Les Philippiques/Première philippique

Traduction par Joseph Planche.
Les Philippiques, Texte établi par Athanase AugerVerdière1 (p. 370-420).


SOMMAIRE
DE LA PREMIÈRE PHILIPPIQUE.


Philippe était monté sur le trône de Macédoine ; il s’y était affermi par ses armes et par sa politique, en soumettant tous les peuples voisins ennemis de son royaume, en amusant par des promesses et par des protestations d’amitié les Athéniens, qu’il craignait plus qu’aucuns des autres Grecs, et avec lesquels, en conséquence, il négocia une paix captieuse, et conclut un traité dont il sut faire tout l’usage qu’il s’était proposé. Possesseur tranquille de la couronne, il avait formé en lui-même le hardi projet de dominer sur une nation libre. Il s’était emparé d’Amphipolis, qu’il avait promis de rendre aux Athéniens ; mais loin de leur tenir parole, il avait encore enlevé Pydna, Polidée et Méthone. Il avait commis contre eux plusieurs autres hostilités, dont il est dit quelque chose dans le cours de cette harangue. Après avoir délivré la Thessalie de ses tyrans, il voulut mettre le pied dans la Grèce, passer dans la Phocide, sous prétexte d’y punir les Phocéens sacrilèges ; il essaya de s’emparer des Thermopyles, passage important qui lui ouvrait une entrée facile dans l’Attique. Il n’avait pu réussir. Les Athéniens étaient accourus à propos et lui avaient fermé le passage. Mais ce succès n’avait pas entièrement dissipé leurs alarmes : ils ne voyaient pas sans terreur un prince actif, à la tête de troupes aguerries, chercher et saisir toutes les occasions de leur nuire ; ils désespéraient de pouvoir le vaincre.

Démosthène profite de cette disposition des esprits pour monter à la tribune ; il harangue ses concitoyens, tâche de relever leur courage abattu, leur montre que Philippe est un prince redoutable, mais non pas invincible, qu’il ne doit ses succès qu’à leur négligence. Il entre ensuite dans le détail de tout ce qu’ils doivent faire, des sommes et des troupes qu’ils doivent lever pour tenir tête à leur ennemi et le réduire. Après quoi il emploie les traits les plus forts, les plus vifs et les plus piquans, pour réveiller leur paresse et les exciter à l’action.

Ce discours fut prononcé la première année de la CVIIe Olympiade, sous l’archonte Aristodème. Démosthène n’avait alors que trente ans. Il s’excuse dans son exorde de monter le premier à la tribune, et il annonce qu’il va traiter un sujet rebattu. Avant qu’il parlât, on avait sans doute délibéré plus d’une fois sur les moyens d’arrêter Philippe ; mais il peut donner son avis sur un point déjà discuté par les anciens orateurs.

Il faut remarquer qu’une loi de Solon ordonnait aux orateurs de monter à la tribune en suivant l’ordre de l’ancienneté, de laisser parler d’abord les plus âgés. Eschine, dans sa harangue contre Ctésiphon, forme des vœux pour le rétablissement de cette loi qu’on avait abolie. Mais, quoique révoquée, elle se maintenait encore par le crédit de la raison, qui d’elle-même impose aux jeunes gens des devoirs de bienséance envers les anciens.



PREMIÈRE PHILIPPIQUE.[1]


Athéniens, si vous aviez à délibérer sur quelque affaire nouvelle, j’aurais laissé parler avant moi la plupart des orateurs qui sont dans l’usage de monter à la tribune ; et, si j’eusse approuvé quelqu’une de leurs opinions, j’aurais gardé le silence ; sinon, j’aurais essayé de vous exposer mon propre sentiment : mais puisque la même affaire, sur laquelle ils ont déjà parlé tant de fois, est encore aujourd’hui remise en délibération, on me pardonnera sans doute de prendre la parole avant eux ; car s’ils vous eussent donné de bons conseils dans les assemblées précédentes, vous ne seriez pas réduits, dans celle-ci, à délibérer encore sur le même objet.

