Les Quatre Saisons (Merrill)/La Maison aux anges

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 48-52).
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LA MAISON AUX ANGES

La maison, cette nuit, est pleine d’anges
Qui sont venus, deux à deux, par le verger
Où les grappes mûrissent pour la vendange,
Frapper à la porte dont le vantail léger
S’est ouvert à leur passage de lumière
Comme une bouche s’ouvre au baiser.


Il y en a qui, debout sous le lierre,
Gardent le seuil du signe de leurs glaives

Luisants comme des croix dans la nuit,
Et d’autres, les bras en l’air, qui sans bruit
Agitent leurs ailes de lente manière
Dans la chambre dédiée aux bons rêves ;
Puis voici les veilleurs des lits
Qui sous leurs lèvres baiseuses d’étoiles
Font fleurir les âmes comme des lys.


Et nous osons à peine dormir,
Tels des enfants à la veille de Noël
Qui attendent que Dieu se dévoile
Dans les miroirs magiques de l’avenir.


Ils chantent, les anges, la vie belle
Parmi les vergers de la paix
Où murmure le travail des abeilles ;


Et leurs mains font des gestes vermeils
Sur le seuil, la serrure et les ais
Des portes qui protègent notre sommeil.



Ils chantent l’amour pour tous,
Pour le vagabond qui saigne sur la mousse
Et le fou qui frappe dans l’impasse ;


Et leurs pieds ailés laissent leur trace
Dans la cendre encore tiède de l’âtre
Où viendra se chauffer le pauvre pâtre.


Ils chantent le secret de toutes choses,
L’âme des astres et l’âme des fleurs,
Dans les cieux violets et les jardins roses ;


Et leurs ailes doucement décloses
Tressaillent comme un souvenir d’ailleurs
Vers le Seigneur des mondes meilleurs.


Et nous osons à peine dormir,
Tels des enfants à la veille de Noël
Qui attendent que Dieu se dévoile
Dans tes miroirs magiques de l’avenir.



Mais l’heure est venue de la mort des étoiles,
Et déjà le coq rouge, dans la venelle,
Claironne aux ténèbres le réveil
Du soleil sur les cimes vermeilles.
Écoute : la brise soupire dans les treilles
Comme le souflle d’une amante qu’on veille.
Les oiseaux piaillent au nid, avec,
En s’ébouriffant, de brefs coups de bec ;
Et l’horloge d’or sonne au clocher
L’aube où les servantes tard couchées
Se lèvent en se frottant les yeux.


Retournons donc, simples enfants des cieux,
À la tâche sacrée de chaque jour,
Toi pétrisseuse du pain quotidien
Pour la faim mendiante du prochain,
Moi chanteur des paroles d’amour
Qui font éclore les fleurs bleues du Bien.


Et en puisant l’eau lustrale du puits
Dans le matin où courent les enfants,



Nous verrons, pleurant un instant
La grâce qui fut nôtre cette nuit,
S’en aller deux à deux par le verger,
Messagers de nos prières, les anges
Qui regardent avec des yeux étranges
Quelque chose qui nous est caché.


Sœur, à genoux devant la maison des anges !