Les Plantes potagères/Asperge

Vilmorin-Andrieux
Vilmorin-Andrieux & Cie (p. 18-23).


ASPERGE
Asparagus officinalis L.
Fam. des Liliacées.


Noms étrangers : angl. Asparagus. all. Spargel. flam. et holl. Aspersie. dan. Asparges. ital. Sparagio. esp. Esparrago. port. Espargo.


Indigène. — Vivace. — Plante à racines nombreuses, simples, renflées, constituant un ensemble désigné sous le nom de griffe, et d’où s’élèvent plusieurs tiges de 1m,30, droites, rameuses, très glabres, légèrement glauques, à feuilles extrêmement menues, cylindriques, fasciculées ; fleurs pendantes, petites, d’un jaune verdâtre, auxquelles succèdent des baies sphériques de la grosseur d’un pois, se colorant à l’automne d’un vermillon très vif. Graines noires, triangulaires, assez grosses, au nombre de 50 dans un gramme ; pesant 800 grammes par litre et conservant leur qualité germinative pendant cinq années au moins.

Culture. — L’asperge, un des premiers légumes que nous ramène le printemps, est aussi un des plus généralement appréciés et cultivés. Dans beaucoup de localités, et notamment aux environs de Paris, la production et la vente des asperges constituent une industrie de première importance. S’il est incontestablement des terrains et des localités où l’asperge réussit d’une façon toute spéciale, il n’en est guère où l’on ne puisse créer de plantation de ce légume moyennant quelques soins et quelques travaux d’établissement et d’entretien. Quoique les sols sains et légers soient ceux qui conviennent le mieux pour faire une plantation d’asperges, il est possible d’en établir avec succès dans toutes les terres qui ne sont pas absolument mouillées ou imperméables : l’humidité stagnante étant tout ce que cette plante redoute le plus.

Pour établir une plantation, on peut ou élever son plant soi-même, ou se le procurer tout venu. Pour faire son plant, il faut semer en mars ou avril dans une bonne terre, riche et meuble, de préférence en rayons, et recouvrir légèrement la graine de 0m, 01 à 0m, 02 de terre ou de terreau. Dès que la graine est bien levée et que le plant a pris un peu de force, on l’éclaircit s’il y a lieu, de manière à ne laisser qu’un plant tous les 5 centimètres environ sur le rayon. Il est très important, pour le bon développement ultérieur des griffes et pour la beauté du produit, que la plante n’ait jamais souffert du manque de nourriture causé soit par une fumure insuffisante, soit par le rapprochement exagéré des plants. Pendant tout le reste de l’été et de l’automne, il faut arroser abondamment toutes les fois que le besoin s’en fait sentir et tenir la terre très propre par des binages donnés avec beaucoup de précaution, de peur d’endommager les racines du plant. Le plant ainsi traité sera bon à mettre en place dès le printemps d’après ; il sera d’une reprise plus assurée et donnera des résultats meilleurs et tout aussi prompts que ceux qu’on obtiendrait de plant de deux ans.

Si l’on ne veut pas prendre la peine d’élever le plant soi-même, il est aisé de s’en procurer dans le commerce ; les jeunes griffes d’asperges se conservant parfaitement plusieurs jours et même plusieurs semaines hors de terre, sans aucun inconvénient pour la reprise ni pour la beauté de leur produit. La production des plants d’asperges est devenue une industrie importante dans les environs de Paris, et tous les ans il s’expédie au loin plusieurs centaines de mille plants de chacune des meilleures variétés.

Nous avons déjà dit que pour établir une plantation d’asperges, il faut choisir de préférence un terrain sain et léger ; si l’on est réduit à planter sur une terre très forte et humide, il faut par un drainage énergique l’assainir au moins jusqu’à une profondeur de 0m,30 ou 0m,40 et porter tous ses efforts sur l’amélioration de la surface. L’expérience des cultivateurs d’Argenteuil et d’autres localités des environs de Paris, qui depuis vingt ans ont porté la culture de l’asperge à un degré de perfection inconnu jusque-là, paraît démontrer qu’on obtient de meilleurs résultats en fumant et amendant à très fortes doses la couche superficielle de la terre où végète l’asperge, et en s’occupant peu des couches profondes, où les racines ont peu de tendance à descendre naturellement, si elles trouvent une nourriture abondante à la surface. Il y a lieu évidemment de tenir compte, dans les procédés d’établissement d’une aspergière, de la nature du sol dans lequel on opère, et par conséquent de le défoncer plus ou moins profondément ; mais on peut dire d’une façon générale que le grand point, et celui d’où dépend principalement le succès, est de ne pas soustraire la griffe d’asperge à l’influence de la chaleur et de la placer en même temps dans un milieu où elle trouve en abondance la nourriture qui lui est nécessaire. Il faut donc que la griffe soit plantée à une petite profondeur et qu’elle ne soit recouverte d’une assez grande épaisseur de terre que pendant la saison de la pousse, alors que cela est absolument nécessaire pour obtenir des asperges d’une longueur suffisante.

