Les Poètes du terroir T I/Francis Jammes

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 157-164).

FRANCIS JAMMES

(1868)


Chantre émouvant du Béarn, M. Francis Jammes n’est point dans cette province, mais à Tournay, dans l’Astarac, aux confins du Bigorre, le 2 décembre 1868. Son grand-père maternel, Jean-Baptiste Jammes, était docteur en médecine à la Guadeloupe. Il mourut après avoir été ruiné par les tremblements de terre de la colonie. Le père de M. Francis Jammes naquit à Pointe-à-Pitre. Envoyé en France, chez des tantes, pour achever son éducation, il fit un court séjour à Tournay et devint receveur de l’enregistrement. Mort à Bordeaux, il est enterré à Orthez, où le poète n’a cessé depuis d’habiter avec sa mère. Pendant quelque temps, M. Francis Jammes occupa l’emploi de clerc de notaire dans une étude de cette dernière ville. « Celui qui rêvait, a-t-on dit, d’aller herboriser sous bois, près des sources fraiches, de courir avec ses chiens sur les bords du Gave, dut accepter l’atmosphère poudreuse des actes et des affiches et demeurer captif d’un morne bureau ! Il s’en consolait en composant ses premiers poèmes, qu’il enfermait en de minuscules cahiers, hors commerce, et portant ce titre : Vers. Le succès aidant, des recueils copieux prirent la place des minces opuscules, et en quelques années on vit paraître : De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir (Paris, Mercure de France, 1898, in-18) ; Le Deuil des Primevères (ibid., 1901, in-18) ; Le Triomphe de la Vie, Jean de Noarrieu, Existences (ibid., 1902, in-18) ; Clairières dans le ciel (ibid., 1907, in-18). Cette poésie naïve, hésitante, faite uniquement d’émotion et de maladresse, étonna d’abord, ravit ensuite. Le côté un peu gauche, un peu tremblotant de ces vers, ne laissa pas que d’émouvoir ceux que les complications exagérées du style poétique avaient déçus déjà par leur vacuité : « Mon cœur a parlé comme un enfant,… » écrivait, dés le début, Francis Jammes. On souriait. Mais de ce balbuticment, un peu puéril, un peu mièvre, une voix plus mâle allait se dégager, de plus beaux accents allaient naître. Dès le début de son recueil De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir, l’auteur pouvait dire : « Mon Dieu… j’ai parlé avec la voix que vous m’avez donnée. J’ai écrit avec les mots que vous avez enseignés à ma mère et à mon père qui me les ont transmis… » Rien de moins compliqué. Ce qui surprend, ce qui enchante, dès le début, dans Jammes, c’est l’accent de vérité, d’exactitude émouvante. À une époque où se multipliaient les écoles de lettres, l’étonnement fut profond de voir un poète qui — dès le début de son œuvre — se manifestait si purement personnel, si ingénument vrai. Lui-même, avec ardeur, réclame sa liberté : « Ma « forme, dira-t-il au début du Deuil des Primevères, suit ma sensation agitée ou calme. Je ne m’inquiète point de plaire[1]… »

Ailleurs, il se montrera l’interprète le plus éloquent des mille choses de la nature.

« Cet exquis réalisme de poète…, cet appel si neuf à la sincérité, jamais Jammes n’a dû en exprimer mieux l’accent que dans ces vers, les premiers de Jean de Noarrieu :

Mon Dieu, donnez-moi l’ordre nécessaire
à tout labeur poétique et sincère…
Je veux ici, puisqu’il faut commencer,
ne point poser à faux dans l’encrier
ma plume. Et comme un adroit ouvrier
tient sa truelle alourdie de mortier,
je veux d’un coup, à chaque fois, porter
du bon ouvrage au mur de ma chaumière…

Cette chaumière de Jammes, toute pépiante d’oiseaux, bourdonnante de guêpes et que les roses entourent, elle est, dans le jardin sonore de ruches, ombragée d’un pin, sur les pentes d’Orthez. La campagne s’étend alentour coupée par le Gave, arrosée des torrents ; ici sont les villages et là-bas sont les fermes ; les troupeaux gravissent les flancs des montagnes ; les carrioles mènent les paysans au marché du bourg ; une charrue trace un sillon dans la plaine ; le soleil a chauffé les graines dans la terre ; la pluie lui succède ; les prunes du verger sont bleues ; une fille en foulard chante dans la venelle, et le mendiant aigre a passé sur la route. Tout cela c’est de la pauvre poésie rurale ; mais c’est de cette poésie que l’âme de Jammes est faite. Ecoutez ; il sait le secret des saisons :

L’été nous donnera les pèches de la vigne, etc.

