Les Plaisirs du hasard/Acte II

Éditions de la nouvelle revue française (p. 33-62).
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ACTE DEUXIÈME

Une salle d’examens, à la Faculté de Paris.

Scène I

(Le Docteur entre avec son fils et sa fille. Il va vers le garçon de salle.)

Le Docteur. — Est-ce ici, Monsieur, l’oral de la trente-sixième série du baccalauréat ?

Le Garçon. — C’est ici.

Le Docteur. — Vous êtes bien aimable.

Ève. — Merci.

Le Garçon. — Votre jeune homme est de la trente-sixième série ?

Le Docteur. — Oui.

Le Garçon, à la jeune fille. — Il a de la chance… car ici nous avons les professeurs les meilleurs.

Le Docteur. — Vrai ?

Le Garçon. — Je veux dire rapport à la bonté.

Ève. — Ah ?

Le Docteur. — C’est l’important… (À son fils) Tu entends Monsieur ?

Le Fils du Docteur. — Pouh !… Si je tombe sur du Théocrite, je suis flambé !

Le Docteur. — Pourquoi ?… Mon Dieu !…, Le voilà bien : nerveux comme sa mère ! Mon pauvre enfant, tu me désoles ! Aie donc l’esprit un peu libre, un peu large, un peu dégagé !… Domine-toi…

Ève. — Crois en toi !

Le Docteur. — Et si tu tombes sur du Théocrite et que tu ne comprennes pas une expression, ne te trouble pas. Risque le mot « fromage » : il y en a dans tous ses morceaux.

Ève. — Il est énervé parce qu’il t’attendait.

Le Docteur. — J’étais chez le voisin du dessus.

Le Fils du Docteur. — Malade ?

Le Docteur. — Dieu non ! En pleine forme ! Mais sa domestique le trompe… dans son service, et comme les maîtres doivent se soutenir…

Le Fils du Docteur. — Tu sais son nom ?

Le Docteur. — Je l’appelle : « Cher Monsieur… cher voisin… »

Le Fils du Docteur. — Je te dis que tu sais son nom.

Le Docteur. — Comment ?

Le Fils du Docteur. — Il s’appelle comme moi.

Le Docteur. — Hein ?

Le Fils du Docteur. — Je m’appelle Emmanuel Denis. Il s’appelle Denis Emmanuel.

Le Docteur. — Il ne me l’a pas dit.

Le Fils du Docteur. — Le sait-il ? Et puis, avec toi ce n’est pas drôle. Tu t’appelles Denis, lui Emmanuel. Tandis qu’à moi la concierge m’a donné de ses lettres.

Le Docteur. — Vrai ? Quel genre ?

Le Fils du Docteur. — Une lettre qui venait de Chine.

Le Docteur. — Non ?

Le Fils du Docteur. — Si.

Le Docteur. — C’est un être charmant !

Le Garçon. — Voici ces Messieurs.

Le Docteur. — On se lève ?

Le Garçon. — Pas la peine.

(Entrée grave de trois professeurs en robes, qui s’asseyent, puis murmurent entre eux.)


Scène II

LES MÊMES, TROIS PROFESSEURS

Le Docteur. — Oh !… Ils sont en grande tenue !

Le Garçon. — À cinq heures, c’est le cinquantenaire du Recteur : ils se sont habillés d’avance.

Le Docteur. — Voilà !

Ève. — Elles sont jolies, ces robes.

Le Fils du Docteur. — Beau costume, mais rien dedans !

Le Docteur, bas. — Veux-tu te taire !… Qu’est-ce qu’ils font ?

Le Fils du Docteur. — Leur cuisine. Ils choisissent ceux qui seront refusés.

Ève. — C’est la minute horrible.

Le Docteur. — Mais il va être reçu ! Quand on a travaillé, on est reçu. Et je lui paierai un side-car, comme je l’ai promis.

Ève. — Quelle idée ! Moi, j’aurais préféré cent fois…

Le Fils du Docteur. — Ah ! Ne m’énerve pas !…

Le Docteur. — Il a raison, ne l’énerve pas… Mon petit, domine-toi. Un peu d’audace. Je connais des gens qui viendraient ici comme à une partie de plaisir…

Le Fils du Docteur. — Qui donc ?

Le Docteur. — Ton homonyme.

Le Fils du Docteur. — C’est donc un fou ?

Le Garçon. — Chut ! Ils vont lire la liste.

(Le Président se lève.)

Le Président. — Du silence !

Le Docteur. — Ah !

Le Président. — « Liste des candidats de la trente-sixième série, admis aux épreuves orales (Il lit :) Daniel, Danville, Delbet, Desmaret, euh…

Le Docteur, bas, à son fils. — Eh bien ? Eh bien ? Et toi ?

Le Fils du Docteur, geste affolé. — Je n’y suis pas !

Le Président. — Celui-là est illisible….

Le Garçon, bas, au Docteur. — Comment s’appelle votre garçon ?

Le Docteur. — C’est inutile, il n’y est pas.

