Les Prophètes d’Israël et leur nouvel historien

Les prophètes d’Israël et leur nouvel historien
John Darmesteter

Revue des Deux Mondes tome 104, 1891


LES
PROPHETES D'ISRAEL
ET
LEUR NOUVEL HISTORIEN

Ernest Renan, Histoire du peuple d’Israël, t. III. Paris, 1890 ; Calmann Lévy.

La Bible est, en France, un livre plus célèbre que connu, et la critique biblique y est une chose nouvelle, bien que pourtant la France ait été son premier berceau. Sans remonter jusqu’à Richard Simon, l’ingénieux oratorien qui entrevit le problème et la méthode, mais dont la tentative, étouffée par l’orthodoxie trop prévoyante de Bossuet, resta stérile pour l’avenir, c’est à un Français qu’est due la découverte initiale d’où est sortie l’exégèse moderne. En 1753, le médecin Jean Astruc, professeur au Collège de France, remarquant dans la Genèse l’emploi alternatif de deux noms différens pour Dieu, Jéhovah et Élohim, tira de là la conclusion que notre livre de la Genèse était né de la fusion de deux Genèses antérieures et indépendantes. Il substituait ainsi l’exégèse historique, qui nous apprend comment les textes se sont formés et nous permet par là d’entrevoir de plus près comment se sont formées les idées elles-mêmes, à l’exégèse théologique et édifiante, qui n’est qu’une forme de la prédication et ne suffisait plus qu’à une foi sans curiosité et sans inquiétude intellectuelle.

Astruc était un croyant avec une intelligence de savant. Il y a loin d’Astruc à Voltaire et à la Bible enfin expliquée, et pourtant, par certains côtés, ce pamphlet niais mérite une place d’honneur dans l’histoire de la critique moderne. Son bon sens profond ne pouvait jamais tout à fait abandonner Voltaire, et au travers des sottises triomphantes qu’il entassait pour en écraser la Bible et avec elle le christianisme, il trouvait, sans se douter de la découverte, la clé de l’exégèse historique. Est-ce à lui qu’en revient l’honneur, ou à son maître Bolingbroke ? Il n’en est pas moins vrai, comme l’a fait remarquer M. Renan, que Voltaire, un siècle avant Reuss et l’école allemande, avait reconnu la date exacte du premier code religieux d’Israël. Il n’est pas jusqu’à une des hypothèses les plus hardies de l’école moderne, celle qui attribue une partie du Pentateuque au prophète Jérémie, qui ne se retrouve déjà en toutes lettres dans l’Examen de Bolingbroke. Un siècle de dissertations allemandes et de discussions à n’en pas finir sur la Grundschrift et les Fragmens ont amené la science à la formule qu’avait jetée en passant le formidable bouffon, et Gavroche s’était trouvé d’un siècle en avance sur toutes les universités d’Allemagne. La science ne lui en a pas su gré, et M. Reuss, dans son résumé de l’histoire de l’exégèse, ne prononce même pas son nom. Ce n’est que justice. Son génie inintelligent avait aperçu la vérité sans la comprendre : il l’avait d’ailleurs enveloppée de tant d’ordure que nul n’aurait eu la pensée ni le cœur d’aller la ramasser où il l’avait mise, et la science se refit sans lui et contre lui.

La critique biblique, telle qu’elle s’est constituée après un travail pénible de près d’un siècle, est à peu près exclusivement l’œuvre de l’Allemagne. Elle y est sortie du travail libre des théologiens, surtout des théologiens protestans : car il n’y a guère que des théologiens protestans qui puissent se permettre l’inconséquence heureuse qui concilie la croyance au développement historique de la foi avec une foi lointaine en l’autorité de la révélation. Cette origine purement allemande, théologique, et protestante, l’a marquée de sa triple empreinte et est peut-être une des causes principales de la lenteur de ses progrès. Elle a généralement manqué de souplesse et de mesure : elle a voulu tout savoir, tout expliquer, tout préciser, arriver aux élémens primitifs de formations dix fois modifiées et dont nous n’avons que les résidus ; elle a reporté dans la synthèse, qui doit sacrifier les faits indifférens et sans force historique, les scrupules de l’analyse, qui n’a le droit de rien ignorer et de rien négliger. De là des constructions compliquées et obscures, qui ont des recoins étranges pour abriter tous les détails et peu de jour et de dégagemens pour le mouvement des faits et les courans de l’histoire. Elle s’est aussi, par scrupule théologique et protestant, embarrassée de maint souci qu’une science laïque aurait ignoré, et s’est souvent traînée dans l’ornière du rationalisme, ce compromis médiocre entre la pensée libre et la croyance à l’inspiration verbale.

Mais en retour, et en dépit ou plutôt à raison même de ces lenteurs, les savans allemands ont porté dans leur tâche une patience, un scrupule, un respect religieux, dignes d’admiration. Pas un mot du Livre qui n’ait été tourné et retourné sur toutes les faces, pas une voie qui n’ait été tentée, et ceux qui viennent après eux trouvent le terrain déblayé, tous les matériaux amassés, et le problème des origines bibliques plus près d’une solution durable que le problème des poèmes homériques. Deux hommes, dans les quarante dernières années, ont donné à la science sa forme définitive, Graf et Reuss. Bien que ces deux savans appartiennent tous deux à la tradition allemande, il y a quelque plaisir à rappeler que Graf était d’origine alsacienne et qu’Edouard Reuss, le doyen et le maître des études bibliques, est né à Strasbourg et y a professé cinquante ans durant. Élevé à l’école allemande et ayant écrit presque tous ses ouvrages en allemand, M. Reuss s’est rappelé, après la guerre, qu’il était né Français ; et quand il a voulu résumer le travail de toute sa vie et de trois générations de savans, c’est notre langue qu’il a prise pour écrire son admirable traduction de la Bible, legs touchant de l’Alsace à la France, et doublement précieux comme symbole de reconnaissance pour le passé et comme instrument de régénération scientifique pour l’avenir.

Telle qu’elle est sortie des mains de M. Reuss et de son école, il ne manquait plus à la critique biblique que de se dégager des dernières raideurs du hiératisme théologique et universitaire. Aussi est-il heureux pour elle, autant que pour la France, que la France, après un siècle d’oubli, lui revienne. La science, entrevue et tuée par Voltaire, nous est ramenée, dans un livre qui marquera dans l’évolution religieuse de la France, par l’homme qui a le plus ressemblé à Voltaire et qui en diffère le plus.

L’Histoire du peuple d’Israël est à la fois une œuvre de science et une œuvre d’action philosophique. Ici, comme dans les Origines du christianisme, et plus encore peut-être, l’œuvre de M. Renan, en dépit de la critique banale et superficielle, qui affecte de n’y voir que l’ironie d’un grand désabusé, est la grande œuvre constructive du siècle. Par sa large intelligence, ouverte à toutes les formes de la pensée et de la sympathie humaine, comme par ses origines et son éducation première, M. Renan était prédestiné à faire comprendre à la France et à la partie voltairienne de l’Europe ce qu’il y a de durablement divin dans les dieux de l’humanité. Il faut un peu de scepticisme pour bien comprendre les religions, mais il y faut aussi et autant l’imagination d’un croyant. Pour la première fois, la critique religieuse était abordée dans un esprit de liberté sympathique, dans un esprit d’intelligence et d’amour. Ce qui a fait l’impuissance scientifique de Voltaire et de tous les Français qu’il a formés, c’est qu’ils n’ont pas eu le bonheur d’avoir dans leur enfance de ces heures de foi naïve, de ces souvenirs qui, dans le progrès de la vie et le tumulte de la raison raisonnante, se raniment pour éclairer d’une lumière surnaturelle les voies obscures de l’âme ancienne, où la science, à tâtons, chemine en étrangère. Malheur au savant qui aborde les choses de Dieu sans avoir au fond de sa conscience, dans l’arrière-couche indestructible de son être, là où dort l’âme des ancêtres, un sanctuaire inconnu d’où s’élève par instans un parfum d’encens, une ligne de psaume, un cri douloureux ou triomphal qu’enfant il a jeté vers le ciel, à la suite de ses pères, et qui le remet en communion soudaine avec les prophètes d’autrefois !


I

Un des maîtres de la philosophie moderne nous disait naguère que les admirables traductions dont M. Renan a semé son livre lui avaient donné pour la première fois l’impression du génie biblique. On peut dire de même de tout l’ouvrage que c’est le premier qui fasse saisir le développement du génie d’Israël. Je n’ai point l’intention ici de résumer le livre de M. Renan : on ne résume pas Hérodote. Je voudrais seulement, si je puis mettre en lumière l’originalité maîtresse de l’œuvre, la pensée qui la traverse d’un bout à l’autre et qui en fait la nouveauté et la puissance d’attraction. La nouveauté, c’est d’avoir fait du prophétisme le centre d’intérêt de l’histoire d’Israël. La puissance d’attraction, c’est la parenté inattendue qui éclate entre le cœur des prophètes et le cœur du XXe siècle. Si cette œuvre, toute de science et qui ne recule point, à l’occasion, devant les discussions de l’exégèse la plus aride, a fasciné et frappé jusqu’à des critiques de boulevard et leur a vaguement fait sentir un instant qu’il y avait là des choses vitales et qui touchent au salut, cela ne tient ni à l’intérêt historique du sujet, ni même au génie de l’écrivain : cela tient au coup de baguette divinatoire par lequel l’historien magicien a fait du vieux texte lapidaire jaillir à flots toute l’âme moderne.

Le grand changement de perspective que la critique nouvelle introduit dans l’Histoire sainte, c’est qu’elle met au centre de cette histoire, non plus Moïse sur le Sinaï, mais le chœur des prophètes, c’est-à-dire des hommes qui ont parlé à Israël durant les deux derniers siècles de la royauté juive et durant la captivité de Babylone, soit de l’an 800 à l’an 536 avant le Christ. Les prophètes, qui, selon la conception traditionnelle, viennent, aux heures de défaillance, rappeler à Israël les vérités oubliées, sont en réalité les créateurs de ces vérités, et le prophétisme, au lieu d’être la fleur du judaïsme, en est la racine même.

Le prophétisme n’est pas un phénomène particulier à Israël : tous les peuples anciens ont eu des prophètes, c’est-à-dire des hommes qui ont parlé au nom de Dieu ou des puissances surnaturelles. Le prophète est autre chose que le prêtre, personnage sans grande originalité, ministre d’un rituel établi dont la puissance agit d’elle-même, sans que la personne du prêtre y soit pour rien. Le prophète est l’homme possédé de Dieu et par qui la volonté de Dieu se révèle aux hommes. Mais chez les autres peuples, et en Israël même, dans les périodes anciennes, le prophète, — voyant, divin, sorcier, hypnotiseur, — oscille entre le charlatan, le fol et l’inspiré. Ce qui fait une chose unique du prophétisme juif, c’est qu’il a été l’arme toute-puissante, non de charlatans et de fous, mais d’inspirés en qui la raison et la conscience de l’humanité moderne ont trouvé leur première expression victorieuse et durable. L’œuvre de ces prophètes nous est restée dans une centaine de pages de la Bible et dans trois religions.

L’instrument matériel de la victoire du prophétisme a été Jéhovah, le Dieu national des Juifs. Il est possible que le mouvement prophétique ait commencé avant la constitution définitive de Jéhovah, mais c’est par lui qu’il a vaincu, et, pour comprendre l’évolution du prophétisme, il importe de suivre d’abord la formation du Dieu. Nous devons l’esquisser rapidement, d’abord d’après la Bible, puis d’après l’histoire.

D’après la Bible, Jéhovah, après s’être révélé aux patriarches, a choisi définitivement pour son peuple la descendance de Jacob : c’est à ce peuple qu’il fera connaître sa loi et par lui qu’il la fera connaître au monde. Il le délivre d’Egypte par.la main de Moïse, et sur le Sinaï lui révèle et lui propose sa loi. Israël accepte cette loi, entre en alliance avec Jéhovah, devient son peuple. S’il observe le pacte d’alliance et suit la loi de Jéhovah, Jéhovah le protège et le fait prospérer ; s’il y manque, le livre à ses ennemis.

Israël conquiert la terre que Jéhovah a promise à ses ancêtres. Mais il oublie son serment, se livre aux idolâtries de Chanaan, et Jéhovah l’abandonne à ses oppresseurs. Son cri de détresse et de repentir monte vers Jéhovah, qui envoie des juges pour le sauver. La royauté s’établit sous les auspices de Jéhovah, mais elle ne reste qu’avec David dans les voies du Seigneur. L’unité nationale se brise sous le second successeur du roi-psalmiste. Le royaume de Juda, qui reste fidèle jusqu’au bout à la race de David, et le royaume d’Israël, que déchirent les révolutions militaires, sont l’un et l’autre infidèles à Jéhovah, Israël d’une infidélité continue, Juda avec des retours. Les prophètes que Jéhovah envoie à Israël, Élie, Elisée, Mika, Amos, Osée, lui annoncent en vain le châtiment imminent, jusqu’au jour où l’Assyrie vient accomplir sur Samarie les menaces du Seigneur.

Juda survit à son frère un siècle et demi. Sous la prédication enflammée des prophètes, le retour de Juda à Jéhovah s’accentue. Mais ni la piété d’Ézéchias, ni celle de Josias ne peuvent expier les sacrilèges de ceux qui ont précédé et de ceux qui suivent. Jérusalem est condamnée à son tour, Juda s’en va en exil à Babylone. Mais l’épreuve a épuré les proscrits. Jéhovah leur rendra la liberté, la gloire, l’empire moral de l’humanité : un rejeton de David fera régner dans l’univers la justice et le nom du dieu d’Israël. Déjà Babylone succombe, Cyrus rouvre la terre promise aux exilés, et déjà, sous Zorobabel, Esdras et Néhémie, elle est rendue au seul culte de Jéhovah et à la seule loi de Moïse.

On verra tout au long, dans l’Histoire d’Israël de M. Renan, comment la méthode scientifique, appliquée à cette histoire, en fait éclater le cadre, d’une simplicité enfantine ou divine, et retrouve, par-dessous, l’infinie complexité des choses humaines ; comment, à la merveille de cette révélation uniforme et continue, présente de tout temps, et qui est complète dès le premier jour, puisqu’elle est descendue du ciel, elle substitue l’histoire, non moins merveilleuse, d’une révélation progressive sortie du cœur de l’homme, sortie des méditations ardentes de quelques voyans, lentement couvée, transformée, agrandie à la taille de l’humanité, et comment Israël, au lieu d’être l’élu de Dieu, a fait Dieu même à la sueur de son front.

