocher le chef d’atelier du libéré qui cherche et qui mérite de l’emploi. Ce stage d’épreuve, agissant comme un filtre entre les prisons et le public, deviendrait un moyen sûr de reconnaître les convicts véritablement corrigés, et les privilèges dont ils jouiraient exerceraient sur les autres une influence dont on ne peut trop apprécier la valeur. »

D’après ces principes, le capitaine Crofton présenta un plan fondé sur ce qu’il appelle l’individualisation, c’est-à-dire l’emprisonnement et le traitement séparé de chaque individu. Il conseilla de recourir à une détention relativement équivalente à la durée de la transportation encourue. Par exemple, un homme condamné à dix ans de transportation devait être, dans le cas de bonne conduite, admis à un-stage intermédiaire de quatre ans. Après quatre mois passés dans ce stage, il pouvait recevoir une offre d’emploi, et, si sa conduite était sans reproche, obtenir plus tard un élargissement conditionnel et toujours révocable jusqu’au terme de la condamnation primitive à dix ans. Cependant, si le convict ne pouvait obtenir du travail dans ces quatre ans, ni dans les six ans regardés par l’acte de 1853 comme équivalens à dix années de transportation, il avait droit à un élargissement définitif. M. Crofton recommandait aussi d’élever dans ce stage intermédiaire le chiffre des salaires, afin qu’il égalât autant que possible la valeur de l’ouvrage exécuté. La libre disposition laissée à chaque convict d’une partie de cette somme devait être une épreuve de sa moralité. Il entrait enfin dans les vues du capitaine de prendre pour gardiens des maîtres ouvriers, et des lectures faites chaque soir, après le travail, devaient préparer les convicts à l’épreuve de la libération.

Ces propositions furent toutes adoptées par le gouvernement. En six semaines, le vieux matériel d’une prison mal construite (Smith-Field) fut approprié à ce nouveau système, qu’on mit dès lors à exécution. Le régime intermédiaire est maintenant expérimenté dans quatre prisons différentes. Dans chacun de ces établissemens, le nombre des prisonniers est limité à cent, afin que l’individualisation soit appliquée à chacun d’eux, qu’ils puissent être exposés à plus ou moins de tentations sans échapper à la surveillance, et que leur libre arbitre leur soit laissé, autant qu’il peut se concilier avec le maintien de l’ordre et de la discipline. De ces quatre prisons, l’une occupe à Dublin une partie des bâtimens de Smith-Field : elle est destinée aux condamnés qui exercent un métier sédentaire. Une autre est située à Lusk, village éloigné d’environ quinze milles de Dublin. Les convicts y sont employés à des travaux de drainage, de routes, de nivellemens, et à la construction d’un pénitencier de jeunes détenus. Deux autres sont aux forts Camden-Carlisle, de chaque côté de la rade de Cork, et leur personnel travaille dans les chantiers des départemens de la guerre et de la marine. En proposant leur système de réforme pénitentiaire, MM. Hill et Crofton avaient conseillé d’employer les condamnés aux fortifications, aux ports de refuge et à tous les ouvrages d’utilité publique, afin d’indemniser l’état autant que possible des dépenses qu’il s’impose pour leur réformation. On a réalisé ce projet au moyen de prisons de fer semblables aux constructions de même métal dont on faisait usage à l’armée de Crimée, pouvant se transporter partout et contenir chacune cinquante convicts avec quatre surveillans.

Voici maintenant l’ensemble du système réformatoire pratiqué en Irlande sous la direction de M. Le capitaine Walter Crofton. La peine subie par les convicts irlandais se divise en trois stages. Le premier stage se compose de deux périodes : dans la première, qui est de neuf mois, les convicts subissent un emprisonnement cellulaire; dans la seconde, dont la durée dépend de leur conduite, ils travaillent ensemble pendant le jour, et sont renfermés la nuit seulement dans des cellules séparées. Le second stage, le stage intermédiaire, comprend le temps que les convicts passent dans une des quatre prisons de Camden-Carlisle, Smith-Field et Lusk, travaillant ensemble et dormant dans des chambres communes. Dans le troisième stage, ils jouissent d’une liberté provisoire, sous le bénéfice d’un ticket of leave, toujours révocable en cas de conduite mauvaise ou même suspecte.