Il n’y a pas de règle absolue à prescrire pour la disposition des plants d’asperges : on peut les placer, soit en lignes isolées, soit en planches contenant deux ou trois rangs ; mais il est bon, dans tous les cas, de les espacer au moins de Om,60 à 0m,80 en tous sens. On s’en trouve bien au double point de vue de l’abondance et de la qualité des produits.

La plantation en planches étant la plus usitée, c’est celle que nous allons décrire brièvement, les soins d’établissement et de culture étant du reste à peu près exactement les mêmes dans la plantation en lignes isolées. Dans le courant de mars ou d’avril au plus tard, on dresse avec soin le terrain qu’on destine à la plantation, et qui doit avoir été, autant que possible, labouré et copieusement fumé avant l’hiver ; on creuse légèrement jusqu’à une profondeur d’environ 0m,10 la surface des planches en ramenant la terre dans les sentiers. On répand alors sur la surface de la planche du fumier bien consommé ou quelque autre engrais actif. Dans les environs de Paris, on se sert beaucoup pour cet usage des boues de ville ou gadoues. On marque ensuite la place que doivent occuper les griffes, sur deux ou trois rangs selon la largeur des planches et en observant l’espacement que nous avons indiqué ; à la place de chaque griffe, on fait un petit tas de terre bien amendée ou de terreau, élevé de 0m,05 environ, sur le sommet duquel on pose la griffe en ayant soin de bien étendre les racines tout alentour et de les faire adhérer au sol en appuyant fortement. Quand toutes les griffes sont en place, on recouvre les racines de terreau ou de terre additionnée d’engrais et l’on répand par-dessus ce qu’il faut de terre pour rétablir à peu près le niveau de la planche, tel qu’il était avant la plantation ; de cette façon le collet de la griffe ne sera pas enterré de plus de 0m,04 à 0m,05, et l’extrémité des racines elles-mêmes de 0m,10 au plus.

A cause de la quantité de terreau et d’engrais qui a été employée, il restera entre les planches ou entre les rangs une certaine hauteur de terre qui servira pour le buttage.

La plantation, pendant la première année, ne demande d’autres soins que des binages répétés et quelques arrosements. A l’entrée de l’hiver, on coupe les tiges à 0m,20 ou 0m,30 au-dessus du sol : la portion qui reste sur pied servant à indiquer la place de chaque griffe. Une bonne précaution consiste à enfoncer dès le moment de la plantation une baguette qui marque l’emplacement de chaque plant d’asperge ; on peut de la sorte répandre l’engrais exactement sur les racines et éviter de les blesser en donnant les binages et les diverses façons. On enlève alors légèrement une partie de la terre qui recouvre la griffe en ne la laissant enterrée qu’à une profondeur de 0m,03 ou 0m,04. C’est le bon moment pour appliquer sur les plantations d’asperges les engrais qu’on leur destine. Ceux que l’usage a fait reconnaître comme étant les plus efficaces sont le fumier bien consommé et les boues de ville ou gadoues, auxquelles on ajoute quelquefois un peu de sel marin, et des amendements calcaires, plâtre, marne, plâtras, sable de carrière, etc., lorsque la terre n’en est pas déjà très abondamment pourvue. Après avoir passé tout l’hiver étendus à la surface du terrain, ces engrais sont à la fin de mars incorporés au sol par un bon labour. La surface de la terre est ensuite bien nivelée et la plantation, pendant toute cette seconde année, reçoit les mêmes soins que pendant la première. Au moment où les griffes sont déchaussées à l’automne, il faut avoir soin de détacher, au niveau même de la racine, tout ce qui peut rester des tiges desséchées, raccourcies déjà en octobre. Il convient de donner une nouvelle fumure, qui reste de même à la surface pendant l’hiver pour être enfouie au printemps.

On commence, cette troisième année, à butter les asperges. Cette opération consiste à ramener sur chaque griffe de la terre prise dans les intervalles, dont on forme un petit monticule haut de 0m,30 environ au-dessus du reste du terrain.

Si la plantation a été bien soignée jusqu’ici, on peut commencer à cueillir quelques asperges, deux ou trois au plus par pied ; mais dans l’intérêt de la durée de la plantation, il vaut mieux s’en abstenir et attendre la quatrième année pour faire la première récolte. En tout cas il est très important de cueillir les asperges en les cassant sur le collet même de la griffe, et non pas en les coupant entre deux terres, comme on le fait souvent à tort, ce qui, entre autres inconvénients, a celui d’endommager fréquemment des bourgeons non encore développés. Il vaut beaucoup mieux déchausser l’asperge qu’on veut cueillir en écartant la terre de la butte, et l’éclater nettement avec le doigt ou avec un instrument spécial, puis reformer la butte en remettant en place la terre qu’on a écartée. C’est ainsi qu’opèrent toujours les cultivateurs soigneux des environs de Paris.

Si, pour une raison ou pour une autre, quelques portions de pousses se trouvaient à l’automne rester adhérentes à la griffe, il serait nécessaire de les supprimer complètement avant l'hiver.

En pleine terre et sous le climat de Paris, les asperges produisent à partir du mois d’avril. Dans l’intérêt de l’abondance et de la précocité de la récolte de l’année suivante, il est bon de ne pas prolonger la cueillette au delà du 15 juin.