Israël, une fois en possession d’une doctrine qu’il a crue révélée d’en haut, et qui, par suite, se présentait à lui avec le caractère de l’éternité, a reporté sa conquête récente dans les limites les plus lointaines de son passé et « a refait son histoire à coups d’idéal. » De là ces révélations successives de Jéhovah aux ancêtres légendaires de la race, à Noé, Abraham, Jacob ; de là la révélation du Sinaï et la figure colossale de Moïse, transformé de chef d’exode en législateur ; de là tout ce drame de l’histoire nationale qui devient l’histoire d’une lutte continue de Dieu contre l’homme, où Dieu triomphe enfin pour sauver.

Tout cela n’est qu’une fiction grandiose. Les textes historiques, considérés en eux-mêmes et débarrassés de la glose édifiante que la doctrine, une fois triomphante, y a attachée, pour montrer en action, dans la marche du monde, l’accomplissement de la parole divine, nous font voir, clair comme le jour, que tous ces héros de la préhistoire, que ces patriarches, premier symbole de la sainteté juive ; que Moïse, le législateur suprême, l’homme de Dieu ; que les juges libérateurs, envoyés par la pitié divine au secours d’un peuple repentant ; que David même, le prototype du Messie, ont ignoré, avec une sécurité sans pareille, la plupart des principes qui sont le cœur du judaïsme organisé. C’est l’époque des Téraphins, que Rachel emporte pieusement avec elle de la maison de son père ; c’est l’époque où Gédéon, envoyé de Jéhovah pour sauver son peuple, après la victoire, se fait des rentes en érigeant un éphod que l’on vient adorer de tous les coins d’Israël ; c’est l’époque où les tribus, en aventures de conquête, se disputent pour mieux vaincre les idoles les mieux cotées. C’est l’époque où les anges se promènent dans les rues et les campagnes ; où Jéhovah vient dîner avec Abraham, comme un simple Jupiter descendant chez Philémon ; où chaque pierre levée a sa théophanie, chaque vieux chêne et chaque térébinthe son souvenir divin, où les deux mondes sont encore aussi mêlés qu’au temps d’Homère et où la race des Élohim se mêle encore aux filles des hommes. C’est l’époque d’idolâtrie et d’inconscience religieuse dont le Livre des juges nous a laissé le tableau admirablement naïf, époque d’anarchie religieuse autant que politique, où il n’y avait de maître sérieux ni dans le ciel ni sur la terre, où il n’y avait de règle reconnue ni pour les âmes ni pour les hommes, et où le mot est doublement vrai : « En ce temps-là il n’y avait pas de roi, et chacun faisait ce qui était bon à ses yeux. »

Cependant, déjà dans cette époque d’idolâtrie, Jéhovah était né : l’onomastique de l’époque des juges prouve qu’il était là. C’était déjà une figure distincte, c’était un dieu national, ou, plus exactement, un dieu de tribu, le dieu des enfans d’Israël. Ce n’était encore qu’une figure, entre beaucoup d’autres, dans la foule des Élohim, de ceux qu’Israël tenait des plus anciennes traditions de la race sémitique et de ceux qu’il avait depuis recueillis et qu’il recueillait encore tous les jours de la main des peuples où le jetait le hasard de sa destinée. On a émis l’hypothèse qu’Israël, venu du pays de Chaldée, avait emporté de là Jéhovah dans le bagage de mythes et d’idées qu’il devrait à la plus vieille civilisation de Babylone. Était-ce, comme d’autres le veulent, le dieu particulier de Moïse et des lévites ? Ou bien Moïse l’aurait-il appris de son beau-père Jéthro, prêtre de Midian, dont il paissait les troupeaux autour du Horeb et du Sinaï. M. Renan, avec son sentiment délicat et profond des hasards décisifs, a émis en effet l’hypothèse séduisante que Jéhovah était le dieu local du Sinaï, la montagne fulgurante, et que c’est là qu’Israël, sortant d’Egypte, le rencontra. C’était le premier dieu qu’il trouvait devant lui au sortir de la maison d’esclavage, et le premier à qui il pût offrir son sacrifice de reconnaissance. « Y eut-il là, en effet, en face du Serbal, un acte religieux, une sorte de consécration du peuple au dieu de la montagne, si bien qu’à partir de ce jour le dieu du Sinaï fut le dieu spécial d’Israël ? Le chef du peuple, Mosé, profita-t-il d’un de ces orages effroyables qui sont fréquens dans le pays pour faire croire à une révélation du dieu-foudre qui résidait sur les hauteurs ? La façon dont la loi fut rattachée au Sinaï, vers le IXe siècle avant Jésus-Christ, eut-elle quelques points d’attache dans les faits réels ? Ou bien, dans les quatre ou cinq cents ans qui suivirent, cette grandiose légende grossit-elle comme la bulle de savon, d’autant plus brillante et plus colorée qu’elle est plus vide[1] ? »

M. Renan laisse la question indécise : habile en effet qui oserait la résoudre dans l’état de nos documens. Et au fond l’intérêt de la question est plutôt dans la date de la naissance que dans le procédé de la conception. Il serait sans doute curieux de savoir si c’est du caillou du Sinaï qu’est sorti l’éclair qui a transfiguré le monde. Mais la grande chose à retenir, et qui reste, c’est que Jéhovah, dieu de la nation, qu’Israël l’ait créé ou adopté, a dû naître et n’a pu naître en Israël que le jour où Israël a commencé à être quelque chose comme une nation. L’heure où il franchit la Mer-Rouge et posa le pied sur la terre libre, cette heure-là, par cela même, au plus profond de la pensée juive, un dieu nouveau était conçu ; et quand la tradition nous montre Jéhovah se révélant à Israël par la bouche de Moïse, elle fait œuvre historique : car la sortie d’Égypte, étant le premier fait national de la vie d’Israël, marque le premier battement du dieu national. Ce dieu nouveau différait peu en soi des autres dieux qu’Israël avait pu et pouvait encore rencontrer dans ses aventures religieuses : il n’était ni plus moral, ni plus doux, ni plus large ; il ne différait d’eux qu’en un point, mais un point essentiel, c’est qu’il avait sauvé Israël.

Jéhovah sommeille pendant quatre ou cinq siècles. Il était là, mais n’était point l’unique, ni en Israël, ni hors d’Israël. Il avait des prêtres, il avait une image invisible qui flottait dans une arche sainte, palladium de la tribu d’Éphraïm. Mais on ne sentait pas sa présence universelle et de tout instant, et l’on adorait d’autres Élohim encore, d’autres images ; on consultait volontiers les dieux des peuples voisins, Phéniciens, Philistins, Moabites. Mais l’anarchie des tribus, qui les livrait sans défense à leurs voisins, commençait à leur peser ; des essais d’unité se faisaient de divers côtés, la nationalité israélite commençait à se constituer. Elle s’établit enfin par la royauté, et ce n’est pas pur hasard que le premier roi soit sacré par Samuel. Cette sombre et auguste apparition de voyant, c’est la première entrée dans l’histoire du dieu jaloux. Quand le peuple demande un roi à Samuel, il lui dit : « Donne-nous un roi qui nous juge, comme en ont les autres peuples. » Ce n’était pas seulement un roi qu’il lui fallait, c’était un dieu à la façon des autres peuples. Israël n’aura plus à subir le reproche et l’insulte des vieilles nations qui l’entourent et lui demandent : Quel est ton dieu ? Moab a Camoch, Tyr a Baal, les Philistins ont Dagon, Israël a Jéhovah. Avec les victoires de David, les splendeurs de Salomon, la construction du temple qui donne enfin à Jéhovah une demeure fixe et à son culte un centre de plus en plus absorbant, il devient définitivement le dieu propre d’Israël. Les triomphes de David prouvent qu’il est plus puissant que les dieux voisins : « Qui est comme toi parmi les Élohim, ô Jéhovah ? »

Il y a encore loin du Jéhovah, dieu protecteur de la tribu, au dieu un, au dieu universel, au dieu de justice. Il n’est même encore le dieu jaloux que dans la théorie d’une minorité sectaire, qui essaie en vain de faire passer dans la pratique et la règle officielle les principes qu’elle élabore et qui longtemps protestera sans succès contre les tolérances, les contradictions et l’inconscience religieuse du jéhovisme officiel. Salomon, qui érige à Jéhovah une maison splendide à Jérusalem, ne croit pas lui être infidèle ni l’irriter en sacrifiant aux dieux de toutes ses maîtresses étrangères. Un dieu national n’est pas pour cela un dieu unique et bon à tout faire. Il s’occupe des grands intérêts de la nation, lui assure la paix, la victoire, les bonnes récoltes ; mais pourquoi s’occuperait-il des particuliers et de leurs petits intérêts ? de minimis non curat. Chaque dieu a sa spécialité, et le roi Achazias a bien le droit, quand il est malade, d’aller consulter le Baal Zeboub des Philistins. L’idolâtrie n’effraie pas le jéhoviste, et quand Israël se sépare de Juda, Jéroboam ne choque pas son peuple en érigeant le veau d’or, en symbole de Jéhovah, à Dan et Beer-Scheba. A Jérusalem même, en plein temple, le serpent d’airain recevra les prières du croyant jusqu’au temps d’Ézéchias.

Le Dieu jaloux ne triomphera dans le domaine des faits que vers l’an 622, un demi-siècle à peine avant la chute de Jérusalem. Mais c’est vers l’an 875 que le Dieu, faible et incertain au début, prend conscience de lui-même et de ses ambitions avec une clarté formidable ; c’est dans la crise provoquée par l’invasion des dieux phéniciens en Israël, sous le roi Achab. A Jérusalem, la ville du temple, Jéhovah était peu contesté : c’était un dieu comme ceux des autres peuples, et la transmission régulière du pouvoir dans la famille de David favorisait un Jéhovah tranquille, sacerdotal et peu inquiet. Il en était autrement en Israël, agité par des révolutions perpétuelles. Vers l’an 900, montait sur le trône la dynastie d’Omri, le fondateur de Samarie, sous qui Israël, encore à moitié sauvage et mal sorti de la vie patriarcale, s’ouvrit largement aux influences civilisatrices de sa puissante et riche voisine, la Phénicie. Achab, fils d’Omri, épouse une princesse phénicienne, Jézabel. Avec elle, ou plutôt avec l’influence phénicienne, s’introduisit le culte des divinités de Tyr, et Baal refoula Jéhovah. Les dieux, comme les peuples, ont besoin, pour se reconnaître, de l’oppression étrangère. Tout l’orgueil de l’élément israélite, blessé au cœur par l’insolence phénicienne ; son mépris pour une civilisation plus raffinée et matériellement supérieure et dont il ne sentait que plus vivement les corruptions et les hontes ; tous les préjugés du Bédouin, comme toutes ses vertus, trouvèrent un centre de protestation dans Jéhovah, qui sortit de l’épreuve plus puissant que jamais, plus impérieux et moralisé par contraste. Samuel revint au jour sous les traits d’Élie le Tisbite. Cette sombre et puissante figure, que la légende a enveloppée d’un voile de flamme, a frappé d’un souvenir profond l’imagination des générations qui suivirent, archange humain tout vivant enlevé au ciel, précurseur divin dont les premiers chrétiens attendaient le retour, éternel voyageur pour qui les juifs laissent encore chaque année la place vide au banquet de Pâques. Mais ici, l’auréole de la légende n’est que le reflet de l’histoire, le rayonnement de la personne réelle, et il n’est point possible de douter de l’existence et de l’action de ce grand « troubleur d’Israël. » Son nom résume une guerre triomphale du dieu jaloux, une guerre au couteau de Jéhovah contre Baal, qui aboutit à l’extermination du dieu phénicien. C’est dans l’école de prophètes qui se forma à son ombre, que fut forgé, comme une barre de fer, le monothéisme d’Israël. Il nous est resté un curieux écho des argumens semi-voltairiens qui couraient dans ces écoles, dans les sarcasmes lancés par Élie aux prêtres de Baal appelant en vain le feu du ciel sur le sacrifice qu’ils offrent à leur dieu : « Mais criez donc plus fort, car ce n’est qu’un dieu : peut-être est-il à causer, ou occupé, ou en voyage ; ou-peut-être est-il endormi et il faut l’éveiller. »

Un siècle à peine sépare Élie des prophètes proprement dits, c’est-à-dire de ceux dont nous possédons les œuvres. Ce siècle, dont il ne reste que des légendes, a dû être le plus fécond de l’histoire morale d’Israël : car les premiers prophètes présentent déjà tous les traits du prophétisme. Jéhovah n’est plus seulement le dieu jaloux, le dieu qui frappe et punit ceux qui l’oublient ou le méprisent ; c’est déjà le dieu de la vertu, le dieu de la justice ; c’est déjà le dieu du pauvre et de l’opprimé ; c’est déjà le dieu qui demande à ses serviteurs non des sacrifices, mais un cœur pur. Une belle page de la légende d’Élie, fuyant devant Jézabel, nous présente comme le symbole de cette transformation :

« Et il alla dans le désert un jour de marche, s’assit sous un genévrier et implora la mort, disant : C’en est trop, Jéhovah ; prends ma vie, car je ne vaux pas mieux que mes pères…

« Et la voix de Jéhovah vint sur lui, et dit : Que fais-tu ici, Élie ?

« Et il répondit : J’ai été jaloux de jalousie pour Jéhovah, dieu des armées ; car les enfans d’Israël ont abandonné ton alliance, détruit tes autels, égorgé tes prophètes avec le glaive, et je suis resté seul, et ils me cherchent pour me faire mourir.

« Et Jéhovah dit : Sors et tiens-toi debout sur la montagne, devant Jéhovah. Et voici que passait Jéhovah, et un vent, grand et violent, déchira la montagne et brisa les rochers devant Jéhovah ; mais Jéhovah n’était pas dans le vent. Et derrière le vent vint un tremblement de terre ; mais Jéhovah n’était pas dans le tremblement de terre. Et derrière le tremblement de terre venait une flamme ; mais Jéhovah n’était pas dans la flamme.

