Les Quatre Saisons (Merrill)/Doute

Les Quatre SaisonsSociété du Mercure de France (p. 177-179).

DOUTE

Ma Tristesse sanglote derrière les volets clos,
Au coin du feu, sous la lueur solitaire de la lampe,
Cette nuit sans lune où rien ne bouge dans l’enclos,
À moins qu’un vagabond de la ville n’y rampe.

Mais non, je suis bien seul avec mon rêve
Qui chante comme une salamandre parmi les flammes.
Dehors, le vent de tout ce jour a fait trêve
Pour courir sus à la ville où pleurent les femmes.


Mon cœur a presque peur de toute cette paix.
Pourtant il ne passera plus de mendiant sur la route,
Et nul malfaiteur n’est blotti sous la haie :
Mais malgré moi je songe aux villes qui crient déroute.

Passé le seuil de l’enclos, ce sont tous les chemins
Qui vont à l’encontre de l’aube ou à la suite de la nuit,
Vers les champs où sommeille l’espoir des lendemains
Et la ville où chaque maison de ses cent voix gémit.

Fermez toutes les fenêtres, fermez toutes les portes !
Il fait tant de silence ici que j’entends, en ma vigile,
Le cri du grillon et la marche des cohortes,
La prière des champs comme le blasphème des villes.

Ô mon Dieu, je m’agenouille au coin du feu,
Et j’ose vous demander où est mon vrai devoir :
Est-ce ici dans la joie de votre création, ô Dieu,
Ou là-bas dans la ville où le soleil est noir ?


Mon Dieu, veuillez enfin que j’aie la foi,
Malgré que je sois, vous le savez, impur et vil,
Et peut-être dans ma solitude entendrai-je votre voix
Me dire s’il faut rester aux champs ou aller vers la ville.