Le Président. — Il y a un pâté… Ah ! Dubreuil… On l’a récrit en-dessous… Dubreuil. Dupuis…

Ève. — Tu n’y es pas !

Le Président. — Et… Dutertre… Voilà. Les autres candidats n’ont pas une moyenne suffisante.

Le Docteur. — Tu es refusé !

Ève. — Oh !

Le Fils du Docteur. — Je vous l’avais dit !

Le Docteur, furieux. — Hein ?… Fantastique ! Il nous l’avait dit !… Et de ce fait, Monsieur est garanti ! Tant pis pour nous !

Ève. — Vacances gâchées !

Le Docteur. — Parce que Monsieur n’a pas travaillé !

Le Fils du Docteur. — Oh ! Papa !…

Le Docteur. — Tu n’as pas travaillé intelligemment !

Ève. — Papa…

Le Docteur. — Quoi ? Ève. — Ne te fâche pas trop.

Le Docteur. — Je me fâcherai comme je voudrai… Et les moralistes disent : « Ayez des enfants ! »

(Un temps.)

Ève. — Sérieusement…

Le Docteur. — Comment, sérieusement ?

Ève. — Faut-il aller préparer maman à la nouvelle ?

Le Docteur. — Fais ce que tu voudras. Je ne me domine plus. Sortons.

Le Fils du Docteur. — Moi, il faut que j’attende mes papiers ici. Mes papiers, ils me les doivent !

Le Docteur, se rasseyant, les dents serrées. — Ils te les doivent ! Vraiment ! Ils te les… ? Galopin, va ! On ne te devra, en ce monde, que ce que tu gagneras par ton travail : sache-le !

(Un temps.)

Ève. — Je pars ?

Le Docteur. — Dis à ta mère que je suis à l’envers, qu’elle rentre, et que s’il vient des clients, elle les renvoie, car je ne serai pas en état de toute la journée de donner une consultation !

(Ève sort.)


Scène III

LES MÊMES, moins ÈVE

Le Président, se levant. — Silence ! Que personne ne sorte ! Qui vient de sortir ?

Le Garçon, au Docteur. — Votre demoiselle ?

Le Docteur. — Oui.

Le Garçon, au Président. — La demoiselle de Monsieur.

Le Président. — Il y a un oubli. À la liste précitée des candidats admissibles, il convient d’ajouter le nom d’un septième : Denis.

Le Fils du Docteur. — C’est moi !

Le Docteur. — C’est… c’est toi !… Ah ! mon petit !

Le Fils du Docteur. — Pouh ! papa… es chameaux !

Le Docteur. — C’est vrai… les… je ne dirai pas le mot, il est de ton âge, mais… Ah !… on ne fait pas des erreurs pareilles !… Quelle comédie ! Enfin, tu es reçu… Je me disais aussi : c’est impossible ! … Tu auras ton side-car… Je suis bien heureux, mon petit : j’avais besoin d’un bonheur.

Le Fils du Docteur. — Mais Ève a été dire à maman…

Le Docteur. — Sapristi ! Il faut la rattraper ! Reste là. Je cours… Qu’est-ce que tu as ? Tu es pâle ?

Le Fils du Docteur. — Oui.

Le Docteur. — L’émotion ?

Le Fils. — Peut-être… colique… bourdonnements… besoin d’air.

Le Docteur. — Eh bien, viens… viens vite… sors avec moi.

Le Garçon. — Est-il malade ?

Le Docteur. — Pour une minute. Si on l’appelle, prévenez-nous.

(Ils sortent.)


Scène IV

LES MÊMES, puis EMMANUEL

Le Président, solennel. — Plusieurs candidats ont jugé nécessaire de se faire recommander. Ai-je besoin de dire aux autres qu’il n’a été tenu aucun compte de ces manifestations qui étonnent par leur impudeur ? L’Université est une institution officielle, qui sait fermer ses portes à la faveur et à toutes les agitations. Ceci dit, nous allons procéder à l’examen oral de la trente-sixième série.

(Emmanuel entre. Il regarde à droite, à gauche, puis il se dirige vers le Garçon.)

Emmanuel, très sérieux et très déférent. — Pardon, Monsieur, qu’est-ce qu’on fait ici ?

Le Garçon, bourru. — Comment ?

Emmanuel, à voix basse. — Ces Messieurs tristes… ce silence… Est-ce qu’il y a quelqu’un de décédé ?

Le Garçon, bourru. — Ici… c’est le bachot.

Emmanuel. — Le ?…

Le Garçon. — Le bachot !

(Un temps.)

Emmanuel. — Ça s’écrit avec un b ?

Le Garçon. — Dame !

Emmanuel. — Comme balançoire ?…

Le Garçon. — Vous n’êtes pas bachelier ?

Emmanuel. — Et vous ?

Le Garçon. — C’est un examen.

Emmanuel. — Bachelier ?

Le Garçon, criant. — Le bachot !

Emmanuel, l’imitant. — Le bachot ?

Le Garçon. — Mais ne criez pas !

Emmanuel. — Bien… (À voix basse) Auriez-vous vu un Docteur ?