« Et derrière la flamme venait une voix douce et tendre. »

C’est cette voix douce et tendre qui va mêler désormais sa note aux tonnerres de Jéhovah et donner au prophétisme cet accent unique de colère et de tendresse qui allait finir par briser et par fondre le cœur de pierre de la vieille humanité.


II

En effet, dans le siècle qui suit Élie, paraît au jour une chose nouvelle dans le monde : un dieu devenu instrument de morale.

Nous ne pouvons pas suivre jusqu’à ses origines le mouvement de purification et d’idéalisation qui, après avoir mis Jéhovah hors de pair et au-dessus de tous les dieux, vida le ciel tout entier à son profit, et attacha à son nom et à son culte tout le trésor de la conscience. Ce travail est achevé dès les premiers prophètes dont nous avons la parole, Amos et Osée. Rien d’essentiel n’a été inventé depuis : eux-mêmes, sans doute, n’ont rien inventé et ne doivent leur titre de priorité qu’au hasard, qui a fait périr l’œuvre de leurs prédécesseurs, dont la Bible a consacré les noms et dont l’auteur du Livre des rois et celui des Chroniques avaient encore les œuvres, Nathan, Cad, Iddo, et autres. Il est probable que déjà, dans la guerre qu’Élie dirigeait contre Baal, au nom de Jéhovah, la question politique et théologique n’était pas tout, et que la puissante poussée morale du jéhovisme prophétique était déjà commencée. Élie n’est point seulement l’ennemi de Baal et des idoles ; c’est le justicier envoyé pour dénoncer au meurtrier de Naboth les colères de Jéhovah, et pour venger le pauvre, égorgé et dépouillé. La première parabole évangélique a été dite, dix siècles avant le Christ, par le prophète Nathan, flétrissant par-devant David, au nom de Jéhovah, le meurtre et l’adultère royal.

À l’époque où s’ouvre la littérature prophétique, voici l’horizon politique et moral qui s’étendait devant l’œil des rêveurs d’Israë et de Juda. Une foule de petits états, Moab, Édom, Philistie, Tyr, Israël, Juda, qui s’entre-déchiraient avec l’acharnement des petits ; la guerre et le pillage à l’ordre du jour, des razzias perpétuelles alimentant de captifs le commerce esclavagiste de Tyr et des îles grecques ; plus loin, un état puissant, Damas, et plus loin encore la formidable Assyrie, avec leurs vastes armées, leurs guerres d’extermination, leurs effrayans systèmes de déportation et de transportation en masse, jetant déjà une ombre de mort au-dessus de ce chaos de peuplades anarchiques. Des dieux aussi méchans et aussi bornés que les hommes : la religion devenue une école de prostitution dans le temple d’Astarté, de férocité sur les autels de Moloch ; le culte oscillant entre des pratiques niaises et des pratiques atroces ; la divination, la sorcellerie, l’imposture, étroitement liées à tous les cultes. Et quand le prophète de Jéhovah ramenait les yeux sur son peuple même, l’anarchie politique et morale : Israël divisé contre lui-même et ne se retrouvant que contre Juda ; les révolutions militaires élevant et renversant les rois dans le sang, et toutes les horreurs du régime prétorien dans un royaume de quelques lieues carrées. Dans les heures intermittentes de paix, la force aussi absolue maîtresse que dans la guerre, l’oppression du pauvre par le riche, et pis que tout, la justice vendue aux puissans. Dans les temples, toutes les nouveautés des peuples étrangers ; dans Jéhovah même nul secours ; son culte réduit à une pure idolâtrie, un rituel de sacrifices et de jeûnes, sans vertu morale : nulle part une voix qui parle avec autorité. C’est alors qu’éclata la puissance morale enfermée dans l’exclusivisme de Jéhovah.

La cruauté, la sottise, l’iniquité de ces temps n’étaient, certes, point pires que celles des siècles qui avaient précédé en Israël et dans le reste du monde sémitique, ni pires non plus que celles qui régnèrent plus tard en Grèce et à Rome dans les plus beaux siècles de la littérature et de l’art. Le génie du prophétisme fut de s’étonner de la férocité humaine comme d’une chose contre nature et contre raison. Devant les iniquités du monde, le cœur des prophètes crut saigner de la blessure d’un Dieu, et leur cri d’indignation rendit l’écho d’une colère divine. Il y a eu en Grèce et à Rome des riches et des pauvres comme sous le roi Jéroboam, et les classes s’y sont entr’égorgées durant des siècles, sans que du tumulte de la lutte jaillisse un cri de justice et de pitié. Les peuples sont nés et ont péri, vivant au jour le jour, à la merci des accidens et des appétits de l’heure, sans comprendre qu’à une nation, pour vivre et mériter de vivre, il faut un idéal qui fixe sa destinée et faute duquel elle s’en va à la dérive, sans lendemain, sans force et sans raison de durer, « avec son avenir pendant devant elle comme un haillon ! » Et c’est pour cela qu’aujourd’hui ces vieilles paroles heurtées et sauvages sont plus vivantes et répondent mieux au cri de nos âmes modernes que tous les chefs-d’œuvre de l’antiquité classique ; et que ces feuilles volantes, jetées au hasard de l’actualité, il y a vingt-six siècles, chez deux tribus semi-barbares, sont devenues une œuvre d’éternité.


III

Toutes les doctrines essentielles du prophétisme paraissent dès les deux premiers prophètes qui nous soient restés, Amos et Osée : l’un plus laïque et plus préoccupé de la justice sociale, l’autre plus religieux et plus préoccupé de morale et de Dieu. Tous deux appartiennent au prophétisme d’Israël, sinon par leur nationalité, — car Amos est né en Juda, — du moins par leur objet qui est pour tous deux la régénération d’Israël. Israël, déchiré par ses révolutions, avait plus besoin de réformateurs et leur offrait aussi un terrain plus favorable que Juda, qui, à défaut d’une moralité bien haute, avait du moins, grâce au prestige légitimiste de sa royauté, le premier des biens politiques, la stabilité. Le prophétisme ne prendra son essor en Juda qu’après la ruine d’Israël. À Samarie, comme plus tard à Jérusalem, le rêve ou mieux le programme arrêté des prophètes est d’amener la réalisation de l’état modèle, de l’état conforme aux vues de Jéhovah, c’est-à-dire appuyé sur la justice.

À l’heure où paraît Amos, Israël était au plus haut point de puissance mondaine où il lût jamais monté. Le roi Jéroboam II (825-775 av. J.-G.) avait restauré à son profit une partie de l’empire de David. Il avait écrasé Moab, que son dieu Camosh n’avait pas su sauver comme au temps du roi Mesha, et il avait fait taire dans la campagne de Hesbon a la joie des vergers et les chansons de la vendange. » Mais ses victoires sur Damas, Gaza, Tyr, Edom, Moab, ne sont pour le prophète que le signe avant-coureur des vengeances de l’Éternel suspendues sur Israël. Damas, Gaza, Tyr, Moab, Edom, viennent d’expier leurs atrocités passées et Israël, aussi coupable, doit expier à son tour, « parce qu’il vend la justice à prix d’argent et le pauvre pour une paire de sandales ; » parce que ses nobles, couchés sur leurs lits d’ivoire, grincent de la lyre pour jouer les David et boivent le vin à pleines coupes sans souffrir de la misère de Joseph. Eh bien, à cause de cela, ils pourront bâtir des maisons en pierres de taille, ils ne les habiteront pas ; planter des vignes délicieuses, ils n’en boiront pas le vin. Qu’ils aillent à Kalneh, à Hamath-la-Grande, à Gat des Philistins, voir le sort qui les attend ! Ils partiront en exil en tête des exilés et leurs cris de plaisirs cesseront. C’est Jéhovah qui le jure, le dieu des années : « Je déteste l’orgueil de Jacob, je hais ses palais. » Et il assiégera sa ville, l’affamera, la videra, passera le niveau sur Israël, détruira ses sanctuaires et lèvera le glaive sur la maison de Jéroboam.

Il fallait un cœur hardi pour jeter ces cris à des vainqueurs, en plein triomphe : « C’était un temps où l’homme prudent se tait, car ces gens-là haïssent ceux qui les réprimandent à la porte du tribunal et détestent ceux qui leur parlent d’équité. » Les prêtres surtout en voulaient à ces hommes sans mandat qui s’arrogeaient de faire dire à Jéhovah des choses dont eux, ses prêtres, ne s’étaient jamais avisés. Le prêtre de Beth-El, le sanctuaire royal, dénonça l’intrus au roi Jéroboam : « Va-t’en en Juda, dit-il, gagner ton pain à débiter des prophéties ! » — « Je ne suis ni prophète, répond Amos, ni fils de prophète ; je ne suis qu’un berger qui me nourris de sycomore ; mais Jéhovah m’a pris d’auprès de mes brebis et m’a dit : « Va prophétisera mon peuple en Israël ! » Car quand le Seigneur l’ordonne, il faut que le prophète parle, en dépit de qui lui ferme la bouche : « Quand le lion rugit, qui ne tremblerait ? Quand l’Éternel parle, qui ne prophétiserait ?… »

Ce ne sont pas les prêtres ni le culte qui sauveront Israël de la colère de Jéhovah ! « Apportez chaque matin vos sacrifices, et vos dîmes tous les trois jours, et faites sonner bien haut vos dons volontaires, puisque vous aimez tout cela, enfans d’Israël ! Mais toutes vos fêtes, Jéhovah les hait, les méprise. Que lui font vos holocaustes et vos tributs de veaux gras ? Il fera rouler l’autel sur la tête de ses adorateurs et les écrasera sous ses ruines. Quand ils se réfugieraient dans le schéol, sa main les en arracherait ; ils monteraient au ciel qu’il les en ferait descendre… — Loin de moi le bruit de vos cantiques, que je n’entende plus le son de vos lyres ; mais que le bon droit jaillisse comme l’eau, et la justice comme une intarissable rivière ! » — Israël, qui se sent frappé pour ses fautes, cherchera la vérité autour de lui ; il la demandera à ses idoles qui ne peuvent la lui donner : — « Il viendra des jours, dit le Seigneur éternel, où je jetterai la faim dans le pays, non une faim après le pain, ni une soif après l’eau, mais la soif d’entendre les paroles de l’Éternel. » — Ils courent éperdus, dans l’inquiétude du divin, de l’idole de Dan à l’idole de Beer-Scheba et meurent sans trouver.

Dieu pourtant ne peut abandonner à tout jamais le peuple qu’il a choisi. Seuls les pécheurs de son peuple périront. Israël et Juda seront réunis de nouveau. Dieu rétablira la chaumière délabrée de David, fermera ses brèches, relèvera ses ruines, la rebâtira comme elle était autrefois.


Même fonds d’idées dans Osée, mais avec un Jéhovah plus personnel, plus intime, plus près d’Israël, jaloux d’une jalousie d’amour et non d’orgueil : de là des images nouvelles qui ne seront point perdues pour ses successeurs et des accens pénétrans qui ne seront égalés que par le second Isaïe.

Osée est postérieur de quelques années à Amos : la décomposition politique s’avançait. La passagère et décevante splendeur de Jéroboam a passé, les pronunciamientos font et défont les rois. L’Assyrie paraît à l’horizon qui va tout engloutir. Et Israël, au lieu de se recueillir dans la voie que lui ouvre Jéhovah, s’amuse aux intrigues internationales, essaie de l’Égypte, essaie de l’Assyrie, ajourne la réforme des mœurs, s’enfonce dans les mœurs et les pratiques de ses alliés et protecteurs d’un jour. Il consulte les baguettes divinatoires, sacrifie sur les hauts lieux, brûle l’encens sur le chêne et le térébinthe et il n’y a ni fidélité, ni amour, ni connaissance de Dieu ; ce n’est que parjure et mensonge, assassinat et adultère. Et c’est pour cela que la tempête les saisira sur ses ailes. En vain, ils se tournent vers Assur, Assur n’a point de remède pour leurs plaies. Qu’ils reviennent à Jéhovah, l’appellent dans l’angoisse !

Pourquoi la fille d’Israël a-t-elle oublié ses fiançailles avec Jéhovah et se débauche-t-elle aux Baal ? Elle ne sait pas que c’est Jéhovah qui lui a donné le blé, le vin et l’huile qu’elle offre à ses faux dieux, l’or et l’argent dont elle fait leurs idoles. C’est pour cela que Jéhovah lui reprendra son blé et son vin, et la laine et le lin dont elle couvrait sa nudité, ravagera ses vignes et ses figuiers, les changera en broussailles. Mais non, Jéhovah ne peut répudier à tout jamais celle qui lui a donné les amours de sa jeunesse. Il la ramènera au désert où ils se sont aimés, il la consolera, elle y chantera comme au jour qu’elle sortait d’Égypte et la plaine de tristesse deviendra la porte de l’espérance. Comment Dieu pourrait-il abandonner Éphraïm, lui qui l’a conduit à la lisière, qui l’a pris dans ses bras, qui le tenait attaché à lui avec des fibres d’homme, des cordes d’amour ? Le cœur de Jéhovah est changé en lui et bout tout entier de compassion : « Je ne veux pas perdre Ephraïm, car je suis Dieu et non pas homme. Je suis le saint au milieu de vous : je ne viendrai pas pour détruire ! »

Ah ! qu’Israël retourne vers Jéhovah : — « C’est lui qui les a déchirés, il les guérira ; qui les a blessés, il les pansera ; il leur rendra la vie après deux jours et, le troisième jour, les relèvera. » Car Dieu les aime, et c’est pour cela qu’il les frappe par ses prophètes et les tue avec les paroles de sa bouche. Qu’ils ne viennent pas à lui avec des sacrifices : « c’est à l’amour que je prends plaisir et non aux sacrifices. » Qu’ils retournent à Jéhovah, car ce n’est pas l’Assyrien qui les sauvera : c’est Jéhovah qui est leur Dieu, leur seul Dieu depuis l’Egypte, leur seul sauveur ! « Ce qui te perd, ô Israël ! c’est que tu es contre moi, contre ton sauveur : convertis-toi à Jéhovah, ton Dieu ! » — Qu’ils cherchent le Seigneur : il en est temps encore, il viendra leur apprendre la justice. Ils ont semé le vent et récolté la tempête : qu’ils fassent à présent des semailles de justice et ils récolteront la grâce.


