Les Polonais et la commune de Paris/Chapitre 2

II


RÔLE DES POLONAIS AUX DIVERS CONGRÈS DE L’INTERNATIONALE. — ADRESSES DES POLONAIS.


La plupart des membres polonais de l’Internationale assistèrent au premier congrès qui eut lieu à Genève le 3 septembre 1866. — Ils ne prirent aucune part à la discussion des questions purement sociales, mais ils défendirent audacieusement le huitième paragraphe, posé par le congrès, et rédigé en ces termes par Zabicki : « De la nécessité d’anéantir l’influence du despotisme russe en Europe, par l’application du droit des peuples de disposer d’eux-mêmes, et la reconstitution d’une Pologne sur des bases démocratiques et sociales. » — Le Polonais Cwierciakiewicz invita le congrès à ne pas perdre de vue que le gouvernement russe était le plus puissant obstacle au triomphe de la révolution sociale en Europe. — Longuet répondit qu’il ne croyait pas nécessaire de travailler au rétablissement de la Pologne aristocratique et cléricale ; qu’on devait au contraire s’efforcer de réconcilier la Pologne avec la Russie et repousser la vieille politique qui oppose les peuples les uns aux autres. Lors de la discussion du neuvième paragraphe, de « l’abolition des armées permanentes », les Polonais protestèrent en ces termes, par l’organe du général Bosak : « Comme vous nous condamnons les armées permanentes, mais nous voulons l’armement général du peuple et son instruction dans le maniement des armes. — Les Polonais resteront armés tant que la Pologne ne sera pas libre. Leur devise est : Pour notre liberté et pour la vôtre. »

Lors de l’arrivée de l’empereur Alexandre à Paris, le comte Victor de Rochetin publia dans les journaux radicaux de Paris l’adresse suivante, signée par cinq cents ouvriers adhérents de l’Internationale.

« Il y a quatre ans, nous demandions pour la Pologne aide, secours, justice, protection.

D’autres démonstrations ont prévalu alors. »

« Aujourd’hui, nous tous électeurs, ouvriers français à Paris, tous égaux, pères, frères, accablés par le souvenir de notre impuissance et atteints en même temps dans les malheurs de la Pologne, nous supplions le Corps législatif de suivre l’exemple de glorieux devanciers, et qu’il lui plaise, dans son adresse au czar Alexandre II, lors de sa prochaine visite au palais du Suffrage universel, de rappeler l’ancienne motion : « La nationalité polonaise reste toujours intacte. »

On se rappelle la conduite inconvenante tenue par certains avocats qui insultèrent le Czar lors de sa visite au Palais de justice, celle des Arago, des Floquet, Parent, Germain Casse, etc. Ce qu’on a sans doute oublié, c’est l’adresse suivante, publiée par les Polonais dans les journaux le lendemain de l’attentat Berezowski :

« L’attentat politique est contraire à toutes nos traditions. C’est le fait d’un jeune homme égaré par l’excès de la douleur domestique et nationale. — Aussi osons-nous espérer que cela ne troublera point la sympathie plusieurs fois séculaire de la France pour sa sœur la Pologne, qui souffre depuis la Baltique jusqu’à la mer Noire la plus implacable des persécutions.

Ont signé : Bronilas Zalewski, W. Mickiewicz, Kleczowski, Borzobohaty, Pozerski, Daleski, B. Smolkien, Brzeski, N. Akielewic, Parniewski, Szoldrski, Ozimowski, A. Pozerski. » — Ces messieurs espéraient donner le change au gouvernement français, qui savait cependant que les Polonais ne répudiaient pas tant l’assassinat politique lors de l’insurrection de 1863.

Peu après, les journaux polonais publièrent l’entrefilet suivant : « Après la première impression défavorable à l’attentat, il y eut une réaction dans l’opinion publique. — On sait que le conseil municipal de Marseille a refusé d’envoyer une adresse pour flétrir l’attentat. — Il a déclaré que, si on commettait de nouvelles violences en Pologne, il serait obligé de protester aussi. Le barreau français est indigné qu’on ait fait l’instruction contrairement au règlement qui dit que le juge d’instruction seul peut conduire l’instruction. Malgré cela, les ministres Baroche, Rouher, le préfet de police Piétri, et même deux étrangers, le chef des gendarmes comte Schouvalov et le conseiller de Schulz, ont pu interroger Berezowski. — En présence de ces abus énormes et de l’histoire connue de la famille de Berezowski, l’arrêt du jury pourra être peu agréable au gouvernement. — Il est même question de déférer cette affaire à un tribunal spécial, à une haute cour de justice. »

Au congrès de Lausanne du 2 septembre 1867, les Polonais signèrent l’adresse au congrès de la paix à Genève et se déclarèrent « les soldats » de la révolution sociale.