Le Garçon. — Un Docteur comment ?

Emmanuel. — Solennel et délicieux.

Le Garçon. — Non.

Emmanuel, désignant une jeune étudiante de l’auditoire. — Et cette jeune fille charmante, assise là-bas, qui est-ce ?

Le Garçon. — Connais pas…

Emmanuel. — Ce n’est pas la fille d’un Docteur ?… Elle a une chevelure somptueuse. Je sens que ma vie va se préciser.

Le Garçon. — Asseyez-vous. N’encombrez pas le chemin.

Emmanuel. — Bon. Qu’est-ce qui va se passer ?

Le Garçon. — Restez. Vous verrez.

(Un temps.)

Emmanuel. — Est-ce que les costumes sont de l’époque ?

Le Garçon. — Chut !

Emmanuel, même jeu. — Y aura-t-il de la musique ?

Le Garçon. — Taisez-vous ! Ces Messieurs vont parler !

Le Président, au Garçon. — Voulez-vous porter la liste des refusés au secrétariat.

(Le Garçon sort.)

Le Président. — Nous commençons l’interrogatoire. (Il appelle) Monsieur Denis. Denis Emmanuel.

Emmanuel, surpris. — Messieurs ?

Le Président. — C’est vous ?

Emmanuel. — C’est moi.

Le Président. — Approchez.

Emmanuel, à part. — Ça, alors, c’est inespéré !… (Il approche).

Le Président, à ses Assesseurs. — Il n’a pas l’air jeune, celui-là, pour le bachot. (À Emmanuel) Posez votre chapeau, Monsieur, et votre manteau… Vous n’allez pas répondre avec tout ce bagage…

Emmanuel. — Ah ! oui… c’est pour…

Le Président. — Vous dites ?

Emmanuel. — Je suis justement en tenue comme vous. (Il ôte son manteau et apparaît dans son uniforme de Chevau-léger.)

Le Président. — Qu’est-ce… qu’est-ce que c’est ?

Emmanuel. — Messieurs ?

Le Président. — Vous croyez-vous à un bal costumé ?

Emmanuel. — Pardon, vous-mêmes…

Le Président. — Comment, nous ?… Êtes-vous un mystificateur ?… Voulez-vous remettre tout de suite votre manteau !

Emmanuel. — Je veux bien.

Le Président. — Et oui ou non, voulez-vous passer l’oral ?

Emmanuel. — Je veux bien aussi.

Le Président. — Aussi quoi ?

Emmanuel. — Messieurs, j’adore les bonnes fortunes.

Le Président. — Hein ?

Emmanuel, lyrique. — Suivre une fille qui passe ; causer de la vie éternelle avec le premier venu ; partir dans un train sans savoir où ; faire des dettes avant d’y penser…

Le Président. — Qu’est-ce que vous récitez là ? Il ne s’agit pas de tout ça ! Savez-vous quelque chose ?

Emmanuel. — Sur quoi ?

Le Président. — « Sur quoi » prouve que vous n’êtes pas ferré sur tout… (Il regarde avantageusement ses deux confrères) Voulez-vous me parler des phases de la lune ?

Emmanuel. — Des phases de… Ah !…

Le Président. — Quoi, ah ?

Emmanuel, inspiré. — La lune !

Le Président. — Eh bien ?

Emmanuel. — Astre charmant ! Lampion sublime pour une féerie céleste !…

Le Président. — Qu’est-ce que ?… je ne vous demande pas ça ! J’interroge sur les sciences. Voulez-vous scientifiquement…

Emmanuel. — Oh ! scientifiquement, Monsieur, je ne sais rien…

Le Président. — Rien ?

Emmanuel. — Ça ne m’intéresse pas.

Le Président. — Ça, c’est fort !

Emmanuel. — C’est même plus fort que moi. Quand je profite de la chute d’une femme, je ne pense pas aux lois de la pensateur !

(Rires dans le public.)

Le Président. — Ah ! je veux du silence dans le public, ou je saurai prendre des mesures !… Monsieur, vous êtes un mystificateur.

Emmanuel. — Moi ?

Le Président. — Assez ! (À ses confrères) Qui est ce candidat-là ?… Qu’est-ce qu’il a fait à l’écrit ?

Le deuxième professeur. — Mais… il n’a pas mal fait. Voyez.

Emmanuel, à part. — La vie est riche ! (Regardant la jeune fille aux cheveux somptueux) Et cette fille est blonde comme un jour d’été.

Le Président, à ses confrères. — Alors, vous êtes d’avis de continuer l’interrogatoire ?

Le deuxième professeur. — Mon cher confrère, nous sommes forcés.

Le Président. — Mais… si c’est un mystificateur ?

Le troisième professeur. — Nous n’en serons sûrs que mystifiés.

Le Président. — Je le suis. Je vous le passe.

Le deuxième professeur. — Nous le prenons.

Le Président, à Emmanuel. — Puisque vous ne vous intéressez pas à mes matières…

Le deuxième professeur. — Venez ici. Vous ne savez rien en cosmographie, savez-vous quelque chose en littérature ?…

Emmanuel. — Mais…

Le deuxième professeur. — Parmi les grands prosateurs, lesquels préférez-vous ?