Le cadre créé par Amos et Osée ou par leurs prédécesseurs perdus est celui où tous les prophètes qui vont suivre jetteront leur prédication, leurs menaces et leurs espérances. L’uniformité du fond ne sera variée que par le génie individuel de chacun et par les mouvemens de l’histoire. Dans tout prophète, il y a une morale et une politique indissolublement liées, — car morale et politique font un, — et dont pas un axiome ne changera du premier au dernier. La seule chose qui change, parce qu’elle tient à des circonstances extérieures qui changent, c’est la conception que chacun d’eux se fait de l’avenir ou plutôt de la façon dont l’avenir inévitable sera réalisé.

Ce qui n’est point fondé sur la justice doit périr ; — Jéhovah a révélé la justice à Israël ; — Israël doit réaliser la justice ; — La justice sera réalisée un jour : tels sont les quatre axiomes du prophétisme, les quatre certitudes invincibles qui ont fait sa puissance surnaturelle et dont la dernière, en l’armant d’espérance pour l’éternité, l’a soustrait à tous les écrasemens de la réalité. Mais quand et comment sera réalisée la justice ? Là-dessus, les prophètes ont varié. Les premiers voient le glorieux avènement proche et direct. C’est Israël qui volontairement, docile à leurs voix, réalisera sur la terre promise, par la main de ses rois, la volonté de l’âme divine. Peut-être faudra- t-il bien des coups d’en haut, bien des châtimens de la main de Dieu et de la main des hommes pour lui ouvrir complètement les yeux et le cœur. Mais l’expérience amère des expiations qui suivent toute iniquité, des réactions naturelles qui châtient tout débordement du mal, l’instruira enfin et fera de lui l’heureux serviteur de Dieu. A deux reprises, sous Ézéchias et sous Josias, les prophètes croient le but atteint et voient leur idéal près de devenir la loi de l’état et de passer dans la réalité par la main du pouvoir civil. Ce n’est qu’une courte illusion et il faut bientôt reconnaître qu’avec les élémens organisés, il n’y a pas d’espoir poulie programme divin : le monde politique du jour est trop corrompu, trop enfoncé sans retour dans les vices humains, pour suivre où elle l’appelle l’infime minorité prophétique. La nation présente, telle que les siècles l’ont faite, ne réalisera pas l’ordre nouveau, elle en est avec conscience ou sans conscience l’ennemie inconvertible ; elle est l’obstacle, il faut qu’elle périsse. Il faut qu’Israël soit emporté dans la tempête, l’élément impur englouti, et alors le débris épuré qui reste, couvé et élevé par la doctrine prophétique, reviendra en Palestine fonder l’état idéal. Les déceptions de l’histoire divisent ainsi en trois actes le drame prophétique ; le premier est animé par l’illusion généreuse qui veut construire directement l’avenir avec le présent, le second est rempli par les destructions nécessaires, le troisième par la restauration devenue possible. Le premier acte est dominé par Isaïe, le second par Jérémie, le troisième par le grand Anonyme de la captivité.


IV

Les cris et les larmes d’Amos et d’Osée furent perdus sur Israël. Les aventuriers se succèdent sur le trône. Un d’eux, Menahem, fait éventrer les femmes enceintes des villes qui résistent. Israël à l’agonie ne retrouve d’énergie que contre Juda : « Chacun dévore la chair de son propre bras : Manassé contre Éphraïm, Éphraïm contre Manassé, et tous deux ensemble contre Juda. » Un roi d’Israël, Pékah, qui dure plus longtemps que les autres, se ligue contre Juda avec le roi de Damas, et Jérusalem est mise aux abois par cette coalition fratricide. Quand la nouvelle arriva à la cour d’Achaz, roi de Juda, que les Syriens étaient campés en Éphraïm, son cœur fut agité, ainsi que le cœur du peuple, comme les arbres de la forêt sont agités par le vent : « Ne crains rien, lui dit le prophète Isaïe, ne crains rien et que le cœur ne te faille devant ces deux bouts de tison fumans ! » Les deux coalisés ne savaient pas qu’ils n’étaient plus que deux mourans déjà condamnés. De l’autre côté de l’Euphrate, accouraient déjà, appelés par le coup de sifflet de Jéhovah, les frelons du pays d’Assur qui s’abattaient sur toutes les vallées et dans les fentes des rochers de Damas et d’Éphraïm. Damas périt dans le choc, Israël fut démembré et soumis au tribut, la Galilée dévastée, sa population emmenée en exil. Et Éphraïm humilié relevait la tête plus hautaine que jamais : « Pour les briques tombées, disait-il, nous rebâtirons en pierres de taille ; pour les sycomores coupés, nous mettions des cèdres à la place. » Son roi Osée nouait des intelligences avec l’Égypte, ombre de l’ancienne Égypte conquérante, « frêle roseau qui perce la main qui s’appuie sur lui. » — « Les guides de ce peuple le fourvoient, s’écriait Isaïe, et ceux qu’ils guident s’engouffrent. Aussi, Jéhovah arrachera d’Israël tête et queue, en un seul jour. » Israël, révolté contre l’Assyrie, succomba après une résistance de trois années ; son dernier roi alla mourir aux bords du Tigre.

Isaïe avait déjà prophétisé de longues années en Juda quand arriva la nouvelle de la chute de Samarie. Pendant longtemps, il avait prêché à la façon d’Amos contre l’avidité du riche, l’iniquité du juge, le vide du culte : « Malheur à ceux qui joignent maison à maison, qui ajoutent champ à champ, jusqu’à ce qu’il ne reste plus de place dans le pays et qu’ils y soient seuls ! Malheur à ceux qui dès le matin courent après le vin et s’attardent la nuit dans la chaleur de l’ivresse ! La lyre et la harpe, le tambourin, la flûte et le vin, voilà leur vie, et ce que fait l’Éternel, ils n’en ont cure, et c’est pour cela que mon peuple s’en ira en exil inopinément ; c’est pour cela que le Schéol ouvrira sa gueule béante et toute cette magnificence y descendra, toute cette pompe bruyante, cette foule joyeuse.

« Malheur à ceux qui rendent des arrêts iniques, aux greffiers qui écrivent des sentences injustes, chassant les pauvres du tribunal, privant de leur droit les faibles de mon peuple ! .. Et que ferez-vous au jour du compte à rendre, de la ruine qui vient de loin ?

« Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices ? dit Jéhovah. Je suis rassasié d’holocaustes, de béliers et de graisse de veaux. Ne continuez pas de m’apporter vos vaines offrandes ! Vos parfums me font horreur, et vos nouvelles lunes, vos sabbats, vos assemblées solennelles : je les hais, ils me sont à charge, j’en suis las. Quand vous tendez vos mains vers moi, je voile mes yeux devant vous, car vos mains sont souillées de sang. Lavez-vous, purifiez-vous ! Otez-moi de mes yeux vos actes méchans ! Cessez de faire le mal. Apprenez à faire le bien, cherchez la justice ! »

Souvent, le découragement le prenait. En vain, le séraphin avait purifié ses lèvres avec le charbon allumé à l’autel du Seigneur, ce peuple auquel il parlait restait impur, et ses paroles tombaient sur des oreilles indifférentes et sourdes. Alors, comme tous les apôtres désillusionnés, comme jadis Moïse, il en appelait de la génération présente à une génération à venir, et par une ironie amère se déclarait envoyé par Dieu pour endurcir le cœur de son peuple :

« Va dire à ce peuple : Entendez, mais sans comprendre ! Voyez, sans reconnaître ! Rends insensible le cœur de ce peuple, bouche-lui les oreilles, ferme-lui les yeux, pour qu’il ne voie de ses yeux, qu’il n’entende de ses oreilles, que son cœur ne comprenne, ni ne se convertisse et qu’il ne soit guéri !

« Et je dis : Jusques à quand, Seigneur ? Et il dit : Jusqu’à ce que les villes soient ruinées et dépeuplées et que le pays soit dévasté et désert. Et s’il y reste un dixième des habitans, ils seront décimés à leur tour. Et comme le térébinthe et le chêne dont il reste un tronc en terre quand on les coupe, leur tronc deviendra une race sainte. »

Et cependant, sous le coup même de ses déceptions, l’âme et le rêve du prophète s’élargissait. Amos et Osée ne rêvent de salut moral que pour Israël et le peuple élu : le reste du monde leur est inconnu ou n’est que l’instrument inconscient de la réforme et du salut d’Israël. Ce que voit Isaïe, c’est Israël sauvé et sauvant le monde. Au milieu des peuples livrés aux jeux féroces de la force, il rêve pour Israël l’ascendant de l’exemple et de l’idéal. Il voit venir un jour, à la fin des jours, où la montagne qui porte la maison de Jéhovah se dressera au-dessus de toutes les montagnes ; toutes les nations y afflueront et les peuples en foule y viendront en disant : « Allons, montons à la montagne de Jéhovah, à la maison du Dieu d’Israël, pour qu’il nous instruise dans ses voies et que nous marchions dans ses sentiers. Car c’est de Sion que viendra l’enseignement, et de Jérusalem la parole de l’Éternel. » Le mot décisif est lancé : une religion universelle est fondée.

La chute de Samarie, l’an 721, produisit un ébranlement profond dans les consciences : les prophètes durent pousser un cri mêlé de triomphe et de douleur. La récrimination de la sagacité sèche et peu généreuse : « Ne l’avions-nous pas dit ? » prenait devant l’immensité de l’enjeu, — le salut de la nation et le salut des âmes, — un sens surnaturel. Dieu ne l’avait-il pas dit ? Juda, à moitié réjoui, à moitié terrifié de la chute de son frère ennemi, vit dans la flamme qui consumait Samarie éclater avec une lueur sinistre la vérité des doctrines prophétiques. Pourquoi Juda échapperait-il au sort de son frère s’il restait sourd comme lui à la voix divine, avec un pire aveuglement puisqu’il avait sous les yeux l’exemple des menaces réalisées ? Et les grands et le peuple cessaient un instant leurs railleries quand les prophètes, reprenant sur eux les charges contre Israël, dénonçaient l’inévitable châtiment suspendu sur l’orgueil et l’égoïsme des riches, sur la dureté et l’impureté des mœurs, sur la folie d’une politique qui se traînait dans l’ornière banale de la duplicité et de la violence internationale.

Au moment de la chute de Samarie, le trône de Juda se trouva, par un hasard favorable, occupé par un jeune homme de vingt-huit ans, Ézéchias, bien doué, lettré, ouvert aux idées nouvelles, quoique assez indépendant pour avoir une politique à lui et conserver son indépendance en face même d’Isaïe. Il mit son enthousiasme et son pouvoir au service du prophète : il fut le Constantin, ou plus exactement l’Asoka du jéhovisme idéaliste. La réforme se marqua d’abord dans le culte, ce qui prouve que la caste sacerdotale, jusque-là indifférente ou hostile et qui n’avait point d’antipathie particulière pour l’idolâtrie, entrait dans le mouvement prophétique. De ce compromis entre le jéhovisme sacerdotal et le jéhovisme prophétique, allait, en un siècle et demi, sortir le judaïsme organisé. Par ce compromis la conception des prophètes allait descendre des hauteurs : mais une idée descend toujours pour entrer dans la réalité. Une religion, si haute qu’elle soit, ne peut agir sur les hommes que par les formes extérieures qui lui donnent le moule résistant, par la « grimace » nécessaire sans laquelle les hommes ne prennent pas les idées au sérieux. Le prophétisme, restant dans les régions de l’esprit, n’aurait jamais pu pénétrer Israël et par lui le monde.

La conversion du jéhovisme rituel au jéhovisme prophétique éleva d’ailleurs puissamment le niveau moral de la nation et du gouvernement. Le règne d’Ézéchias fut un règne de prospérité littéraire et politique. Poète lui-même, il s’entourait de poètes ; peut-être dans le nombre était l’auteur du poème religieux le plus haut qui ait été écrit, le livre de Job, ce tragique débat du doute et de la foi, qui concilie à force de poésie la protestation de l’âme du juste contre le triomphe du mal, le doute de l’innocence qui cherche en vain le crime qu’elle peut expier, et une confiance douloureuse et lointaine en la justice finale de Dieu. L’ancien royaume d’Israël, dévasté et évacué par les Assyriens, avait été occupé par Ézéchias à la faveur des troubles qui suivirent en Assyrie la mort du conquérant de Samarie, de sorte que la ruine de Samarie avait en somme abouti au rétablissement de l’unité nationale. Le royaume de David était rétabli, et le prophète, saluant en Ézéchias l’enfant de Jéhovah, poussa un cri de triomphe, d’où sept siècles plus tard naquit le Christ.

