Toute la Flandre
Deman (Les Plainesp. 145-147).


Les Porcs


Avec leurs groins
Fouillant les creux, fouillant les coins,
Et leurs tetins gluants de boue
Et de gadoue,
Les porcs, lourds et compacts
Comme des sacs,
Comme des tonnes,
Férocement, gloutonnent.

 
L’étable est pareille à l’égout :
Toutes les moisissures
Y fermentent en des remous
De lavasses et de rinçures ;
L’auge semble taillée en un grand bloc
D’ombre et de crasse,
Où les petits s’entassent
Et s’entrechoquent,
Et longuement, avec rage,
Fourragent.

Au centre de la cour, parmi les fumiers jaunes,
Sous la voûte du ciel natal,
Trône
Le grand verrat monumental.

Il s’étale, clair et vermeil,
Le ventre à l’aise,
Le groin dardé, telle une braise,
Dans le soleil ;
Et près de lui, vague la truie,
Qui vient et va et qui s’ennuie

Et qui grommelle,
Puis, tout à coup, s’enfuit, là-bas,
Dans un ballottement pesant et las
De ses mamelles.

Un midi lourd pèse sur l’or
Des jus, des bouses et des pailles ;
Toutes les pourritures d’automne travaillent
Silencieusement à la tranquille mort.
Les porcs vaguent bouffis, mais aucun ne regarde
Vers le bouquet de feux et de flammes hagardes
Qui les embrasera quand il faudra mourir ;
Ils absorbent, dans le présent, tout l’avenir,
Et leurs deux yeux malins, brillants et minuscules,
Ne se fixent vers le lointain, qu’au crépuscule,
Quand de petits nuages roux, tels des gorets,
Courent sous un ciel bleu vers les pourpres forêts.

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