Les Règles de la méthode sociologique

Préface de la première édition v
Préface de la deuxième édition ix

INTRODUCTION (p. 1 à 3).

État rudimentaire de la méthodologie dans les sciences sociales. Objet de l’ouvrage.


CHAPITRE I (p. 5 à 19).

Qu’est-ce qu’un fait social ?

Le fait social ne peut se définir par sa généralité à l’intérieur de la société. Caractères distinctifs du fait social : 1o son extériorité par rapport aux consciences individuelles ; 2o l’action coercitive qu’il exerce ou est susceptible d’exercer sur ces mêmes consciences. Application de cette définition aux pratiques constituées et aux courants sociaux. Vérification de cette définition.

Autre manière de caractériser le fait social : l’état d’indépendance où il se trouve par rapport à ses manifestations individuelles. Application de cette caractéristique aux pratiques constituées et aux courants sociaux. Le fait social se généralise parce qu’il est social, loin qu’il soit social parce qu’il est général. Comment cette seconde définition rentre dans la première.

Comment les faits de morphologie sociale rentrent dans cette même définition. Formule générale du fait social.


CHAPITRE II (p. 20 à 58).

Règles relatives à l’observation des faits sociaux

Règle fondamentale : Traiter les faits sociaux comme des choses.

— Phase idéologique que traversent toutes les sciences et au cours de laquelle elles élaborent des notions vulgaires etpratiques, au lieu de décrire et d’expliquer des choses. Pourquoi cette phase devait se prolonger en sociologie plus encore que dans les autres sciences. Faits empruntés à la sociologie de Comte, à celle de M. Spencer, à l’état actuel de la morale et de l’économie politique et montrant que ce stade n’a pas encore été dépassé.

Raisons de le dépasser : 1o Les faits sociaux doivent être traités comme des choses parce qu’ils sont les data immédiats de la science, tandis que les idées, dont ils sont censés être le développement, ne sont pas directement données. 2o Ils ont tous les caractères de la chose.

Analogies de cette réforme avec celle qui a récemment transformé la psychologie. Raisons d’espérer, dans l’avenir, un progrès rapide de la sociologie.

II. — Corollaires immédiats de la règle précédente :

1o Écarter de la science toutes les prénotions. Du point de vue mystique qui s’oppose à l’application de cette règle.

2o Manière de constituer l’objet positif de la recherche : grouper les faits d’après leurs caractères extérieurs communs. Rapports du concept ainsi formé avec le concept vulgaire. Exemples des erreurs auxquelles on s’expose en négligeant cette règle ou en l’appliquant mal : M. Spencer et sa théorie sur l’évolution du mariage ; M. Garofalo et sa définition du crime ; l’erreur commune qui refuse une morale aux sociétés inférieures. Que l’extériorité des caractères qui entrent dans ces définitions initiales ne constitue pas un obstacle aux explications scientifiques.

3o Ces caractères extérieurs doivent en outre être les plus objectifs qu’il est possible. Moyen pour y arriver : appréhender les faits sociaux par le côté ou ils se présentent isolés de leurs manifestations individuelles.


CHAPITRE III (p. 59 à 93).

règles relatives à la distinction du normal et du pathologique

Utilité théorique et pratique de cette distinction. Il faut qu’elle soit scientifiquement possible pour que la science puisse servir à la direction de la conduite.

I. — Examen des critères couramment employés : la douleur n’est pas le signe distinctif de la maladie, car elle fait partie de l’état de santé ; ni la diminution des chances de survie, car elle est produite parfois par des faits normaux (vieillesse, parturition, etc.), et elle ne résulte pas nécessairement de lamaladie ; de plus, ce critère est le plus souvent inapplicable, surtout en sociologie.

La maladie distinguée de l’état de santé comme l’anormal du normal. Le type moyen ou spécifique. Nécessité de tenir compte de Page pour déterminer si le fait est normal ou non.

Comment cette définition du pathologique coïncide en général avec le concept courant de la maladie : l’anormal est l’accidentel ; pourquoi l’anormal, en général, constitue l’être en état d’infériorité.

II. — Utilité qu’il y a à vérifier les résultats de la méthode précédente en cherchant les causes de la normalité du fait, c’est-à-dire de sa généralité. Nécessité qu’il y a de procéder à cette vérification quand il s’agit de faits se rapportant à des sociétés qui n’ont pas achevé leur histoire. Pourquoi ce second critère ne peut être employé qu’à titre complémentaire et en second lieu.

Énoncé des règles.

III. — Application de ces règles à quelques cas, notamment à la question du crime. Pourquoi l’existence d’une criminalité est un phénomène normal. Exemples des erreurs dans lesquelles on tombe quand on ne suit pas ces règles. La science même devient impossible.


CHAPITRE IV (p. 94 à 109).

règles relatives à la constitution des types sociaux

La distinction du normal et de l’anormal implique la constitution d’espèces sociales. Utilité de ce concept d’espèce, intermédiaire entre la notion du genus homo et celle de sociétés particulières.

I. — Le moyen de les constituer n’est pas de procéder par monographies. Impossibilité d’aboutir par cette voie. Inutilité de la classification qui serait ainsi construite. Principe de la méthode à appliquer : distinguer les sociétés d’après leur degré de composition.

II. — Définition de la société simple : la horde. Exemples de quelques-unes des manières dont la société simple se compose avec elle-même et ses composés entre eux.

À l’intérieur des espèces ainsi constituées, distinguer des variétés, suivant que les segments composants sont coalescents ou non.

Énoncé de la règle.

