LES
PREMIERS AGES
DE NOTRE PLANÈTE

I.
LE NOYAU TERRESTRE.

I. Alex. de Humboldt : Cosmos, Essai d’une Description physique du monde, Paris 1846-1859, 4 vol. in-8o. — II. Hermann Burmeister : Geschichte der Schoepfung, 6e édition, Leipzig 1856. — III. Ph. de Filippi : Lettres sur la Création terrestre, Paris 1859. — IV. A. Snider : La Création et ses Mystères dévoilés, Paris 1838, in-8o. — V. Ch. Delaunay : Cours élémentaire d’Astronomie, Paris 1854.



L’origine de notre globe, la manière dont il a pris naissance, les phases qu’il a traversées avant d’arriver à son état actuel, sont des problèmes qui agitent aujourd’hui la science, et qu’à toutes les époques l’imagination a prétendu résoudre. Jadis la théologie se réservait seule le droit de répondre à ces mystérieuses questions. Le phénomène de l’apparition de l’homme sur la terre est trop étroitement lié à nos destinées futures pour qu’on puisse assigner à l’humanité son but final, sans rechercher comment ont été créés nos premiers pères, et cette création ne saurait être expliquée indépendamment de celle du monde au sein duquel nous habitons. Aussi toutes les religions ont-elles une cosmogonie, qui forme le premier chapitre de leur code sacré. Plus ou moins enfantines suivant l’état intellectuel de ceux qui les ont imaginées, plus ou moins obscures selon l’ignorance des peuples en physique, ces cosmogonies présentent toutes un caractère commun, qui est précisément le contraire de ce que nous appelons le caractère scientifique. La mythologie s’y mêle à la notion vague des forces générales agissant dans l’univers : un dieu ou des dieux y interviennent, non pas seulement comme des ordonnateurs suprêmes dont les volontés se manifestent par les lois naturelles, mais comme des ouvriers qui mettent eux-mêmes la main à l’œuvre, et façonnent le monde d’après un type capricieusement inventé. Les théogonies des premiers philosophes grecs, d’un Phérécyde, d’un Acusilaüs, d’un Empédocle, ne se distinguent guère, à cet égard, de celles des plus anciens poètes, tels qu’Hésiode ou les chantres du Véda. Des conceptions abstraites, revêtues de personnalités humaines, y figurent au lieu des agens impondérables et des forces mécaniques, dont l’étude seule constitue aujourd’hui la science. A côté de ces cosmogonies fantastiques, où l’on discerne à peine quelques vestiges d’observation, il s’en place toutefois une autre, dont la simplicité contraste avec l’appareil mythologique adopté par le polythéisme : c’est celle de la Genèse. Récit court et naïf des premiers jours de l’univers, le commencement du livre saint expose l’origine des choses sans avoir recours au cortège de dieux et de puissances démiurgiques qu’on rencontre partout ailleurs. Dieu seul y apparaît en face de la créature; c’est lui qui la fait sortir du néant, et qui coordonne les diverses parties du monde par le seul effet de sa parole. Cependant, malgré la simplicité du récit biblique, il est facile de s’apercevoir que la notion scientifique y manque aussi bien que dans les cosmogonies les plus mythologiques. En outre, aucun détail n’y est donné sur les circonstances de la création; il n’y est rien dit des révolutions que notre globe a traversées, de la distribution des espèces et des continens. On se contenta longtemps du récit de l’écrivain sacré, et le texte de la Genèse, commenté par les docteurs dans la seule intention d’en tirer des enseignemens moraux, suffit pour répondre pendant des siècles aux préoccupations générales. On prenait les paroles de la Bible telles qu’elles sont, sans prétendre y découvrir la raison de certains faits qu’il n’était pas d’ailleurs possible alors de soupçonner; mais quand l’écorce terrestre eut été soumise à une étude un peu attentive, quand on eut constaté plusieurs des changemens qui se sont produits à sa surface, on chercha naturellement à découvrir dans le livre saint la mention de ces phénomènes inexpliqués. On essaya de faire dire à la Genèse ce qu’assurément elle n’exprime point; on voulut y trouver l’exposition abrégée des révolutions physiques qu’il était devenu impossible de méconnaître. Comme personne ne doutait de l’authenticité et de l’infaillibilité de la Bible, on entreprit de mettre d’accord la science et la foi, et une foule de théories furent proposées en vue d’expliquer la Genèse par la physique; on traduisît l’hébreu dans la langue scientifique nouvelle, la naïveté du récit fut complètement dénaturée. Je pourrais énumérer bien des ouvrages conçus dans cette pensée, et qui se sont éloignés de plus en plus du texte biblique, à mesure que la physique et la géologie ont fait des progrès; mais je renverrai le lecteur au Discours sur les Révolutions du Globe de Cuvier, qui n’est pourtant pas lui-même exempt de cette préoccupation d’orthodoxie, ou bien encore aux Principes de Géologie de Lyell, publiés dans un pays où la Bible n’a point encore vu prononcer son divorce avec la science. Le récit de la Genèse est si court, l’œuvre des sept jours y est si imparfaitement exposée, les notions physiques qu’on y entrevoit sont si vagues, que les systèmes les plus contradictoires s’y sentirent également à l’aise, et chacun put y trouver facilement la démonstration de sa propre théorie. On finit cependant par se dégoûter de ce perpétuel commentaire, où le caractère évident du texte était de plus en plus sacrifié au désir de mettre le livre en conformité avec les faits. La majorité des savans s’aperçut à la longue que Moïse, ou l’auteur, quel qu’il soit, de la Genèse, ne savait ni l’histoire naturelle, ni la physique, ni la géologie, que la Bible était un code sacré et non un traité scientifique. Dès ce moment, laissant à ce livre son véritable caractère, on se renferma dans le domaine des faits observés, et l’on travailla à découvrir les origines du globe, sans conférer davantage avec les théologiens. L’exemple de Galilée prouvait d’ailleurs qu’il n’était pas toujours facile de rassurer ceux-ci sur l’orthodoxie des faits les mieux constatés. C’est à ce point qu’en est aujourd’hui la science.

