Gauthier-Villars, éditeurs (p. 15-28).

CHAPITRE II.

SOURCES ET SYSTÈMES ÉVOLUANTS.


8. Évolutions avec changement d’état. La généralisation qui a été formulée ci-dessus appelle une remarque d’autant plus importante que le fluide moteur le plus utilisé industriellement est la vapeur d’eau, laquelle passe à l’état d’eau liquide au cours de son évolution fermée.

Les changements d’état qu’elle subit comportent des changements importants d’énergie potentielle de cohésion. Dans la chaleur de vaporisation, très élevée, que lui fournit la source chaude, figure, à côté d’une partie utile correspondant au travail d’expansion, une partie plus importante correspondant à l’augmentation d’énergie interne. Cette énergie interne disparaîtra dans la condensation provoquée par la source froide, en fournissant à celle-ci la quantité de chaleur correspondante. On est porté à craindre, à première vue, que ce double processus se traduise par un transport direct de chaleur de la source chaude à la source froide, très désavantageux en apparence, au point de vue rendement, puisque la dépense est définie par la quantité de chaleur globale fournie par la source chaude.

En réalité, il n’en est rien et ces échanges de chaleur complémentaires, bien que très considérables, ne modifient pas le rapport des deux quantités de chaleur globale échangées avec l’une et l’autre source ; or, ce rapport intervient seul dans le rendement. Sans qu’il soit besoin de procéder à une analyse quantitative détaillée, il suffira de rappeler que le théorème de Carnot précise, dans le cas particulier du cycle de Carnot, que le rapport de ces deux quantités de chaleur est égal au rapport des températures absolues des deux sources, sans qu’interviennent a priori les propriétés particulières du fluide moteur utilisé.

Les rendements de cycles autres que les cycles de Carnot s’évaluent comparativement à ceux-ci, sur les diagrammes entropiques dont il sera question au Chapitre III, sans que les propriétés particulières du fluide interviennent non plus a priori.


9. Foyers et chaudières. — La source chaude d’une machine à vapeur normale est constituée par les parois de la chaudière au contact desquelles l’eau vient recevoir la chaleur qui doit la vaporiser.

Comme la paroi fournit sans cesse de la chaleur au fluide, il faut, pour la maintenir à température constante, lui en fournir sans cesse des quantités équivalentes.

Cette chaleur pourrait être prise à une réserve pratiquement indéfinie, comme une source thermale à température élevée (qui constitue une voie d’évacuation de la réserve d’énergie thermique interne de la Terre), ou comme la couche superficielle des mers tropicales, chauffée par le Soleil (à laquelle il est fait appel dans le procédé préconisé par M. Georges Claude). L’entretien de la source chaude peut être alors assuré par une circulation permanente du fluide chauffant contre les parois extérieures de la chaudière.

Il est à remarquer d’ailleurs que, dans les deux cas particuliers ainsi envisagés, il apparaîtra plus simple de faire pénétrer dans la chaudière l’eau chaude dont on dispose, pour l’utiliser comme fluide évoluant. Cela reviendrait à déplacer la source chaude, qui ne serait plus constituée par les parois de la chaudière — alors calorifugée extérieurement — mais par la réserve d’eau chaude elle-même : on pourrait en effet fermer le cycle en rejetant l’eau, à la fin de son évolution, dans la réserve chaude, dont elle reprendrait la température en reconstituant une masse identique à celle initialement introduite dans la chaudière.

On pourrait concevoir aussi de créer l’énergie thermique nécessaire, dans les parois de la chaudière, en leur faisant absorber le rayonnement solaire. Dans cette voie, on peut envisager d’absorber directement le rayonnement solaire par l’eau à chauffer : à la source chaude constituée par les parois serait alors substituée une source chaude constituée par le Soleil lui-même, les échanges avec le fluide n’étant plus réalisés au contact, par conduction, mais à distance, par rayonnement.

En fait, dans la pratique industrielle courante, on crée sur place l’énergie thermique nécessaire, au contact des parois externes de la chaudière, au moyen d’un foyer qui l’entoure, dans lequel on réalise la combinaison chimique d’un combustible avec l’oxygène de l’air : l’énergie potentielle chimique qui disparaît dans la réaction se transforme en fournissant l’énergie thermique désirée.

