Les Plantes potagères/Champignon comestible

Vilmorin-Andrieux
Vilmorin-Andrieux & Cie (p. 81-86).


CHAMPIGNON COMESTIBLE
Agaricus campestris L.
Fam. des Champignons.


Synonymes : Champignon de couche, Agaric comestible.
Noms étrangers : angl. Mushroom. all. Schwamm, Erdschwam, Pilz. flam. et holl. Kampernoelie. ital. Fungo pratajolo. esp. Seta, Hongo.


Le champignon cultivé est le même que le champignon rose, Ch. des prés, Ch. de rosée, ainsi désigné lorsqu’il se développe spontanément dans les prés
Champignon comestible.
grandeur naturelle.
ou les pâtures. Dans cette espèce comme dans la plupart des champignons, on prend habituellement pour la plante entière ce qui ne représente en réalité que les organes de la fructification. La plante véritable, celle qui se nourrit, s’accroît et finalement doit se préparer à fleurir, c’est le réseau de filaments blanchâtres qui constitue ce qu’on appelle le blanc de champignon. C’est, en termes botaniques, le mycélium du champignon. La végétation de ce mycélium, suspendue par la sécheresse, reprend toute son activité sous l’influence de l’humidité accompagnée d’une chaleur suffisante ; elle est particulièrement vigoureuse dans le fumier de cheval, qui paraît être le milieu le plus favorable de tous pour le développement de cette espèce. Quand le champignon est sur le point de fleurir, il se renfle et produit de petites excroissances blanchâtres qui prennent bientôt la forme d’un petit parasol, ordinairement blanc à la surface supérieure, garni à la face inférieure de lames très minces, rayonnantes, d’un rose pâle d’abord, passant graduellement au brun. Ce parasol ou chapeau est porté sur un pied cylindrique, charnu, de couleur blanche. La couleur des lames du chapeau permet de distinguer le champignon comestible des espèces dangereuses, et heureusement rares, avec lesquelles on pourrait le confondre.

Il existe dans les cultures de Paris et des environs plusieurs variétés de Ch. de couche, qui diffèrent les unes des autres par la teinte et l’apparence de la peau. L’expérience a démontré que ces variétés, dont il existe trois principales : la blanche, la grise et la blonde, ne présentent pas une constance parfaite ; au bout de quelque temps et en dehors des circonstances particulières où elles ont pris naissance, elles perdent leurs caractères et reproduisent le Ch. blanc ordinaire. Il nous a semblé, après plusieurs essais comparatifs, que la variété blanche était préférable aux autres comme légume ; la variété blonde nous a paru moins tendre et moins parfumée ; la grise a, au contraire, un goût plus fort, mais elle a l’inconvénient de noircir les sauces, même quand elle est assez peu avancée.

Culture. — Le Ch. de couche peut être produit facilement partout et en toutes saisons, moyennant quelques soins que nous allons nous efforcer d’indiquer brièvement et aussi clairement que possible. Les conditions essentielles pour obtenir un bon résultat consistent à faire la culture du champignon dans un terrain artificiel très riche et sous l’influence d’une température à peu près constante. C’est pour satisfaire à cette dernière condition, que les caves et les carrières sont très souvent employées à la culture du champignon ; mais tout autre local peut également bien convenir, pourvu que naturellement, ou par suite de l’emploi d’abris artificiels, la température n’y monte pas au delà de 30 degrés et descende le moins possible au-dessous de 10.

La première chose dont on doit s’occuper après le choix d’un emplacement convenable, c’est l’établissement de la couche qui doit servir à la production des champignons. L’élément essentiel en est le fumier de cheval, et de préférence celui qui provient d’animaux vigoureux, bien nourris et ne recevant pas par trop de litière. Il est désirable, en un mot, que le fumier soit chaud et pas trop pailleux. Ce fumier ne peut servir à la confection des couches tel qu’il sort de l’écurie, la fermentation en serait trop violente et donnerait une chaleur excessive. On peut en tempérer la force en y mêlant aussi intimement que possible un cinquième ou un quart de bonne terre de jardin. Les couches ou meules peuvent être immédiatement montées avec ce mélange, dont la fermentation lente ne donne qu’une chaleur soutenue et modérée ; il faut avoir soin de monter la meule sur un emplacement très sain et plutôt sec que frais, et, quand elle est terminée, on doit peigner avec soin les côtés, c’est-à-dire enlever les brins de paille qui dépassent, de manière à rendre les faces bien unies et bien fermes.