L’étude du sol a mis sur la trace de quelques-uns des grands phénomènes qui présidèrent à la formation du monde; mais on est loin d’avoir tout découvert. L’imagination s’impatiente de ces retards; elle veut, bon gré, mal gré, suppléer à l’insuffisance des observations, et elle encombre les théories scientifiques d’idées qui ne leur appartiennent pas. Afin d’éviter ce dangereux mélange, il est nécessaire de faire la part du vrai, ou tout au moins du probable, et celle du chimérique, de nettement circonscrire ce qu’on sait pour que l’on soit en garde contre ce que l’on invente. J’essaierai donc d’indiquer en traits généraux les résultats auxquels l’observation nous a conduits; ce sera l’ébauche de la cosmogonie scientifique et positive qu’il est réservé à l’avenir de complètement éclairer.

I.

Comment la matière a-t-elle été répandue dans l’espace? Faut-il la croire aussi ancienne que la force mystérieuse et intelligente qui lui a donné naissance? Fut-il un temps où l’esprit de Dieu planait seul dans l’immensité, n’ayant d’autre aliment à son activité que la pensée de créer un jour l’univers? Dieu a-t-il créé éternellement des mondes et veillé éternellement à leur conservation? Impénétrables questions auxquelles l’homme ne saurait répondre, et que la science ne peut davantage résoudre! La matière existe, sans elle il nous est impossible de concevoir les choses, sans elle nous ne saurions comprendre l’activité divine. Cela doit nous suffire, car déjà le champ de recherches est assez vaste quand il s’agit de remonter à la matière informe et chaotique dont est sorti notre système solaire. Au-delà de ces bornes que nous atteignons difficilement, il n’y a plus pour nous qu’un mystérieux lointain, où le réel ne saurait être distingué de l’imaginaire.

La matière existe; son existence nous est invinciblement attestée par le témoignage des sens : c’est elle seule que nous pouvons observer. C’est de matière que se compose notre globe; c’est la matière qui, sous mille formes et mille apparences diverses, en constitue le noyau, la surface et l’enveloppe externe. L’astronomie, aidée de la physique, nous a appris que les corps célestes en sont composés, comme notre planète, bien qu’on ne puisse affirmer que la matière planétaire et stellaire soit identique à celle qui se rencontre dans notre globe; mais puisque les corps célestes obéissent aux mêmes forces que la terre, qu’ils sont soumis aux mêmes agens, qu’ils se conduisent d’après des lois conformes à celles que nous a révélées ici-bas l’observation, il faut nécessairement admettre que la composition des planètes et des étoiles est, sinon identique, du moins analogue à celle que présente notre globe ou qu’il a offerte aux époques antérieures. La ressemblance qui existe entre la terre et les autres corps suspendus dans l’espace permet d’éclairer l’histoire de l’une par celle des autres, et réciproquement. Les changemens accomplis dans l’aspect de certaines parties de notre système solaire ou dans des étoiles infiniment plus éloignées deviennent des moyens d’induction pour expliquer par quelles phases la terre elle-même a passé.

La composition de la matière est donc la base de toute cosmogonie scientifique, et la chimie se trouve appelée en conséquence à servir de point de départ à la géologie. Pendant longtemps, la théorie des quatre élémens, fondée sur l’observation de quatre états principaux de la matière, tint lieu de physique générale. La terre, l’eau, l’air, le feu, expliqués dans l’acception plus étendue qu’attribuaient à ces mots l’antiquité et le moyen âge, représentaient ces états transitoires que les chimistes nomment aujourd’hui : état solide, état liquide, état gazeux, état de combustion portée à une assez haute température pour donner lieu à la production de la lumière. La science a ruiné cette division quadripartite, si commode et si facilement applicable. Elle l’a remplacée par la théorie des corps simples, c’est-à-dire indécomposables, dont les combinaisons infinies donnent naissance à tous les principes matériels, à toutes les substances, à tous les corps. Ces soixante-quatre corps simples, ou réputés tels, faute de moyens connus pour les décomposer, sont devenus les élémens de l’univers. Mis en jeu par la chaleur et l’électricité, modifiés par l’action de la lumière, mus par la pesanteur, par la force élastique, attirés par des affinités électives, ils ont réellement présidé à la formation du monde. Ils obéissent à des lois fatales, dont pourtant les résultats sont toujours intelligens ou raisonnés. La science les prend pour ce qu’ils apparaissent, et ne remonte point au-delà des propriétés dont ils sont doués. Ce n’est pas qu’elle nie qu’une intelligence supérieure et infinie ne se cache derrière ces manifestations matérielles; mais Dieu n’a pas permis à l’homme de l’atteindre dans son essence, et nous remonterions au-delà même de ces élémens, que nous rencontrerions encore des élémens régis par des lois fatales, sans pouvoir jamais arriver au véritable point de départ, placé derrière eux à l’infini.

La géologie n’a point attendu les progrès de l’astronomie et de la chimie pour étudier les révolutions du globe et rechercher la composition de notre planète. Prenant les agrégats de matière dont la terre est formée, tels qu’ils sont, sans en rechercher la structure intime et le mode de production, elle s’efforça de découvrir dans quel ordre ces agrégats, ou, comme elle les appelle, ces minéraux, ces roches, se sont disposés successivement; elle essaya de savoir en vertu de quelle cause ils s’étaient accumulés dans des situations si diverses. Pour connaître les transformations que les roches et les minéraux ont subies, elle dut cependant quelquefois emprunter les lumières de la chimie. Tandis que celle-ci faisait l’embryogénie de la terre, la géologie en composait l’histoire chronologique.

La paléontologie vint ensuite, qui nous apprit que des espèces animales différentes des nôtres avaient jadis habité à la surface du globe. Les vestiges de créations anciennes servirent à dater les périodes géologiques, et permirent de déterminer dans quelles conditions se trouvait notre planète à ces différentes périodes, car la structure des animaux paléozoïques est un indice suffisant du mode d’existence qu’ils ont menée et du climat sous lequel ils ont vécu. C’est la paléontologie surtout qui mit sur la voie des révolutions du globe. Tant qu’on n’avait devant soi que des masses minérales, que des amas d’eaux et des laves volcaniques, on pouvait croire à priori que toutes ces matières avaient été produites en même temps, que leur création datait des sept jours; on pouvait admettre à la rigueur que les changemens auxquels elles avaient été exposées étaient postérieurs à l’apparition de l’homme sur la terre. Une fois cependant qu’il eut été constaté que des milliers d’animaux avaient existé, dont aucun souvenir ne s’est conservé, même aux âges les plus reculés, que ces animaux se trouvaient dans des lieux qui, tels qu’ils sont, n’ont pu leur offrir les moyens de subsister, il a bien fallu confesser que la Bible n’avait pas tout dit. Tous les animaux n’avaient donc pas habité le paradis terrestre, ni trouvé un asile dans l’arche de Noé. On eut alors forcément l’idée de grands changemens opérés dans notre planète avant l’apparition de l’homme, de la flore et de la faune actuelles.

