Les Pornographes sacrés/Dédicace

Charles Unsinger (p. v-viii).

DÉDICACE


À M. Georges LAGUERRE
Avocat près la Cour d’appel de Paris
et Collaborateur à la Justice et au Figaro.


Monsieur,


Il y a aujourd’hui huit mois, un Congrès se réunissait à Paris. C’était le Congrès des sociétés de libre-pensée de France, représentées par leurs délégués. Le but de ces grandes assises anti-cléricales était de faire connaître au gouvernement les vœux du pays relativement à la séparation de l’État et des églises. Bon nombre de députés appartenant aux groupes radicaux de la Chambre s’étaient fait un devoir de participer à cette réunion solennelle.

Le Congrès me fit l’honneur de me choisir comme rapporteur de sa première commission.

Au moment où je donnais lecture de mon rapport, un incident se produisit. Tout à coup, je fus interrompu et insulté. Je disais que les prêtres, en vendant des messes sous prétexte de tirer les âmes du purgatoire, agissent comme de simples escrocs. Une voix me cria : « Les escrocs, ce ne sont pas les prêtres ; c’est vous ! » Un tumulte énorme s’ensuivit. Un homme monta à la tribune pour renouveler l’injure et aggraver le scandale. Mais l’assemblée, comprenant qu’elle avait affaire à un agent des jésuites, retira la parole à mon insulteur, et un blâme contre lui, mis aux voix par le président, M. le député Beauquier, fut voté à l’unanimité, moins quatre voix, sur deux cents délégués environ.

Le lendemain, l’auteur du scandale, à qui cette flétrissure pesait peu, allait se vanter de son exploit dans tous les bureaux de rédaction des journaux réactionnaires ; et le Congrès ne manqua pas d’être vivement attaqué.

N’ayant jamais voulu me commettre avec des agents provocateurs, — qu’ils appartinssent à la police rousse ou à la police noire, — je méprisai l’insulte.

Je me demandai seulement quel mobile avait pu pousser un homme, que je n’avais jamais vu, à ramasser de la boue pour venir essayer de m’en éclabousser.

Je m’informai.

L’homme était alors totalement inconnu. J’avais pensé une seconde que ce pouvait être quelqu’un de ces génies incompris qui viennent solliciter des rédacteurs en chef l’insertion de leurs articles plus ou moins somnifères, et qui ne pardonnent jamais un refus. Mais j’avais beau rappeler mes souvenirs : l’inconnu n’apparaissait pas dans mon passé de directeur de journaux.

Cet insulteur n’ayant aucun motif ni même aucun prétexte de haine personnelle, je fus bien obligé de me ranger à l’opinion de mes amis, savoir : que je me trouvais en présence d’un émissaire secrètement stipendié par les disciples de Loyola.

Je m’informai encore.

Ce que j’appris alors m’édifia tout à fait. — Le misérable appartenait à la Société de Saint-Vincent-de-Paul ; il en avait été pendant quatre ans secrétaire ; tout récemment même, il venait de se marier d’une façon bien religieuse à l’église de la Trinité. Et ce qui démontrait à quel point était habile cet agent des Révérends Pères, c’est qu’au moment précis où il se mariait à l’église il s’était fait recevoir de plusieurs sociétés de libre-pensée et donnait des conférences anti-cléricales, dans lesquelles il prêchait aux autres le mariage civil.

Ce misérable, monsieur, c’était vous.

Depuis, vous avez fait du chemin, et vous n’êtes certes pas arrivé encore au but où vous prétendez atteindre.

Vous êtes ambitieux et d’une astuce rare.

Vous avez réussi à capter la confiance de quelques républicains naïfs, et en même temps vous êtes soutenu par les cléricaux qui n’ont même pas la pudeur de mettre une sourdine à leurs éloges. L’Univers et le Figaro vous prédisent avec joie le plus brillant avenir. De la part du Figaro, cela n’a rien d’étonnant, puisque vous collaborez à cette feuille monarchiste, — tout en écrivant aussi, il faut bien le dire, dans la démocratique Justice ; — mais ce qui doit plus surprendre, c’est que l’organe de M. Louis Veuillot s’oublie à vous donner ostensiblement son appui.

Quoi qu’il en soit, vous irez loin. Je ne fais aucune difficulté à le reconnaître, je crois à votre étoile. Combien de fortunes politiques ont été édifiées sur l’hypocrisie !… Or, en la science de la duplicité vous êtes passé maître… Je n’ai pas la moindre illusion à ce sujet : au sortir de l’église de la Trinité vous agitez le drapeau rouge et vous vous proclamez anarchiste ; il faut être aveugle pour ne pas voir votre jeu.

Pour conclure, je vous dédie ce livre.

Vous avez écrit quelque part, — dans la Justice, à moins que ce ne soit dans le Figaro, — que je suis un écrivain pornographe.

Comme je me suis donné la mission de dévoiler les turpitudes du clergé, vous feignez de prendre le change. Vous êtes semblable à cet ami de M. de Germiny, qui, à la lecture du jugement qui condamnait le noble comte et mentionnait un aperçu de son infamie, s’écria : — « Ce jugement est un outrage aux mœurs ! »

En effet, vous qui vous confessez, vous ne pouvez entendre médire des confesseurs. Révéler les ignominies du confessionnal constitue une attaque à vos protecteurs et maîtres. Vous leur devez bien de prendre leur défense !

Lisez donc cet ouvrage, lisez surtout les extraits que je fais des livres théologiques enseignés dans les couvents et les séminaires, et répétez ensuite partout que les écrivains obscènes, ce ne sont pas les casuistes et les confesseurs, mais que c’est moi.

Vous avez eu la jésuitique audace de le dire une fois ; ne vous lassez pas.

Mentez, mentez toujours, il en restera quelque chose ! disait Voltaire aux disciples de saint Ignace, qui le calomniaient.

Mentez, mentez encore, vous dirai-je à mon tour ; vous servirez utilement la cause du clergé. Votre confesseur sera là chaque samedi pour vous absoudre.

Je vous salue, monsieur.

Qu’Escobar vous ait en sa sainte garde !

Léo TAXIL.


Paris, le 1er novembre 1882.