Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/III


III

l’amour de la liberté.


La république suppose dans les citoyens l’amour de la liberté. Sans cet amour, ils feraient bon marché d’une forme de gouvernement qui leur impose une tâche glorieuse sans doute, mais pénible, celle de se gouverner eux-mêmes, et ils se laisseraient aller volontiers au despotisme, qui les débarrasse de ce souci. Aussi l’amour de la liberté a-t-il été considéré de tout temps comme l’une des qualités essentielles du républicain. Mais il faut que cet amour soit éclairé par une idée exacte de la liberté.

La liberté n’est pas la licence : celle-ci n’est pas seulement l’abus de celle-là, elle en est la négation. Celui qui s’imaginerait que sa liberté consiste à faire tout ce qui lui plaît sans souci de celle des autres, ne serait pas l’ami, mais l’ennemi de la liberté : il la ruinerait dans son principe. La liberté ne va pas sans une règle qui en restreint pour chacun l’exercice au respect de celle des autres. Aussi est-elle identique à l’ordre véritable.

Il suit aussi de la juste idée de la liberté qu’elle n’a non plus rien de commun avec le fanatisme de ceux qui n’admettent pas qu’on puisse penser autrement qu’eux en matière de religion, de philosophie ou de politique, et qui voudraient imposer aux autres leurs idées. Le fanatisme des sectaires de telle ou telle doctrine philosophique ou politique n’est pas moins révoltant que le fanatisme religieux ; peut-être même l’est-il davantage, car il transporte dans le champ de la libre pensée les procédés de ceux qui ne songent qu’à l’étouffer. Le vrai amour de la liberté repousse le fanatisme, de quelque côté qu’il vienne. Celui qui le possède reconnaît à chacun le même droit de penser qu’il s’attribue à lui-même, et ne se montre intolérant qu’à l’égard de l’intolérance, qui supprime le droit. Il sait d’ailleurs que ce serait folie de vouloir mettre toutes les têtes sous un même bonnet, et que la diversité même des manifestations de la pensée est une des conditions de la recherche de la vérité.


En tout, la liberté, c’est-à-dire le libre épanouissement de toutes les facultés, le libre exercice de toutes les activités, le libre développement de toutes les ressources, est, en même temps que le droit de chacun, le meilleur instrument du bien commun. Les libertés publiques ne sont que la consécration et la garantie de cette liberté-là. C’est celle-là qu’il faut aimer, c’est celle-là qu’il faut revendiquer et défendre contre les usurpations du pouvoir, quel qu’il soit ; c’est celle-là que tout vrai ami du gouvernement républicain doit savoir pratiquer pour son propre compte et respecter chez les autres. Il n’y a pas de république digne de ce nom et durable sans les mœurs de la liberté.