Je dis d’abord qu’il ne faut pas désespérer des affaires présentes, quoiqu’elles me paraissent dans l’état le plus alarmant ; car je trouve, dans la cause même de nos malheurs, le motif des meilleures espérances pour l’avenir. Que veux-je dire par-là ? le voici. C’est pour n’avoir rien fait de tout ce que vous deviez faire, que la république est tombée dans un état si déplorable ; car si elle y fût tombée, malgré votre zèle à remplir tous vos devoirs, c’est alors seulement qu’il faudrait désespérer du salut de la patrie. En second lieu, rappelez-vous, soit pour l’avoir ouï dire, soit pour en avoir été vous-mêmes les témoins, quel courage vous avez déployé contre les Lacédémoniens[2](1), lorsqu’ils étaient parvenus dans ces derniers temps à un si haut degré de puissance ; avec quelle force digne de vous et de vos ancêtres, vous avez soutenu contre eux les droits de la Justice et vengé la cause de toute la Grèce. Quel est mon but en vous parlant ainsi ? c’est de vous convaincre, c’est de vous faire sentir que vous n’avez rien à craindre, tant que vous serez sur vos gardes ; mais aussi rien à espérer, tant que vous resterez dans l’inaction, comme vous en avez la preuve dans les victoires que vous avez remportées sur les Lacédémoniens, du moment où vous avez donné votre attention aux affaires publiques, et dans les alarmes où vous jette l’insolence de votre ennemi, depuis que vous négligez entièrement le soin de l’État.

Si quelqu’un de vous regarde Philippe comme un ennemi redoutable, en le voyant à la tête d’une puissante armée, et maître de toutes nos places, sa crainte est fondée : mais aussi faites réflexion qu’il fut un temps où nous étions les maîtres de Pydne, de Potidée et de Méthone, et de toute cette vaste enceinte de pays adjacens. Rappelez-vous que plusieurs des peuples qui combattent maintenant avec Philippe, se gouvernaient alors par leurs propres lois, jouissaient d’une entière indépendance, et recherchaient beaucoup plus notre amitié que la sienne. Si donc Philippe eût alors raisonné comme vous faites aujourd’hui, s’il eût regardé les Athéniens comme redoutables, en les voyant maîtres de toutes les places fortes qui commandent son pays, et en se voyant lui-même sans alliés, il n’eût jamais rien entrepris de tout ce qu’il a exécuté ; jamais il ne se fût élevé à ce haut degré de puissance : mais il savait très-bien que toutes ces places étaient autant de prix exposés aux yeux des combattans et destinés au vainqueur[3] ; il savait que, selon le cours ordinaire de la nature, les absens sont dépouillés par les présens, et ceux qui fuient les dangers et les travaux, par ceux qui les affrontent. C’est en suivant de telles maximes, qu’il a tout subjugué, tout envahi ; qu’il règne partout, ici à titre de conquérant, là sous le titre d’ami et d’allié : car on recherche l’alliance et l’amitié de ceux que l’on voit toujours préparés et résolus à faire ce qu’exigent les circonstances. Si vous voulez donc, Athéniens, raisonner comme Philippe, et cela dès aujourd’hui, puisque vous ne l’avez pas fait plus tôt ; si chacun de vous, écartant tous les vains prétextes, se montre prêt à rendre à la patrie tous les services qui sont en son pouvoir et que demandent les circonstances ; si tous les citoyens veulent concourir au bien public, les riches en contribuant de leurs fortunes, les jeunes en prenant les armes ; en un mot, si chacun de vous est résolu de ne s’attendre qu’à lui-même et de sortir de son inaction, en cessant de se flatter que, tandis qu’il ne fera rien, son voisin fera tout pour lui ; soyez assurés qu’avec l’aide des Dieux vous recouvrerez tout ce qui vous appartient, que vous réparerez toutes les pertes causées par votre négligence, et que vous tirerez une vengeance éclatante de votre ennemi. Car ne vous figurez pas que cet homme soit un Dieu qui jouisse d’une félicité immuable ; il est haï, craint, envié, par ceux-là même qui paraissent les plus dévoués à ses intérêts ; car ils ne sauraient être exempts des passions qui animent les autres hommes : mais tous ces sentimens restent ensevelis dans le fond des cœurs, faute de l’appui nécessaire pour éclater impunément ; appui qui leur manque par cette inaction où vous languissez maintenant, et dont il faut que vous sortiez enfin.