Un autre phénomène frappa les observateurs, c’est que la disposition des couches terrestres dénote des dépôts fort lents, des soulèvemens graduels, des submersions et des émersions successives, des déchiremens prolongés. Ce ne fut plus seulement à un cataclysme qu’il fallut avoir recours pour s’expliquer ces apparences, mais à un ensemble de faits dont ceux qui s’accomplissent aujourd’hui nous donnent en petit l’idée. Les années réclamées pour ces révolutions s’accumulèrent; on arriva à des périodes incroyables, à des milliers, à des millions d’années. La plus haute antiquité connue ne s’offrit plus que comme une époque moderne, et la chronologie biblique s’écroula sous le poids des siècles qu’il y fallait superposer. C’est dans cet état que les cosmologues trouvent aujourd’hui la science. Tout s’est agrandi, et le champ de l’espace, dont les télescopes ont reculé indéfiniment les limites, et la durée de la création, et les périodes de transformation que notre planète a traversées. Il faut que la cosmogonie compte maintenant avec une foule de forces et de phénomènes dont les anciens n’avaient pas la moindre idée; mais comme nous ne possédons qu’un nombre de faits relativement très petit, on ne doit encore généraliser qu’avec une extrême réserve. Pour arriver à quelques données positives ou plausibles, il est nécessaire de commencer par les phénomènes les plus simples et les plus directement observables. La nature agissant toujours du simple au composé, il n’y a qu’à la suivre pour comprendre son mode d’action jusqu’au moment où les faits deviennent trop complexes, trop nombreux pour être analysés, et alors il est sage de s’arrêter en confessant notre ignorance.

Un premier fait nous frappe dans l’étude de la terre : c’est l’existence de la masse d’air dont elle est environnée. Ce n’est pas accidentellement que l’atmosphère existe et qu’elle entretient chez les êtres animés le mouvement et la vie. L’atmosphère, qui apparaît comme une expansion de notre planète, a pourtant un tout autre caractère. Elle n’est pas uniquement composée d’air, c’est-à-dire d’un gaz né d’un mélange en proportions définies d’oxygène et d’azote; elle contient aussi de l’eau, qui est un composé où l’oxygène s’associe à l’hydrogène. Cet air et l’eau qui y est renfermée à l’état de vapeur agissent continuellement sur le sol, sur les matières inorganiques et organiques. L’atmosphère se trouve ainsi dans une relation de tous les instans avec l’écorce terrestre, dont elle n’a pu s’échapper. C’est en réalité une partie intégrante de la planète que nous habitons, et l’on n’y saurait voir une masse complètement distincte du globe. En effet, une portion de celui-ci est liquide, puisque l’Océan occupe plus de la moitié de la surface terrestre, et qu’une foule de rivières arrosent les continens; cette énorme masse liquide trouve dans l’atmosphère son perpétuel réservoir. Le moindre refroidissement suffit pour que l’eau vaporisée auparavant se précipite sur la croûte terrestre, d’où elle remonte ensuite dans l’atmosphère sous forme de vapeur. Aucun corps ne se soustrait à l’action de l’air et de l’eau, ou plutôt de l’oxygène que ces deux principes renferment. S’il est quelques métaux qui résistent un temps fort long à leur influence, le plus grand nombre y cède promptement, et il est à noter que la stabilité des composés, c’est-à-dire leur résistance aux actions chimiques dont l’air est le principal agent, est en raison inverse de la complication et du nombre de leurs élémens. Après leur mort, les plantes et les animaux restituent à l’atmosphère une partie des principes qui étaient fixés dans leur organisme. Le reste retourne à la terre, qui rend elle-même sans cesse les principes qu’elle contient à l’atmosphère. Celle-ci est donc comme une grande matrice, au sein de laquelle se développe et s’alimente le globe que nous habitons. La vie de la terre n’est pas plus séparée de l’existence de l’atmosphère que celle de l’embryon de la vie de la mère.

Une fois ce fait observé, ce ne fut plus dans la création subite d’une masse solide qu’on a dû chercher l’origine de notre planète. Comme la surface même du sol semble un présent de l’atmosphère, on fut induit à penser que la terre tout entière pouvait tirer son origine de l’enveloppe dont elle est environnée, et l’atmosphère s’offrit en conséquence comme l’image d’un état primordial dont la terre s’est éloignée à mesure que les parties qui la composaient allaient se solidifiant.

L’astronomie nous fournit la preuve qu’un état primitif purement atmosphérique de la terre n’est pas une conception gratuite. Le télescope nous a révélé l’existence d’amas de matières vaporeuses et diffuses répandues en quantités plus ou moins grandes dans diverses régions de l’espace. Ces amas sont ce que l’on appelle les nébuleuses non résolubles, par opposition à d’autres nébuleuses que l’inspection par de fortes lunettes a fait reconnaître pour des groupes d’étoiles. Les nébuleuses non résolubles présentent un aspect tel qu’il n’est pas possible de les tenir pour des agglomérations de corps célestes extrêmement petits ou infiniment éloignés. Elles ont quelque chose de la constitution nébuleuse des comètes; ce qui dénote déjà suffisamment quelle est leur véritable nature. L’observation très attentive des nébuleuses proprement dites a conduit Herschel à supposer que la matière informe qui les compose se condense peu à peu, et par cette condensation donne naissance à des étoiles. L’extrême lenteur avec laquelle doit s’effectuer une pareille transformation empêche qu’on puisse apprécier à vue d’œil les changemens qui s’opèrent dans la disposition relative des diverses parties de ces masses vaporeuses: mais il est facile de noter chez beaucoup de ces astres le passage de la condition purement nébuleuse à un état de condensation plus avancé. Quelques-uns de ces amas mal définis offrent en certains points des accumulations évidentes de matière, qui apparaissent comme des centres d’attraction. Et si l’on rapproche la figure des diverses nébuleuses, il devient possible de saisir la marche de la condensation. On voit un centre d’attraction se produire dans les uns et s’épaissir de plus en plus chez les autres. Parfois il y a deux centres d’attraction autour desquels s’opère une condensation inégale, qui est précisément celle qu’il est naturel de supposer pour expliquer la naissance des étoiles doubles. Enfin, au milieu de certaines nébuleuses, on distingue une, deux et même trois étoiles. Alors nous assistons en quelque sorte à la séparation du noyau central d’avec l’atmosphère. La partie périphérique a gardé la constitution vaporeuse, tandis que la portion centrale est déjà un corps planétaire.

