Les Quatre Saisons (Merrill)/Retour

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 16-19).

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Cher village aux toits rouges qui fument,
Ce soir, dans la douceur de la brume,
Nous revenons à l’appel du clocher
Qui éparpille ses oiseaux légers
Dans le val au bord de cette rivière
Où jadis, à genoux, nous bûmes
L’oubli de la vieille amertume.


Pélerins de la ville étrangère,
Nous demandons l’aumône de la paix

À ton enclos dont les ombreux cyprès
Longent la route où se taisent les enfants,
À tes maisons où s’endorment les vieux
Quand les gas et les filles sont aux champs,
À tes bois où nous sûmes le mieux
Que la terre est bonne comme une mère.


Et l’heure est celle de la prière.


Nous avons cru à la promesse des villes
Comme les fous que nous fûmes. Mais les hommes
Ont ri de nos naïfs espoirs, et nous sommes
Plus sages à cause qu’ils furent vils.
Nos pas las ont assez butté
— Que de nuits et de nuits ! — aux pavés
Des sept carrefours où la Folie
Siffle à lèvres gonflées dans ses flûtes.
Mais à cette heure oublions que vous voulûtes,
Seigneur, que notre coupe fût lourde de lie.



Ici la rivière coule pour nous,
Limpide comme un rêve de vierge,
Sous les saules qui pleurent sur ses berges
Et les nénuphars qui tremblent à ses remous.
Fille des lointaines fontaines,
Elle chante en la solitude des plaines
Où l’ombre est sonore de clarines,
Le retour des troupeaux à leurs toits
Tapis sous la mousse et la chaumine.


Ô sœur, à genoux, et abreuve-toi
D’abord, puis, dans la coupe pâle de tes mains
Laisse-moi boire l’onde froide de l’oubli.


Le son des cloches va mourir dans la nuit,
Et les oiseaux soucieux de demain
Revolent sous la lune à tire d’aile
Vers le clocher, et même la rivière
Semble lente du sommeil de la terre.



Crie, ô sœur, au village fidèle
Que nous revenons, tels que nous fûmes,
Vers ses toits rouges épars dans la brume.


Ah ! l’oubli de la vieille amertume !