La dépense est alors constituée par cette énergie chimique ; c’est-à-dire par le combustible, puisque l’oxygène de l’air est disponible gratuitement à volonté.

Une considération économique essentielle s’introduit alors immédiatement : c’est celle du rendement du foyer. L’énergie thermique créée dans celui-ci par la combustion n’est pas transmise en effet intégralement à la chaudière et, par elle, au fluide. L’évacuation par les parois extérieures du foyer peut être rendue très faible au moyen de revêtements calorifuges. Par contre, le tirage du foyer représente une perte importante inévitable : il faut appeler l’air frais nécessaire à la combustion, et évacuer l’azote inutile et les produits gazeux de la combustion ; ces résidus gazeux sortent à une température très supérieure à celle de l’atmosphère, emportant une partie de l’énergie thermique créée par la combustion.

Cette différence même de température est nécessaire pour assurer la circulation gazeuse indispensable, grâce aux différences des gradients verticaux de la densité dans la cheminée et à l’extérieur.

Il est à noter d’ailleurs que, même si l’on prétendait éviter cette sujétion en remplaçant le tirage thermique par une circulation mécanique assurée par ventilateurs, les gaz sortant du foyer ne pourraient être refroidis par la chaudière au-dessous de sa propre température, laquelle est très supérieure à celle de l’air frais d’alimentation.

En réalité, pour arriver à les abaisser à une température voisine de celle de la chaudière, il faudrait donner à celle-ci une surface de parois énorme, le long de laquelle se poursuivrait la circulation, car les échanges par unité de surface deviennent de plus en plus lents à mesure que diminue l’écart entre les températures des deux masses en contact. On serait conduit à des dimensions pratiquement inacceptables. Par conséquent, les résidus gazeux sortiront du foyer à une température très supérieure à celle de la chaudière. Ils emportent à l’extérieur une partie notable de l’énergie thermique créée par la combustion.

Nous définirons le rendement du foyer comme égal au rapport entre l’énergie thermique fournie à la chaudière — et par conséquent à l’eau — et l’énergie thermique totale produite par la combustion, telle qu’elle serait mesurée dans une détermination à la bombe calorimétrique.


10. Température de la source. — Ces considérations nous amènent à une observation essentielle pour l’application correcte du principe d’évolution et des calculs thermodynamiques auxquels il conduit, tels que l’évaluation du rendement d’un cycle de Carnot.

Que doit-on prendre comme valeur de la température de la source chaude ?

Dans le foyer, il y a des températures très diverses, toutes supérieures à celle de la paroi de la chaudière, et dont certaines sont extrêmement élevées, aux points mêmes où se produit la combustion et dans les flammes auxquelles elle donne naissance. Ces températures n’ont rien de commun avec celle de la source thermodynamique, à laquelle le fluide emprunte l’énergie thermique exigée pour son évolution. Nous avons d’ailleurs évité ce malentendu en définissant (§ 9) la source chaude comme constituée par les parois de la chaudière.

Le foyer, où prend naissance l’énergie thermique utilisée, n’intervient que d’une façon médiate, pour entretenir la source chaude. Le fluide évoluant ignore complètement les réactions qui s’y produisent, et ne connaît rien autre que les quantités de chaleur qui lui sont cédées par les parois de la chaudière.

On peut remarquer d’ailleurs que l’écoulement du flux de chaleur exige un gradient de température dans l’épaisseur même des parois. La température qui nous intéresse est celle des surfaces intérieures, avec lesquelles le fluide est en contact. Il y a même lieu de préciser encore plus. Du fait de l’écoulement de chaleur, il y a un écart de température entre la surface interne de la paroi et l’eau qui lui enlève de la chaleur. Cet écart de température est d’autant plus notable que le flux de chaleur est plus rapide ; il deviendrait nul en même temps que la vitesse de ce flux.