Emmanuel. — Parmi les ?… Ah !…

Le deuxième professeur. — Quoi, ah ?

Emmanuel. — Ceux qui sont poètes !

Le Président. — Arrêtez donc ça !

Le deuxième professeur. — Non. Je vais changer de méthode. (À Emmanuel) Nous allons prendre un texte. Voulez-vous ouvrir ce volume, devant vous… Passez la préface, qui a trois pages, prenez six pages après… Trois et six… Vous y êtes ?… Lisez.

Emmanuel, lisant. — « La grenouille qui veut se faire… »

Le deuxième professeur. — Trois pages et six pages ; cela fait combien : trois et six ?

Emmanuel. — Trente-six.

Le Président. — Vous voyez que c’est un mystificateur !

Le deuxième professeur. — Laissez, laissez-moi faire !… (À Emmanuel) Donnez ce livre… Le voici à la page… Lisez. À droite.

Emmanuel. — « Le Serpent et la Lime ».

Le deuxième professeur. — De qui est cette fable ?

(Emmanuel ferme le livre.)

Le deuxième professeur. — Sans regarder la couverture !

Emmanuel. — Alors, comment puis-je ?…

Le deuxième professeur. — Vous ne connaissez pas La Fontaine ?

Emmanuel. — Et je l’adore !

Le deuxième professeur. — Eh bien, c’est de lui.

Emmanuel. — Il y a tant de plagiaires !

Le Président. — Monsieur, ici nous n’étudions pas les plagiaires.

(Un temps.)

Le deuxième professeur. — Quand est-il mort, La Fontaine ?

Emmanuel. — Mais il vit, le cher bonhomme !

Le deuxième professeur. — Comment, il vit ?

Emmanuel. — Il ne mourra jamais !

Le deuxième professeur. — Ah ! Vous faites de l’esprit !

Emmanuel. — À peine…

Le Président. — Monsieur, ici on ne fait pas d’esprit !

Emmanuel. — Ah !

Le deuxième professeur. — Ne soulignez pas tout ce qu’on dit.

Emmanuel. — Bien.

Le deuxième professeur. — La Fontaine, en quelle année est-il né ?

Emmanuel. — Ah !…

Le deuxième professeur. — Avez-vous fini de dire « Ah ! » ? Voulez-vous répondre ?… Qu’est-ce que vous faites ?

Emmanuel. — Je cherche.

Le deuxième professeur. — Dans la préface ?

Emmanuel. — L’année exacte.

(Rires dans la salle.)

Le Président. — Messieurs, du silence ! Ce que vous croyez drôle ne l’est pas. Je peux suspendre l’examen pour tout le monde.

Le deuxième professeur, sec. — La Fontaine est né en 1621. De sa vie connaissez-vous d’autres dates ?

Emmanuel. — Que oui !

Le deuxième professeur. — Lesquelles ?

Emmanuel. — Toutes.

Le deuxième professeur. — Dites-en.

Emmanuel. — 1622, 23, 24, 25, 26…

Le deuxième professeur. — Est-ce fini ?

Emmanuel. — Non.

Le deuxième professeur. — Bien. Je vais sévir.

Emmanuel. — Je ne comprends plus.

Le deuxième professeur. — Moi je comprends. Comme l’a dit mon honorable confrère, vous êtes un mystificateur, et vous apprendrez ce qu’il en coûte !

Le troisième professeur. — Voyons, voyons ! À votre tour vous n’avez plus de sang-froid… Passez-moi le livre ; moi, je vais le dompter.

Le deuxième professeur. — Il ne s’agit plus de ça… il s’agit…

Le troisième professeur. — Passez-moi le livre.

Le deuxième professeur. — Volontiers.

Le troisième professeur. — À nous deux, Monsieur. Lisez la fable.

Emmanuel, lisant. — On conte…

Le troisième professeur. — Le titre.

Emmanuel. — Encore ! « Le Serpent et la Lime ».

Le troisième professeur. — Que remarquez-vous ?

Emmanuel. — Où ?

Le troisième professeur. — Dans le titre ?

Emmanuel. — Rien.

Le troisième professeur. — Moi, je remarque qu’il s’agit d’une lime ; donc la scène est située dans le temps, et dans un temps relativement récent. Vous n’y aviez pas songé ? Ça ne vous intéresse pas ?

Emmanuel. — Non.

Le deuxième professeur. — Je ne comprends pas que vous poursuiviez.

Le troisième professeur. — Pardon, je persiste. Lisez, Monsieur.

Emmanuel. — Le titre ?

Le troisième professeur. — La fable.

Emmanuel. — « On conte qu’un serpent, voisin d’un horloger… »

Le troisième professeur. — Arrêtez ! Ce style, quel style est-ce ?

Emmanuel. — Du La Fontaine.

Le troisième professeur. — Ce n’est pas ce que je demande. Est-ce du style simple ?

Emmanuel. — Simple ?… Oui.