Premier stage. — La prison de Montjoy, à Dublin, est celle où s’accomplit la première période du premier stage. Il est remarquable que, tandis que l’administration française, après de coûteuses expériences, abandonnait l’emprisonnement cellulaire comme impraticable, l’administration anglaise en faisait la base de son système pénitentiaire. Cependant l’emprisonnement à Montjoy est loin d’être un isolement absolu; il ne sépare le condamné que de la société qu’il lui importe d’éviter, c’est-à-dire de la société des malfaiteurs, et il le met continuellement en contact avec les influences qui peuvent concourir le plus sûrement à sa moralisation. Tous les jours il reçoit la visite du directeur et celle du chapelain, tous les jours il quitte sa cellule pour aller prendre de l’exercice dans le préau, pour passer deux heures dans la classe de l’instituteur, et pour assister à l’office divin[4].

Après neuf mois de détention à Montjoy, le convict est envoyé, s’il travaille en chambre, à Philipstown, prison située dans l’intérieur des terres à quarante milles de Dublin, — s’il exerce un métier en plein air, à Spike-Island, fort de la rade de Cork. Dans l’un et l’autre établissement, il passe la nuit en cellule, et pendant le jour il fait partie d’un atelier de travailleurs. A Montjoy déjà, on lui mettait entre les mains des livres, non-seulement religieux, mais amusans et moraux à la fois. Dans la seconde période du premier stage, l’instituteur est en outre un lecteur qui choisit des sujets adaptés aux besoins, à l’intelligence et aux goûts de son auditoire. Par exemple, rien n’importe plus aux prisonniers que de savoir comment ils pourront gagner leur vie et quelles ressources l’émigration pourra leur offrir. Le lecteur est donc sûr de les intéresser vivement par des détails sur le climat, le travail, les salaires des diverses colonies vers lesquelles ils pourront se diriger. Il ne manque pas surtout de les prémunir contre les tentations et les dangers auxquels les émigrans sont partout exposés, et contre le ridicule espoir de trouver un point du globe où l’on puisse pourvoir honorablement aux besoins de l’existence sans travailler et sans maîtriser ses passions.

On a divisé en classes les prisonniers de Spike-Island et de Philipstown. En entrant dans cette seconde période du premier stage, ils appartiennent à la troisième classe, et peuvent entrer dans la suivante après des intervalles de temps gradués comme il suit : — si leur conduite à Montjoy a été exemplaire, ils passent à la seconde classe au bout de deux mois; si elle a été très bonne, au bout de trois mois; si elle a été bonne, au bout de quatre mois; si elle a été passable, au bout de six mois. Le minimum du temps nécessaire pour l’admission dans la première classe est de six mois; le maximum est indéterminé et dépend de la nature et du nombre des infractions à la discipline.

Deuxième stage. — dans la première classe du premier stage, une conduite irréprochable pendant un an, reconnue telle d’après les rapports quotidiens, élève le prisonnier au stage intermédiaire et le transfère à Lusk, à Smith-Field, ou à Camden-Carlisle, selon son aptitude aux travaux de ces établissemens. Là, rapproché nuit et jour de ses compagnons, il occupe une position transitoire entre la captivité et la liberté, habitant un lieu de résidence forcée plutôt que d’emprisonnement, employé à des travaux de diverse nature sans pouvoir se soustraire à une rigoureuse surveillance. On lui confie des commissions au dehors, et on lui trouve même de l’emploi loin de la prison, où il ne rentre que le soir. S’il résiste à toutes les tentations qui peuvent l’assaillir dans ce premier usage de la liberté, il est chargé des emplettes et du paiement des mémoires de la maison. Ces épreuves successives, qui constituent la partie essentielle de la réforme du régime pénitentiaire, n’ont pas encore donné lieu à un seul acte d’improbité. Dans ce stage, où il n’existe point de classification, mais d’où l’on est exclu pour la moindre faute, pour le plus léger indice de paresse, commence l’apprentissage pratique de la tempérance et de l’économie. Dans la seconde période du premier stage, le prisonnier gagne par son travail quelques petits salaires dont il est crédité, et on lui donne un livret qui établit, mois par mois, le montant de ce capital. On lui en remet la somme entre les mains quand il quitte le premier stage, et on y ajoute une partie du salaire plus élevé qu’il gagne dans le second, en lui laissant la faculté de dépenser 6 pence (60 centimes) par semaine. Ces livrets sont souvent l’objet d’un examen amical de la part du directeur. Le prisonnier est libre d’acheter tout ce qui lui convient, excepté des liqueurs enivrantes. Quand les 6 pence ont été régulièrement ajoutés aux économies, ce qui est le cas ordinaire, le détenu est félicité non-seulement de l’accroissement de ses ressources, mais surtout de l’empire qu’il exerce sur lui-même. A-t-il dépensé son argent pour un objet utile au moment de l’élargissement, pour quelque vêtement par exemple, c’est encore un motif de satisfaction. Dans certains cas, le directeur donne des signes de désapprobation, sans toutefois restreindre la liberté du convict dans l’emploi de son pécule. Un jour le capitaine Crofton trouva qu’un prisonnier avait depuis plusieurs mois employé les 6 pence de la semaine à acheter du tabac. Sans laisser échapper un seul mot de blâme, il lui demanda quelle habitude l’avait entraîné hors des voies de la probité. « L’ivrognerie, répondit le convict. — Ne craignez-vous pas d’y retomber quand vous aurez quitté ces lieux? — Oh non! je n’ai pas bu depuis plusieurs années, et je m’en passe à merveille. — Mais vous avez passé plusieurs années sans fumer, et quoique vous ayez d’abord beaucoup souffert de cette privation, vous avez enfin reconnu qu’elle n’affectait pas votre santé; maintenant, dès qu’il vous est permis d’acheter du tabac, vous usez de la permission. Si vous n’êtes pas capable de résister à la tentation du tabac, comment pouvez-vous être sûr de résister à celle de la boisson? » Cet entretien fit réfléchir le pauvre homme, et une inspection ultérieure de son livret montra qu’il avait graduellement diminué sa dose de narcotique jusqu’à ce qu’il y eût tout à fait renoncé.