Voyez en effet, à quel point est montée l’insolence de cet homme : il ne vous laisse plus le choix de l’action ou du repos, mais il vous menace ; il parle, à ce qu’on dit, d’un ton plein d’arrogance ; il ne peut se contenter de ce qu’il a déjà envahi, mais il s’agrandit tous les jours par de nouvelles conquêtes ; et, tandis que vous temporisez, que vous ne faites pas le moindre mouvement, il vous enveloppe et vous investit de toutes parts.

Quand est-ce donc, Athéniens, quand est-ce que vous ferez ce que demande le salut de l’État ? Attendez-vous quelque nouvel événement ? Attendez-vous, grands Dieux, que la nécessité vous y force ? Mais, de quel œil regardez-vous donc tout ce qui se passe ? Pour moi, je ne connais pas de nécessité plus pressante pour les hommes libres que la honteuse situation de leurs affaires. Ne voulez-vous jamais faire autre chose que vous demander les uns aux autres, en vous promenant sur la place publique : Qu’y a-t-il de nouveau ? Et, que peut-il y avoir de plus nouveau que de voir un Macédonien vainqueur d’Athènes, et arbitre souverain de la Grèce ? Philippe est-il mort, dit l’un ? non, répond un autre ; il n’est que malade. Et que vous importe qu’il soit mort ou vivant ? puisque, s’il n’existait plus, vous vous feriez bientôt à vous-mêmes un autre Philippe, en gardant toujours la même conduite ; car celui-ci doit son agrandissement bien moins à sa valeur qu’à votre indolence.

Mais enfin, s’il éprouvait quelque accident, si la fortune, toujours plus attentive que nous-mêmes à nos intérêts, continuait à nous favoriser, et plût aux Dieux qu’elle achevât son ouvrage ! sachez qu’étant sur les lieux, prêts à profiter de la confusion des affaires, vous disposeriez de tout à votre gré ; mais sachez aussi, que dans la situation où vous êtes maintenant, quand même les conjonctures vous livreraient Amphipolis(2), vous ne pourriez vous mettre en possession de cette ville, n’ayant rien d’arrêté, ni dans vos projets, ni dans vos préparatifs.

Comme je vous crois pleinement instruits et convaincus de la nécessité de faire tout ce que demandent les circonstances et le bien de l’État, je ne m’arrêterai pas davantage sur ce point. Mais quels seront les préparatifs les plus propres à nous tirer de l’embarras où nous sommes ? Combien nous faut-il de troupes ? Avec quels subsides les entretenir ? Quels sont, en un mot, les moyens les plus sûrs et les plus prompts de pourvoir au reste des préparatifs ? tels sont les articles sur lesquels je vais donner mon avis. Mais auparavant, je vous demande une seule grâce ; c’est de ne pas vous prévenir contre mon opinion, avant que vous ne l’ayez entendue toute entière : jusque-là suspendez votre jugement ; et, si je parais d’abord demander de nouveaux préparatifs, n’allez pas croire que par-là je traîne les affaires en longueur : car ceux qui vous proposent de marcher promptement et dès ce jour à l’ennemi, ne sont pas ceux qui vous donnent le conseil le meilleur à suivre dans les circonstances actuelles, puisqu’il nous est impossible de réparer tous les maux passés avec nos forces présentes. Mais l’orateur qui vous donne le meilleur conseil est celui qui vous montre combien il vous faut de troupes, de quelle nature elles doivent être, comment vous fournirez à leur entretien, jusqu’à ce que nous ayons terminé la guerre par une paix avantageuse, ou que nous ayons triomphé de nos ennemis. C’est ainsi que nous nous mettrons désormais à l’abri de toute insulte ; tel sera, je l’espère, le fruit des mesures que je vais vous proposer, sans vouloir néanmoins interdire à d’autres la faculté d’ouvrir un avis différent. L’idée que je donne de mon projet est magnifique sans doute ; mais après l’avoir entendu, vous reconnaîtrez qu’il tient tout ce qu’il promet ; vous en jugerez vous-mêmes.