Or, la vitesse plus ou moins grande avec laquelle on réalise l’évolution, n’influe en rien sur la série d’états d’équilibre dont celle-ci est constituée, ni par conséquent sur ses propriétés thermodynamiques.

C’est donc la température du fluide en contact avec la source qu’il faut prendre comme définissant ce que l’on appelle la température de la source. Elle se confond effectivement avec celle-ci pour une évolution infiniment lente (ce qui est d’ailleurs la condition pour que l’évolution réversible en question soit réalisée réversiblement. Cf. T. 21).

C’est cette définition de la température de la source qu’il faut prendre pour appliquer le théorème de Carnot.

De même, lorsqu’on généralise ce théorème sous la forme pour une évolution réversible fermée quelconque, représente la température du fluide aux divers points de son évolution, et nullement les températures des sources réelles en nombre fini que l’on utilise pratiquement pour réaliser cette évolution au moyen d’échanges non réversibles.

La même remarque s’applique naturellement aux sources froides aussi bien qu’aux sources chaudes, et nous appellerons toujours température de la source la température du fluide en contact avec elle au moment où s’effectue l’échange de chaleur.

Une chaudière de machine à vapeur est ainsi une source chaude dont on fait varier à volonté la température, simplement en réglant la pression de la vapeur qui y est maintenue en réserve. Cela n’influe pas directement sur la température des flammes ; mais, pour assurer un même flux de chaleur, lorsque la température de la chaudière augmentera, il faudra élever la température moyenne du foyer en rendant la combustion plus active quantitativement, ce qui augmentera par exemple le volume de flammes léchant la chaudière.


11. Surchauffeurs. Réchauffeurs. — Le principe d’évolution affirme la nécessité de faire intervenir au moins une source chaude et une source froide ; mais rien n’empêche de faire intervenir plusieurs sources de l’une ou l’autre espèce, à des températures différentes.

Il y a même lieu, dans ce cas, de préciser la signification exacte des deux termes qui les désignent. Lorsqu’il y a deux sources seulement, cette terminologie ne laisse place à aucune incertitude : la source chaude est celle dont la température est la plus haute, et la source froide est celle dont la température est la plus basse. Lorsqu’il y en a plus de deux, on ne peut pas classer a priori dans l’une ou l’autre catégorie les sources dont les températures sont intermédiaires. La distinction réelle doit porter sur le rôle, actif ou passif, des sources, et les deux catégories doivent séparer les sources qui fournissent de la chaleur au fluide, et les sources qui lui enlèvent de la chaleur. Nous continuerons à les désigner par les appellations classiques sources chaudes et sources froides, en remarquant simplement que l’on peut concevoir et réaliser, par exemple, une évolution complexe à quatre sources, deux chaudes et deux froides, dans laquelle la température de l’une des sources froides serait plus élevée que celle de l’une des sources chaudes. Chaude voudra dire active, et froide voudra dire passive.

L’étude des machines à vapeur conduit immédiatement à un cas intéressant d’utilisation de deux sources chaudes distinctes : c’est celui des surchauffeurs, destinés à éloigner la vapeur de l’état de saturation dans lequel elle est fournie par la chaudière, pour éviter les condensations sur les parois du cylindre.

La vapeur sortie de la chaudière circule dans des canalisations chauffées, où sa température s’élève sans augmentation de sa pression, laquelle reste déterminée par la température de la chaudière.

Les parois de ce surchauffeur constituent une surface d’échange supplémentaire, qui peut être placée dans le foyer principal et augmenter son rendement : le terme utile est alors la somme des quantités de chaleur qu’il fournit aux deux sources chaudes, chaudière et surchauffeur. Ceci éclaire bien la distinction que nous avons faite entre le foyer et la source chaude thermodynamique, puisqu’un seul et même foyer peut servir à l’entretien de deux sources à des températures différentes.

La température du surchauffeur est plus élevée que celle de la chaudière, mais on rencontre une difficulté quand on veut préciser la température de la source qu’il constitue.