« Plus de ténèbres pour ce qui fut dans l’angoisse. Le passé a humilié la terre de Zabulon et la terre de Nephtali[2]. La suite des temps glorifiera les bords du lac[3], au-delà du Jourdain, le district des Gentils. Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière, ceux qui habitaient au pays de l’ombre de la mort. Car un enfant nous est né, un fils nous est donné, l’empire repose sur son épaule. Son nom sera conseiller merveilleux, héros de Dieu, Père à jamais, Prince de la paix, pour agrandir l’empire et donner une paix sans fin au trône de David et à son royaume, pour le rétablir et l’affermir par le droit et la justice, d’ores à jamais. »

Ézéchias devenait ainsi le prototype du Messie, ou plutôt, — car l’idée du Messie lointain, du Messie des derniers jours, n’était pas encore née, — il était le Messie même, l’oint du Seigneur. Et huit siècles plus tard, aux temps des persécutions romaines, à une époque où l’attente du Messie des derniers jours, du Messie des revanches, était la seule force de vie qui restât en Israël, un jour que des juifs proscrits demandaient à leurs guides : « Quand viendra donc le Messie promis qui doit nous sauver ? » un vieux rabbin, hochant la tête avec tristesse, leur répondait : « Le temps du Messie est passé, le Messie ne viendra plus : car il est déjà venu ; il s’appelait Ézéchias. »

La chute de Samarie avait démontré d’une façon éclatante la divinité du prophétisme. L’histoire allait continuer en sa faveur sa propagande par le fait. Jéhovah avait fait tomber Samarie infidèle et perverse devant l’Assyrien : l’Assyrien ne savait pas qu’il n’était que l’instrument indifférent de la justice suprême, et se rua sur Jérusalem prête à la conversion. La peste sauva Jérusalem, et le prophète, dans le secret de Jéhovah, s’écria :

« Malheur à l’Assyrie, la verge de ma colère, le bâton auquel j’ai remis ma vengeance ! La cognée se vante-elle contre celui qui la manie, la scie s’élève-t-elle contre celui qui la fait mouvoir ? .. C’est pourquoi le Seigneur, Seigneur des armées, enverra la consomption sur ses gros capitaines, et sur sa gloire allumera une flamme d’incendie. Ne crains rien, ô mon peuple qui habites Sion, de cet Assyrien qui te frappe de sa verge, et lève contre toi le bâton à la façon de l’Égyptien. La cognée de Jéhovah passe sur les hautes branches d’Assur et cette forêt du Liban est abattue à terre. » Alors, devant l’Assyrien écrasé, une vision de paix, qui depuis a hanté l’univers, passe devant les yeux du prophète : c’en était fini de la guerre, fini de la haine. Jéhovah devenait l’arbitre des nations, les peuples ne levaient plus l’épée l’un contre l’autre, et l’on allait forger les glaives en socs de charrue. La race de David allait donner le roi idéal, le juge sur qui reposera l’esprit de Jéhovah, l’esprit de sagesse et d’intelligence, l’esprit de connaissance et de crainte de Jéhovah ; qui ne jugera pas d’après l’apparence et ne décidera pas d’après l’ouï-dire, mais qui jugera les faibles d’après la justice et décidera selon l’équité en faveur des humbles. Le loup allait habiter avec la brebis : le veau, le lion et le mouton paîtront ensemble, et un petit enfant les conduira tous. Car on ne péchera plus, on ne fera plus le mal sur toute l’étendue de la montagne sainte, et la connaissance de Dieu emplira la terre comme les eaux couvrent le fond de l’Océan.


V

Le triomphe du prophétisme ne dura pas. Ézéchias mourant laissa pour héritier un enfant de douze ans, Manassé (696). La régence lut le signal d’une réaction libertine qui dura soixante ans. Le long règne de Manassé, — plus d’un demi-siècle, — fut à celui d’Ézéchias ce que la restauration des Stuarts avait été au règne des saints de Cromwell et des Puritains. On en avait assez de la morale d’Isaïe et de son école, de ces hommes toujours à tonner contre les gens du monde, au nom d’un Dieu insolent et irrité, et qui voudraient que vous fussiez toujours à vous occuper des misères du prochain quand vous avez bien assez à faire avec vos plaisirs. La réaction emporta le Jéhovah prophétique, sa morale et ses doctrines sociales. Jérusalem redevint le centre hospitalier de tous les dieux de la Syrie qui érigèrent même leurs autels dans le temple de Jéhovah. Manassé fit, dit-on même, passer ses fils par le feu de Moloch : les sorciers, les enchanteurs, les thaumaturges furent tout-puissans à la cour, et l’on s’amusa tout un demi-siècle. Le prophétisme fut réduit au silence ; on n’a pas un prophète du temps de Manassé.

La régence d’un roi enfant avait enlevé le pouvoir aux prophètes ; la régence d’un roi enfant, Josias, le leur rendit (639). Une réaction populaire, dont nous ne voyons que les effets sans pouvoir en suivre l’histoire, et amenée sans doute par les excès de l’ancien régime, ramena vent en poupe les doctrines proscrites. Cette réaction trouva un tout-puissant porte-voix dans la personne d’un prêtre de Benjamin, Jérémie.

Le Jérémie de M. Renan a été une surprise pour beaucoup. Jérémie passe généralement pour le prophète des jérémiades : il doit cette réputation à un petit recueil d’élégies sur la chute de Jérusalem, qui n’est point de lui. Dans ses quarante années de prophétisme, il a prêché, il a agi, il a maudit, il a peu pleuré. Il a pleuré une fois, pour la mort du roi Josias : mais cette mort, qui brisait tous ses rêves d’avenir, ne lui laissa plus de larmes pour aucune des choses du siècle. Avec Jérémie, en effet, le prophétisme prend conscience de l’impossibilité radicale de réaliser avec le présent les réformes qui pourraient sauver la nation : il renonce à la nation présente qui court volontairement et inévitablement à sa ruine, et ne songe plus qu’à préparer la nation future qui sortira de ses débris.

Jérémie était prêtre, c’est le premier prophète-prêtre. Ici pourtant j’oserais ne pas suivre M. Renan, qui voit en Jérémie une forme nouvelle de prophétisme, où le prêtre domine le prophète. « Le caractère religieux, dit-il, devient plus prononcé ; le tribun incline au prêtre. Amos et Osée, à certains momens Isaïe, nous étonnent par leur hardiesse, leur amour du peuple, leur désintéressement à l’égard des questions théologiques et liturgiques. Leur colère nous plaît. Quand ils voient combien le monde est injuste, ils voudraient le briser. Ils raisonnent un peu comme les anarchistes de nos jours : « Si le monde ne peut être amélioré, il faut le détruire. » Jérémie est beaucoup moins préoccupé de la question sociale et du triomphe des Anavim. C’est avant tout un homme pieux et d’une moralité sévère. C’est un fanatique, il faut le dire, haineux contre ses adversaires, mettant tous ceux qui n’admettent pas d’emblée sa mission prophétique au nombre des scélérats, leur souhaitant la mort et la leur annonçant. » J’avoue que j’ai peine à retrouver dans le fond même du prophétisme de Jérémie un caractère essentiel qui le distingue du prophétisme antérieur. Sans doute prêtre il était, et l’on voit par les textes historiques qu’il a exercé une influence considérable sur la caste à laquelle il appartenait, qu’il a probablement achevé sa conversion au jéhovisme prophétique et s’est servi d’elle pour faire triompher son programme. Mais le prêtre n’est en lui que le serviteur et l’instrument du prophète : en lui, comme en Isaïe, c’est le prophète qui domine, c’est le réformateur de la vie morale, de la vie sociale, de la vie politique. La seule différence est dans le caractère personnel de l’homme, qui est unique, et dans les circonstances qui le sont aussi. Jérémie est bien le successeur naturel et légitime d’Isaïe, mais avec des âpretés de caractère, une intensité de conviction, une obstination de courage, un mépris de toutes les conventions et des préjugés les plus glorieux qui font de lui une personnalité sans pareille dans le groupe le plus personnel qui lut jamais. C’est qu’il ne paraît pas, comme Isaïe, à une heure relativement heureuse : il parait à la maie heure, à l’heure des fautes irréparables, dans la fournaise des catastrophes finales. C’est le prophète du Finis Hierosolymœ !

Jérémie avait commencé sa propagande dans son village natal d’Anathoth. Le terrain était sans doute peu favorable, ou les autorités peu endurantes : ses compatriotes le chassèrent avec des menaces de mort. Il quitta Anathoth en posant au Seigneur la question douloureuse de Job : « Tu as toujours raison, ô Jéhovah, et comment pourrais-je discuter contre toi ? Il faut pourtant que je te dise ce que j’en pense. Pourquoi la voie des méchans est-elle prospère ? Pourquoi les artisans de trahison vivent-ils en paix ? Tu les as plantés et ils ont pris racine, ils poussent et portent des fruits : et pourtant tu n’es près que de leurs lèvres, et loin de leur cœur. Et moi, Jéhovah, tu me connais ; moi, tu m’as vu, tu as éprouvé mon cœur. » Et la certitude absorbante et effrayante de sa mission l’emplit tout entier, le ferme au découragement : « Avant que je t’eusse formé dans le sein de ta mère, je te connaissais, dit l’Eternel ; avant que tu fusses sorti de ses entrailles, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète auprès des nations. » Et je dis : u Hélas ! Seigneur Jéhovah, je ne sais point parler, je ne suis qu’un enfant. » Et Jéhovah répondit : « Ne dis pas : Je ne suis qu’un enfant ; vers tous ceux que je t’enverrai, tu iras ; tout ce que je t’ordonnerai, tu le diras. Et n’aie pas peur devant eux, car je suis avec toi pour te protéger, parole de l’Éternel ! » Et Jéhovah étendit la main et me toucha la lèvre, et me dit : « Je viens de mettre mes paroles sur ta lèvre. Vois-tu, en ce jour-ci, je t’ai établi sur les nations et sur les royaumes pour arracher et pour renverser, pour détruire et pour démolir, pour édifier et pour planter. »

Jérémie se rendit d’Anathoth à Jérusalem, là où était la partie décisive à gagner ou à perdre. Il trouva là, dans le temple même, des auxiliaires inattendus. Le grand-prêtre Hilqia était gagné à la cause prophétique, et le prophétisme, étouffé sous Manassé, s’était retrouvé dans le cœur d’une femme, la prophétesse Houlda. Le jeune prophète d’Anathoth porta dans ce milieu ardent, et qui n’attendait qu’une direction suivie, une fougue et une énergie nouvelles. Eut-il une influence personnelle sur le jeune roi, à peine âgé alors de vingt-deux ans ? Peut-être. En tout cas l’apostolat de Jérémie fut heureux, et quatre années à peine s’étaient passées, qu’un événement décisif se produisit. La nouvelle se répandit subitement que le grand-prêtre Hilqia avait trouvé dans le temple le Livre de la loi de Jéhovah. Le roi se fit lire le livre d’un bout à l’autre, et cette lecture produisit sur lui une émotion si extraordinaire, qu’il le fit lire publiquement devant tout le peuple assemblé et le promulgua comme loi de la nation.

La critique moderne a démontré, d’une façon qui laisse peu de place au doute, que ce Livre de la loi, retrouvé, dit-on, dans le temple, n’est autre que le Deutéronome, c’est-à-dire ce beau résumé systématique de la législation mosaïque qui termine à présent le Pentateuque. De plus, il est probable que le livre présenté à Josias avait été, sinon rédigé, du moins retouché par les prophètes du temps et en vue d’une action immédiate. On a souvent prononcé, à ce propos, le mot de fraude pieuse. Le mot n’est qu’à moitié exact, et ne peut s’appliquer qu’à la mise en scène : car le fond même du livre ne contenait pas une idée, pas un précepte, pas une menace, pas une promesse qui n’eût été dans la bouche des prophètes depuis près de deux siècles. Il n’y avait pas une ligne qui eût été écrite pour introduire, sous le couvert d’une autorité ancienne, une idée nouvelle, ce qui est le propre de l’apocryphe. Le Deutéronome était bien le Livre de la loi de Jéhovah, telle qu’elle planait sur Juda depuis les premiers prophètes. Quand les prophètes parlaient de la loi de Jéhovah, on leur demandait : « Où donc est-elle, cette fameuse loi ? et dites-nous une fois pour toutes ce qu’elle veut. » Il fallait un livre pour fermer la bouche aux railleurs, pour fixer les indécisions des hommes de bonne volonté, pour substituer l’autorité toujours présente de l’écrit qui reste aux influences fugitives de la parole qui vole. La prédication peut créer une agitation religieuse ; pour faire aboutir cette agitation, il faut un livre. Ce qui faisait du Livre de la loi une chose toute nouvelle, et toute-puissante sur beaucoup même qui avaient les oreilles ressassées de la loi, c’est que pour la première fois elle se présentait là dans son ensemble, comme un tout systématique et cohérent. Ce code, dit M. Renan, « était un des essais les plus hardis que l’on ait tentés pour garantir le faible, » et plus puissant que la parole intermittente et dispersée des prophètes, il tombait sur les consciences de bonne volonté, de toute sa force ramassée.

Nous ne savons pas jusqu’à quel point la loi nouvelle fut appliquée et devint la règle de l’état. Le Livre des rois est l’œuvre de la caste sacerdotale, qui ne nous renseigne que sur l’épuration du culte qui l’intéressait plus que le reste, et qui était d’ailleurs la chose facile. Les prescriptions rituelles furent appliquées avec rigueur, les cultes étrangers furent proscrits, les prêtres idolâtres furent expulsés, ceux qui avaient sacrifié dans le temple même de Jéhovah furent mis à mort, la vallée de la Géhenne où se faisaient les offrandes humaines à Moloch fut souillée. Mais il est plus facile de réformer le culte que l’âme, et dans le triomphe matériel du jéhovisme continua la vieille protestation prophétique : « Quand je vous ai donné mes ordres, au sortir d’Égypte, était-ce pour des holocaustes et des sacrifices ? »

Josias n’avait que vingt-six ans à la promulgation du néo-jéhovisme. Un long règne, comme celui de Manassé, en aurait peut-être fait une réalité dans la loi et les mœurs comme dans le culte. Malheureusement, Josias allait être saisi dans l’engrenage de la politique étrangère et y périr. L’Asie venait d’être bouleversée par une révolution formidable : l’Assyrie venait de succomber sous la coalition des peuples qu’elle avait si longtemps foulés aux pieds et était descendue dans le Scheol rejoindre ses victimes, saluée par l’acclamation des prophètes : « Elle est ruinée, Ninive : qui la plaindra ? Où lui chercher des consolateurs ? Tes bergers sont endormis, ô roi d’Assur ; tes capitaines sont au repos. Et tous ceux qui l’entendront battront des mains : car sur qui n’a point passé ton éternelle férocité ? » C’était Babylone et la Chaldée qui avaient dirigé l’assaut contre Ninive. Mais la vieille Égypte, qui venait de se rajeunir un instant sous la dynastie de Psammétichus, essaya de saisir l’empire du monde, que Ninive laissait tomber de ses mains, avant que la Chaldée l’eût affermi dans les siennes. Le roi d’Égypte, Néchao, marcha sur l’Euphrate. Josias, vassal de Babylone, crut de son devoir d’aller barrer le chemin à l’adversaire de son suzerain. « Je n’ai point affaire avec toi, roi de Juda, » lui fit dire Néchao. Josias, néanmoins, s’avança au-devant de lui et le rencontra à Megiddo. Il tomba percé d’une flèche et revint mourir à Jérusalem, et les hommes et les femmes chantèrent sur lui des lamentations qui se renouvelèrent longtemps chaque année, le jour anniversaire du désastre. Jérémie composa une élégie, qui est perdue, sur le jeune roi qui emportait avec lui tout l’avenir de la réforme. Son fils, Joachaz, couronné roi aussitôt, fut détrôné par Néchao et après trois mois de règne partit captif en Égypte : « Ne pleurez pas sur celui qui est mort, s’écria Jérémie, ne gémissez pas sur lui : pleurez, pleurez sur celui qui s’en va, car il ne reviendra pas et ne reverra plus la terre où il est né ! »