Si l’on veut employer le fumier pur, comme font les champignonnistes des environs de Paris, il faut le laisser jeter son feu avant de l’employer. Pour cela, on transporte le fumier, à la sortie de l’écurie, sur l’emplacement où il doit être préparé ; là, on en forme un tas carré d’un mètre de hauteur environ, qu’on monte par couches successives, en ayant soin de retirer tous les corps étrangers qui pourraient se trouver dans le fumier, et d’en mélanger égale ent les différentes parties, pour que l’ensemble soit aussi homogène que possible. On mouille légèrement les parties qui paraîtraient trop sèches, puis on dresse proprement les côtés du tas et on les foule fortement, de manière à en réduire la hauteur à 0m,80 environ. On le laisse dans cet état jusqu’à ce que la chaleur développée par la fermentation menace de devenir excessive, ce qui se reconnaît à la couleur blanche que commencent à prendre les parties les plus échauffées. Cet effet se produit d’ordinaire de six à dix jours après la mise en tas. Il faut alors défaire le tas et le remonter de la même façon et avec les mêmes précautions que la première fois. Il faut, en outre, avoir soin de placer dans l’intérieur le fumier qui se trouvait à l’extérieur en premier lieu, et dont la fermentation est par suite moins avancée. En général, quelques jours après que le tas de fumier a été retourné, la fermentation reprend assez de force pour qu’il soit nécessaire d’abattre le tas et de le refaire une troisième fois.

Quelquefois, après la seconde opération, il est déjà suffisamment fait et peut être employé au montage des meules. On reconnaît que le fumier peut être employé sans danger à cet usage, quand il est devenu brun, que la paille dont il est composé a presque entièrement perdu sa consistance, qu’il est élastique, onctueux au toucher, et que son odeur n’est plus celle du fumier frais. Il est difficile d’obtenir une bonne préparation du fumier si l’on n’opère pas
Petites meules mobiles, à une pente, superposées et adossées à une muraille.
sur une certaine quantité à la fois ; on ne peut guère traiter convenablement un tas de moins d’un mètre cube : c’est là une cause fréquente d’insuccès dans les cultures bourgeoises ; on doit tâcher de l’éviter, et, si les meules à monter en demandent une moindre quantité, il faut néanmoins en préparer au moins un mètre. Ce qui ne servira pas aux champignons conserve sa valeur pour toutes les autres cultures potagères.

Le fumier est alors transporté à l’endroit où doivent être faites les meules, et mis en place immédiatement.

On peut donner aux meules la forme et les dimensions que l’on veut, mais l’expérience a montré que la meilleure manière d’utiliser complètement le fumier et l’espace dont on dispose, consiste à donner aux meules une hauteur de 0m,50 à 0m,60, avec une largeur à peu près égale à la base. Une élévation excessive de la température, par suite de la reprise de la fermentation, est ainsi moins à craindre que si les meules étaient plus grandes. Lorsqu’on dispose d’un espace assez étendu, on préfère les meules à deux pentes ou en dos d’âne, auxquelles on peut donner une longueur illimitée, en leur conservant la hauteur et la largeur indiquées plus haut. La largeur, au contraire, doit être moindre que la hauteur, lorsque les meules doivent être appuyées d’un côté et, par conséquent, ne présenter qu’une pente. On peut encore monter des meules soit dans de vieux baquets, soit dans des tonneaux sciés en deux, soit sur de simples planchettes, en leur donnant la forme d’un cône, ou bien celle des tas de cailloux que l’on voit sur les routes. De cette façon, il devient possible d’introduire ces meules toutes montées dans des caves ou des portions d’habitation où l’on n’aimerait pas à faire entrer du fumier en nature et à faire le travail du montage des couches.

Les meules ainsi établies, il convient d’attendre quelques jours avant d’y placer le blanc, pour voir si la fermentation n’y recommence pas d’une façon excessive. On peut, en général, juger approximativement au simple toucher s’il
Culture du champignon dans un baquet.
en est ainsi ; mais il est plus sûr d’employer un thermomètre. Tant que la température est supérieure à 30 degrés, la couche est trop chaude, et il faut, ou attendre qu’elle se tempère, ou mieux l’aérer en y pratiquant, au moyen d’un bâton, quelques ouvertures par où s’échappe la chaleur. Quand la température se maintient assez uniformément aux environs de 25 degrés, il est temps de placer le blanc sur la couche. On a quelquefois la chance de trouver dans les vieilles couches, ou au bord des tas de fumier, du blanc de champignon qui s’y est développé spontanément. On peut s’en servir pour garnir les couches, mais on obtient un succès plus prompt et plus assuré en employant le blanc desséché qu’on trouve dans le commerce en toutes saisons, et qui peut se garder d’une année à l’autre avec la plus grande facilité. Quelques jours avant d’introduire le blanc dans la couche,
Petite meule portative à deux pentes, découverte et en pleine production.
il est bon de l’exposer à l’influence d’une humidité tiède et modérée : c’est ce qu’on appelle le faire revenir. Quand on a observé cette précaution, la reprise est généralement plus prompte et plus certaine.