A partir de la quatrième année, les soins réclamés par une plantation d’asperges restent toujours les mêmes, c’est-à-dire consistent en binages et en fumures répétés. Il n’est pas absolument indispensable de fumer tous les ans ; cependant, comme l’asperge est une plante extrêmement avide d’engrais, le produit sera toujours en raison de la nourriture donnée. Une plantation bien faite et bien soignée peut rester productive pendant dix ans et plus.

Usage. — On emploie comme légume les jeunes pousses blanchies par un buttage et cueillies au moment où elles commencent à sortir de terre. En Italie et dans certains autres pays, on ne cueille les asperges qu’après les avoir laissées croître assez pour qu’elles se colorent en vert sur une longueur de 0m,10 à 0m,15. En France, les asperges blanches à tête rose ou violette sont généralement préférées.

Les variétés d’asperges sont assez nombreuses, ou plutôt chaque localité où la culture de l’asperge se fait avec succès a donné son nom à une race plus ou moins distincte. C’est à cette circonstance que sont dues les désignations d’A. de Gand, de Marchiennes, de Vendôme, de Besançon, etc. Nous décrirons seulement celles qui paraissent avoir réellement quelques caractères distinctifs.


ASPERGE VERTE.
Synonymes : A. commune, A. d’Aubervilliers.


Asperge de Hollande.
réd. au quart.

Cette variété parait être celle qui se rapproche le plus de l’A. sauvage ; les pousses en sont plus minces que celles des variétés améliorées, plus pointues et se colorent plus promptement en vert.

L’A. verte des marchés se produit non seulement avec cette variété, mais aussi avec toutes les autres, si on laisse les pousses s’allonger et verdir.


ASPERGE DE HOLLANDE.
Synonyme : A. violette de Hollande.
Noms étrangers : angl. Giant dutch purple asparagus, all. Holländischer Spargel.


Les pousses de cette variété sont plus grosses et plus arrondies du bout que celles de l’A. verte. Elles ne sont teintées à l’extrémité que de rose ou de rouge violacé, tant qu’elles n’ont pas reçu l’influence de la lumière. C’est la variété qui se cultive le plus généralement.



ASPERGE BLANCHE D’ALLEMAGNE.
Synonyme : A. d’Ulm.
Nom étranger : all. Ulmer Spargel.


Extrêmement voisine de l’A. de Hollande, celle-ci est généralement regardée comme un peu plus précoce et un peu plus colorée. La différence est si légère, qu’on pourrait bien regarder les deux variétés comme identiques.



ASPERGE D’ARGENTEUIL HATIVE.
Noms étrangers : angl. Early purple giant Argenteuil asparagus, all. Frühe allergrösste Argenteuil Spargel.


Cette très belle race, obtenue par sélection de semis de graines de l’A. de Hollande, fournit la plupart de ces belles bottes d’asperges qu’on admire au printemps à Paris. Les pousses sont très notablement plus grosses que celles de l’A. de Hollande. L’extrémité en est un peu pointue, et les écailles dont elle est revêtue sont fortement appliquées les unes sur les autres. Elle commence à produire un peu avant l’A. de Hollande.



ASPERGE D’ARGENTEUIL TARDIVE.
Nom étranger : all. Späte allergrösste Argenteuil Spargel.


Cette variété ne le cède pas en beauté à la variété hâtive, mais elle ne commence pas à produire tout à fait aussi tôt. Elle est appelée tardive non pas tant à cause de cette différence que parce qu’elle continue à donner de belles et grosses pousses lorsque celles de l’A. hâtive d’Argenteuil commencent à être beaucoup moins grosses qu’au début de la saison. On se sert alors des produits de l’asperge tardive pour parer les bottes. Les jardiniers très expérimentés savent reconnaître cette variété de la précédente à l’apparence de sa pointe, dont les écailles sont un peu écartées à la manière de celles d’un artichaut, au lieu d’être pour ainsi dire collées les unes sur les autres.



ASPERGE D’ARGENTEUIL INTERMÉDIAIRE.


Cette race, moins cultivée que les deux précédentes, n’a pas de caractères très distincts. Elle paraît être surtout un bon choix de l’A. de Hollande. Elle a, comme celle-ci, l’extrémité arrondie et obtuse.

L’A. Lenormand parait avoir été une bonne race améliorée de l’A. de Hollande. Les variétés d’Argenteuil l’ont à peu près remplacée aujourd’hui.

Les Allemands distinguent un grand nombre de races d’asperges, sous les noms de : Grosse géante, Grosse d*Erfurt, Hâtive de Darmstadt, Grosse de Darmstadt, Blanche grosse hâtive. Toutes nous paraissent se rapprocher beaucoup de l’A. de Hollande et de l’A. d’UIm, qui en est, comme nous l’avons dit, extrêmement voisine. On vante beaucoup en Angleterre et en Amérique la variété dite Conover’s colossal. Ce que nous en savons ne nous la fait pas considérer comme supérieure aux variétés d’Argenteuil.