Le troisième professeur. — Remarquez le grand S de Serpent. Majuscule. Donc, le style n’est pas simple. Est-ce qu’il est sublime ?

Emmanuel. — Sublime ?… Oui.

Le troisième professeur. — Pourquoi ?… Il n’a ni grandeur, ni véhémence. C’est du style tem…

Emmanuel. — Tendancieux.

Le troisième professeur. — Tendancieux !… C’est du style tempé…

Emmanuel. — Tempétueux.

Le troisième professeur. — Tempétueux !… Où va-t-il chercher ce qu’il dit ? C’est du style tem… Réfléchissez… tem…

Emmanuel. — Oh !… tem… tem… tant que c’est trop !… Pouh ! (à part, mais haut) Ce type est embêtant comme un boisseau de puces ! (Tumulte dans la salle).

Le troisième professeur. — Vous avez dit ?

Emmanuel, très calme. — Une grossièreté.

Le troisième professeur. — C’est ce qui me semblait !

Emmanuel. — Et j’en pense d’autres.

Le troisième professeur. — Quoi ? Messieurs… vous êtes témoins… il faut sévir immédiatement.

Le deuxième professeur. — Enfin !

Le Président. — Où est le Garçon ?… Garçon !


Scène V

LES MÊMES. LE GARÇON. LE FILS DU DOCTEUR

Le Garçon, rentrant avec le Fils du Docteur. — Voici, Messieurs. J’étais avec un candidat malade.

Le Président. — Votre place est ici. Voulez-vous nous débarrasser de Monsieur.

Emmanuel. — De moi ? Sans rire !

Le Président. — Il va vous faire sortir.

Emmanuel. — S’il approche, j’en fais de la compote ! (Le Garçon recule) Ma parole, vous êtes inconscients tous les trois !

Le deuxième professeur. — Inconscients ! Deuxième injure.

Le troisième professeur, se dressant. — Malheureux ! Vous rendez-vous compte que votre cas sera soumis au Conseil Supérieur de l’Université, et… et…

Emmanuel. — Et… pas d’éclat, je vous en prie ! Écoutez-moi sans sauter telles des crevettes derrière votre comptoir. Quand on a un métier charmant comme le vôtre, qui consiste à s’occuper toute la journée de la lune et de La Fontaine, on ne se fâche pas, on sourit. Je suis stupéfait den’avoir pas encore eu de vous un sourire !

Le Président. — Garçon !

Emmanuel. — Je suis entré dans ce monument public pour voir à quel genre d’occupations nationales on s’y livrait. Dès que j’y ai été, on m’a appelé et on m’a dit : « Approchez ». Je suis bonne pâte ; j’aime la vie telle qu’elle est ; je suis venu. On m’a posé des questions : j’ai répondu. Tout à coup, on se fâche ; alors je me fâche aussi ! Mais réflexion faite, je suis un sot ; je ne demande qu’à m’apaiser et à vous donner avec bonne grâce sur la littérature et l’astronomie, tous les renseignements…

Le Président, très pâle. — Garçon, voulez-vous sortir chercher les gardes de la Faculté !

Le Garçon. — Les… gardes ?

(Il sort).

Emmanuel. — Ah ! alors c’est vous qui ne voulez pas de l’apaisement. Comme j’aime les spectacles policiers, je me calme quand même et m’installe.

Le Président. — Installez-vous. C’est une histoire qui finira en Correctionnelle.

Emmanuel. — Qui est cette bête-là ?

Le deuxième professeur. — Maintenant, il insulte la Justice !

Le Président. — Il faudra retenir toutes ses injures. D’ailleurs, il y a des témoins. (Au public qui rit :) Messieurs…

Emmanuel, désignant la jeune fille aux cheveux somptueux. — Il y a aussi une Demoiselle…

Le Président. — Messieurs, vous qui êtes malheureusement témoins de cette scène, je vous prie d’en noter la gravité.

Emmanuel. — Ils se tordent tous !

Le Président. — Vous allez voir venir ici des gardes…

(Le Garçon revient essouffle.)

Le Président. — Qu est-ce qu’il y a ?

Le Garçon. — Je ne trouve pas les gardes !

Le Président. — Ils doivent être au petit café de la place de la Sorbonne. Courez voir !

Emmanuel. — Hop ! Un pourboire pour la course !

Le Garçon. — Insolent !

Le Président, au public. — Messieurs…

Emmanuel. — Et Mademoiselle !

Le Président. — Messieurs… pour la première fois depuis que j’examine dans cette enceinte, un individu a osé nous empêcher d’exercer notre tâche sacrée vis-à-vis de la jeunesse. En vérité, je m’étonne qu’aucun de vous ne se lève pour lui dire son fait. Mais l’Université oppose son calme dédain, et, confiante, elle attend que les agents de la force publique l’aient débarrassée de cette grossière cause de désordre.

Emmanuel. — Très bien ! Applaudissements ! À mon tour !

Le Président. — Taisez-vous !