Il sait celui des mois, et qu’en avril on trouve des lychnis à l’ombre, que septembre doré est « couronné d’abeilles », qu’à la fin de l’hiver les pervenches bleu de lait, les violettes noires, paraissent sous les feuilles mortes de l’ancienne année. En automne les vignobles ont mûri, les batteuses ont battu sur l’aire ; à la Toussaint, on rouvre les granges aux troupeaux. Et Jean de Noarrieu, dans sa métairie, ne sait pas d’autre joie que celle d’admirer, dans la fuite du temps, le retour des fleurs, le départ de ses montons vers les montagnes, les labours d’hiver, la semence et la fenaison. L’œuvre de Jammes est odorante des forts et rustiques parfums d’étables chaudes, des forêts mouillées, des vergers mûris ; elle s’étend avec la blonde harmonie des blés, la chaude coloration des vignes ; elle a le bruissement des bois giboyeux, la chantante beauté des sources, la limpidité des cimes à l’horizon. Toute son inspiration est dans son cher pays ; c’est dans sa maison d’Orthez, dans la vieille et douce demeure ruinée de son ami de Bordeu[2], à Abos, parmi les fruits, les moissons, prés de l’âtre de la vieille chambre à tapisseries dans les matins d’été, dans les soirées d’hiver, au chant du rossignol ou celui des grillons, que ses plus beaux poèmes ont trouvé naissance. Sa vie campagnarde, — qui, cependant, cacha de grandes douleurs intimes, — elle va, d’une saison à l’autre, avec monotonie, suivaut le rythme égal du calendrier. Les vieux almanachs bleus que les colporteurs vendent dans les villages et qui donnent, à côte des fêtes des saints, la date des marchés et le tableau des cultures, suffisent à guider dans son pur développement une vie grave et belle, inclinée vers toutes les beautés de la terre[3]. » — « Voici un poète bucolique, — a écrit M. Remy de Gourmont. — Il y a Virgile, et peut-être Racan et un peu Sograis. Nulle sorte de poète n’est plus rare[4]

On doit à M. Francis Jammes quelques romans, des notations en prose. Ce sont : Clara d’Ellébeuse ou l’histoire d’une ancienne Jeune fille (Paris, Société du Mercure de France, 1899, petit in-18) ; Almaïde d’Etremont, etc. (ibid., 1901, petit in-18) ; Pomme d’Anis (ibid., 1904, petit in-18 ; Le Roman du Lièvre (ibid., 1903, in-18) ; Pensée des jardins (ibid., 1906, petit in-18), etc.

Bibliographie.. — Ad. van Bever et P. Léautaud, Poètes d’aujourd’hui ; nouvelle édit., Paris, Société du Mercure de France, 1907, t. Ier. — Ed. Pilon, Francis Jammes : Mercure de France, 1er  juillet 1907.



IL EST PRÈS DE SALLES…

Il est près de Salles, à droite, une source claire.
Des fougères noires, de la mousse et du lierre
se mirent doucement à sa limpidité.
La grand’route la longe, et la chaleur d’été
fait sur la terre une blanche vibration.
Celui qui suit la route (on disait un piéton)
sent la terre brûler aux cordes de ses sandales.
Autour de lui bourdonne la chaleur pâle ;
mais quand il approche de la petite source,
il se sent inpndé par une fraîcheur douce.

Bien souvent j’ai suivi jusqu’à votre hameau
cette route blanche qui va à Hagetmau.
Mes yeux, qui se fixaient à l’horizon des côtes,
y voyaient, agrandies, des silhouettes d’hommes.
Mais c’est en vain que mon regard triste a cherché
la diligence qui, avant que je fusse né,
ramena au pays, le long de la source vive,
mon grand-père qui revenait des Antilles.


J’ALLAIS DANS LE VERGER

J’allais dans le verger, où les framboises au soleil
chantent sous l’azur à cause des mouches à miel.
C’est d’un âge très jeune que je vous parle.
Près des montagnes je suis né, près des montagnes.
Et je sens bien maintenant que dans mon âme
il y a de la neige, des torrents couleur de givre
et de grands pics cassés où il y a des oiseaux
de proie qui planent dans un air qui rend ivre,
dans un vent qui fouette les neiges et les eaux.

Oui, je sens bien que je suis comme les montagnes.
Ma tristesse a la couleur des gentianes qui y croissent.
Je dus avoir, dans ma famille, des herborisateurs
naïfs, avec des boîtes couleur d’insectes verts,
qui, par les après-midi d’horrible chaleur,

s’enfonçaient dans l’ombre glacée des forêts,
à la recherche d’échantillons précieux
qu’ils n’eussent point échangés pour les vieux
trésors des magiciens des Bagdads merveilleuses,
où les jets d’eau ont des fraîcheurs endormeuses.
Mon amour a la tendresse dun arc-en-ciel
après une pluie d’avril où chante le soleil.
Pourquoi ai-je l’existence que j’ai ?… N’étais-je fait
pour vivre sur les sommets, dans l’éparpillement
de neige des troupeaux, avec un haut bâton,
à l’heure où on est grandi par la paix du jour qui tombe ?


LE VILLAGE À MIDI

Le village à midi. La mouche d’or bourdonne
entre les cornes des bœufs.
Nous irons, si tu le veux,
si tu le veux, dans la campagne monotone.

Entends le coq… Entends la cloche… Entends le paon…
Entends là-bas, là-bas, l’âne…
L’hirondelle noire plane.
Les peupliers au loin s’en vont comme un ruban.