Je dis donc, Athéniens, qu’il faut d’abord armer cinquante galères, et vous résoudre à les monter vous-mêmes, si les circonstances l’exigent ; outre cela, il faut équiper, pour la moitié de la cavalerie, un nombre suffisant de vaisseaux de charge et de transport. C’est l’unique moyen d’arrêter les fréquentes irruptions que le roi de Macédoine fait du côté des Thermopyles(3), dans la Chersonèse, dans le territoire d’Olynthe, partout où l’entraîne son ambition. Il faut une bonne fois lui apprendre que vous êtes sortis de votre profond assoupissement, et que vous allez fondre sur lui, avec la même ardeur avec laquelle vous avez autrefois porté vos armes dans l’Eubée, ensuite vers Haliarte, et tout récemment encore aux Thermopyles. Quand même vous n’exécuteriez pas de point en point le plan que je vous propose, vous en retirerez toujours un avantage considérable : lorsque Philippe sera instruit de vos préparatifs (et il le sera très-exactement, car vous n’avez ici. Athéniens, oui, vous n’avez ici que trop de gens fidèles à l’avertir de tout ce qui se passe) ; Philippe, dis-je, étant informé de vos préparatifs, se tiendra par crainte renfermé dans ses États ; ou, s’il néglige de pareils avis, vous le surprendrez sans défense, puisqu’à la première occasion qui se présentera, rien ne vous empêchera de descendre en Macédoine. Voilà le plan que je propose, et je crois que vous devez l’approuver et le mettre à exécution.

J’ajoute, Athéniens, qu’il vous faut de plus un corps de troupes pour attaquer et harceler continuellement notre ennemi. Et qu’on ne me parle pas ici ni de dix mille, ni de vingt mille étrangers(4) » ni de ces forces imaginaires qui n’existent que dans vos lettres (5). Je veux des troupes composées de citoyens, à qui l’on ait soin de fournir leur subsistance, et qui sachent obéir, soit que vous leur donniez un ou plusieurs généraux, soit que vous choisissiez celui-ci ou celui-là pour les commander. Mais de quels soldats composerez-vous votre armée ? quel sera leur nombre ? où trouverez-vous des fonds pour les entretenir ? comment, enfin, exécuterez-vous ce que je propose ? c’est à quoi je vais répondre en traitant chaque point en particulier.

Et d’abord, à l’égard des troupes étrangères, ne retombez pas dans une faute qui vous a souvent causé de grands malheurs. Vous imaginant d’abord que vous ne pouvez faire trop, vous annoncez les plus grandes choses dans vos décrets, et, au moment d’agir, vous n’exécutez pas même les plus petites ; tandis que vous devriez faire peu d’abord, ensuite davantage, à mesure que le besoin l’exige. Je dis donc, qu’il ne faut pas lever plus de deux mille hommes d’infanterie ; de ces deux mille hommes, cinq cents devront être pris parmi les Athéniens, à l’âge que vous jugerez à propos. Ils serviront pendant un temps marqué. Ce temps ne doit pas être long, mais réglé sur le nombre des citoyens qui doivent les remplacer dans le service. Le reste de ce corps sera composé d’étrangers : à ces troupes, on joindra deux cents cavaliers(6), dont cinquante au moins devront être Athéniens et serviront aux mêmes conditions que les fantassins. Vous fournirez les bâtimens nécessaires pour le transport de cette cavalerie. Soit, direz-vous : que faut-il encore ? dix galères légèrement armées ; car, Philippe ayant une flotte, nous avons besoin de ces galères pour assurer le trajet de nos troupes. Mais ces troupes, comment les ferons-nous subsister ? c’est ce que je vais vous apprendre, après vous avoir dit pourquoi je me borne à une si petite armée, et pourquoi j’impose à nos citoyens l’obligation d’aller servir en personne.