Comme on l’a vu plus haut, nous devons la définir comme étant la température de la vapeur en contact avec les parois du surchauffeur. Dans le cas de la chaudière, il y a une grosse masse d’eau en réserve, possédant une capacité calorifique considérable et (grâce à elle et aux mélanges par convection) une température stable et uniforme. Dans le surchauffeur, au contraire, on a de la vapeur, de faible capacité calorifique, en écoulement permanent : sa température s’élève progressivement pendant qu’elle avance dans le surchauffeur, et celui-ci doit être considéré, au point de vue thermodynamique, comme réalisant une suite de sources élémentaires en nombre infini, dont les températures s’étagent de façon continue depuis la température de la chaudière jusqu’à la température maxima du surchauffage.

On peut encore envisager l’emploi d’un autre groupe de sources, de principe analogue, sous la forme d’un réchauffeur à circulation, élevant progressivement l’eau, de sa température initiale dans la bâche d’alimentation, jusqu’à la température de la chaudière. La chaleur correspondante, au lieu d’être empruntée à la chaudière, comme dans le cas d’injection directe d’eau froide, sera fournie par ce réchauffeur. Elle peut être obtenue presque gratuitement, parce que le réchauffeur, dont les températures s’étagent au-dessous de celle de la chaudière, peut, de ce fait, être entretenu par les gaz du foyer au moment où leur température s’est trop abaissée pour permettre encore une transmission active à la chaudière : L’installation du réchauffeur se traduit alors par une amélioration du rendement du foyer.


12. Sources froides. Condenseurs. — La source froide utilisée dans les machines à vapeur à échappement libre — comme aussi dans les moteurs à combustion interne — est constituée par l’atmosphère même. Sa masse et sa capacité calorifiques sont telles qu’elle peut assurer le refroidissement des produits d’échappement sans qu’il en résulte de variation appréciable de sa température propre.

Dans l’échappement libre, l’évolution fermée n’est pas matériellement réalisée, mais la vapeur qui s’échappe dans l’atmosphère s’y condense, puis s’y refroidit, redonnant une masse d’eau identique à celle que l’on avait puisée initialement à la rivière, et qui pourrait, en principe, être reprise pour subir à nouveau la même évolution.

Si l’on voulait d’ailleurs réaliser le circuit fermé effectif, il suffirait, au lieu de laisser la vapeur d’échappement se mélanger à l’atmosphère, de l’envoyer dans des radiateurs de condensation, refroidis extérieurement par l’atmosphère dont elle resterait séparée, et dans lesquels l’eau pourrait être reprise pour être réintroduite dans la chaudière.

Pour que les conditions de fonctionnement soient alors mécaniquement identiques, il faudrait régler la contre-pression d’échappement à une valeur égale à la pression atmosphérique. Pour cela, l’eau devrait être maintenue à 100 °C. dans les radiateurs de condensation, par un choix convenable des surfaces de refroidissement.

Pour achever une évolution absolument identique à celle de l’échappement libre, cette eau condensée devrait continuer à se refroidir jusqu’à la température de l’atmosphère, en circulant dans des tuyauteries baignées extérieurement par celle-ci. Elle serait ensuite réintroduite dans la chaudière.

Il va de soi que, si l’on avait la fantaisie de réaliser ce circuit fermé, on serait immédiatement conduit à supprimer la dépense qui correspond au chauffage de l’eau jusqu’à 100 °C., en supprimant le refroidissement de l’eau par l’atmosphère après sa condensation.

Le bénéfice ainsi réalisé paierait d’ailleurs fort mal la complexité beaucoup plus grande de cette installation matérielle. La solution envisagée ne présente aucun intérêt pratique, du moins dans les conditions où elle est précisée ci-dessus. Par contre, elle conduit immédiatement à la conception très intéressante des machines à condenseur.

Dans le circuit fermé que nous avons ainsi réalisé, nous sommes maîtres, en effet, de diminuer la contre-pression d’échappement, et par conséquent de pousser plus loin la détente de la vapeur pour obtenir d’elle un travail plus grand. Il suffit, pour cela, de maintenir l’eau condensée à une température inférieure à 100 °C. : on pourra, par exemple, la maintenir à des températures de 40° C., 30 °C., ou même moins encore, pour lesquelles la tension de vapeur devient une faible fraction de la pression atmosphérique.