Emmanuel. — Pourquoi, Monsieur ? J’ai le droit de parler, et autant que vous. (Au public) Mademoiselle, Messieurs, tout ce que vient de dire ce Monsieur est colérique et faux. Je ne le connais, ni lui ni ses acolytes. C’est eux qui m’ont provoqué.

Le Président. — Provoqué ?

Le deuxième professeur. — Oh !

Emmanuel. — Est-ce vous qui m’avez appelé ?

Le Président. — Dame ! Avez-vous passé l’écrit ?

Emmanuel. — Quel écrit ?

Le Président. — Ceci, est-ce de vous ?

Emmanuel, prenant la feuille. — Lettre à Sénèque ?… Ai-je une tête à écrire à Sénèque ?

Le troisième professeur. — Enfin, c’est vous Denis Emmanuel ?

Emmanuel. — Moi-même.

Le Fils du Docteur. — Pardon, Messieurs, c’est moi !

Le Président. — Ah ! Ce n’est pas lui !

(Rires dans le public.)

Le Président, rageur. — Je ne comprends pas qu’on ait encore le courage de rire !

Emmanuel. — Voici ma carte, mes cartes. Une pour chacun, et il en reste. Suis-je Denis Emmanuel ?

Le Fils du Docteur. — Messieurs, c’est moi aussi !

Le Président, au Fils du Docteur. — Jeune homme, est-ce de vous cette copie ?

Le Fils du Docteur. — Oui, Monsieur !

Le Président. — Alors, ne tremblez pas près de cet individu. La Justice est pour vous.

Emmanuel. — D’abord, la Justice n’existe pas. Ensuite, il tremble parce qu’il est d’une fâcheuse constitution : ce n’est pas moi qui le fais trembler… Et enfin, tout cela vous paraît « fabuleux » derrière vos carreaux dépolis, mais tout cela est plus clair que le jour. Monsieur porte le même nom que moi.

Le Fils du Docteur. — Encore ! Alors tous ! J’en connais déjà un autre !

Emmanuel. — C’est un hasard, jeune homme. Le hasard mène le monde. (Aux professeurs) Monsieur a fait l’écrit. C’est à moi que vous demandez l’oral. S’il y a confusion, il ne faut vous en prendre qu’à vous.

Le Président. — Pardon ! Candidat Denis Emmanuel, pourquoi n’avez-vous pas répondu à l’appel de votre nom ?

Le Fils du Docteur. — Monsieur, me sentant malade, j’étais sorti.

Le Président, à Emmanuel. — Et vous ?

Emmanuel. — J’étais entré : c’est mon droit ; les portes sont ouvertes. Et je me tenais tranquille, sans rien demander.

Le Président. — Vous n’aviez aucun examen à passer ! Donc, entendant votre nom, vous deviez vous douter que ce n’était pas vous !

Emmanuel. — Dans une vie où ne sait ni d’où on vient, ni où on va, je n’ai pas besoin, quand on m’appelle, de me demander pourquoi.

Le Président. — Alors, comment voyez-vous la Société ?

Emmanuel. — Maboule, délicieusement maboule !

Le Président. — Je ne vous en fais pas compliment !

Emmanuel. — Croyez-vous que je vous en fasse, à vous qui la représentez ? Je ne suis qu’un passant. Vous êtes dans ses meubles.

Le Président. — Ne recommencez pas à être grossier !

Emmanuel. — C’est une manie : chaque fois que je dis vrai, il dit que je suis grossier. Aucune variété, cet homme !

Le Président. — Aucune quoi ?

Emmanuel — Et aucune bonne humeur !

Le deuxième professeur. — Malheureux, comprenez-vous que vous empêchez le candidat homonyme de passer son examen ?

Emmanuel. — Je l’empêche d’être refusé. Il sera ravi. Sa petite amie, ce soir, l’embrassera avec tendresse.

Le Fils du Docteur. — Mais, Messieurs, je suis prêt à passer, moi !

Le Président. — Impossible, jeune homme, avant que le Conseil Supérieur se soit prononcé.

Le deuxième professeur. — Il y a fraude.

Le troisième professeur. — Et violation.

Le Président. — Donc, il faut enquêter. Vous passerez à la prochaine session.

Le Fils du Docteur. — Non ?

Le Président. — Prenez-vous en à Monsieur !

Le Fils du Docteur, furieux. — Ah ! Monsieur !

Emmanuel. — Ah ! Jeune homme !… il faut vous modérer comme les autres. J’ai annoncé de la compote : je peux en faire avec vous.

Le Président, au Fils du Docteur. — Laissez-le ! Alors laissez-le !

Le deuxième professeur. — Attendez les gardes !

Emmanuel. — Bon conseil. Plus on est de fous, plus on rit ! Quant à moi, vous m’excuserez. Brusquement, une voix intérieure me commande de ne pas m’attarder ici. Cette séance prosaïque m’accable : je vais me rafraîchir ; j’ai envie de prendre un bain ; mais je laisse cet adolescent en gage à ma place. Au plaisir !

(Il s’en va d’un pas léger.)

Le Président. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il fait ?… Eh là !… Eh !… Courez donc après !