Pour garnir les meules, on opère de la manière suivante : On divise les morceaux ou galettes de blanc en fragments ayant à peu près l’épaisseur et la longueur de la main et seulement la moitié de sa largeur, et on les introduit sur les faces de la meule en les espaçant de 0m,15 à 0m,30 en tous sens. Sur les meules de 0m,50 à 0m,60 de haut, qui sont les plus ordinaires, on a l’habitude de placer deux rangs de ces fragments, qu’on appelle lardons ou mises, en ayant soin de placer les lardons du rang supérieur au-dessus de l’intervalle qui sépare ceux de l’autre rangée. Les lardons doivent être entrés dans la couche de toute leur longueur ; on les introduit avec la main droite, pendant que de la gauche on soulève et écarte le fumier pour leur faire place. Si la meule est montée dans un endroit à température constante et suffisamment élevée, il n’y a plus qu’à attendre la reprise du plant ; si, au contraire, elle est placée au dehors ou exposée à des changements de température, il faut la recouvrir d’une enveloppe de paille, de fumier long ou de foin, qu’on appelle chemise, et qui sert à confiner autour de la meule une certaine quantité d’air participant de sa température chaude et uniforme.

Si le travail a été bien fait et si les conditions sont favorables, le blanc doit commencer à végéter sept ou huit jours après le lardage des meules ; il est bon de s’en assurer à ce moment, et de remplacer les lardons qui n’auraient pas pris : ce qui se reconnaît à l’absence de filaments blancs dans le fumier qui les entoure. Quinze jours à trois semaines après le lardage, le blanc doit avoir envahi toute la meule et commencer à se montrer à la surface : il faut alors recouvrir de terre les côtés et le dessus de la meule. C’est l’opération que les

Meule à deux pentes, en production, découverte
et en partie garnie de sa chemise.

champignonnistes appellent gobeter ou gopter. Il convient d’employer pour cet usage de la terre légère plutôt que trop compacte ; elle doit être légèrement humectée sans être mouillée, et il est très utile qu’elle soit un peu salpêtrée ; si elle ne l’est pas naturellement, on peut y ajouter une certaine proportion de vieux plâtras finement pulvérisés, ou bien l’arroser d’avance avec du purin. Le revêtement de terre doit avoir environ 0m,02 d’épaisseur et être fortement tassé contre le fumier, de manière à y adhérer en tous ses points. Bien entendu, si la meule était recouverte d’une chemise, il faudrait la remettre en place après le goptage pour lequel on l’aurait enlevée. Il est souvent possible de se dispenser entièrement d’arroser les meules à champignons ; en tous cas, les arrosages doivent être très modérés et ne se donner que quand la surface de la terre devient tout à fait sèche.

Quelques semaines après l’opération du goptage, et plus ou moins rapidement suivant la température, les champignons commencent à paraître. On doit avoir soin, à mesure qu’on les cueille, de remplir le vide qu’ils laissent avec la même terre qui a servi à recouvrir la meule. La production, laissée à elle-même, se prolonge en général pendant deux ou trois mois. On peut entretenir plus longtemps la fertilité des meules au moyen d’arrosages faits avec de l’eau additionnée de purin, de guano ou de salpêtre. Si l’eau des arrosages peut être donnée à une température de 20 à 30 degrés, le résultat est d’autant meilleur ; mais il faut arroser avec beaucoup de précautions, pour ne pas salir ou endommager les champignons en voie de développement.

En montant à couvert trois ou quatre couches par an, on peut donc s’assurer d’une production continue ; en outre, pendant toute la belle saison, on peut monter des couches au dehors et obtenir à très peu de frais des meules d’une production abondante. Les couches qui servent aux autres cultures forcées peuvent être, sur leurs côtés et dans les intervalles des autres plantes, lardées de blanc de champignon, et donneront souvent de bons produits, pourvu que la température leur soit convenable, et qu’on ait soin de protéger les jeunes champignons par une légère couverture de terre au moment où ils commencent à se développer.


CHÂTAIGNE D’EAU. — Voy. Mâcre.