Les Principes et les Mœurs de la République/Les mœurs républicaines/I


I

la dignité personnelle.


Le premier point est de respecter en soi-même la dignité humaine. Celui qui s’enveloppe de cette vertu est à l’abri de tous les vices sur lesquels s’appuie le despotisme et qui corrompent les républiques où ils se glissent. Il ne courbe point l’échine devant le pouvoir qui distribue les places et les honneurs, et ne veut rien devoir à la faveur, mais tout à son travail et à son mérite. Il ne sollicite jamais, suivant une expression consacrée dans la langue monarchique, mais qui doit disparaître de la langue républicaine ; et, même pour obtenir ce qu’il a conscience d’avoir mérité, il ne se fait le courtisan de personne. Ce n’est pas en lui qu’on trouvera jamais, soit dans la monarchie, l’étoffe d’un courtisan, soit dans la république, celle d’un flatteur du peuple. Le servilisme, ou, ce qui est au fond le même vice, la flatterie démagogique, lui est en horreur : il a l’âme trop fière pour y descendre, et il sait bien que, selon une énergique parole de Kant qu’on ne saurait trop répéter[1], « celui qui se fait ver n’a plus droit de se plaindre d’être écrasé. » Il n’a pas une moindre répugnance pour le mensonge, qui est aussi une dégradation : et, repoussant tout masque, il veut être vrai en toutes choses. Vous pouvez donc vous fier à sa parole ; c’est celle d’un homme. Le même respect de la dignité humaine inspirera à ceux qui en seront pénétrés l’horreur de l’ivrognerie et de tous les vices qui ravalent l’homme au rang de la brute et souillent, hélas ! sur une si grande échelle nos sociétés démocratiques. La sobriété, comme la sincérité, comme cette fierté d’âme qui chasse tout esprit de courtisanerie, doit être l’accompagnement et le soutien des républiques. Nous ne demandons pas aux républicains de retourner au brouet noir des Spartiates, mais de rejeter loin d’eux tout ce qui dégrade la personne humaine, tout ce qui tue l’amour du travail, tout ce qui étouffe en nous le sentiment de notre responsabilité et de nos devoirs.

Ce sentiment est la condition vitale de tout système républicain. Non seulement il ne faut pas en étouffer le germe, mais il faut le développer dans toute sa plénitude, si l’on veut faire des hommes capables de vivre en république. C’est de là que naît ce respect de la dignité humaine dont nous venons de relever l’importance. C’est par là que les citoyens apprendront à s’aider eux-mêmes, au lieu de compter sur le secours d’autrui et de tout attendre de l’État. Ainsi se formera l’habitude de l’effort personnel et de l’initiative privée, si rare chez les peuples que le despotisme a tenus en tutelle, mais si nécessaire dans les républiques.

  1. Doctrine de la vertu, page 101 de ma traduction.