III. — Comment ce qui précède démontre qu’il y a des espèces sociales. Différences dans la nature de l’espèce en biologie et en sociologie.

CHAPITRE V (p. 110 à 152).

règles relatives à l’explication des faits sociaux

I — Caractère finaliste des explications en usage. L’utilité d’un fait n’en explique pas l’existence. Dualité des deux questions, établie par les faits de survivance, par l’indépendance de l’organe et de la fonction et la diversité de services que peut rendre successivement une même institution. Nécessité de la recherche des causes efficientes des faits sociaux. Importance prépondérante de ces causes en sociologie, démontrée par la généralité des pratiques sociales, même les plus minutieuses.

La cause efficiente doit donc être déterminée indépendamment de la fonction. Pourquoi la première recherche doit précéder la seconde. Utilité de cette dernière.

II. — Caractère psychologique de la méthode d’explication généralement suivie. Cette méthode méconnaît la nature du fait social qui est irréductible aux faits purement psychiques en vertu de sa définition. Les faits sociaux ne peuvent être expliqués que par des faits sociaux.

Comment il se fait qu’il en soit ainsi, quoique la société n’ait pour matière que des consciences individuelles. Importance du fait de l’association qui donne naissance à un être nouveau et à un ordre nouveau de réalités. Solution de continuité entre la sociologie et la psychologie analogue à celle qui sépare la biologie des sciences physico-chimiques.

Si cette proposition s’applique au fait de la formation de la société.

Rapport positif des faits psychiques et des faits sociaux. Les premiers sont la matière indéterminée que le facteur social transforme : exemples. Si les sociologues leur ont attribué un rôle plus direct dans la genèse de la vie sociale, c’est qu’ils ont pris pour des faits purement psychiques des états de conscience qui ne sont que des phénomènes sociaux transformés.

Autres preuves à l’appui de la même proposition : 1o Indépendance des faits sociaux par rapport au facteur ethnique, lequel est d’ordre organico-psychique ; 2o l’évolution sociale n’est pas explicable par des causes purement psychiques.

Énoncé des règles à ce sujet. C’est parce que ces règles sont méconnues que les explications sociologiques ont un caractère trop général qui les discrédite. Nécessité d’une culture proprement sociologique.

II. — Importance primaire des faits de morphologie socialedans les explications sociologiques : le milieu interne est l’origine de tout processus social de quelque importance. Rôle particulièrement prépondérant de l’élément humain de ce milieu. Le problème sociologique consiste donc surtout à trouver les propriétés de ce milieu qui ont le plus d’action sur les phénomènes sociaux. Deux sortes de caractères répondent en particulier à cette condition : le volume de la société et la densité dynamique mesurée par le degré de coalescence des segments. Les milieux internes secondaires ; leur rapport avec le milieu général et le détail de la vie collective.

Importance de cette notion du milieu social. Si on la rejette, la sociologie ne peut plus établir de rapports de causalité, mais seulement des rapports de succession, ne comportant pas la prévision scientifique : exemples empruntés à Comte, à M. Spencer. — Importance de cette même notion pour expliquer comment la valeur utile des pratiques sociales peut varier sans dépendre d’arrangements arbitraires. Rapport de cette question avec celle des types sociaux.

Que la vie sociale ainsi conçue dépend de causes internes.

III. — Caractère général de cette conception sociologique. Pour Hobbes, le lien entre le psychique et le social est synthétique et artificiel ; pour M. Spencer et les économistes, il est naturel, mais analytique ; pour nous, il est naturel et synthétique. Comment ces deux caractères sont conciliables. Conséquences générales qui en résultent.


CHAPITRE VI (p. 153 à 171).

règles relatives à l’administration de la preuve

I. — La méthode comparative ou expérimentation indirecte est la méthode de la preuve en sociologie. Inutilité de la méthode appelée historique par Comte. Réponse aux objections de Mill relativement à l’application de la méthode comparative à la sociologie. Importance du principe : à un même effet correspond toujours une même cause.

II. — Pourquoi, des divers procédés de la méthode comparative, c’est la méthode des variations concomitantes qui est l’instrument par excellence de la recherche en sociologie ; sa supériorité : 1o en tant qu’elle atteint le lien causal par le dedans ; 2o en tant qu’elle permet l’emploi de documents plus choisis et mieux critiqués. Que la sociologie, pour être réduite à un seul procédé, ne se trouve pas vis-à-vis des autres sciences dans un état d’infériorité à cause de larichesse des variations dont dispose le sociologue. Mais nécessité de ne comparer que des séries continues et étendues de variations, et non des variations isolées.

III. — Différentes manières de composer ces séries. Cas où les termes en peuvent être empruntés à une seule société. Cas où il faut les emprunter à des sociétés différentes, mais de même espèce. Cas où il faut comparer des espèces différentes. Pourquoi ce cas est le plus général. La sociologie comparée est la sociologie même.

Précautions à prendre pour éviter certaines erreurs au cours de ces comparaisons.


CONCLUSION (p. 172).

Caractères généraux de cette méthode :

1o Son indépendance vis-à-vis de toute philosophie (indépendance qui est utile à la philosophie elle-même) et vis-à-vis des doctrines pratiques. Rapports de la sociologie avec ces doctrines. Comment elle permet de dominer les partis.

2o Son objectivité. Les faits sociaux considérés comme des choses. Comment ce principe domine toute la méthode.

3o Son caractère sociologique : les faits sociaux expliqués tout en gardant leur spécificité ; la sociologie comme science autonome. Que la conquête de cette autonomie est le progrès le plus important qui reste à faire à la sociologie.

Autorité plus grande de la sociologie ainsi pratique.