Les Poètes du terroir T II/Philadelphe de Gerde

Ad. van Bever ()
Les Poètes du terroir XVe au XXe siècle
Librairie Ch. Delagrave (Tome IIp. 337-339).

PHILADELPHE DE GERDE

(1871)

Celle qu’on pourrait dénommer justement la Muse pyrénéenne, Mme Claude Réquier, — naguère Mlle Duclos, née à Gerdes, en Bigorre, le 28 mars 1871. Elle a collaboré à diverses feuilles félibréennes et s’est fait connaitre en donnant successivement, sous le pseudonyme de « Philadelphe », quatre recueils de vers gascons : Posos perdudos, Soubenis, Impressious (Moments perdus, souvenirs, impressions), Avignon, J. Roumanille, 1892, in-12 ; Brumos d’autouno (Brumes d’automne), ibid., chez le même éditeur, 1894, in-12 ; Cantos d’azur (Chansons d’azur), ibid., 1897, in-12 ; Cantos d’eisil (Chansons d’exil), sans indication de lieu et sans nom d’éditeur (Mâcon, impr. Protat fr.), 1902, petit in-18.

La poésie de Philadelphe de Gerdes, d’une grâce presque inimitable et d’un lyrisme ardent, est la plus pure, la plus souriante expression des vertus d’une race attachée au terroir. Aussi ce n’est point par complaisance qu’un critique a dit : Philadelphe est une femme… une enfant des montagnes de la Bigorre, une Sapho instinctive et rustique, ignorante des trésors de poésie et de sentiment que lui répartit la bonne fée de son berceau. Elle vit, inconsciente fleur des champs, au seuil de cette délicieuse vallée de Campan, la Tempé des Pyrénées. Comme la gentiane des sommets ouvre ses corolles aux purs effluves de la vie, son enfance et sa jeunesse se sont épanouies dans la solitude, loin de l’atmosphère troublante des cités, loin de nos passions, de nos haines, de nos angoisses, tout près du ciel, dans cet azur enivrant où se modulent les accords de l’universelle Harmonie… Ses vers sont l’écho des mélodies champètres au sein desquelles elle a grandi. On y entend mugir le torrent, chanter la cascade, bruire le ruisseau qui serpente dans les verts pâturages où s’épandent les troupeaux, où se repose, sous le tremble et l’yeuse, la génisse à l’œil doux et rèveur… Philadelphe possède le sentiment profond de la communion des êtres et des choses ; elle peint comme l’oiseau chante, mue par un divin instinct [1]… »

Qu’ajouter à ces lignes émues ? Pour exprimer la « Sapho bigourdane », rien ne vaut les accents qu’elle-même exhale de sa lyre enguirlandée de pampres, de violettes et de roses…

Philadelphe de Gerdes va faire paraître un nouveau recueil de poèmes : Cantos de Dol (Chants de Deuil).

Bibliographie. — J.-P. Clarens. Préface aux Posas perdudos, etc. — E. Portai, Litteratura provençale, I. Moderni trovatori, Milano, Ulr. Hoepli, 1907, in-12. — A. Praviel et R, de Brousse, L’Anthologie du félibrige, etc., 1909, in-18. — E. Gaubert et J. Véran, Anthologie de l’amour provençal, Paris, Mercure de France, 1909, in-18.



LA VEILLÉE


Oh ! les veillées de chez nous — Devant la large cheminée — Où flambait la bruyère !

Oh ! la marmite des châtaignes — Pendue à la grande crémaillère — Toute fleurie de fils d’araignées !

Oh ! la torche grésillant — Qu’on mouchait avec les doigts — Et qui répandait si bonne odeur !

Et ma mère, dans la pénombre, — Filant sa quenouillée de lin… — Oh ! comme tout cela me souvient !

Et mon père chantant près d’elle — La douce chanson du fuseau — Qui fut la première que j’appris.

File, file, — Joli fuseau, — Roule, roule — Lestement.}} — Il faut quatre fuselées — Pour avoir un écheveau ; — D’écheveaux il en faut vingt — Pour faire un drap de lit. — File, file, — Joli fuseau, — Roule, roule — Lestement.

Tourne, tourne, — Fuseau fin, — Tire, tire — Sur le lin. — Tourne, tourne vite, — Et Dieu nous assiste ! — Nous ferons du bon fil, — Avec la grâce de Dieu ! — Tourne, tourne, — Fuseau fin, — Tire, tire — Sur le lin !

Yole, vole, — Petit fuseau. — Coule, coule, — Joli fil. — La fillette grandit, — Le garçon devient fort. — Je serai tôt grand’mère : — Filons le trousseau ! — Vole, vole, — Petit fuseau. — Goule, coule, — Joli fil !

Filez, filez, — Quenouille et fuseau ; — Tirez, tirez, — Petits doigts roses. — La veillée est longue ; — Filons, filons donc, — Et puissions-nous l’an prochain — Être aussi nombreux au foyer ! — Filez, filez, — Quenouille et fuseau ; — Tirez, tirez, — Petits doigts roses !

Chansons d’exil.

LA BELHADO
FRAGMENT DE « CANTOS D’EISIL »

Oh ! ras belhados de nousto
Dabant ed làrie mantèt
Ount eslamabo rabrousto !

Oh ! d metau de ras castagnos
Penud en ed cremalh grau
Tout bloucat de hius d’aragnos !

Oh ! ra halho escherbitanto
Qu’on moucabo dab eds dits
E qu’audou bouno abè tanto !

E mia mai eno meyo-oumbro
Espelant sué croui de li…
Oh ! quin tout aco-m remoumbro

E mié pai, cantant près d’Ero
Ra douço canto ded hus
Qu’aprenoui ra tout permero :

Hielo, hielo,
Beroi hus,
Pelo, pelo
Coumo dus.

Husats en eau couate
Ent’ asso rebate,
En eau bint d’assò
Enta hè linsò.
Hielo, hielo
Beroi hus,
Pelo, pelo
Coumo dus !

Biro, biro,
Huset fi.
Stiro, stiro
Sus ed li.
Biro, biro biste,
E Diuze enz-assiste !
Heram de bou hiu,
Pra gràcio de Diu !
Biro, biro,
Huset fi.
Stiro, stiro
Sused li !

Bolo, bolo,
Huset choi ;
Colo, colo,
Hiu beroi.
Ra drotle es hè grano.
Ed drotle es hè bèt.
Serèi léu mai-grano :
Hielem ed troussèt !
Bolo, bolo.
Huset choi ;
Colo, colo,
Hiu beroi !

Hielo, hielo,
Hus e croui ;
Pelo, pelo,
Dito roui.
Ra belhado ei lounco :
Hielem, hielem dounco.
E pouscam iaute an
Este à caso autant !
Hielo, Hielo,
Hus e croui ;
Pelo, pelo,
Dito roui !


  1. Jean-Paul Clarens, Préface aux Posos Perdudos, 1892.