Ces faits observés légitiment l’induction tirée de la dépendance mutuelle de l’atmosphère et de la terre. On ne s’élève plus, pour expliquer la naissance de celle-ci, des corps solides et des corps liquides aux corps gazeux ou qui sont dans un état encore plus lâche que les gaz, telles que paraissent être les comètes; mais on part de l’état de matière vaporeuse, d’une nébulosité, pour arriver à la conception de la masse solide. Or cette hypothèse se trouve confirmée par l’étude même de la croûte terrestre, et nous allons voir comment les géologues, en partant du globe, sont aussi ramenés à l’atmosphère.

À la température qui domine communément sur notre planète, l’eau est liquide, les minéraux sont solides ; mais c’est là un état transitoire dont la permanence n’est qu’apparente. Il n’existe que depuis la période, relativement fort courte, qui a commencé avec les conditions actuelles. Antérieurement elles ont pu être différentes, et le moindre accroissement, la moindre diminution de chaleur liquéfie ce qui nous semblait essentiellement solide, solidifie ce qui s’offre à nous avec un caractère ordinaire de fluidité. Plus on s’enfonce dans les profondeurs terrestres, plus on remarque que la température s’élève. Les observations ont établi que pour une profondeur de 32 mètres le thermomètre monte de 1 degré, en sorte qu’à la profondeur de 3 kilomètres on doit déjà rencontrer une chaleur égale à celle de l’eau bouillante ; à 20 kilomètres, la température doit être de 666 degrés, chaleur capable de tenir en fusion la plus grande partie des substances minérales connues. Donc vers le centre de notre globe, à 6, 386 kilomètres, règne l’incroyable température de 200, 000 degrés. Cette loi de progression dans la chaleur terrestre, qui n’est, bien entendu, qu’approximative, et qui doit varier en raison d’une foule de circonstances, prouve que le noyau terrestre est dans un état constant de fusion. Les couches solides dont se compose l’écorce de la terre passent ainsi par degrés de la solidification complète à une demi-fluidité, pour arriver ensuite à un état encore plus fluide. Les phénomènes volcaniques nous confirment d’autre part la réalité d’un noyau bouillonnant et en fusion, puisque les cratères ne sont que de vastes soupiraux par lesquels s’échappe une partie de la matière centrale, au sein de laquelle se développe, avec une énergie considérable, la force élastique des gaz.

La forme que présente notre planète, et que la géodésie, l’astronomie ont déterminée, corrobore le fait de sa fluidité primordiale. Une masse fluide, dont les diverses parties s’attirent réciproquement, tend, en vertu de ces attractions mutuelles, à prendre la forme sphérique. On en a la preuve par les gouttes de pluie dans lesquelles se réfléchit la lumière solaire en donnant naissance à l’arc-en-ciel, dans les plombs de chasse qu’on fabrique en laissant tomber d’une grande hauteur du plomb fondu ; ce plomb se solidifie pendant sa chute et prend la forme de petites boules. La sphéricité de la terre s’accorde donc avec l’hypothèse d’une fluidité primitive ; seulement le mouvement de rotation dont la planète était animée n’a pas dû lui permettre de garder cette forme régulière. Chaque molécule éprouvant l’action d’une force centrifuge par suite du mouvement circulaire autour de l’axe de rotation de la masse entière, cette force a nécessairement modifié la forme générale. Les molécules se trouvant entraînées loin du centre dans leur mouvement autour de l’axe, il a dû en résulter un renflement vers l’équateur et un aplatissement aux pôles. La terre s’est ensuite arrêtée à une figure d’équilibre telle que la résultante de l’attraction exercée par la masse entière sur une molécule située en un point quelconque de sa surface et de la force centrifuge dont était animée cette molécule fut dirigée perpendiculairement à la surface en ce point. Une figure ainsi engendrée forme un sphéroïde de révolution aplati ayant pour axe de figure son axe de rotation. Or cette apparence sphéroïdale est précisément celle que nous offre la terre.

L’induction et l’observation conduisent donc également à supposer qu’il fut un temps où l’écorce terrestre était moins épaisse qu’aujourd’hui. La terre s’est refroidie lentement, car c’est le refroidissement qui seul a pu amener la solidification de la croûte externe. Les couches superficielles, en rayonnant vers les espaces célestes, ont perdu cette énorme température qui les tenait dans un état de fluidité jusqu’à ce qu’à cette période de refroidissement graduel en ait succédé une autre d’équilibre stable, ou du moins dans laquelle le refroidissement n’est pas sensiblement appréciable, le soleil rendant à la terre presque toute la chaleur qu’elle perd.

Si notre globe a jadis été une masse fluide, son volume devait être plus grand que celui qu’on lui trouve aujourd’hui. On a vu tout à l’heure que l’atmosphère était plus haute : réunie à la terre, elle constituait une planète d’un plus grand diamètre, et dès lors son mouvement de rotation devait être un peu moins rapide, car on sait que la vitesse de rotation de la terre est en raison inverse de son volume. Ainsi les premiers jours de la création étaient plus longs que les nôtres, et notre planète, à ses débuts, devait se rapprocher de Mars, dont la période de rotation diurne dépasse un peu vingt-quatre heures.