L’agonie de Juda allait commencer. Néchao avait installé pour roi un autre fils de Josias, Joiakim (608-598). Juda devenait un enjeu de plus dans la main de l’Égypte dans sa lutte contre Babylone. Entre les deux formidables adversaires, il fallait au petit Juda, pour n’être pas écrasé, beaucoup d’habileté politique et beaucoup de loyauté. Les successeurs de Josias n’eurent ni l’une ni l’autre. La politique des prophètes était de rester fidèle à Babylone, avec qui Juda s’était lié dès le temps d’Ezéchias et qui avait délivré le monde de Ninive. C’était pour cette politique que Josias s’était fait tuer à Megiddo : c’était la politique de Jérémie, qui sans doute avait approuvé, peut-être conseillé, la marche de Josias : autrement, avec le style de l’homme, au lieu de pleurer sur sa tombe, il y eût versé l’anathème. Déjà d’ailleurs dans le grand duel entre l’Égypte et Babylone, l’Égypte reculait : l’Égypte n’avait de puissance que le souvenir de son passé, et Babel contre l’Égypte, c’était la réalité de la force luttant contre l’ombre. Néchao, vaincu à Carchemis, s’enfuit de l’Euphrate sur le Nil : Nabuchodnozor parut devant Jérusalem et reçut les hommages de Joiakim. Le devoir politique était clair : les jeunes gens qui se succédèrent sur le trône de Jérusalem ne le virent pas. Ils intriguaient avec l’Égypte épuisée, prêtaient l’oreille à ses promesses, s’appuyaient sur le roseau qui leur perçait la main. Trois ans plus tard, après sa soumission au Chaldéen, Joiakim soulevait le joug et refusait le tribut. C’était le commencement de la fin. Une première déportation et le pillage du temple châtièrent la révolte (598). Joiakim était mort durant la guerre : son fils Joiachin, âgé de dix-huit ans, alla, après trois mois de règne et de siège, mourir captif à Babylone. Le dernier fils de Josias, le dernier roi de Jérusalem, Sédécias, renouvelle la folle tentative : elle amène le siège de Jérusalem, la prise et la destruction de la ville, l’incendie du temple, la déportation des hautes classes (588 av. J.-C).

Dès les premiers jours de Joiakim, on put voir clairement que ce n’était point seulement la politique extérieure de Josias qui était abandonnée, mais aussi sa politique intérieure, la politique de réformation prophétique. Néchao, en installant Joiakim, lui avait imposé un lourd tribut : Joiakim dut écraser le peuple pour trouver l’or. Pour refaire le pays, il aurait fallu beaucoup de vertus modestes et tout d’abord l’économie. Il ne songeait qu’à se faire bâtir de nouveaux palais, à la façon des rois, au moyen de la corvée. Et pourtant la loi de Jéhovah disait : « Tu ne retiendras pas le salaire de l’ouvrier. » Et Jérémie allait à la porte du palais, criant : « Malheur à celui qui se bâtit sa maison avec l’iniquité et qui fait travailler son prochain sans salaire ! Serais-tu roi par hasard pour te rengorger dans des palais en cèdre ? Ton père mangeait et buvait aussi, mais pratiquait la justice et la charité : béni soit-il ! Il faisait droit aux humbles et aux pauvres : béni soit-il ! C’est pourquoi voici ce que dit Jéhovah au sujet de Joiakim, fils de Josias, roi de Juda : les pleureurs ne pleureront pas sur lui : Ah ! mon frère ! ah ! mes sœurs ! Les pleureurs ne pleureront pas sur lui : Où est mon Seigneur ? Où est sa gloire ? C’est la sépulture d’un âne qu’on lui donnera, traîné et jeté dehors loin des murs de la ville. » Et il lance à la royauté et aux classes dirigeantes l’ultimatum de Jéhovah :

« Roi de Juda, qui sièges sur le trône de David, toi et tes serviteurs et ton peuple, qui venez à ces portes ! Ainsi, dit Jéhovah : « Faites justice et charité ; sauvez celui qu’on dépouille de la main de l’oppresseur ; ne maltraitez, ni n’opprimez l’étranger, l’orphelin et la veuve ; ne versez pas le sang innocent en ce lieu[4]. »

« Si vous agissez suivant cette parole, il entrera encore, par la porte de ce palais, des rois qui s’assiéront près de David, sur son trône, montés sur chars et chevaux, eux, avec leurs serviteurs et leur peuple.

« Mais si vous n’écoutez point ces paroles, j’en jure par mon nom, dit Jéhovah, que ce palais sera livré à la ruine. J’ai déjà consacré pour toi les destructeurs, chacun avec son arme, qui abattront tes beaux cèdres, les jetteront au feu… »

Le jéhovisme restait la religion de l’état, mais une religion vide de sens. « Courez dans les rues de Jérusalem, cherchez dans ses places publiques. Si vous trouvez un homme, un seul, qui fasse le bien et cherche la droiture, je ferai grâce. Mais tout en disant Vive Jéhovah ! ils jurent pour mentir. » Les coups dont Jéhovah les frappe les ont laissés insensibles. Les gens du commun, se dit le prophète, pèchent peut-être par ignorance, parce qu’ils ignorent les voies de l’Éternel ; j’irai chez les grands, qui sont instruits ; mais les grands sont pires de brutalité et de luxure : « Je les ai rassasiés et ils ont couru à la maison de débauche : ce sont des étalons repus et lascifs ; chacun d’eux hennit après la femme de l’autre[5]. »

Ils croient tout expier avec des holocaustes et des sacrifices. Est-ce des holocaustes et des sacrifices que Dieu a demandés à leurs pères quand il les retirait d’Égypte ? Quand ils sont allés au temple, ils se disent : Nous voilà sauvés ! Est-ce donc à votre gré un repaire de bandits que ce temple auquel j’ai attaché mon nom ? Eh bien ! qu’ils aillent voir à Sillo ce que Jéhovah a fait du sanctuaire d’Israël : il fera de Juda comme il a fait d’Israël, et du temple de Jérusalem comme il a fait du sanctuaire de Sillo.

De jour en jour la rupture s’envenime, la désillusion et la colère s’exaspèrent. C’est en ce moment que Joialdm, fort des encouragemens de la faible Égypte, provoque la formidable Babylone. C’était l’arrêt de mort de Juda. C’est alors que Jérémie commence à sonner le glas final. La plaie de Juda est incurable : il n’est plus de baume en Giléad. Que les mères apprennent à leurs filles les complaintes funèbres, car la mort va monter par les fenêtres, envahir les palais, frapper l’enfance dans la rue, les jeunes gens sur la place publique. La vague et permanente menace de démembrement, de ruine et d’exil que la politique des prophètes suspendait depuis deux siècles sur les crimes et les erreurs de leur peuple, devenait enfin une réalité terrible et toute proche, et c’était le roi aveugle qui de lui-même l’attirait sur sa tête. « Puisque vous n’avez pas écouté mes paroles, voici que j’enrôle toutes les tribus du Nord, et avec elles Nabuchodnozor, roi de Babel, mon serviteur, et je les amène contre ce pays et ses habitans… Et je ferai cesser parmi vous les cris de joie et de réjouissance, la voix du fiancé et de la fiancée, le bruit des meules et la lumière des flambeaux… » Et de jour en jour il va, à la porte du temple et à la porte du palais, annonçant les catastrophes inévitables qu’il voit déjà présentes et qu’il semble appeler de ses vœux parce qu’il les annonce ; en butte aux huées du peuple, qu’il terrifie et exaspère par ses prédictions de malheur, des soldats qu’il indigne, des taux prophètes, en quête d’une popularité facile, qui affolent le peuple par la prédiction de victoires impossibles. Mais Dieu a fait de lui une colonne de fer, un mur d’airain contre Juda, ses rois, ses chefs, ses prêtres et sa plèbe. Par instant, pourtant, il se lasse de la cruauté de son rôle et des outrages qu’il amasse. « Malheur à moi, ô ma mère, de ce que tu m’as enfanté homme de querelle et en guerre avec tous, que tous maudissent ! » Il voudrait se taire, se dérober au cri intérieur, au joug de la mission divine : mais Jéhovah le séduit et le violente. Il est la risée et la terreur de tous : car, toutes les fois qu’il lève la voix, il faut qu’il crie, qu’il dénonce violences et périls, et la parole du Seigneur est pour lui une cause de honte et d’opprobre. « Je disais bien : je ne veux plus parler de lui, je ne veux plus parler en son nom : mais c’était en mon cœur comme un feu brûlant enfermé dans mes os ; je me suis épuisé à le contenir et je n’ai pu. »

Jérusalem est prise une première fois (598) : les hautes classes sont déportées à Babylone : le pauvre petit roi Joiachin va expier en exil la folie de son père : « Par ma vie, dit l’Éternel, quand Joiachin, fils de Joiakim, roi de Juda, serait l’anneau de ma main droite, je l’en arracherais… Et je te jetterai, toi et ta mère qui t’a enfanté, sur une terre étrangère qui n’est point celle où vous êtes nés, pour y mourir. Et la terre vers qui leur âme se reporte pour y revenir, ils n’y reviendront pas. » Et pourquoi est-il jeté, lui et sa race, sur une terre inconnue ? Pourquoi nul de son sang ne s’assiéra-t-il plus sur le trône de David ? C’est que les bergers du peuple de Dieu ont laissé leur troupeau se perdre et s’égarer. Mais Dieu va ramasser ses brebis errantes et leur donner des pâtres qui les feront paître sans qu’aucune se perde.

En effet un nouveau règne commençait : c’était l’inconnu, et par suite c’était une dernière espérance. Le nouveau roi, Sédécias, fils de Josias, était un homme faible, mais bien intentionné. Un de ses premiers actes sembla annoncer un nouveau Josias et prouver que la politique de réformes revenait sur l’eau, que la charte prophétique allait devenir une réalité. Le Deuteronome rendait la liberté de droit à tout esclave hébreu qui avait servi six ans. Sédécias convoqua les grands, et tous les propriétaires d’esclaves et fit proclamer l’émancipation des esclaves, qui furent mis en liberté. Mais le lendemain de cette nuit du 4 août, les privilégiés regrettaient déjà leur générosité, peut-être arrachée par la crainte de quelque danger extérieur : l’acte d’affranchissement fut rescindé et les esclaves rentrèrent dans leur esclavage. C’était un de ces incidens qui éclairent jusqu’au plus profond l’abîme d’une société qui ne peut plus être sauvée, et il arracha à Jérémie un cri effrayant qui dut retentir comme l’arrêt sans retour de la justice divine : « Vous avez fait retourner vos frères dans l’esclavage ; vous avez refusé de proclamer leur liberté : eh bien ! moi, parole de Jéhovah ! je proclame la liberté contre vous à l’épée, à la peste, à la famine ! »

Sédécias tombe à son tour dans le piège de l’alliance égyptienne, et bientôt les bandes babyloniennes viennent de nouveau camper devant Jérusalem, cette fois sans espoir de pardon. L’Egypte a abandonné Juda à l’heure du péril. Et Jérémie reprend, avec une frénésie nouvelle, sa prédication de mort. On le presse d’interroger Jéhovah, de lui demander quelques-uns de ces miracles dont il était jadis coutumier. Balaam, appelé pour maudire Israël, bénissait ; Jérémie, appelé pour bénir, ne peut plus que maudire. C’est Jéhovah qui viendra lui-même combattre Juda, frapper de la peste hommes et bêtes, livrer à Nabuchodnozor le roi, ses officiers et le peuple, pour les exterminer sans pitié et sans miséricorde. Sédécias le fait venir en secret et lui demande : « As-tu quelque chose à me dire de la part de Jéhovah ? — Oui ; que tu seras livré au roi de Babylone. » Et il récrimine sur les conseils suivis : Où sont-ils, à présent, les prophètes qui l’ont égaré, qui lui prédisaient que le roi de Babel ne reviendrait pas à la charge contre Jérusalem ? Jeté en prison, il continue devant le peuple, qui accourt l’entendre : « Celui qui restera dans cette ville périra par l’épée, la famine et la peste ; celui qui se rendra aux Chaldéens sera sauvé. » Les chefs de l’armée vont demander sa mort au roi, « car il brise les mains des gens de guerre et du peuple à parler ainsi. » On le descend dans une citerne, où il enfonce dans la boue jusqu’à l’aisselle, et quand on l’en retire, on ne peut lui arracher d’autre oracle que ces mots : « la capitulation ou la destruction de Jérusalem. »

Jamais orateur ne mit plus d’éloquence et d’héroïsme à prêcher la défense à outrance que celui-là la capitulation et l’abdication de l’honneur national. Jérémie, jugé par nos lois et nos mœurs modernes, était un traître : il l’était aussi aux yeux des derniers chefs d’armée de Jérusalem. Mais ce qui fait précisément la grandeur inouïe de l’homme, c’est que ce traître à la patrie était le patriote des patriotes. Jérémie n’est point le saint ou le fanatique qui détruit la cité terrestre pour une cité céleste. Bien que le christianisme sorte des prophètes, il n’y a rien de chrétien, en ce sens, dans Jérémie même, pas plus que dans aucun des prophètes. Ce qu’il rêve, comme tous ses prédécesseurs, c’est une patrie terrestre, une patrie nationale, une patrie juive ; avec la capitale nationale, Jérusalem ; avec une dynastie nationale, celle de David, mais avec une loi de justice, de piété, de moralité, celle de Jéhovah. Ces illuminés avaient compris la folie qu’il y avait, pour le petit Juda, de jouer un rôle politique et conquérant au milieu des grandes monarchies militaires d’Asie et d’Afrique. Rouler quelques siècles dans l’ornière sanglante de la force et du hasard, intriguer aujourd’hui avec celui-ci, demain avec celui-là, agir à la façon des autres peuples, manger le voisin, être mangé de lui, Israël n’était point armé pour ce rôle. Ses princes et ses chefs pouvaient en avoir l’appétit, mais il n’avait point les griffes assez puissantes. Et ils rêvaient pour lui un autre rôle, lever, au milieu des peuples, l’étendard de la loi éternelle : « Je vous ai mis comme une lumière au milieu des nations. » Et c’est au moment où ce rêve prenait corps et réalité, au moment où la loi, destinée à faire la justice et la paix dans le monde, montait sur le trône de Juda, que des enfans étourdis, des viveurs et des intrigans, des politiciens et des charlatans, jetaient Israël à sa ruine, la double ruine, matérielle et morale ; et, pour le plaisir de jouer le jeu de diplomatie, anéantissaient et la nation temporelle et sa mission universelle et de tous les temps. Si Jérémie se fût fait tuer sur la brèche, ou si, refoulant son désespoir au fond du cœur, se disant qu’il est peu généreux de triompher de son peuple qui périt, il eût assisté en silence à la ruine de Jérusalem, le monde ne serait peut-être pas pire, après tout, qu’il n’est aujourd’hui, mais l’humanité n’entendrait pas planer au-dessus d’elle des paroles qui pourraient encore la sauver et qui ont consolé vingt-six siècles. Ce n’est ni de Babylone, ni même d’Athènes ou de Rome que seraient descendus le Décalogue et le Sermon de la montagne. Jérémie eut l’héroïsme sans pareil de lutter contre la patrie du jour, infidèle à elle-même, au profit d’une patrie future qui n’était pas encore née, qui n’existait encore que dans son cœur et celui de ses quelques disciples. Il eût sans doute préféré, et c’est ce qu’il prêchait sans cesse, une soumission prompte à Babylone, qui, laissant subsister la nation, laissait à la réforme le centre de ralliement du temple et de la tradition politique ; mais puisque les conseils de raison étaient impuissans, que le destin s’accomplît et que l’avenir, plus radical, fût préparé par l’anéantissement de la patrie du jour ! Une autre patrie renaîtra, de l’autre côté du néant.

