Les Principes de 89 et le Socialisme/Livre 3/Chapitre 11

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CHAPITRE XI


Le droit au travail.



La consommation obligatoire et le droit au travail. — L’article 1er du programme socialiste suisse. — Que ferait l’État du produit du travail ? — Contribution obligatoire. — Suppression du travail et droit au travail. — Le lapidaire et le terrassier.


L'ÉCONOMISTE. — Le droit au travail, c’est la consommation obligatoire.

LE SOCIALISTE. — Nous n’avons jamais demandé cela. Vous nous prêtez des absurdités pour vous donner le plaisir de les réfuter.

L’ÉCONOMISTE. — D’abord, je ne les réfute pas, je me borne à les constater. Mais les socialistes sont des gens à la fois effrontés et pudiques : effrontés dans leurs critiques, leurs affirmations, leurs promesses ; pudiques dans la discussion et l’exposé logique de leurs théories. Ils jettent des pierres à la Vérité quand elle essaye de sortir de son puits, et ils se couvrent les yeux de peur qu’elle ne les éblouisse.

— Et alors, socialistes, vous dites que vous n’exigez pas la consommation obligatoire ? Que demandaient donc vos pères de 1848 quand ils réclamaient avec tant de passion l’inscription du Droit au travail dans la Constitution de 1848 ? Ne dites pas que c’est une vieillerie. Cet irrespect pour vos prédécesseurs serait non seulement d’un mauvais exemple, mais il serait injuste ; car les socialistes actuels y croient toujours : n’en faisaient-ils pas, en Suisse, pour les élections du 29 octobre 1893, l’article 1er de leur programme ?

— Mais le droit au travail n’est pas la consommation obligatoire.

— Comment ! alors que ferait l’État des produits du travail qu’il aurait obtenus dans ses ateliers nationaux ? S’il ne trouvait pas de clients, les détruirait-il ? Si dans ses tentatives de vente il voulait prendre pour base le tarif du salaire fixé par lui et ne trouvait pas d’acheteurs à ce prix, parferait-il la différence ? Si oui, il donnerait une prime à ses clients aux dépens de qui, avec l’argent de qui ? des contribuables qui, comme les consommateurs, sont tout le monde.

Ce ne serait plus la consommation obligatoire, mais ce serait la contribution obligatoire de tous au profit de quelques-uns. Nous retrouvons là encore une des formes de cette politique de privilège que nous ne cessons de dénoncer.

Étranges conceptions ! Voilà des socialistes qui, par leurs exigences, leur attitude, leurs menaces, leurs grèves, leurs actes font tout ce que peuvent imaginer des esprits dépravés et fertiles pour éloigner les capitaux et les capacités de l’industrie. Par conséquent, tous leurs efforts convergent pour diminuer le travail, abaisser les salaires, arriver à ce que deux ouvriers courent après un patron, tandis qu’il faudrait que deux patrons courussent après un ouvrier. Une fois arrivés ainsi à supprimer ou à raréfier le travail libre et volontaire, ils veulent instituer le travail obligatoire. Ils s’acharnent à détruire une organisation naturelle pour la remplacer par une anarchie factice.

Ils veulent que l’État reconnaisse aux sans-travail professionnels un droit d’action pour contraindre « les autres » à leur fournir du travail.

Quels autres ? — Ceux qui payeront probablement. Ils payeront, mais quoi ?

Le medecin demandera-t-il des dommages-intérêts à l’État s’il viole son droit au travail en ne lui fournissant pas de malades ? et l’avocat, s’il ne lui fournit pas de clients ? et le bijoutier, s’il ne lui fait pas acheter ou n’achète pas des diamants et des perles ?

Le droit au travail ? crois-tu qu’il consiste à donner une pioche au bijoutier ou au ciseleur et à l’envoyer remuer de la terre ? Est-ce qu’il est apte à ce genre de travail ? Et pourquoi remuer de la terre aux dépens des contribuables constituerait-il plutôt un droit au travail que celui de sertir des pierres précieuses ? pourquoi ce privilège au terrassier ?