On ne saurait encore raconter les phases que la terre a traversées en passant de l’état de masse gazeuse à celui d’un sphéroïde solide à sa surface. Ce n’est que par induction qu’il est possible d’arriver à quelques vues d’ensemble sur ce sujet. M. Hermann Burmeister, dans son Histoire de la Création, dont le succès a été grand en Allemagne, essaie de reconstruire cette embryogénie curieuse que la géologie n’a point encore abordée. Si l’on admet l’existence primordiale d’une masse gazéiforme, on doit supposer qu’elle présentait dans son intérieur une température suffisante pour vaporiser toutes les substances qui sont actuellement à l’état solide. Un premier abaissement de température en certains points de la masse amena la formation de vapeurs plus épaisses, dont la condensation graduelle donna naissance à des agrégats demi-solides. Tant que la matière avait été à l’état de suspension, les actions chimiques ne pouvaient s’exercer, et la pesanteur réunissait seule les molécules entre elles ; mais quand des agglomérations se furent produites en divers points de la masse, quand la force centripète les fit se rapprocher les unes des autres de manière à créer un noyau solide, les parties périphériques comprimèrent les molécules centrales; les contacts devinrent plus intimes, et il se forma des corps solides ou à peu près tels, dont les propriétés résultèrent du mode d’agrégation des molécules entre elles. Ces premiers corps ont dû être ceux que nous appelons simples, car pour les décomposer, c’est-à-dire pour les ramener à un état correspondant à la constitution gazeuse primordiale, il faut des conditions placées au-delà de celles qui nous appartiennent. Alors apparurent les métaux, d’abord dans des états très différens de fluidité; leur nombre ne pouvait être encore bien grand, puisque les affinités chimiques, qui naissent du rapprochement des corps divers, ne s’étaient pas développées autant qu’aujourd’hui. Les métaux exigeant pour se liquéfier des températures inégales, certains métaux durent prendre naissance avant d’autres: le platine, par exemple, était déjà solide que l’or et l’argent demeuraient encore liquides. Le premier noyau de la terre s’offre par conséquent à nous comme un amas de vapeurs métalliques ou métalloïdiques. Cette masse s’assimila par l’attraction toutes les matières gazeuses environnantes, dont l’introduction était rendue d’autant plus facile que les gaz peuvent se pénétrer. Il en résulta une atmosphère immense dont le diamètre allait croissant, et qui ramena à elle la majeure partie de la matière placée dans sa sphère d’activité. Quand le degré de condensation fut devenu suffisant pour déterminer l’existence des métaux ramollis ou solides, une foule d’autres corps, produits par les affinités, se rangèrent et se disposèrent à l’intérieur ou à l’entour du noyau. Il y avait une lutte constante entre les parties centrales, qui tendaient à s’échapper en vertu de la force expansive développée par la chaleur, et les parties périphériques, que l’attraction ramenait vers le centre, et qui comprimaient ainsi les parties centrales.

Dans ce grand bouillonnement primitif, qui répond bien à ce que les anciens nous ont dit du chaos, l’oxygène a dû certainement jouer un des principaux rôles. Ce qui nous l’atteste, c’est l’incroyable abondance de ce corps simple dans la nature. L’oxygène entre pour les vingt-trois centièmes dans le poids de l’atmosphère, pour les quatre-vingt-neuf centièmes dans celui de l’eau; uni à d’autres corps simples, il constitue certainement les trois quarts du globe. La substance la plus répandue dans la croûte terrestre est l’acide silicique, dont l’oxygène est un des élémens; puis vient la chaux carbonatée, autre composé de l’oxygène; après quoi se placent les silicates d’alumine, de potasse, de soude, et leurs composés avec la chaux, la magnésie et l’oxyde de fer, toutes substances dont l’oxygène est un des principes constitutifs, et où il se présente souvent à la fois dans chacun des composans. L’extrême tendance qu’a l’oxygène à s’unir avec tous les métaux dut avoir pour conséquence la formation très ancienne d’acides ou d’oxydes. L’état de mollesse des parties du globe facilitait encore ces combinaisons, qui ont dû même se produire entre les vapeurs métalliques et l’oxygène, et grossir ainsi le noyau terrestre.

Tandis que la croûte extérieure se refroidissait, l’épaississement des couches refroidies les rendait plus lourdes, elles s’enfonçaient, laissant monter à la surface des parties moins denses qui s’épaississaient bientôt et s’enfonçaient à leur tour. Entre les plus anciens produits de cette solidification primordiale se rangent incontestablement les silicates, combinaison de l’acide silicique, autrement dit de la silice, avec des alcalis. Ces derniers avaient dû les précéder dans l’ordre de formation, et leur abondance dans la terre montre suffisamment leur antiquité. En agissant comme élémens électro-positifs sur la silice, qui jouait le rôle d’élément électro-négatif, ils donnèrent naissance aux silicates, ces grands sels terrestres, déposés en quelque sorte par la masse fluide, et dont les agrégats ont formé nos terres. M. Burmeister a suivi, en s’aidant des faits observés et en les agrandissant par l’imagination, la formation des roches. Il a montré les différens corps solides prenant graduellement naissance sous des actions de plus en plus complexes, et, à l’aide de l’analyse chimique, il a refait la synthèse du globe. Néanmoins il est permis de croire que M. Burmeister est allé un peu vite en cosmogonie, et l’on doit au moins attendre pour écrire la genèse scientifique, que MM. H. Sainte-Claire Deville et Daubrée aient complété les beaux travaux par lesquels ils arrivent à refaire plusieurs des substances dont se compose la croûte terrestre. Tandis que MM. Sainte-Claire Deville et H. Caron fabriquent de toute pièce au fond de leur creuset le corindon blanc, le rubis, le saphir, la zircone, le cymophane, la staurotide, et diverses espèces de silicates répandues dans les roches terrestres, M. Daubrée nous montre le quartz se formant au moyen d’un silicate alcalin par l’action de la chaleur, le feldspath naissant de la présence de l’alumine dans les composés siliceux, le pyroxène diopside (silicate double de chaux et de fer) résultant de la décomposition du verre en présence de l’oxyde de fer, et en général les silicates composant les roches cristallines se formant par voie humide, à des températures élevées, bien que très inférieures à leur point de fusion. Ainsi il ne faut même pas remonter à l’époque de la fusion première pour trouver l’origine de plusieurs des substances les plus abondantes dans l’écorce terrestre. Une fois les conditions de formation de tous les minéraux connues[1], on saura quel était l’état du noyau primitif à l’époque et aux lieux où les roches ont pris naissance. Cette genèse chimique est encore peu avancée; elle réclame de puissans moyens d’expérimentation et la mise en jeu des forces les plus actives dont l’homme puisse disposer.