Le puits rongé de mousse ! Écoute sa poulie
qui grince, qui grince encor,
car la fille aux cheveux d’or
tient le vieux seau tout noir où l’argent tombe en pluie.

La fillette s’en va d’un pas qui fait pencher
sur sa tête d’or la cruche,
sa tête comme une ruche,
qui se mêle au soleil sous les fleurs du pêcher.

Et dans le bourg voici que les toits noircis lancent
au ciel bleu des flocons bleus ;
et les arbres paresseux
à l’horizon qui vibré à peine se balancent.

(De l’Angélus de l’Aube à l’Angélus du Soir.)
JEAN DE NOARRIEU
fragments


Et, au printemps, qui fut aussi pluvieux,
les Pyrénées laissèrent dans les cieux
couler la neige. Alors, leurs veines bleues
parurent, les rendant plus lumineuses
que du verre. Et, au flanc des neiges creuses,
les sapins firent des plaques ombreuses.

Le Gave vert, couleur de vieille vitre,
s’enfla, jaunit, inonda la saligue
où les roseaux et les sabres d’iris
croissent auprès d’enchevêtrés taillis.
La fleur d’osier sema la poudre fine
de son chaton en forme de chenille.

L’herbe devint crue. Et la primevère
sur les talus poussa à ras de terre.
Le caltha d’or luisant, la pulmonaire,
dont le feuillage semble taché de craie,
la cardamine et l’ellébore vert
et la pervenche ornèrent les fossés.

On vit passer quelques vols de palombes,
rapidement. Les soirs furent plus longs.
Les doux enfants qui portent leurs leçons
musèrent au seuil sombre des maisons.
On entendit la rainette aux yeux blonds
coasser, aigre, creuse et rauque, aux buissons.

Sous les feuilles les musaraignes grincèrent.
Et les chansons des merles pleins roulèrent.
Les roitelets aux vols brefs sautillèrent.
Les piverts au vol courbe se dressèrent,
cognant du bec et griffant de leurs serres
L’écorce où ils criaient rouges et verts.

Et Pâques fleuries vint. Alléluia !
Oh ! Douce fête ! L’harmonium gronda
au ventre des églises. Alléluia !
Le vert des prairies luisantes se dora.

Les grillons crièrent. Alleluiaî
Dans la nuit bleue luirent les lilas.

Un soir béni et doux, Alléluia
on entendit tout à coup ces lilas
interpeller lentement les étoiles.
C’était, c’était, c’était, Alléluia,
le rossignol, la lune ruissela,
le rossignol en fleurs. Alléluia !

Renais, nature ! Oh ! Dans le jardin, vois
le merisier tout blanc. Alléluia !
Le cœur éclate. On songe à ce qu’il y a
de lisse et blanc et rond, Alléluia,
dans la beauté de celle qui pour moi,
nue comme l’eau, jaillit et se courba.

La nature est, lorsque vient ce beau mois,
pareille à celle qui vint auprès de moi
et qui, d’un geste assuré, enleva
sa chemise qui glissa sur la soie
de ses beaux seins gonflés, luisants et droits.
En la voyant que j’eus peur de ma joie !


chanson

Si l’aconit est bleu
comme tes yeux ;
si la cascade est vive
comme ton rire ;

si tes jambes sont lisses
comme les buis ;
si tes cheveux sont comme
les toits de chaume ;

si ta gorge est pareille
à ce soleil
qui réchauffe le marbre
où dort un pâtre :

Pourquoi ne vas-tu pas
à la montagne
qu’étourdit, le matin,
l’odeur du thym ?

Va-t’en, ô ma Lucie,
sur les réglisses,
sur la pelouse où glisse
une génisse.

Quitte la pauvre plaine.
Va vers la neige
où Martin et Bergère
ont leur chaumière.

Ya-t’en. Mais reste. Vois,
je souffre tant…
Mais que suis-je pour toi ?
… Lucie, va-t’en…

Va-t’en où Dieu t’envoie,
si c’est ta voie.
Va-t’en, et laisse-moi
seul au village.

Ce ne sera plus toi
auprès de moi,
Le puits ne pleurera
plus sur tes bras.

Oui, la fontaine qui
coule aux prairies
te donnera l’oubli
de mon vieux puits,

et le son des clarines
qui se balancent
te donnera l’oubli
de ma souffrance.

(Le Triomphe de la Vie.)



  1. Ed. Pilon, Francis Jammes.
  2. Dans Jean Pec, Le Chevalier d’Ostabat, M. Charles de Bordeu, l’auteur de La Marie bleue, du Destin d’aimer, de L’Inquiétude antique, a célébré d’un style agreste et délicat les « vins ambrés de Béarn, le Gave et les monts, les vieux villages, les fermes sentant bon le lait et la méture ». Ses livres, à l’égal de ceux de Francis Jammes, son ami, traduisent l’expression fidèle du terroir.
  3. Ed. Pilon, ibid.
  4. Le IIe Livre des Masques, 1898.