Il est essentiel de remarquer que, par ce procédé, nous n’augmentons pas seulement le travail produit, comme on vient de l’observer, mais aussi le rendement du cycle, ce qui est beaucoup plus intéressant. Nous abaissons en effet la température de la source froide : l’amélioration de rendement qui en résulte immédiatement dans le cas du cycle de Carnot s’étend aussi au cas d’un cycle quelconque, toujours équivalent à une série de cycles de Carnot.

Dans ces machines à condenseurs on utilise en général, pour le refroidissement, l’eau d’une rivière.

Dans les condenseurs à surface, l’eau qui se condense reste isolée à l’intérieur de l’enceinte fermée, et la source froide est constituée par les parois du condenseur, vis-à-vis desquelles l’eau de la rivière joue un rôle analogue à celui du foyer par rapport aux parois de la chaudière.

Dans les condenseurs à mélange, l’eau de refroidissement, que l’on fait tomber en pluie dans le condenseur, au contact de la vapeur, joue elle-même directement le rôle de source froide. Ce procédé assure un refroidissement beaucoup plus actif et plus rapide ; il a toutefois l’inconvénient de dégager, à l’intérieur de l’enceinte fermée, les gaz dissous dans l’eau de la rivière, que l’on devra évacuer par pompage, sans quoi ils élèveraient progressivement la contre-pression. Notons encore, bien que cela n’ait aucune importance pratique, que, dans ce procédé, on ne pourra pas réaliser le cycle fermé matériel, l’eau condensée se trouvant mélangée avec des masses beaucoup plus considérables d’eau de refroidissement, dont elle ne se distingue plus.


13. Moteurs à combustion interne. — Ces diverses considérations, relatives surtout aux machines à vapeur, éclairent la notion classique de l’évolution thermodynamique fermée comportant trois phases principales distinctes : l’une au contact de la ou des sources chaudes, la seconde dans la machine motrice et la troisième au contact de la source froide.

Si nous examinons, au contraire, les moteurs à combustion interne, dont l’importance industrielle croît de jour en jour, il semble, à première vue, que leur fonctionnement soit en opposition formelle avec la définition que nous avons donnée, à la fin du paragraphe 7, du sujet de notre étude, limitée aux cas où le fluide moteur est un simple intermédiaire évoluant en cycle fermé.

Ici, nous avons : à l’admission un mélange d’air et de combustible, qui possède l’énergie potentielle chimique correspondante ; et, à l’échappement, des gaz brûlés qui ont perdu cette énergie potentielle, et ne sont plus capables de subir la même évolution chimique. La contradiction, qui semble d’abord absolue, peut être écartée si l’on étudie, au lieu de l’évolution réelle, une évolution fictive en circuit fermé, qui lui soit complètement équivalente au point de vue thermodynamique : Le combustible, au lieu d’être mélangé à l’air de la cylindrée, serait brûlé dans un foyer indépendant, et toute l’énergie thermique créée dans cette combustion, aux dépens de l’énergie potentielle chimique, serait transmise à l’air de la cylindrée [1], qui resterait alors chimiquement inaltéré, et jouerait seulement son rôle de fluide thermodynamique évoluant en cycle rigoureusement fermé.

Au point de vue des évolutions purement thermodynamiques, les propriétés chimiques d’une masse gazeuse sont sans intérêt. Ce qui compte seulement c’est le nombre de molécules-grammes qu’elle contient, lequel détermine[2] la valeur du produit pour chaque température et les valeurs de ses chaleurs spécifiques, qui interviennent dans les quantités de chaleur échangées.

Dans la combustion, il n’y a que de très faibles modifications de ces deux caractéristiques thermodynamiques du fluide évoluant. Les quatre cinquièmes de l’air sont constitués, en effet, par de l’azote inerte, et les transformations de l’oxygène se font sans changement moléculaire pour la partie qui se transforme en anhydride carbonique.

On peut schématiquement considérer en somme que l’on a simplement placé le foyer à l’intérieur du fluide évoluant.

