Librairie académique Perrin (p. 11-13).

ii

L’AMOUR QUI NE MEURT PAS

La vie éternelle ! Comment ceux qui l’admettent ne sont-ils pas illuminés, fortifiés, vivifiés d’avance par cette foi ?… Une séparation, quelque longue qu’elle soit, est-elle vraiment une séparation quand la certitude du revoir est au bout ? Si nous croyons que, par la grâce du Dieu d’amour et de justice, notre âme est immortelle, que nos bien-aimés qui furent les siens et le servirent suivant leurs forces, ne sont pas morts tout entiers, que tôt ou tard ils nous seront rendus, un rayon céleste doit traverser nos heures les plus ténébreuses et nous rendre possible d’accueillir le conseil de saint Paul (I, Thess., iv, 3) et de ne pas pleurer comme ceux qui n’ont pas d’espérance.

Mais, diront certains êtres scrupuleux et tendres, écrasés de tristesse, nous reconnaîtront-ils, nous aimeront-ils encore, et d’ailleurs, comment vivre sans eux en attendant ? Nous ne le pouvons pas et qui sait si le Dieu jaloux ne condamne pas notre affection et ne nous punit pas en nous séparant, de nous être trop aimés ?

Vous que cette idée hante et désole, comprenez bien que Dieu ne nous blâme jamais d’aimer trop, mais seulement d’aimer mal, d’une façon égoïste, lâche et déréglée, en faisant passer nos intérêts ou notre agrément avant le bien de ceux que nous chérissons, en préférant leur chair périssable à leur âme immortelle. Dieu qui est amour (IJeaniv, 8 et 16) résume en ce commandement : « Tu aimeras » (Marcxii, 30, 31) toute la loi morale. L’amour n’est pas la passion charnelle ni la stupide idolâtrie ; c’est ce qu’il y a en nous de plus divin, l’essence même de notre vie.

Pourquoi essayer de vivre sans ceux que nos yeux ne voient plus ? Il faut croire qu’ils vivent et ne pas les chercher parmi les morts (Lucxxiv, 5), c’est-à-dire les considérer comme morts). Au lieu de nous lamenter sur leurs pauvres dépouilles, songeons à la lumière qui rayonnait dans leurs regards, qui souriait sur leur bouche, à la puissance mystérieuse qui leur inspirait les tendres et réconfortantes paroles dont nous avons soif et donnait à leurs gestes, à leurs actes, ce je ne sais quoi d’inimitable dont le souvenir nous arrache encore des larmes…

L’âme chérie s’est rapprochée de son Dieu, elle participe à une vie plus belle, plus intense que la nôtre ; elle est devenue plus forte, plus clairvoyante que nous…

Comment cesserait-elle de nous connaître, ne nous aimerait-elle pas mieux, nous qui, même dans les ténèbres d’ici-bas, ne l’oublions point mais lui gardons toute notre tendresse ?

Sans doute la prison charnelle dont elle s’est échappée, où nous sommes retenus, nous sépare encore d’elle… Pourtant, sans l’y rappeler par notre aveugle désespoir, sans vouloir la rabaisser jusqu’à notre misère, nous pouvons nous efforcer de nous élever vers elle, nous souvenir que si les liens matériels sont brisés, les invisibles demeurent, que l’Évangile nous convie à vivre dès ici-bas de la vie éternelle. Peut-être alors arriverons-nous à comprendre dans une certaine mesure la promesse magnifique de Jésus : Celui qui croit en moi ne mourra jamais. (Jeanxi, 26.)