Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges/Le Débauché converti


Plaisirs Pag. 73
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustrations.
Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges, Illustrations.




LE
DÉBAUCHÉ CONVERTI.

Par M. Robbé de Beauveset.



Puissant Médiateur entre nous et la femme,

Qui, du plaisir secret, nous ourdissez la trame,

Des feux de Prométhée ardent dispensateur,
Et de la gent humaine éternel Créateur ;

Portassiez-vous encore un plus superbe titre,

Du bonheur de mes jours vous n’êtes plus l’arbitre.

Ce plaisir violent, dont je fus enchanté,

D’un tourment de six mois est trop cher acheté.
Qu’un autre que moi coure après ce vain fantôme,

J’en connais le néant, grace à Monsieur Saint-Côme ;

Et les sacrés réchauds sont l’utile creuset

Où l’or faux du plaisir m’a paru tel qu’il est.

J’ai ruminé ces maux que sur son lit endure
Un pauvre putassier tout frotté de mercure ;

Des conduits salivains, quand les pores ouverts

Du virus repoussé filtrent les globes verts ;

Quand sa langue, nageant dans les flots de salive,

Semble un canal impur qui coule une lessive :

Ah ! que sur son grabat se voyant enchaîné,

Un Ribaud voudrait bien n’avoir pas dégaîné ;

Qu’il déteste l’instant où sa pompe aspirante,

Tira le suc mortel de sa cruelle Amante !
L’œil cave, le front ceint du fatal chapelet,
Le teint pâle et plombé, le visage défait,

Les membres décharnés, une joue allongée,
Sa planète atteignant son plus bas périgée,
Alors, avec David, il prononce ces mots :

La vérole, mon Dieu, m’a criblé jusqu’aux os.

Car, par malum, David entend l’humeur impure

Qu’il prit d’Abigaïl, comme je conjecture,

D’autant que cette femme, épouse de Nabal,

De son mari pouvait avoir gagné ce mal.
Ce Nabal, en effet, est peint au saint volume

Tel qu’un compagnon, propre au poil comme à la plume,

Et qui, quand il trouvait fille de bonne humeur,

De ses bubons enflés méprisant la tumeur,
Lui faisait, sur le dos, faire la caracole,
Eut-il été certain de gagner la vérole.

Aussi, je suis surpris que David, ce grand clerc :

Au fait d’Abigaïl ait pu voir si peu clair :

Certes, besoin n’était d’être si grand prophête.

Ni d’avoir sur son nez la divine lunette,

Pour voir que, de Nabal, tout le sang corrompu

Ayant poivré le flanc qui s’en était repu,
C’était nécessité que son hardi Priape
Eût la dent agacée en mordant à la grappe.

Mais, quoi ! vit-on jamais raisonner un paillard ?

Il prit, les yeux fermés, ce petit mal gaillard,

Dont, quelque temps après, sa flamberge en furie,

Enticha le vagin de la femme d’Urie.
De mes ébats aussi, j’ai tiré l’usufruit :

Mais, grace au vif-argent, mon virus est détruit ;

Mon sang, purifié, coule libre en mes veines,

Et deux globes malins ne gonflent plus mes aînes ;

Du trône du plaisir, les parois resserrés,
Ne laissent plus couler mille sucs égarés ;

Et ce Moine velu, que le prépuce enfroque,

De trois rubis rongeurs voit dérougir sa toque.

Triste et funeste coup ! pouvais-je le prévoir,

Qu’une fille si jeune eût pu me décevoir ?

Deux lustres et demi, qu’un an à peine augmente,

Voyaient bondir les monts de sa gorge naissante ;

Un cuir blanc et poli, mais élastique et dur,
Tapissait le contour de son jeune fémur ;
A peine un noir duvet de sa mousse légère

Couvrait l’antre sacré que tout mortel révère ;

Les couleurs de l’Aurore éclataient sur son tein,

Elle aurait fait hennir le vieux Mufti Latin ;
Un front, dont la douceur à la fierté s’allie,

La firent, à mes yeux, plus vierge qu’Eulalie :

Aussi combien d’assauts fallut-il soutenir,

Avant que d’en pouvoir à mon honneur venir ?
A mon honneur ! jé faux, disons mieux, à ma honte ;

Après deux mois d’égards, de soupirs, je la monte.

Dieux ! quelle volupté, quand, sur elle étendu,

Je pressurais le jus de ce fruit défendu !

Sa gaîne assez profonde, en revanche peu large,

Entr’elle et mon acier ne laissait point de marge ;

Le piston à la main, trois fois mon Jean-chouard,

Dans ses canaux ouverts, seringua son nectar ;

Et trois fois la Pucelle, avec reconnaissance,

Voitura, dans mon sang, sa vérolique essence.

Mais, quoi ! ma passion s’enflamme à ce récit,

De mes tendons moteurs le tissu s’étrécit ;

Mes esprits, dans mes nerfs, précipitent leur course,

Et de la volupté courent ouvrir la source.

Quoi donc ! irais-je, en proie à de vils intestins,

De mes os ébranlés empirer les destins ?
Irais-je sur ces mers fameuses en naufrages,
Nautonnier imprudent affronter les orages ?

Moi qui, comme Jonas, qu’un serpent engloutit,

Ai servi de pâture à l’avide Petit.
Non, de la chasteté j’atteins enfin la cime ;
Là, je rirai de voir cette pâle victime
Que la fourbe Vénus plaça sur ses autels,
Traîner les os rongés de ses poisons mortels.

Que le Ciel, si jamais je vogue sur ce gouffre,

Fasse pleuvoir sur moi le bitume et le souffre ;

Que l’infamant rasoir qui tondit Abailard,
Me fasse, de l’Eunuque, arborer l’étendard,
Si jamais enivré, fût-ce d’une Pucelle,
Mon frocard étourdi saute dans sa nacelle !

Tout visage de femme, à bon droit, m’est suspect ;

Quiconque a salivé, doit fuir à son aspect.

Oui, m’offrît-on le choix des onze mille Vierges,

Jamais leurs feux sacrés n’allûmeraient mes cierges.

Le jaloux Ottoman m’ouvrît-il son Sérail,
Quand j’y verrais à nud l’albâtre et le corail

Briller sur ces beaux corps qu’embellit la Nature,

Mon Priape serait un Priape en peinture.

Je dis plus : quand le Ciel exprès, de mon côté,

Tirerait la plus rare et plus saine beauté,
Dieu sait si la chaleur de cette nouvelle Eve

Dans mon muscle alongé ferait monter la séve ;

Beau sexe, c’en est fait, vos ébats séducteurs

Ne me porteront plus vos esprits destructeurs ;

Je fuirai désormais votre espèce gentille,

Ainsi qu’au bord du Nil on fuit le Crocodile.

Il est temps de penser à faire mon salut ;

L’ame se porte mal, quand le corps est en rut.
Lorsque l’affreuse mort, au sec et froid squelette,

M’aura devant le Juge assis sur la sellette,

Cent mille coups de cul ne me sauveront pas

Du foudroyant arrêt de l’éternel trépas.

C’est vous qui, le premier, avez fait tomber l’homme,

Par l’attrait séducteur de la fatale pomme ;

Mais vos culs, dans l’abyme, en ont plus descendus,

Que ne feraient jamais tous les fruits défendus.

C’est avec vos filets que Satan nous attrappe,

C’est vous qui nous poussez sur l’infernale trappe ;

Vous séduiriez, morbleu, je crois, tous les élus.

Adieu, beau sexe, adieu, vous ne me tenez plus.