Il semble, à première vue du moins, qu’il en résulte un avantage économique considérable, par la suppression du facteur, plus petit que l’unité, qui définissait le rendement du foyer. Toute l’énergie thermique correspondant à l’énergie chimique disparue est intégralement transmise au fluide thermodynamique, puisqu’elle est libérée dans ce fluide même.

Le bénéfice n’est pas toutefois aussi important qu’il semblerait ainsi. En effet, pour empêcher que les températures très élevées de la cylindrée au moment de l’explosion n’altèrent les parois du cylindre, on est forcé de refroidir fortement celles-ci par une circulation extérieure d’eau (ou d’air dans certains moteurs d’aviation). Si, de l’énergie thermique libérée par la réaction, une partie q est ainsi enlevée par la circulation d’eau avant toute évolution ultérieure, c’est tout à fait équivalent à ce qui se passerait avec un foyer indépendant qui transmettrait seulement au gaz. Néanmoins, pour les moteurs de faibles et moyennes puissances, le rendement de combustion est en général notablement plus élevé dans le système à combustion interne que dans les foyers indépendants.

Il y a, de plus, un autre avantage très important à l’actif de la combustion interne : c’est l’instantanéité de la transmission de l’énergie thermique, qui naît dans le gaz lui-même. Les transmissions de chaleur à travers les parois sont, au contraire, très lentes, et ne permettent pas de réaliser les cycles extrêmement rapides que l’on obtient très facilement dans les moteurs à combustion interne.

En résumé, dans le moteur à combustion interne, la source chaude est fictive. L’évolution de la cylindrée, au cours de la combustion, est, au point de vue thermodynamique, la même que si le gaz recevait, d’une source extérieure à lui, des quantités de chaleur égales aux quantités d’énergie chimique transformées en énergie thermique. Il faudrait, pour cela, que la source fût, à chaque instant, à une température au moins égale à celle du gaz, et, dans le cas limite de l’évolution très lente, à la température même du gaz : c’est la convention déjà énoncée qui définit la température de la source par la température du fluide avec lequel elle échange de la chaleur.

La cylindrée passe par toute une suite continue de températures croissantes, depuis l’allumage jusqu’à la fin de la combustion. Nous avons donc une suite continue de sources élémentaires en nombre infini, comme dans le cas des surchauffeurs. Mais les sources fictives que nous envisageons ici ne constituent pas une suite continue localisée dans l’espace, comme dans ce dernier cas où elles s’alignent le long de la tuyauterie dans laquelle le fluide circule en s’échauffant progressivement ; elles constituent une succession dans le temps, correspondant à la combustion progressive localisée dans le cylindre.

La source froide est constituée par l’atmosphère, où les moteurs à combustion interne évacuent librement leurs gaz d’échappement. Ces gaz s’y refroidissent, reconstituant une masse gazeuse équivalente à la cylindrée d’air initialement admise : le cycle, qui n’est pas fermé chimiquement, est pratiquement fermé au point de vue thermodynamique.


14. Échangeurs. Récupérateurs. — Toutes les sources envisagées ci-dessus sont caractérisées par le sens invariable de leurs échanges avec le fluide. Les quantités de chaleur qu’elles lui fournissent, ou qu’elles lui enlèvent, croissent indéfiniment tant que l’on répète l’évolution thermodynamique en cycle fermé considérée.

Dans certaines évolutions, on voit intervenir des capacités calorifiques, réalisant des échanges avec le fluide, mais avec ce caractère que l’échange total algébrique est nul au cours de chacun des cycles fermés. Un tel dispositif joue donc le rôle de source froide pendant une certaine partie de l’évolution et de source chaude pendant une autre partie ; mais, au total, il ne donne ni ne prend d’énergie au fluide. Nous le désignerons sous l’appellation d’échangeur.

Son action est nulle au point de vue de la conservation de l’énergie, mais il est facile de voir qu’elle sera en général défavorable au point de vue très différent du problème envisagé dans les moteurs thermiques, où seule est intéressante l’énergie transformée en travail mécanique.

