Les Plaines/L’Heure triste

Toute la Flandre
Deman (Les Plainesp. 161-162).


L’Heure triste


Partout, de loin en loin, de proche en proche,
Et pour les morts et les saints,
Et pour les hiers et les demains,
Partout sonnent, sur les chemins,
Et dans l’écho ricochent,
Les cloches.

L’heure est triste : les champs, les champs s’en vont mourir.
Brumes, recouvrez-les de vos étoupes lourdes ;
Cloches, endormez-les de vos grandes voix sourdes,
Dans le silence entier de l’an qui va finir.


De feuille en feuille, avec ses millions de gouttes,
Comme un fourmillement sournois et inlassé,
L’eau pénètre les bois et les arbres lassés ;
La boue épaisse et jaune emplit le creux des routes.

Le dos monumental d’un berger en haillons
Grandit sur son troupeau broutant au long des haies ;
Sinistrement luit la hache dans les futaies,
Et l’on entend siffler les hans des bûcherons.

Voici le vol immense et noir des corbeaux mornes.
Brumes, planez ; branches, choyez ; cloches, sonnez ;
L’hiver arrive autour des bourgs abandonnés,
Traînant de clos en clos, butant de borne en borne.

Le vieil hiver pourri, l’hiver des cieux du Nord.
Que connaissent les gens et les foyers de Flandre,
Quand la neige fine et grise comme la cendre,
Pendant des jours, toujours, tombe sur les champs morts.

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