Les Premières Communiantes (Jules Breton)

Revue des Deux Mondes tome 75, 1886
Jules Breton

Les premières communiantes


POESIE

LES PREMIERES COMMUNIANTES

Parmi les frais lilas, les renaissans feuillages,
Par ce printemps qui chante et rit dans les villages,
Par ce dimanche clair, fillettes au front pur
Qui marchez vers la messe entre les jeunes branches,
Avez-vous pris au ciel, communiantes blanches,
Vos robes de lumière où frissonne l’azur ?

Je le croirais à voir votre frêle cortège
S’épanouir au jour, dans sa candeur de neige,
Sous la brume du voile aux flots éblouissans ;
A la douce pudeur de vos bouches de vierges,
Au mignon bouquet d’or qui fleurit vos grands cierges,
Au paradis qui luit dans vos yeux innocens.

Comme tout alentour vous bénit et vous fête !
Les vieux chaumes moussus ont émaillé leur faîte
Et leur courbe arrondit de plus souples contours.
Tout brille. L’herbe tendre et d’aurore arrosée
D’où s’élève l’encens de la blanche rosée,
Déroule sous vos pas ses marges de velours.

Vos plis de tulle, au vent, vous font des ailes d’anges ;
Moins blancs sont les pigeons sur les hauts toits des granges ;
Moins blanche est l’aubépine aux rameaux embaumés !
Et vous allez ainsi vers l’antique chapelle
Où, ceint de verts tilleuls, le clocher vous appelle
Et dresse au blanc soleil ses angles allumés.


Et, blanches, vous allez. Voici l’église proche.
Votre cœur bat plus fort ; plus fort tinte la cloche ;
Des vieillards attendris sont au pied de la tour.
Le porche est grand ouvert : entrez, vierges mignonnes,
Et puis faites, au bout de vos cierges de nonnes,
Brûlantes, rayonner des étoiles d’amour.

Extase ! doux effroi de volupté mystique !
Sous vos doigts frémira la page du cantique
Lorsque vous chanterez : « O doux Jésus, descends !
Ah ! viens, divin époux, le mêler à notre être ! »
Puis vous verrez trembler l’hostie aux mains du prêtre
Dans le vertigineux nuage de l’encens.

Recevoir dans son corps le Dieu qui fit la terre !
Filles, vous ignorez l’orgueil de ce mystère
Et vous préférez même au grand Ressuscité
Le beau Crucifié mourant sur la colline ;
Vous l’aimez pour son front que couronne l’épine,
Pour le grand trou qui saigne à son divin côté.

Et surtout vous aimez l’Enfant rose qu’inonde,
Comme le tendre agneau, l’or de sa toison blonde,
Qui s’en vint tant de fois sourire à vos berceaux,
Avec ses yeux si clairs, quand vous étiez petites.
N’est-ce pas pour cela que vous tressaillez, dites,
Filles qui frissonnez sous les sacrés arceaux ?

Vainement la Raison succède à la Foi morte.
A votre souvenir que nul souffle n’emporte,
Qui n’a senti vibrer comme un rayon d’Éden !
Chantez, vierges ! Demain l’été fera sa gerbe ;
A l’automne, les fruits mûrs tomberont dans l’herbe ;
Chantez au blanc printemps votre premier hymen !

JULES BRETON.