Les Poètes du terroir T I/J.-Em. Poirier

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 509-510).

JOSEPH-ÉMILE POIRIER

(1875)


M. Joseph-Émile Poirier est né le 21 février 1875, à Corseul, gros bourg des Côtes-du-Nord, situé entre Dinan et Lamballe. C’est à Corseul qu’il passa une partie de son enfance, dans une vieille maison de famille qu’y possédaient ses grands-parents. Un peu plus tard, faisant ses études à Quimper, il apprit à connaître l’antique et rude Cornouailles, mais sans rien perdre de ses souvenirs du pays natal et sans délaisser, aux vacances annuelles, l’autique logis des ancêtres. Les charmes de cette côte, qu’on a surnommée, à juste titre, la « Côte d’Emeraude », l’attiraient également, et, dès sa première enfance, il ne se passa pas d’années où il n’allàt explorer pendant plusieurs semaines les grèves malouines. Aussi vécut-il dans une communion presque ininterrompue avec la campagne et la mer bretonnes, et c’est ce qui détermina son esprit, porté vers la poésie, à s’orienter dans un sens « régionaliste ».

En 1895 et en 1897, il recevait une distinction honorifique pour deux poèmes, l’un sur « Typhaine Raguenel, femme de Duguesclin », l’autre sur « René » de Chateaubriand. Depuis il a donné La Légende d’une âme et Le Chemin de la Mer (Paris, Plon, édit. de la Revue des poètes, 1906 et 1908, 2 vol. in-16), recueils où il a réuni ses premiers vers.

Le « provincialisme » de M. Joseph-Émile Poirier n’exclut pas une certaine « universalité » qui peut permettre a d’autres qu’aux initiés des choses de Bretagne, d’apprécier ses poèmes.

Bibliographie. — Maurice Prax, Un Poète de la mer, J.-E. Poirier ; Revue des Poètes, 10 avril 1908.



VISION DE BRETAGNE


C’est tout au fond de la chapelle…
Pauvre sanctuaire ignoré
Dont le très vieux saint dédoré

Hausse son front grave et mitre
Au-dessus d’un cierge fidèle…

Un enfant pâle aux longs cheveux,
Une « pâtouse » de la lande,
Au très vieux saint de la légende
Présente à deux genoux l’offrande
De son cœur rêveur et pieux.

Et la lumière douce glisse
Comme un baiser chaste et navrant
Sur un blanc visage souffrant
Qu’idéalise, en l’encadrant,
Sa chevelure rousse et lisse.

Gouffre de calme… Isolement…
L’âme dans l’extase se plonge,…
Le cadre semble de mensonge…
Le cierge brûle dans du songe
Avec — à peine — un tremblement…

Cette enfant malade qui prie,
L’éclat des flambeaux dans les yeux
Devant ce saint mystérieux,
De tout son cœur silencieux
Et de sa face endolorie.

Est-ce bien l’enfant qu’on trouva
Gardant des moutons dans les landes ?
Ou plutôt avec ses guirlandes,
Avec ses saints et ses légendes,
L’âme d’un peuple qui rêva.

Et la Bretagne qui s’en va ?…

La Légende d’une âme.)