Le Fils du Docteur s’élance. — Ah ! Monsieur !

Emmanuel. — Ah ! Jeune homme !

(Et il sort.)

Le troisième professeur. — Par exemple !

Le Président. — Messieurs, je m’étonne pour la deuxième fois, que dans le public il n’y ait eu personne…

Le deuxième professeur. — Laissez le public… nous avons ses cartes…

Le troisième professeur. — La Faculté pourra poursuivre…

Le Fils du Docteur. — Alors, moi… moi ! Ah ! papa ! Qu’est-ce que fait papa !


Scène VI

LES MÊMES, moins EMMANUEL. LE CHEF DES GARDES

Le Garçon, accourant. — Voici le chef des gardes !

Le troisième professeur. — Il est temps !

Le Président, au Garçon. — Vous ne l’avez pas vu filer ?

Le Garçon. — Non. Qui ? Où ?

Le Fils du Docteur, désespéré. — Il ne l’a pas vu filer !

(Bruit dans le public.)

Le Président. — Allons ! Assez de désordre ! Messieurs, je suis le Président de cette session. Et je vous prie de regagner vos places en bon ordre. Monsieur le chef des gardes, un énergumène s’est introduit ici.

Le Chef des Gardes. — Bien.

Le Président. — Profitant de la sortie d’un candidat, et portant le même nom, il a réussi à passer un examen.

Le Chef des Gardes. — Oui.

Le Président. — Il nous a injuriés.

Le Chef des Gardes. — Bien.

Le Président. — Nous vous avons fait chercher.

Le Chef des Gardes. — Oui.

Le Président. — Mais il s’est enfui.

Le Chef des Gardes. — Bien.

Le Président. — Il ne nous reste que la victime, que nous ne pouvons soumettre à aucune question, avant d’en avoir référé au Conseil Supérieur.

Le Chef des Gardes, au Fils du Docteur. — Monsieur, veuillez me suivre.

Le Fils du Docteur. — Moi ? Ce n’est pas moi !

Le Président. — Non. Lui, c’est la victime.

Le Chef des Gardes. — L’autre étant disparu, il faut que Monsieur me suive. (Rires. Bruit).

Le Président. — Le désordre de cet examen devient intolérable ! Chef des gardes, je vous mets en demeure, puisque vous avez été mandé, de rétablir le calme, et de prendre, pour ce, tous moyens que vous jugerez bons ! La dignité universitaire commande que je suspende ces épreuves. Le jury va se retirer. L’oral de la trente-sixième série reprendra dès que cette salle sera débarrassée de ses éléments de désordre. Garçon, je vous prie de ne pas nous quitter.

(Les Professeurs se retirent avec le Garçon.)


Scène VII

LE CHEF DES GARDES. LE FILS DU DOCTEUR. Puis EMMANUEL et LE DOCTEUR.

Le Chef des Gardes, au Fils du Docteur. — Monsieur, je réitère : veuillez me suivre.

(Emmanuel rentre, et fait signe au Docteur qui est dehors.)

Emmanuel. — Venez ! Entrez ! La force est arrivée ! Et voici le jeune homme qui veut me frustrer de mon diplôme !

Le Docteur. — Mais c’est mon fils !

Le Fils du Docteur. — Papa !

Emmanuel. — Quoi ?

Le Fils du Docteur. — Ah ! papa ! Que faisais-tu ? Tu connais ce…

Le Docteur. — C’est ton homonyme.

Le Fils du Docteur. — Le locataire du dessus ?

Le Docteur. — Lui-même.

Emmanuel, au Docteur. — Comment ? Nous portons le même nom ?

Le Docteur. — Pas moi. Lui.

Emmanuel. — Puisque c’est votre fils…

Le Docteur. — Eh bien, votre petit nom c’est son nom, et votre nom c’est son petit nom !

Emmanuel. — Terre et ciel ! Que ne l’avez-vous dit ?

Le Docteur. — Est-ce que je le savais ? Qu’est-ce qui est arrivé ?

Emmanuel. — Oh ! Docteur, docteur… vous prévoyiez tout ! Je vous découvre. C’est vous qui m’avez fait venir. C’est vous qui êtes un maître !

Le Docteur. — Qu’est-ce qu’il dit ?

Le Fils du Docteur. — Enfin, papa, où étais-tu ?

Le Docteur. — Avec ta mère. Raconte ce qui s’est passé.

Le Fils du Docteur. — Je n’y comprends plus rien, maintenant que je vous vois ensemble.

Emmanuel. — Il est jeune ! C’est un bon petit. Il n’a pas encore mesuré la richesse du hasard, la bouffonnerie de l’existence et la fantaisie paternelle.

Le Docteur, furieux. — Mais je ne suis pour rien là-dedans !

Emmanuel. — Et notre causerie ? Et vos conseils ?

Le Docteur, furieux. — Allons, allons ! Où est le jury ?

Le Chef des Gardes. — Le jury s’est retiré, Messieurs, en attendant que je rétablisse l’ordre.

Emmanuel. — Docteur, voici le représentant de l’ordre.