Si la science n’a jusqu’à présent sur ce premier âge que peu de données positives, en revanche elle a fait admirablement connaître la formation des couches dont l’écorce est composée. Sur un premier noyau que nous ne pouvons qu’imparfaitement nous représenter, se sont précipités ou déposés les terrains de sédiment. Cette précipitation est le résultat de l’action des eaux, qui durent occuper une grande place sur la surface du globe, quand un premier travail de condensation se fut opéré. La répartition des masses solides et liquides, autrement dit des continens et des mers, a été très différente aux diverses périodes. L’origine aqueuse ou marine d’une grande partie des roches dont la terre est formée démontre invinciblement que notre globe à une certaine époque se présentait presque tout entier comme une masse liquide. Il est probable que les plus anciens sédimens des terrains qui sont appelés de transition et secondaires ont pris naissance dans des eaux maintenues à une température assez élevée par la forte chaleur qui régnait alors à la surface de notre planète. Riches en acide carbonique, les mers pouvaient tenir en dissolution des substances, telles que le calcaire ou le schiste argileux, qui se sont précipitées dès que la proportion d’acide carbonique est venue à diminuer. Tandis que les roches sorties de l’intérieur du globe se solidifiaient par voie de refroidissement, les couches déposées se durcissaient et acquéraient leur structure schisteuse sous l’influence d’une grande pression. Cet acide carbonique, qui se trouvait en si grande abondance dans l’eau, où il nourrissait une foule d’êtres, avait eu besoin, pour s’y mélanger, d’une première diminution de la haute température primitive des mers.

Au reste, la composition ancienne du globe n’était pas fort compliquée. Les roches ne nous présentent que des associations d’un nombre fort restreint de minéraux simples, auxquels viennent se joindre, toujours d’après certaines lois fixes, quelques autres minéraux parasites. Ces roches ont été classées en quatre catégories : celles d’éruption, sorties de l’intérieur de la terre, soit à l’état de fusion, soit dans un état de ramollissement plus ou moins marqué; les roches de sédiment, qui ont été, on l’a vu, déposées au sein d’un milieu liquide; les roches métamorphiques, nées des altérations que les roches d’éruption ou endogènes ont fait subir aux couches à travers lesquelles elles ont passé, ou encore des actions exercées par les vapeurs et les sublimations sur ces mêmes strates; enfin les roches formées des débris des trois précédentes, divisées mécaniquement, et que l’on nomme conglomérats. De l’assemblage de ces diverses roches, superposées ou accolées les unes aux autres, associées en grandes masses, soulevées en chaînes de montagnes, dénudées par l’action des eaux, soumises en un mot à une foule d’actions physiques, sont nés les continens. Ces continens, on vient de le voir tout à l’heure, se sont modifiés à la longue dans leurs formes et leurs dispositions relatives. « Ils ont varié, dit Alexandre de Humboldt, quand le charbon de terre formait ses lits horizontaux sur les couches redressées du calcaire de montagne et du vieux grès rouge; ils ont varié encore lorsque le lias et l’oolithe se disposaient sur les assises du kœper et du calcaire coquilliers, ou quand la craie se précipitait sur les pentes du sable vert et du calcaire jurassique. Au temps de la période silurienne et devonienne, et vers les premières formations secondaires, y compris le trias, le sol continental consistait exclusivement en îles détachées. Dans les périodes suivantes, ces îles se sont reliées les unes aux autres, de manière à former des lacs nombreux et des golfes profondément découpés. Enfin lorsque les chaînes des Pyrénées, des Apennins et des Karpathes furent soulevées, c’est-à-dire vers l’époque des premiers terrains tertiaires, les grands continens apparurent presque sous la forme qu’ils ont à présent. »

La terre ne s’est pas cependant toujours développée au détriment des eaux. Il est des continens qui ont été submergés après avoir pris naissance, et qui ont ensuite reparu. Il y a des parties du globe dont le sol s’élève lentement, il en est d’autres où il s’abaisse. Les côtes de la Norvège et de la Finlande s’élèvent progressivement d’une quantité qui a été évaluée à 1 mètre 3 décimètres par siècle. Le niveau des eaux de la mer Caspienne présente des traces sensibles d’exhaussement et d’abaissement. A des époques plus anciennes, ces mouvemens oscillatoires semblent avoir été beaucoup plus prononcés. D’après les idées proposées par M. Élie de Beaumont, les chaînes de montagnes sont dues à des soulèvemens dont il a pu assigner l’âge relatif en partant de ce principe, que l’époque du soulèvement d’une chaîne est nécessairement comprise entre celle de la formation des couches relevées et l’époque du dépôt des strates qui s’étendent horizontalement jusqu’au pied de la montagne. Les plissemens de l’écorce terrestre, quand ils datent d’une même époque géologique, paraissent affecter une direction commune, ou, comme disent les géologues, un même alignement, en sorte que la boussole devient pour la science un véritable moyen chronologique. Ceci nous montre combien étaient générales et étendues les actions exercées sur la croûte terrestre. Il y a donc eu de véritables âges pour notre planète : sa disposition physique a, dans ses linéamens principaux, traversé de grandes phases qui correspondent à autant de périodes de la vie organique. Toutefois les dernières recherches tendent à faire admettre que ces phases n’ont point été séparées par des catastrophes subites, des révolutions brusques, mais que les causes générales ne cessant pas d’agir, la terre est passée graduellement d’une phase à l’autre.

Notre but n’est point de résumer ici les résultats auxquels est arrivée la paléontologie. Sans faire l’analyse des scènes de la création, nous devons nous borner à décrire en traits généraux la formation du théâtre où ces scènes ont été représentées; mais la terre elle-même n’est qu’une partie d’un grand tout appelé système solaire, et sans lequel nous ne saurions la concevoir. Il nous reste à exposer rapidement quelles données la science a acquises sur la dépendance d’origine entre notre planète et l’astre magnifique qui lui communique sa chaleur et sa lumière.


II.