Les études commencées à Montjoy prennent un grand développement dans le stage intermédiaire. On y apprend l’histoire, et on y continue surtout l’étude de l’émigration, dont on a fait une science. Les principes de l’économie politique y sont même enseignés, principalement ceux qui concernent les rapports de l’ouvrier et du maître. Enfin la soirée du samedi est consacrée à une conférence, d’un grand intérêt pour les détenus, dans laquelle ils se posent mutuellement les questions qui ont été traitées devant eux par l’instituteur.

Troisième stage. — Les directeurs cherchent de l’ouvrage pour les hommes qui ont subi d’une manière irréprochable toutes les épreuves du stage intermédiaire, et le nombre de demandes de la part des chefs d’atelier excède de beaucoup celui des convicts à placer. Ils passent alors dans le troisième stage, et sont pourvus d’un ticket of leave qui leur confère une liberté provisoire. Dans cette condition, ils sont tenus de se présenter deux fois par mois à la prison, s’ils sont à Dublin, et à l’inspecteur-général de la police, s’ils travaillent dans un endroit éloigné. En cas de conduite suspecte, de paresse ou d’ivrognerie, le ticket of leave leur est retiré, et, renvoyés dans la prison cellulaire, ils sont obligés de repasser par toutes les épreuves qu’ils ont déjà subies. Si au contraire leur conduite est satisfaisante, au bout de deux ans, ou même plus tôt, ils reçoivent du lord-lieutenant grâce entière, et la plupart s’embarquent pour les colonies avec l’argent qu’ils ont gagné.

Le système que nous venons d’exposer, d’après les renseignemens écrits et les explications verbales de M. Hill et du capitaine Crofton, est aussi appliqué aux femmes en Irlande, avec cette différence qu’elles ne restent que quatre mois en cellule. Elles sont surveillées par des sœurs de la Miséricorde qui se chargent d’elles à l’expiration de leur peine et qui trouvent toujours des places à leur procurer.

Telle est l’importante expérience qui s’accomplit aujourd’hui dans les prisons irlandaises depuis le mois de janvier 1856. Il résulte des rapports de M. Le capitaine Crofton qu’on peut espérer la réformation complète des trois quarts au moins des convicts soumis à ce régime. Si cette estimation reçoit la consécration du temps, ce système expérimenté à Dublin aura inauguré un progrès notable dans la répression pénale; il aura augmenté d’au moins 12 pour 100 le nombre des coupables ramenés dans les voies de l’honnêteté.

