Les Quatre Vents de l’esprit/Le Livre lyrique/Lueur à l’horizon



XXII

LUEUR À L’HORIZON.


Je songe. Un clair rayon luit sur le flot sonore ;
Le phare dit : C’est l’aube, et souffle son flambeau.
Je voudrais bien savoir les choses que j’ignore
Et quelle est la blancheur qu’on voit dans le tombeau.

L’âme fuit-elle, auprès du Dieu qui la convie,
Loin de ce corps glacé qui jadis remuait ?
Quelle est cette lueur qu’au delà de la vie
On aperçoit au fond de l’infini muet ?

Aurons-nous la figure effrayante de l’ombre ?
Pourra-t-on dans la tombe encor nous appeler ?
Deviendrons-nous des voix qu’à travers ce mur sombre
On entendra parler ?



Comme les passereaux, comme les hirondelles,
L’homme ira-t-il chercher l’azur limpide et clair ?
Nous envolerons-nous et prendrons-nous des ailes ?
Passerons-nous la mort comme ils passent la mer ?

Tout parle et tout s’émeut. Le bois profond tressaille ;
Le bœuf reprend son joug et l’âme sa douleur ;
Le matin, froid et bleu derrière la broussaille,
Ferme l’œil de l’étoile, ouvre l’œil de la fleur.

La vie avec ses biens, ses amours et ses gloires,
Vaut-elle la nuée errante dans les cieux ?…
Que me voulez-vous donc, oiseaux des branches noires,
Chanteurs mystérieux ?



Je ne sais pas pourquoi je m’obstine à ces rêves.
Seigneur, le laboureur creuse le sol béant,
Le pêcheur va traînant son filet sur les grèves ;
Moi, je creuse la nuit, je traîne le néant !

Dieu, nous t’interrogeons, et mieux vaudrait nous taire.
À quoi bon nos efforts, nos doutes, nos combats ?
Pourquoi sonder l’abîme ? Attendons. Le mystère
Vit en paix côte à côte avec l’homme ici-bas.

Le marin, ce jouet du sort, du vent, de l’onde,
Qui siffle en levant l’ancre et qui va s’envoler,
Laisse gronder la mer, et l’océan qui gronde
Laisse l’homme siffler.


Jersey, 18 mars 1854.