Buffon supposait que les planètes et leurs satellites provenaient des éclaboussures produites par le choc d’une comète sur la surface du soleil. Les lois de la mécanique s’opposent à ce qu’il en ait été ainsi. Les géomètres ont démontré que si une portion de la masse du soleil était projetée dans l’espace par une cause quelconque, le corps qui en résulterait accomplirait un mouvement autour du soleil, en revenant à chaque révolution passer par le point de l’astre d’où il aurait été lancé. On sait au contraire que les planètes décrivent des orbites autour du soleil, qui en occupe presque le centre. Il y avait cependant quelque chose de vrai dans la théorie de Buffon, c’est l’idée d’une relation d’origine entre le soleil, la terre et toutes les planètes. Ce que nous avons dit de la constitution primitive de notre globe peut s’appliquer dans ses linéamens généraux aux autres corps planétaires. La nébuleuse doit toujours avoir été leur point de départ, et puisque toutes les planètes circulent autour du soleil, elles ont dû appartenir à un immense amas de nébulosités au centre duquel est aujourd’hui placé le soleil. Telle est l’idée de Laplace[2]. Selon cet illustre géomètre, tout le système solaire ne formait, dans le principe, qu’une seule nébuleuse douée d’un mouvement de rotation autour d’une ligne passant par son centre et s’étendant jusqu’à l’orbite de la planète la plus éloignée, et même au-delà. Il était arrivé, pour cette nébuleuse génératrice, ce qui advint plus tard pour la terre. Par suite d’un refroidissement progressif, des portions de plus en plus grandes de la nébuleuse se sont condensées vers le centre, de manière à former un noyau dont la masse s’est graduellement accrue. A mesure que le refroidissement amenait la condensation de nouvelles parties de la nébuleuse, les matières ainsi condensées se précipitaient vers le centre, exactement de la même manière que nous voyons tomber par gouttes l’eau qui résulte de la condensation de la vapeur contenue dans notre atmosphère. Cette chute de matière condensée n’a pu se produire sans déterminer un accroissement de vitesse dans la rotation de la nébuleuse autour de son axe.

Un corps qu’on laisse tomber d’un endroit élevé ne tombe pas au pied même de la verticale qui passe par le point d’où le corps a été lancé. En raison du mouvement rotatoire de la terre, la chute se fait un peu à l’est du pied de cette verticale. Ainsi la ligne idéale qui passe par le corps à son départ et par le centre de la terre tourne en réalité plus vite que la verticale même. Plus l’endroit d’où le corps est lancé est élevé, plus la vitesse de cette ligne idéale est sensible. Lors donc que, par suite de la gravitation, les matières condensées tombaient en se dirigeant vers le centre de la nébuleuse, elles devaient prendre autour de son axe un mouvement de rotation plus rapide que celui du reste de la masse. Il s’opérait des frottemens nombreux qui compensaient les grandes inégalités de vitesse. Certaines parties de la nébuleuse accéléraient le mouvement des parties douées de moindre vitesse, et ralentissaient au contraire celui des parties qui tournaient le plus vite. De cette façon, la masse totale de la nébuleuse finit par tourner tout d’une pièce, avec une vitesse angulaire plus grande que celle qu’elle possédait dans le principe, et la condensation des matières gazeuses de cette immense masse s’augmentant à son centre, il en résulta un accroissement continuel dans la vitesse de rotation de la nébuleuse cosmique autour de son axe.

La pesanteur n’agissait pas seule sur les molécules. La force centrifuge se développait de plus en plus par suite du mouvement de rotation. Il en résulta que, dans le plan de son équateur, le tourbillon nébuleux rencontra une limite d’accroissement. Les dimensions de la nébuleuse devaient être telles que pour un point pris sur son équateur, la force centrifuge ne l’emporte pas sur la force centripète. Du moment que, par une cause quelconque, une partie équatoriale de la nébuleuse se fut trouvée placée dans des conditions telles que l’équilibre fut rompu entre les deux forces, les molécules composant cette partie cessèrent d’appartenir à la masse totale, et furent lancées dans l’espace avec une vitesse égale à celle qu’elles possédaient quand elles se détachèrent du tout. Or, selon Laplace, le refroidissement augmentant à l’intérieur, certaines parties plus condensées ont dû être brusquement rapprochées du centre, tandis que d’autres, qui ne participaient pas encore de cette condensation, et n’étaient pas aussi fortement attirées par la force centripète, se sont trouvées au-delà des bornes qu’elles n’eussent pas dû franchir pour le maintien de l’équilibre. Une certaine portion excédante de matière a donc cessé de faire corps avec la masse, et s’en est séparée, sous forme d’un anneau tournant dans son plan et autour de son centre avec la vitesse qu’il possédait à l’instant où il s’est détaché. On doit noter que cette rupture entre la masse centrale et des parties périphériques n’a pu s’opérer que dans le plan de l’équateur. Partout ailleurs, l’attraction exercée par la masse entière sur une molécule de la surface de la nébuleuse n’était pas directement opposée à l’action de la force centrifuge développée par le mouvement rotatoire. Les lignes représentant la direction de ces deux forces faisaient entre elles un angle, et il en résulta une composition de forces dont la résultante tendait à rapprocher de plus en plus la molécule de l’équateur, à mesure que la force centrifuge allait en augmentant. Ainsi la rotation de la masse totale s’accélérant, les molécules de sa surface se transportaient de toutes parts à l’équateur, et là elles se détachaient du tout.

Ce phénomène a du se produire successivement à la suite de divers degrés de condensation. Il s’échappa de la sphère cosmique primitive divers anneaux de matières nébuleuses, qui continuèrent à tourner autour du centre commun, jusqu’à ce qu’à la fin il ne resta plus qu’un noyau de matières centrales en fusion, qui constitua le soleil. A l’entour circulaient des anneaux concentriques dont les irrégularités déterminèrent certains centres d’action où se sont opérées des concentrations de matières solidifiées peu à peu en de véritables masses planétaires. Les inégalités de mouvement dans ces masses qui continuaient à tourner autour du soleil en déterminèrent plus tard les rapprochemens; le plus gros fragment finit par absorber les plus petits, et de la sorte prit naissance chaque planète du système solaire, dont l’orbite rappelle encore l’ancienne disposition annulaire. Cependant il a pu arriver que les divers fragmens dans lesquels chaque anneau s’était décomposé ne se réunissent pas en une seule planète et continuassent à tourner séparément autour du soleil. Telle paraît avoir été l’origine de cette soixantaine de planètes découvertes depuis un peu plus d’un demi-siècle entre Mars et Jupiter.

