Les Poètes du terroir T I/Emile Deschamps

Les Poètes du terroir du XVe au XXe siècleLibrairie Ch. Delagrave Tome premier (p. 189-191).

ÉMILE DESCHAMPS

(1791-1871)


Né à Bourges le 20 février 1791, Émile Deschamps, après un court passage dans un collège d’Orléans, vint à Paris pour terminer ses études. Il entra peu après (1812) dans l’administration des domaines, où son père occupait un emploi. Sa carrière littéraire commença en 1818 ; il avait alors vingt-sept ans. « À l’éclosion du romantisme, il était armé déjà de convictions et d’un talent qui le rendaient digne d’y prendre place parmi les premiers. Deux comédies qu’il avait données avec Henri de Latouche ne comptaient pas, mais il tenait tout prêt un volume de vers : Études françaises et ètrangères, qui devait lui valoir une certaine notoriété. Il parut en 1828, chez Gosselin, avec une préface où se continuaient, sous une forme moins magistrale peut-être, mais plus vivement serrée et tout aussi éloquemment persuasive, les idées émises un an auparavant dans la fameuse préface de Cromwell… Ce fut sa plus fière campagne[1]… »

Emile Deschamps collabora à de nombreuses feuilles ; il fonda et dirigea la Muse française, avec Victor Hugo, Alfred de Vigny et Charles Nodier. On lui a vivement reproché de n’avoir pas su montrer de l’originalité et de s’être plu trop souvent à traduire ou à compléter les ouvrages des autres, au lieu d’en créer qui lui fussent propres. Cette critique n’est pas sans fondement. En effet, si l’on écarte de son bagage de nombreuses traductions, entre autres celles de Macbeth et de Romeo et Juliette de Shakespeare, des livrets d’opéra, des imitations de poètes allemands et espagnols, on se trouve en présence dune œuvre pou considérable. Ses productions poétiques, réimprimées avec celles d’Antony, son frère (Paris, H.-L. Delloye, 1841, in-8o), ont fait l’objet dune édition définitive publiée après sa mort, chez Lemerre, en 1872. (Cf. Œuvres complètes, etc., 2 vol. in-8o.)

Sous-chef aux « finances » depuis 1827, Émile Deschamps prit tard le parti de la retraite. Souffrant et à demi-aveugle, il se retira à Versailles et s’éteignit « brisé par nos malheurs », en avril 1871. Il avait longtemps espéré, assure-t-on, que l’Académie lui ouvrirait ses portes, mais celle-ci fît la sourde oreille. Ils’en vengea en laissant circuler cette épigramme, empruntée à un mot de l’abbé de Voisenon :

J’aime mieux — ce n’est faux fuyant subtil —
Qu’on dise de moi, d’une voix amie :
Pourquoi n’est-il pas de l’Académie ?
Que si l’on disait : Comment en est-il ?

Émile Deschamps a très rarement célébré son pays.

Bibliographie.. — H. Blaze, MM. E. et A. Deschamps ; Revue des Deux Mondes, 1841, III, p. 541-573. — Taphanel, Notice sur E. Deschamps ; Paris, 1872. — Ch. Asselineau, Bibliogr. romantique ; Paris, Rouquette, 1874, in-8o. — E. Bazin, Em. Deschamps ; Paris, Sauton, 1874, in-8o, etc.


MELODIE SUR LE BERRY. — RETOUR
AU TOIT NATAL


Après tant de pleurs et d’années
Je vous reviens, chère maison !
Demeures jadis fortunées,
Berceau de ma jeune saison !
Tout au fond voici bien la chambre
Où, dans l’ombre, ma grande sœur
M’endormait, quand neigeait décembre,
Par ses chants si pleins de douceur.

Je crois, en ouvrant cette chambre.
Entendre la voix de ma sœur !

Conduit par l’ancienne habitude
Avec mes regrets éternels,
J’arrive à la salle d’étude,
Foyer des travaux paternels.
Murs chéris ! c’est là que mon père
Pleura tant et fut si joyeux,
Quand je vins, en habit de guerre,
De ma croix lui charmer les yeux.

Ces murs font revivre mon père,
Mon père pleurant et joyeux !

Entrons au jardin solitaire
Qui vit mon enfance bondir
Et, comme les ifs du parterre,
Plus tard ma jeunesse grandir.
C’est bien lu, sous les clématites,
Qu’en partant, Inès, que j’aimais.
Me donna ces trois fleurs petites
Et me dit : « Ne les perds jamais ! »

Je rêve, et sous les clématites
Je vois cette Inès que j’aimais !

Œuvres complètes, 1872.)



  1. Ed. Fournier, Souvenirs de l’École romantique.