Les Plaisirs de l’ancien régime, et de tous les âges/L’Ave Maria, conte




L’AVE MARIA,

CONTE.



Dans un couvent deux Nonnettes gentilles,

Mais dont l’esprit doux, simple, innocent,
Ne connaissait que le tour et les grilles,
Tenaient un jour propos intéressant
De confidence et d’amitié fort tendre.
Notez qu’aucun ne pouvait les entendre,
L’huis était clos. Fillette de jaser,
De s’appeler et ma chère et ma bonne,
De se donner saintement un baiser,
D’y revenir, sans qu’aucune soupçonne
Que le malin les induit à ce jeu.
Jésus, ma sœur, dit la jeune Sophie,
Qu’on voit en vous les merveilles de Dieu !
Quelle beauté ! vous êtes accomplie :

Voyez ce sein ! le globe en est parfait.
Que ce bouton de rose-là me plaît !
J’y vois la main de la Toute-Puissance.

Et vous, mon cœur, reprit la sœur Constance,

Peut-on vous voir, et ne pas l’adorer ?
Tout est parfait, tout, en vous, m’édifie.
Lors, le pieux examen sur Sophie
Va son chemin. On admire ceci,
Et puis cela ; tant que par aventure
En certain lieu que la folle Nature
Fit à plaisir, l’examen vint aussi.
Pieux élans, obligeamment mystiques,
Naissent alors à cet objet frappant.
Ma chère sœur, l’agréable portique !
Le beau dessin ! qu’il est simple et piquant !
Chez vous, ma sœur, lui répliqua Sophie,
Mêmes appas, mon ame en est ravie ;
Rien de si beau ne s’offrit à mes yeux.
Vous allez rire, il me prend une envie,
C’est de savoir un peu qui de nous deux
A plus petit ce chef-d’œuvre des Cieux.

C’est vous, ma sœur ; non, ma sœur, je vous jure.

C’est vous ! Eh bien, prenons-en la mesure,
Notre Rosaire est tout propre à cela.
On y procède. Eh, bon Dieu ! dit Sophie,
Qui l’aurait cru ? vous l’avez, chère amie,
Plus grand que moi d’un Ave Maria.