Chaque masse planétaire n’a point tardé à reproduire un phénomène du même ordre que la masse totale. La condensation s’opérant peu à peu, les molécules les plus éloignées du soleil se sont rapprochées de cet astre, attirées qu’elles étaient au centre du noyau; les molécules qui en étaient le plus rapprochées s’en sont par contre éloignées. Les premières ayant acquis une vitesse plus grande par suite de l’attraction solaire, les dernières ayant perdu de leur vitesse, il a dû en résulter un mouvement de rotation de la masse planétaire totale autour de son centre et dans le sens même de son mouvement de révolution autour du soleil. Voilà donc les planètes constituées avec leur double mouvement de rotation et de translation, et de même que la masse totale avait, par suite du refroidissement, abandonné à son équateur des anneaux de matière, les planètes en ont également abandonné; lesquels anneaux, se prenant à leur tour en une ou plusieurs masses, ont donné naissance aux satellites. La lune fut ainsi le résultat d’un phénomène tout semblable à celui qui a déterminé la formation des planètes; Saturne seul, par des circonstances exceptionnelles, a conservé ses anneaux primitifs.

La matière qui s’est réunie à une certaine distance d’une planète pour former un satellite a du s’allonger dans le sens de la ligne qui la joignait à sa planète, de même que dans le phénomène des marées on voit l’action de la lune déterminer un allongement de la surface de la mer, suivant la ligne qui va de la terre à la lune. Il en est résulté une tendance à tourner toujours les mêmes points de sa surface vers le centre de la planète, ce qui s’observe, comme on sait, pour la lune, et ce que Herschel a cru remarquer pour les satellites de Jupiter.

Plus petite dans sa masse que la terre, la lune a dû se refroidir plus vite. Aussi cet astre présente-t-il une plus faible pesanteur spécifique que notre globe. Les affinités chimiques y ont moins agi et ont donné naissance à des substances moins denses. La lune est complètement dépourvue d’atmosphère, précisément parce que la température est trop basse pour vaporiser les substances qui forment sa surface. Elle nous offre encore la configuration qu’elle avait au moment où elle s’est solidifiée. Le télescope aperçoit sur notre satellite de gigantesques cratères. Ces cratères rappellent par leur forme ceux que les géologues nomment cratères de soulèvement, et tout annonce qu’ils ne sont le siège d’aucune éruption; mais ils attestent l’état de fusion primitive dont la lune est depuis longtemps sortie.

Le système solaire s’est donc formé, selon toute vraisemblance, d’une immense atmosphère nébuleuse soumise à un mouvement de rotation, assujettie aux lois de la pesanteur, et qui s’est subdivisée en un certain nombre de masses au sein desquelles s’opérèrent des phénomènes analogues à ceux qu’avait produits la masse totale. La terre fut une de ces masses créées par voie de séparation; elle offrit d’abord l’aspect d’une vaste nébuleuse, et c’est à une condensation graduelle, déterminée par un refroidissement progressif, qu’elle doit l’état où nous la voyons aujourd’hui. Ce sont là les faits généraux, les seuls que nous puissions encore atteindre. Entrer dans plus de détails, vouloir assigner le rôle de l’électricité et du magnétisme, décrire les agitations de diverse nature qui se produisaient au sein de la nébuleuse primitive, montrer comment elle s’entretenait et quels ressorts la faisaient réagir sur le reste de l’univers, ce serait tomber dans les chimères, comme l’a fait M. A. Snider dans son livre intitulé la Création et ses Mystères dévoilés. M. Snider, quoique beaucoup moins savant que MM. Burmeister et de Filippi, ou peut-être parce qu’il est moins savant qu’eux, croit pouvoir écrire jour par jour les annales de l’univers aux premiers âges de la création. Sa physique, mélange de notions positives et d’idées des plus arriérées, comme par exemple celle des quatre élémens, lui suffit pour tout expliquer. Ce qui est remarquable, c’est que M. Snider, si hardi dans ses spéculations, s’en tient pourtant encore aux sept jours de la Genèse. Il divise l’histoire du monde en sept époques ou règnes qui correspondent à l’air et au feu, à l’eau, à la terre, aux plantes, aux animaux, à l’homme. Il est regrettable que l’auteur de ce livre ait dépensé une instruction si variée et un véritable amour de la science en hypothèses purement gratuites, quand elles ne sont pas téméraires. Au temps où de Maillet proposait son système sur l’origine aqueuse de tous les êtres, développé dans Telliamed, il était à la rigueur permis de hasarder de pareilles suppositions; mais depuis soixante ans la géologie a cessé d’être une science d’imagination. Et si l’on a vu plus tard un naturaliste, Patrin, soutenir que la terre est un corps animé qui respire par les montagnes, dont les parties ont un instinct et une volonté, c’est là un cas exceptionnel d’aberration scientifique dont il n’y a rien à conclure.

Toutefois on peut encore taxer d’imprudence bien des cosmologues, et M. de Filippi lui-même ne s’est pas toujours montré suffisamment prudent dans ses Lettres sur la Création terrestre. La science n’est pas une métaphysique qui raisonne sur des données inaccessibles à nos sens; elle ne se compose que de faits. Sans doute elle peut commettre des erreurs, et elle en commet tous les jours; mais ces erreurs tiennent à des observations incomplètes, et finissent bientôt par être rectifiées. Il n’en est pas de même des connaissances purement spéculatives; une opinion en remplace une autre, un système renverse un système, sans qu’on voie s’accroître les moyens de déterminer l’étendue des erreurs commises. Si l’on ne veut que le roman historique des premiers âges de notre planète, nous en savons assez pour le pouvoir composer; mais si l’on prétend établir d’après les faits la succession des phénomènes primordiaux, il faut poursuivre encore bien des recherches et des observations, et nous devrons, en attendant, nous contenter d’aperçus généraux. Les hypothèses que nous avons examinées, et qui sont fondées sur des observations positives, nous suffisent pour avoir une idée générale de la manière dont les choses se sont passées dans le principe : elles nous font assister à l’embryogénie du monde; elles nous conduisent à l’époque où la vie organique s’est développée sur le globe.


ALFRED MAURY.

  1. M. Daubrée, dans un mémoire lu à l’Académie des Sciences en juin 1858, a montré les conditions dans lesquelles toute une classe de silicates hydratés, les zéolithes, ont pris naissance. Cette découverte met sur la voie de la formation des basaltes, des phonolithes et de diverses autres roches qui en sont composées.
  2. Je prends ici pour guide l’excellent exposé qu’a donné du système de Laplace un de nos plus savans géomètres, M. Charles Delaunay, dans son Cours d’Astronomie.