Dès la première déportation, celle du roi Joiachin, cette conviction était entrée dans Jérémie que le Juda prophétique ne pourrait pousser en terre-sainte qu’après avoir été déraciné. Les premiers déportés ne se faisaient pas à l’idée d’un exil indéfini : ils rêvaient un retour triomphant auprès de leurs frères, et les prophètes patriotes leur parlaient de quelque coup miraculeux du ciel en leur faveur. Deux d’entre eux, Achab et Semaia, furent jetés par Nabuchodnozor dans un four ardent[6]. L’implacable clairvoyance de Jérémie soufflait sur ces généreuses illusions avec plus de succès que les bourreaux du roi. Des lettres de lui circulaient parmi les proscrits, les décourageant de la patrie, les pressant d’accepter l’exil, d’y planter, d’y bâtir, de s’y marier, de s’y multiplier, sans se laisser séduire par les faux prophètes de l’espérance. Au bout de soixante-dix ans, le Seigneur, fidèle à ses promesses, les ramènerait dans la terre natale. Le plan du prophète se déroulait avec une clarté sans pareille : il fallait deux générations, nées et nourries dans l’enseignement prophétique, loin des influences troublantes des vieux partis, des ambitions mondaines et de toutes les traditions politiques et politiciennes, pour produire enfin une nation une, absolument nouvelle et faite selon le cœur de Jéhovah et des prophètes. Alors Rachel qui pleure à Rama sur ses enfans, parce qu’ils ne sont plus, ne pleurera plus et sera consolée. Jéhovah les fera tous revenir de tous les pays où les a dispersés sa colère ; il les ramènera dans la terre-sainte. Et il fera avec la maison d’Israël et la maison de Juda un pacte nouveau, non plus comme celui qu’il fit avec leurs pères à la sortie d’Égypte et qu’ils ont rompu : car il mettra sa loi dans leur sein et l’écrira dans leur cœur, de sorte qu’il sera leur dieu et qu’ils seront son peuple. Et Jérusalem sera rebâtie et ne sera plus détruite.

Cette année même, Jérusalem et le temple étaient incendiés : le roi Sédécias avait les yeux arrachés devant Nabuchodnozor, après avoir vu ses fils égorgés sous ses yeux et de nouvelles files de déportés se dirigeaient à travers le désert vers les provinces de Babylonie (588).


VI

Parmi les déportés de la première heure se trouvait un homme formé à l’école de Jérémie, Ézéchiel. Il était prêtre comme Jérémie et plus que lui pénétré de l’idée sacerdotale ; non par préjugé de caste, mais parce que dans l’effondrement momentané de la nation, tout centre de ralliement matériel étant perdu, il fallait bien un signe visible de l’unité, un symbole de la nationalité future. Puisqu’on n’avait pu faire la nation sainte par l’état, il fallait bien la faire par le rite. Le développement sacerdotal sortit, comme une nécessité de vie, de l’annihilation politique.

Ézéchiel passe pour le plus obscur des prophètes. Souvent, en effet, il pousse aux dernières limites les procédés de symbolisme qu’affectionnaient les anciens prophètes. Dans le spectacle du monde bizarre et fantastique que l’art et la civilisation de la Chaldée présentaient autour de lui, il a absorbé nombre d’images compliquées et étranges : il est l’ancêtre de la Cabale et c’est lui qui le premier a rempli, pour la passer à Daniel, Enoch, Jean de Patmos et tant d’autres, la coupe fumeuse de l’Apocalypse. Mais sous les symboles obscurs et pénibles, sa pensée se développe avec une clarté et une logique que ne présente aucun autre prophète.

Tant que Jérusalem est debout, tant que la lutte dure encore entre Israël et Babel, et par suite dans Israël même entre les deux mondes qui le déchirent, le vieux monde banal et charnel qui ne veut pas mourir, et le monde nouveau, animé de l’esprit divin, qui veut se dégager du cadavre auquel il est lié vivant, Ézéchiel fait écho au cri de malédiction de Jérémie. L’épée de Jéhovah est sortie du fourreau et tirée contre justes et méchans, du nord au sud. Jérusalem se fie en vain à ses prophètes insensés qui l’égarent, chacals glapissant dans les ruines. Si l’on te demande : Pourquoi gémis-tu ? tu répondras : C’est à cause d’un message qui, quand il arrivera[7], tout cœur fondra, toute main défaillira, tout esprit sera abattu, tout genou paralysé. L’épée est aiguisée pour la boucherie et le carnage, fourbie pour le jet de l’éclair ; elle est aiguisée et fourbie pour être remise à l’égorgeur. Et c’est sur mon peuple qu’elle vient, sur les chefs d’Israël. C’est parce que Juda est de la scorie impure que Jéhovah la ramasse tout entière dans Jérusalem, comme dans un creuset, pour la faire fondre au feu de sa colère.

Jérusalem est en cendres : toute la colère d’Ézéchiel tombe : car voici l’heure venue de préparer la patrie de l’avenir. Car Jéhovah n’a pas voulu détruire son troupeau, mais seulement le mauvais pasteur. Les bergers d’Israël se sont repus eux-mêmes, au lieu de paître leurs brebis :

« Vous vous êtes nourris de leur lait, vêtus de leur laine, vous avez égorgé celles qui étaient grasses, et n’avez point fait paître le troupeau.

« Vous n’avez point soutenu celle qui était faible, guéri celle qui était malade, pansé celle qui était blessée, ramené colle qui s’égarait, recherché celle qui était perdue : vous les avez gouvernées avec violence et dureté.

« Et alors elles se sont dispersées faute de berger, et sont devenues la proie de toutes les bêtes fauves… »

C’est pourquoi Jéhovah retire ses brebis de la gueule du mauvais pasteur et il s’occupera de les faire paître lui-même. Il recueillera dans tous les pays le troupeau dispersé au jour d’orage et le ramènera paître sur la colline d’Israël. « Et alors j’établirai sur elles un berger unique qui les fera paître : mon serviteur David. Et moi, Jéhovah, je serai leur dieu, et mon serviteur David sera prince au milieu d’elles. »

Dans l’interrègne royal, le prophète hérite du roi : c’est à lui de refaire l’âme de la nation. Le Seigneur l’a établi comme sentinelle responsable à l’égard de la maison d’Israël : car l’homme qui a reçu la révélation du Seigneur et la garde pour lui-même est aussi coupable que celui qui la viole. « Si je dis au méchant : Tu mourras, et que toi, tu ne l’avertisses pas pour l’éclairer et le détourner de sa voie mauvaise et faire qu’il vive ; lui, le méchant, mourra pour son péché, mais à toi je demanderai compte de son sang. » Car une justice nouvelle va entrer dans le monde et abolir la terrible fatalité héréditaire qui veut que chaque génération expie les fautes des précédentes et que Jéhovah frappe le pécheur jusqu’à la quatrième génération. On ne dira plus : « Nos pères ont mangé des raisins verts et nos dents ont été agacées. » Le fils ne mourra plus pour le péché du père, c’est le coupable seul qui mourra : au juste reviendra sa justice et au méchant son iniquité. Et si le méchant revient de sa méchanceté et qu’il pratique le droit, il ne mourra pas, il vivra ; car Jéhovah ne prend pas plaisir à la mort du pécheur, mais à ce qu’il revienne de sa voie et qu’il vive.

Et voici que les voies se préparent par ce même Nabuchodnozor qui a détruit Jérusalem. Tous les ennemis de Juda, tous ceux qui l’ont opprimé ou trahi, ou induit en tentation ou applaudi à sa chute, tombent sous les coups de l’instrument divin, grands et petits : Ammon, Édom, les Philistins, qui ont hurlé de joie quand le sanctuaire était profané, le pays dévasté, le peuple déporté ; Moab, qui s’est écrié : « Où est Jéhovah ? Vous voyez bien qu’il en est de Juda comme des autres peuples ; » Tyr la jalouse, qui s’est écriée : « Elle est brisée, la Porte des nations, et c’est vers moi que l’on se tourne, à présent ; » Tyr la belle, la riche, la savante, la maîtresse de l’Océan, centre du commerce du monde, où affluaient l’or de Tarshish, les chevaux d’Arménie, les pierreries d’Aram, les vins de Damas, les troupeaux d’Arabie, les parfums de Saba, les esclaves de Yavan. Voilà treize ans que Nabuchodnozor l’assiège, et voici qu’elle va descendre dans la mer avec ses marchandises, ses matelots et ses mercenaires, et l’on chantera la complainte : « Qui était pareil à Tyr, à celle qui vient de périr au sein de l’Océan ? » Et voici le tour de l’Égypte traîtresse, de celle qui a perdu Juda par les déceptions de son alliance. « À toi, maintenant, Pharaon, roi d’Égypte, grand crocodile blotti dans ton fleuve ! Mais je mettrai un anneau dans tes mâchoires ; j’attacherai à tes écailles tous les poissons de ton fleuve, je te traînerai au désert, toi et tous les poissons de ton fleuve, et tu resteras échoué sur la plage, et aux bêtes sauvages et aux oiseaux du ciel je te donnerai en pâture. » Et Pharaon, égorgé, descend au Schéol et se console en y retrouvant, en couches superposées de cadavres, Élam, Mesek-Toubal, et Édom et les Sidoniens, et tout au fond du gouffre Assur et ses multitudes, frappés par l’épée pour avoir porté le carnage dans le monde des vivans. Peut-être, au fond du cœur du prophète, montait déjà un hymne de triomphe pour la chute future de l’instrument de toutes ces vengeances, le grand égorgeur chaldéen. Car n’y en avait-il pas, parmi ses victimes, qui valaient mieux que lui ? Les fautes et les folies d’Israël et du monde avaient rendu inévitable le déchaînement du monstre qui les châtiait ; mais il se trouvait déjà des prophètes qui pensaient que Jéhovah avait choisi un bien atroce justicier :


N’es-tu pas, depuis les temps antiques[8],
O Iahvé, notre Dieu, notre saint,
Qui nous préserve de la mort ?

Iahvé, tu l’as établi[9] comme justicier.
Rocher[10], tu l’as commis pour châtier.

Toi qui as les yeux trop purs pour regarder l’iniquité,
Et qui ne saurais supporter la vue du mal,
Comment peux-tu bien regarder ces perfides,
Te taire, quand le méchant dévore plus juste que lui ?

Tu as réduit les hommes à l’état des poissons
Et des reptiles de la mer, qui n’ont pas de roi.

Ce peuple les pêche avec son hameçon,
Les tire avec sa senne,
Les ramasse dans ses filets ;
Alors il est content, il saute de joie.

Le verra-t-on toujours vider son filet,
Pour recommencer à égorger les peuples sans pitié ?