L’échangeur oscillera, en effet, dans un domaine de températures intermédiaires entre celles du fluide au cours des deux échanges opposés. Les écarts de température seront d’autant plus accentués que les échanges sont plus importants et plus rapides. Au total, on aura enlevé au fluide, au moment où sa température absolue était une certaine quantité de chaleur dont la fraction était transformable en travail[3], et on la lui rend intégralement au moment où sa température plus faible que ne permet plus d’en transformer en travail que la fraction plus faible

Ce rôle d’échangeur pourra être joué par exemple par les parois mêmes du cylindre dans lequel se fait la détente motrice. Celle-ci s’accompagne, en effet, d’un abaissement considérable de la température du fluide, et les parois pourront prendre une température moyenne intermédiaire entre les températures initiale et finale de la détente.

Les échanges thermiques qui en résultent sont particulièrement intenses dans le cas de la vapeur saturante à cause des valeurs considérables des quantités de chaleur dégagées et absorbées par les condensations et revaporisations qui se produisent sur la paroi. Le souci de réduire les pertes de rendement qui en résultent est la principale raison qui a introduit le surchauffage de la vapeur.

On peut éviter aussi ces échanges intenses par condensation et revaporisation en maintenant la paroi du cylindre à une température supérieure à celle de la vapeur qui se détend ; par exemple, à la température initiale de la détente. C’est ce que l’on obtient par le chemisage, qui consiste à faire circuler autour du cylindre la vapeur d’alimentation elle-même avant son admission dans celui-ci. Cette vapeur de chemisage cède sans cesse de la chaleur aux parois, qui la transmettent à la vapeur en cours de détente ; mais ces transferts sont beaucoup moins intenses du fait que n’intervient pas, sur les parois internes, le mécanisme de condensation et de revaporisation.

Nous avons là un exemple de ce que l’on peut appeler l’échange direct. Dans le cas d’évolutions se produisant avec circulation permanente du fluide, on peut mettre en contact thermique, à travers une paroi métallique conductrice, deux régions A et B de l’écoulement fluide où les températures sont différentes. L’échangeur, constitué par la paroi intermédiaire, cède alors au fluide les quantités de chaleur qu’il enlève au fluide et cela simultanément. Il pourra n’avoir alors qu’une capacité calorifique négligeable, puisqu’il n’a plus à assurer d’emmagasinage momentané d’énergie thermique.

Les conditions apparaissent alors, à première vue, différentes de l’échange en deux phases successives antérieurement envisagé, puisque, dans le cas présent, la chaleur enlevée à une masse fluide est transmise à une autre masse fluide En réalité, il n’y a, pas, en fonctionnement permanent, de différence, mais un simple décalage dans les échanges, qui ne les modifie en rien quantitativement : la masse actuelle est identique à ce que sera la masse actuelle lorsqu’elle arrivera dans la région B ; et la masse actuelle recevra alors en B une quantité de chaleur identique à celle qu’y reçoit actuellement la masse c’est-à-dire égale à celle qu’elle a fourni elle-même lorsqu’elle était en A.

Il est à noter que l’intervention d’un échangeur fait perdre non pas du travail mécanique, mais une possibilité d’en obtenir. Si cette possibilité n’était pas mise à profit dans le cycle, l’échangeur ne diminue pas son rendement.

On peut même concevoir que, dans un cycle où la chaleur est mal utilisée, l’introduction d’un échangeur permette une amélioration du rendement. C’est le cas par exemple d’un échangeur recevant de la chaleur que, sans son intervention, le fluide céderait directement à la source froide : s’il la remet, en circuit, à une température supérieure à celle de la source froide, il crée la possibilité d’en transformer une partie en travail. Un tel échangeur pourra être appelé un récupérateur.

C’est ce qui se produira par exemple si, dans une machine à vapeur à échappement libre, on fait circuler la vapeur d’échappement dans un réchauffeur de l’eau d’alimentation.


  1. Cela exigerait de brûler dans le foyer une quantité supplémentaire de combustible fournissant l’énergie thermique qui correspond aux pertes du foyer.
  2. En assimilant les gaz à des gaz parfaits.
  3. Par une évolution de Carnot, qui réalise le rendement maximum possible ; nous appelons la température absolue de la source froide utilisée.