Le 23 septembre de la même année parut une adresse au régicide Berezowski, rédigée par le centre polonais, qui sollicitait la démocratie de s’intéresser au sort de cette victime de la tyrannie moscovite et de « protester contre l’arrêt inique rendu par les juges pourris qui ont condamné ce noble jeune homme (sic). »

Puis on ouvrit une souscription pour offrir un souvenir à E. Arago, le défenseur de Berezowski.

Le 4 novembre 1867, les Polonais protestèrent contre l’expédition romaine. En septembre 1868, lors du congrès de Bruxelles, la section polonaise invite les membres de l’Internationale à faire des réserves en faveur des Polonais sur la question : « Quelle devait être l’attitude des travailleurs dans le cas d’une guerre « entre les puissances européennes ? » — Le polonais Jaroslav Dombrowski, nouvel affilié de l’association, déclara que ses croyances politiques l’empêchaient de protester contre la guerre tant que les peuples ne seraient pas libres de disposer d’eux-mêmes. Il lut une adresse au congrès, signée par deux cent vingt-huit Polonais réfugiés à Paris, qui affirmaient leurs convictions républicaines et leur dévouement absolu au comité central de « l’Internationale ».

Zienkowicz lut aussi au congrès une adresse envoyée par les mêmes Polonais à Juarez, pour le féliciter d’avoir sauvé la république mexicaine en donnant l’ordre de fusiller « le tyran Maximilien, frère d’un oppresseur de la Pologne ».

Ceci fut du réchauffé ; mais les membres présents au congrès s’empressèrent de confectionner une adresse absolument identique, dans laquelle on invitait le président Juarez à honorer les Internationaux de son appui.

Zienkowicz donna ensuite lecture d’une correspondance de Vienne, annonçant qu’une société ouvrière polonaise s’était constituée par ses soins dans cette capitale et avait pour chefs de file les ouvriers Hobgarski, Doroszynski, Fedun, Sokolowski, Kostka, Wontorski et Wedekam.

Quelques semaines plus tard il parut un manifeste de la section polonaise, que nous traduisons textuellement : « La branche polonaise de l’Internationale déclare qu’elle ne déposera pas les armes tant qu’il existera une monarchie ou n’importe quelle forme de gouvernement non républicain ; tant qu’il existera une aristocratie et un clergé ennemis de la forme républicaine, démocratique et sociale, seule en parfaite harmonie avec les principes et le but où doit tendre tout la patriote convaincu.

Elle déclare qu’elle s’est constituée en société républicaine, démocratique et sociale. Son champ d’action n’est pas seulement en Pologne, mais dans chaque pays où la liberté n’est pas établie.

Ont signé : Valère Mroczkowski, Jean Zagorski, L. Czerniecki, Jean Skupienski, Joseph Zych, Kowalewski, J. Lawrowski, Zychon, Tchorzewski, Danicz, J. Bosak, Hauke, Joseph Ulrich, St-Peplowski, Seredynski, Mika, Mierzwierski, Wieniawski, Sieradzki, Julien Jelita, Constantin Zaborowski, Pierre Olczak, Vincent Basinski, André Szot, J. Jaworowski, Léon Krogalski. »

Dans les congrès suivants, les Polonais se firent remarquer par la violence de leurs discours et prêchèrent dans leurs journaux : l’athéisme, le régicide, la guerre civile, l’assassinat, la spoliation, la communauté de biens et l’abolition de la famille. Ils défendirent aussi leurs idées dans les réunions publiques de Paris, où ils débitèrent tous les soirs, en mauvais français, et en présence des démagogues de Paris, les discours les plus extravagants et les plus criminels, insultant les hommes et les choses avec une audace qui dépassait celle des Orateurs jacobins, hébertistes et autres qui formèrent en 1871 l’état-major de la Commune. C’est de cette façon qu’ils méritèrent plus tard la confiance de leurs confrères en démagogie.