Et le plan de Jéhovah et des prophètes se déroulait avec une clarté et une audace sereines : « Tant que ceux de la maison d’Israël demeuraient dans leur terre, ils la souillaient par leur conduite et leurs forfaits. Et j’ai versé sur eux ma colère, à cause du sang qu’ils avaient versé sur la terre et des idoles dont ils l’avaient souillée, et je les ai dispersés parmi les nations… Et je vous rassemblerai d’entre tous les pays et vous ramènerai dans votre patrie. Et je mettrai un nouvel esprit au dedans de vous ; j’ôterai de votre poitrine ce cœur de pierre et y mettrai un cœur de chair. Et vous demeurerez dans le pays que j’ai donné à vos pères, — vous deviendrez un peuple à moi, et je serai votre Dieu. » Quoi ! au lendemain de la défaite, de la dispersion, de l’annihilation, il y aurait place encore pour un peuple d’Israël, pour une patrie juive, pour une Jérusalem nouvelle ! Oui ! Et le prophète se voyait emporté en esprit vers une plaine couverte d’ossemens, et l’Éternel lui demandait : « Fils de mortel, ces ossemens de morts peuvent-ils revivre ? — Seigneur Jéhovah, c’est toi qui le sais. — Eh bien ! prophétise sur ces ossemens et dis-leur : Ossemens desséchés, écoutez la parole de Jéhovah. Je vais faire entrer en vous le souille pour que vous viviez : je mettrai sur vous des nerfs, la chair, la peau, et je mettrai en vous le souffle, pour que vous viviez et reconnaissiez Jéhovah. » Et tandis que le prophète prophétisait selon l’ordre, un grand bruit se fit et les ossemens se rejoignaient avec tracas. Et il voyait se former les nerfs, la chair, et la peau s’étendre ; mais le souffle n’y était pas. Et Dieu lui dit : « Prophétise vers le souffle et dis : Des quatre vents de la terre, reviens, ô souffle ! et souffle dans ces cadavres d’égorgés pour qu’ils revivent ! » Et le souffle entrait, et ils revenaient à la vie, et ils se dressaient sur leurs pieds, une foule, une foule immense. Et Dieu dit : « Ces ossemens, c’est la maison d’Israël. Israël dit : Nos ossemens sont desséchés, notre espérance est perdue, c’en est fini de nous… Eh bien ! dis-leur : Voici ce que dit le seigneur Jéhovah : Je vais ouvrir vos tombes, vous faire remonter de vos tombes, et je mettrai en vous mon souffle, pour que vous reveniez à la vie, et je vous remettrai dans votre patrie, afin que vous reconnaissiez que moi, Jéhovah, je l’ai dit et l’ai fait. »

Il y a cinq ans, étant dans l’Inde, je rencontrai trois rabbins qui venaient, l’un de Varsovie, l’autre de Jérusalem, et le troisième de Boukhara, et qui faisaient le tour de l’Asie en quêtant pour leurs frères. Et celui de Jérusalem me dit que, dans ses courses en Perse, il avait trouvé, au nord de Téhéran, un village nommé Giléad et tout peuplé de juifs, qui descendent des ossemens ressuscités par Ézéchiel. Il ne savait pas qu’il était lui-même de ceux-là, et que tout Israël descend de ces cadavres ranimés par le prophétisme.

Et le prophète, transporté par la pensée de la Jérusalem à venir, reconstruit son temple[11], en décrit les proportions et les formes, organise le futur sacerdoce, le culte nouveau, dresse le plan géographique du royaume réorganisé, le partage entre les tribus revenues des quatre coins de l’exil. Ce plan de la constitution de l’avenir, qui fourmille d’impossibilités matérielles, est moitié idéal, moitié allégorique : une partie, celle qui touche l’organisation du sacerdoce et du culte, est entrée dans la réalité ; l’autre est restée dans les nuées. Le sens du tout est donné par le mot final d’Ézéchiel : « Et le nom de la ville sera désormais : Ici Jéhovah. »


VII

Il ne fallut pas, pour faire la nation nouvelle, les soixante-dix années demandées par Jérémie. Deux générations s’étaient à peine écoulées que Babel tombait à son tour, et quand Cyrus rouvrait aux exilés le chemin de la Palestine, l’œuvre d’éducation des prophètes était achevée (536 av. J.-C).

Le cri prophétique qui, depuis deux siècles, accompagne tous les grands coups de l’histoire, les commente et les explique au nom de Jéhovah, fut poussé par un grand poète dont le nom est resté inconnu, et qui est peut-être de tous celui dont la voix a porté le plus loin, car ses images et ses métaphores ont enfanté un dieu nouveau. On est convenu de l’appeler le second Isaïe, parce que les compilateurs de la Bible ont mis son œuvre à la suite de celle d’Isaïe, qui vivait cent cinquante ans auparavant, mais dont il est d’ailleurs visiblement l’élève et le continuateur.

Les acclamations dont il salue Cyrus ne rappellent en rien celles dont Jérémie saluait Nabuchodnozor. Le Chaldéen venait pour accomplir les destructions nécessaires, le Perse vient pour la délivrance et la restauration ; Nabuchodnozor était l’instrument des vengeances de Jéhovah, Cyrus celui de ses clémences. C’est que, dans l’intervalle, les débris d’Israël, transplantés, ont grandi dans la voie du Seigneur : la dispersion a épuré le péché de Jacob.

Quand la nouvelle se répandit que Cyrus marchait sur Babel, ce fut un cri de joie triomphante dans le cœur des prophètes. La restauration si longtemps annoncée allait s’accomplir : le dernier acte du drame prophétique s’ouvrir, le plan divin se réaliser. Tout plie devant le libérateur envoyé par un Dieu qu’il ne connaît pas. Dieu veut que Juda soit repeuplé et Jérusalem rebâtie, et c’est pour cela qu’il prend Cyrus par la main, qu’il marche devant lui, aplanit devant lui les escarpemens, brise les portes d’airain, fait éclater les barreaux de 1er, lui livre les trésors enfouis. Le dieu Bel tombe, Nabo est renversé, tous ces dieux d’or chargés sur les bêtes de somme, qu’ils fatiguent de leur poids. L’Eternel a brisé la verge de l’impie, le sceptre de l’oppresseur ; la terre entière jette un cri de bonheur ; jusques aux cyprès qui sont dans la joie et jusqu’aux cèdres du Liban qu’il abattait pour ses palais : « Puisque te voilà à terre, la cognée ne montera plus sur nous ! » Et dans le Schéol, tous les spectres des tyrans de jadis, qu’il y a précipités, se relèvent pour recevoir le nouveau-venu et lui crient : « Te voilà donc blessé comme nous, te voilà semblable à nous ! Descendues au Schéol ta splendeur et la voix de tes lyres ! Et ceux qui te voient à présent disent : Quoi ! c’est là celui qui faisait trembler la terre et frissonner les empires ? »

Comment Israël a-t-il pu perdre cœur, dire : « Ma destinée est indifférente à Jéhovah, Dieu m’a oublié ? » Une femme oublierait-elle son nourrisson, une mère le fruit de ses entrailles ? Elle l’oublierait que moi, Jéhovah, ne t’oublierais pas. Tu ne sais donc pas, Israël ? Tu ne comprends donc pas que Jéhovah est toujours Dieu ? Qui l’a suscité de l’Orient, Celui sur les pas duquel accourt la victoire[12] ? Et toi, Israël, mon serviteur, toi que j’ai élu, race de mon ami Abraham, toi que j’ai saisi au bout de la terre, que j’ai appelé du jour où tu étais encore en lisière, ne crains rien, car je suis avec toi, je suis ton Dieu. Ceux qui t’en veulent seront confondus. « Ne crains rien, vermisseau de Jacob, pauvre petit peuple d’Israël ! »

Car les souffrances d’Israël, transfigurées par le prophétisme triomphant, ne sont plus, comme jadis, l’expiation de ses fautes, la punition infamante de ses péchés : c’est le prix du salut de l’âme humaine. Jéhovah avait mis son esprit en lui pour faire par lui part aux nations de la justice. Ce n’est donc pas en vain qu’il a souffert, méprisé, abandonné des hommes, peuple de douleur, familier de la souffrance. Envoyé par le Seigneur pour prêcher sa parole, il n’a point été rebelle et n’a point reculé. Il a présenté son dos à ceux qui le frappaient, sa joue à ceux qui l’insultaient : il n’a point détourné la face devant l’outrage et le crachat. Pareil à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis muette devant le tondeur, il n’a pas ouvert la bouche ; et c’est pour cela qu’il ne mourra pas. Les hommes l’ont cru frappé de Dieu, tandis que c’est pour les ramener de leurs péchés qu’il était frappé, pour leur salut qu’il était châtié. Et il ne se lasse ni ne se décourage, que la justice ne soit établie sur la terre, et les îles lointaines attendent son instruction. Jéhovah le fait législateur des peuples : des nations qui ne le connaissent pas accourront auprès de lui. Il conduira les étrangers qui s’attachent au nom de Jéhovah vers sa maison de la montagne sainte : car la maison de Jéhovah sera appelée une maison de prière pour tous les peuples.

Et le poète voit naître une terre nouvelle où tout le passé sera oublié, où l’on n’entendra plus de cris de détresse et où l’on ne péchera plus ; où les mères n’enfanteront plus pour une mort subite, où il ne mourra plus de vieillards qui n’aient achevé leur carrière, où le plus jeune mourra à cent ans, et ce n’est plus qu’à cent ans que le pécheur sera maudit.


VIII

Soulevée par ces espérances grandioses qui se crurent réalisées six siècles plus tard, sous des formes et des symboles inattendus, jaillis des métaphores du prophète, une partie des exilés reprit le bâton de pèlerinage, détacha la lyre suspendue aux saules des fleuves de Babylone, traversa le désert et remonta en chantant vers la montagne de Sion.

« Quand l’Eternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme dans un rêve. «… Puis notre lèvre s’emplit d’allégresse, notre bouche de cris de triomphe. »

Et alors Israël essaya de réaliser le rêve prophétique, et à la place de la patrie banale des anciens jours de constituer la patrie terrestre et divine, matérielle et idéale. La réalité apporta bientôt ses terribles réveils et fit cesser les cris de triomphe.

Un jour vint où, devant les démentis de la réalité, la nation se divisa et une partie se dit : « Le royaume annoncé n’est point de ce monde. » La conception des prophètes devint une image et une allégorie, et le christianisme, s’appuyant sur un dogme nouveau, emprunté à la philosophie grecque et que le judaïsme prophétique ignora toujours, — la croyance à la résurrection et à une rémunération future, — supprima le problème qui troublait la conscience d’Israël en renvoyant la solution à un autre monde.

Ce n’est point ici le lieu d’examiner comment et pourquoi vint un jour où une partie de l’humanité cessa de se sentir à l’aise dans la solution chrétienne. L’éclosion de la science au XVIe siècle, la philosophie destructive du XVIIIe et la Révolution ont ramené la question aux termes où les vieux prophètes l’avaient posée : réaliser la justice sur la terre, sans l’appui des sanctions d’outre-tombe. De sorte qu’après vingt-sept siècles, l’humanité se retrouve en face du même problème qu’au temps du berger Amos et du roi Jéroboam II. C’est pour cela qu’après tant de siècles ces vieilles pages ont encore tant à dire à des âmes, désabusées des dieux et de l’autre monde et de toutes les croyances qui les ont bercées dix-huit siècles. « Nous tous, dit le grand historien de nos crises morales, nous tous qui cherchons un Dieu sans prêtres, une révélation sans prophètes, un pacte écrit dans le cœur, nous sommes à beaucoup d’égards les disciples de ces vieux égarés. » Égarés, non, puisqu’ils avaient cherché Dieu dans leur cœur et l’avaient trouvé. Car leur Jéhovah n’était en fin de compte que la conscience impérieuse de quelques hommes divinisée, « la conscience humaine projetée au ciel : » et aujourd’hui, dans la ruine religieuse du siècle, la conscience est toujours là, toujours prête dans ses ténèbres, ses incertitudes, ses bonnes volontés, à répondre au cri de la conscience des forts. Ce cri, les prophètes l’ont jeté les premiers et pour tous les siècles. Ils ont jeté en paroles de feu inextinguibles le cri de l’instinct noble, et dans une forme si simple, si universelle, si dégagée des fantaisies fugitives de la poésie religieuse, si purement et si victorieusement humaine, qu’après vingt-sept siècles des fils de Voltaire s’étonnent, en les entendant, de sentir leur conscience d’homme subjuguée. Leur puissance historique n’est épuisée ni par le judaïsme, ni par le christianisme et ils tiennent une réserve de force au profit du siècle qui vient. Le XXe siècle est mieux préparé pour les comprendre que les vingt siècles qui l’ont précédé, et ils peuvent dire aujourd’hui encore comme jadis : « La parole sortie de mes lèvres ne retournera pas vers moi sans effet. »

Certes, l’horizon de l’humanité moderne n’est point celui des voyans d’Éphraïm. Elle a un tourment en plus qui les troublait peu, le tourment scientifique, que nulle révélation morale ne peut guérir et pour lequel les prophètes n’ont rien à dire, car il ne jaillit point du cœur de l’homme, source de toute certitude, il jaillit de son néant, il descend sur lui des étoiles, il monte vers lui de l’abîme des âges. C’est à la science, avec ses révélations progressives et lentes, avec ses beaux rêves éveillés, de verser goutte à goutte son baume sur une blessure qui saignera toujours. Mais la science n’a que des clartés froides, comme celles d’un soleil polaire, et sur les âmes mal trempées par l’instinct, son baume est un narcotique ou un poison. Elle ne sera saine et vivante que si elle retrouve dans l’instinct moral la sève et la chaleur de vie et si elle s’emploie à réaliser le dieu dans l’homme.


Il y a dix-neuf siècles, le plus noble esprit de Rome, devant l’abjection de ses dieux et de ses prêtres, jetait le cri de l’intelligence indignée : « Et la piété n’est point de se montrer sans cesse, le front voilé, devant une pierre et d’approcher tous les autels, ni de se prosterner à terre, et de tendre ses mains ouvertes vers les sanctuaires et d’inonder les autels du sang des quadrupèdes, mais de contempler l’univers d’une âme sereine :


Nec pietas ulla est velatum sæpe videri
Vortier ad lapidem, atque omneis accedere ad aras :
Nec procumbere humi prostratum, et pandere palmas
Ante deum delubra, neque aras sanguine multo
Spargere quadrupedum, nec voteis nectere vota :
Sed mage pacata posse omnia mente tueri.


Et huit siècles avant Lucrèce, le dieu du berger Amos s’écrie : « Je hais vos fêtes, vos holocaustes me font mal, vos offrandes de veaux gras, j’en détourne les yeux ; loin de moi le bruit de vos cantiques, je ne veux pas entendre le son de vos lyres. Mais que le droit jaillisse comme de l’eau, et la justice comme une rivière intarissable. »

La religion du XXe siècle est dans ces deux cris : elle naîtra de la fusion du prophétisme et de la science.


JAMES DARMESTETER.

  1. Histoire du peuple d’Israël., I, 191-192.
  2. Formant le district des Gentils ou Galilée, l’extrême nord du royaume d’Israël, dont la population avait été déportée dans la génération précédente en Assyrie.
  3. Lac de Génésareth.
  4. Aux portes du palais où se rend la justice.
  5. Belle définition du théâtre et du roman contemporains.
  6. Point de départ de la légende de Daniel.
  7. La nouvelle de la destruction de Jérusalem.
  8. Habacuc, I, 12-17. Nous reproduisons la belle traduction de M. Renan (p. 295).
  9. Le peuple chaldéen.
  10. « Le mot sour, rocher, était presque devenu un nom de Dieu. »
  11. Restitué récemment par MM. Perrot et Chipiez.
  12. Cyrus.