Le Chef des Gardes, au Docteur. — Monsieur est sans doute le père du jeune homme ?

Le Docteur, très digne. — En effet. Docteur Denis, Chevalier de la Légion d’Honneur ! Président de l’Amicale des Médecins Volontaires…

Le Chef des Gardes. — Je prie Monsieur de nous accompagner.

Le Docteur. — Où ?

Le Chef des Gardes. — Chez Monsieur le Recteur.

Le Docteur. — Pourquoi faire ? M’expliquera-t-on ?

Le Chef des Gardes. — Monsieur le Recteur expliquera.

Le Docteur. — Il ne s’agit pas de Monsieur le Recteur ! Emmanuel est blanc comme un linge.

Emmanuel. — Moi ?

Le Docteur. — Mon fils. Et nous sommes un objet de curiosité !

Emmanuel. — Alors, un mot seulement, mais pesez-le bien. Connaissez-vous cette jeune fille, là-bas ?

Le Docteur. — Non. Pourquoi ?

Emmanuel — Pour rien. Je suis désespéré. Sortons.

Le Chef des Gardes. — Messieurs, vous parlerez dehors. Évacuez !

Le Docteur. — Mais, qu’on m’explique ! À la fin je ne me domine plus !

Emmanuel. — Cher Docteur, pas d’air tragique !

Le Docteur. — Cher Monsieur, je n’aime pas qu’on se moque de moi !

Emmanuel. — Si. Et j’ai fait ce que je devais, c’est-à-dire ce que vous auriez voulu faire.

Le Docteur. — Encore !

Emmanuel. — Dominez-vous. Je vous éclaircirai tout ce soir, en dînant… puisque je dîne à votre table !

Le Docteur. — Oh ! nous n’en sommes pas à dîner !

Emmanuel. — Courons d’abord chez le Recteur.

Le Docteur. — Dieu ! Pas vous ! Ce serait joli !

Le Chef des Gardes. — Non, pas vous !

Emmanuel. — Comment ? Moi je suis…

Le Docteur. — Restez, pour l’amour du ciel ! Et soyez sérieux !

Emmanuel. — Sérieux ? Mes parents l’étaient-ils quand ils m’ont fait !

Le Docteur. — Et rentrez : vous me faites peur. Il y a des limites à l’extravagance.

Emmanuel. — Celles de l’imagination. À ce soir. (Sortie du Docteur) Ah ! Ah ! Il n’est pas au point… (Regardant la demoiselle) Puisque ce n’est pas sa fille, comment peut être sa fille ?

Un Jeune Homme, s’avançant. — Monsieur, je vous préviens que si vous regardez encore ma sœur avec cette insistance…

Emmanuel. — Cette demoiselle ?

Le Jeune Homme. — Oui, Monsieur !

Emmanuel. — C’est fini. Je ne la regarderai plus. Ma vie évolue et s’en va vers une autre.

Le Jeune Homme. — Je me retiens, Monsieur, depuis cinq minutes…

Emmanuel. — Vous ?

Le Jeune Homme. — Moi… Pour ne pas vous gifler !

Emmanuel. — Moi ?

Le Jeune Homme. — Vous !

Emmanuel. — Parce que je regarde Mademoiselle votre sœur ?

Le Jeune Homme. — Oui, Monsieur.

Emmanuel. — Oh !

Le Jeune Homme. — Et vous l’avez désignée à l’attention publique.

Emmanuel. — Eh bien ?

Le Jeune Homme. — Eh bien… estimez-vous heureux… enfin… suffit !… Je vous salue, Monsieur !

Emmanuel. — Mais moi aussi, Monsieur !… Pauvre petit : il tremble autant que l’autre. Toute cette jeunesse n’est pas forte. Pourvu qu’elle, au moins, soit solide !… comme cette charmante enfant qui entre là… Si c’était elle ?

La Jeune Fille qui vient d’entrer, au Jeune Homme. — Pardon, Monsieur, avez-vous vu sortir un monsieur un peu fort ?

Emmanuel, s’approchant. — C’est elle ! (à la jeune fille) Un Docteur, Mademoiselle ?

La Jeune Fille. — Non, Monsieur, l’architecte.

Emmanuel. — Ce n’est pas elle ! (Il s’écarte) Je n’ai aucune chance. Moi qui croyais avoir de la chance. Elle ne viendra pas. Je ne la verrai pas.

La Jeune Fille. — Vous ne l’avez pas vu ?

Emmanuel. — Hélas !

La Jeune Fille. — Je vais au secrétariat.

Emmanuel. — Elle y serait ?

La Jeune Fille. — Qui, Monsieur ? Je cherche l’architecte.

Emmanuel. — C’est vrai…

La Jeune Fille. — Savez-vous où est le secrétariat ?

Emmanuel. — Du tout, Mademoiselle. Mais je vais vous y mener, nous le trouverons ensemble. Passez, je vous prie. (Sortant) Vous n’auriez pas, parmi vos amies, la fille d’un Docteur, une jeune fille qui doit être fort jolie ?…

RIDEAU