Quant aux incorrigibles, c’est-à-dire aux récidivistes, le capitaine Crofton pense avec M. Hill que la loi devrait être modifiée en ce qui les concerne, et qu’il faudrait les retenir, comme les fous dangereux, dans une captivité perpétuelle. Ce serait peut-être là le progrès le plus certain du nouveau système. Quand on y réfléchit, on ne comprend guère pourquoi les garanties du droit commun s’étendraient aux ennemis de la société, pourquoi les hommes qui se placent dans cette catégorie ne seraient point subordonnés à une législation spéciale, à des magistrats spéciaux, et privés d’une liberté incompatible avec la sécurité publique. Laisser aux malfaiteurs d’une certaine classe la possibilité de tomber une fois seulement en récidive, ne serait-ce pas faire une concession suffisante à la liberté individuelle? Le surcroît de dépenses qu’exigerait l’entretien d’un grand nombre de condamnés peut d’abord paraître un obstacle à la perpétuité de leur détention; mais les économistes anglais estiment qu’un voleur coûte beaucoup plus cher en liberté qu’en prison, et qu’il y a toujours moyen de récupérer sur le produit de son travail à peu près le montant des frais de sa captivité.

Du reste, les mesures qui concernent la population criminelle sont en Angleterre l’objet d’une préoccupation constante et de propositions de toute nature. En 1857, sous l’impression de la terreur que des crimes nombreux venaient de répandre dans la capitale, M. Mayhew, l’auteur d’un curieux ouvrage intitulé le Grand Monde de Londres, convoqua à plusieurs meetings successifs les assassins et les voleurs mis en liberté provisoire ou définitive, pour constater leur préférence relativement au séjour de la métropole ou à celui des colonies. Les débats de ces assemblées, présidées par un pair d’Angleterre, lord Carnarvon, furent parfaitement parlementaires, sauf l’interpellation d’un jeune membre qui reprocha à M. Mayhew de n’avoir imaginé ces réunions que pour y trouver la matière d’un chapitre intéressant de l’ouvrage qu’il publie par livraisons. La majorité se prononça pour l’émigration, mais quelques orateurs firent pourtant valoir les avantages du séjour de la mère patrie, et présentèrent le comfort de leur position personnelle comme un exemple du parti qu’on pouvait tirer à Londres d’un ticket of leave.

Si les récidivistes doivent être soumis à des lois exceptionnelles, les coupables qui auront expié leur crime et donné des garanties suffisantes de repentir doivent aussi pouvoir compter sur une protection spéciale, complément nécessaire d’une nouvelle législation et d’un nouveau système pénitentiaire. Cette protection est déjà un bienfait des sociétés de patronage et des asiles réformatoires établis dans toutes les parties de l’Angleterre. Quelques-unes de ces institutions ont même assuré aux malfaiteurs libérés un bien-être dont s’est alarmée la conscience publique. Il y a dans cette voie, comme dans toutes les œuvres de bienfaisance, une certaine limite que le zèle ne doit pas dépasser, et dans laquelle le bon sens et l’expérience ramèneront nécessairement les philanthropes anglais.

J’ai essayé de faire connaître les efforts d’une grande nation pour prévenir par des institutions charitables ou pour combattre par des établissemens pénitentiaires la dépravation de ses membres les plus déshérités. Dans un siècle où il a été donné à l’homme de maîtriser si puissamment les forces brutes de la nature, lui sera-t-il aussi permis de dompter des élémens plus rebelles, les passions des cœurs pervertis? Le temps seul pourra nous l’apprendre; mais de grandes espérances s’attachent aux résultats que j’ai signalés, et, dussent-elles ne pas se réaliser complètement, ceux qui les justifient par une volonté si énergique méritent d’autant mieux de la cause du progrès, qu’ils sont aux prises avec de plus graves difficultés.


L. Davésiès de Pontès.
  1. Ces 166 institutions comprennent les nombres suivans de classes et d’élèves : ¬¬¬
    128 classes du dimanche comptant 16,937 élèves.
    98 » quotidiennes » 13,057 »
    117 » du soir » 8,085 »
    84 écoles industrielles » 3,224 »

    plus les classes des 16 refuges, où environ 500 enfans sont nourris, habillés et logés; en tout 41,803 élèves.

  2. Voyez la Revue du 1er octobre et du 1er novembre 1843.
  3. Tous les jours quatre onces de viande, vingt onces de pain blanc, une livre de pommes de terre, trois parts d’un pain de chocolat; ordinaire varié dans les mêmes proportions.
  4. Chaque détenu occupait d’abord dans la chapelle une stalle séparée, comme en Angleterre; mais dans ces obstacles matériels ou a reconnu des stimulans qui portaient sans cesse le prisonnier à les éluder, et on a obtenu de lui plus de recueillement depuis la suppression des stalles.