Je me borne à une si petite armée, parce qu’il nous est impossible de mettre actuellement sur pied des forces assez considérables pour attaquer l’ennemi en bataille rangée. Nous devons nous réduire à des incursions et à faire le dégât dans son pays ; notre situation présente ne nous permet pas de lui faire autrement la guerre dans le commencement. Il ne faut donc pas que nos troupes soient trop considérables ; car nous ne pourrions assurer ni leur solde, ni leur subsistance. Il ne faut pas non plus qu’elles soient méprisables par leur petit nombre. Je demande ensuite que des citoyens aillent servir en personne, et s’embarquent avec les troupes de l’expédition, parce que j’entends dire qu’autrefois la République entretenant à Corinthe(7) des troupes étrangères commandées par Polystrate, par Iphicrate, par Chabrias et par d’autres généraux, plusieurs Athéniens allèrent joindre l’armée, et qu’alors, ces étrangers combattant avec vous, et vous avec eux, vous triomphâtes des Lacédémoniens. Mais, depuis que les étrangers seuls font la guerre pour vous, ils ne triomphent que de vos alliés et de vos amis, tandis que vos ennemis deviennent plus puissans qu’il ne faudrait ; et, ces étrangers, après avoir jeté en passant un coup d’œil sur la guerre que nous avons à soutenir, s’en vont prendre parti chez Artabaze(8) et partout ailleurs, plutôt que de rester à votre service : le général les suit, et il ne saurait faire autrement ; car les soldats cessent d’obéir au général qui cesse de les payer.

Qu’est-ce donc que je vous conseille ? d’ôter aux chefs comme aux soldats tout prétexte de mécontentement, en assurant le paiement de la solde, et d’envoyer servir avec les étrangers, des citoyens qui aient l’œil sur la conduite des généraux : car notre conduite actuelle est vraiment ridicule. En effet, si l’on vous demandait : Athéniens, êtes-vous en paix ? Non, par Jupiter, diriez-vous ; nous sommes en guerre avec Philippe. En effet, n’avez-vous pas nommé dix taxiarques(9), dix phylarques, deux commandans de la cavalerie ? Mais, à l’exception du seul officier que vous envoyez à l’armée, que font tous les autres ? Ils marchent ici en pompe avec vos sacrificateurs dans les cérémonies publiques. Car, à l’exemple de ces statuaires qui étalent des figures d’argile et de plâtre, vous faites des taxiarques et des phylarques pour la montre, et non pour le service. Eh ! quoi, Athéniens, afin que votre armée fût véritablement l’armée d’Athènes, ne faudrait-il pas que vous eussiez des Athéniens pour taxiarques, des Athéniens pour phylarques ; enfin, que vous ne prissiez vos commandans que parmi vos concitoyens ? Cependant vous envoyez au secours de Lemnos(10), le général de votre cavalerie, qui est Athénien, et vous laissez à Ménélas, qui est étranger, le commandement de la cavalerie, destinée à défendre vos possessions. Non que j’attaque le mérite de Ménélas ; je dis seulement qu’un emploi de cette importance ne devrait être confié qu’à un citoyen d’Athènes.

Vous reconnaissez peut-être la vérité de tout ce que j’ai dit jusqu’ici ; mais vous êtes dans l’impatience de savoir quels fonds exige cet armement, et d’où on peut les tirer. Écoutez encore là-dessus mon opinion. L’entretien de votre armée, et je ne parle ici que des munitions de bouche, vous coûtera un peu plus de quatre-vingt-dix talens, dont quarante pour les dix galères d’escorte, à raison de vingt mines par mois pour chaque galère ; quarante talens pour les deux mille hommes d’infanterie, de manière que chaque soldat reçoive dix drachmes(11) par mois pour sa nourriture ; enfin, douze talens pour les deux cents hommes de cavalerie, à raison de trente drachmes par mois pour chaque cavalier.

C’est peu, dira quelqu’un, de pourvoir seulement aux vivres ; et moi je dis que c’est beaucoup. Faites seulement que vos troupes ne manquent pas de vivres, je vous réponds que la guerre leur fournira tout le reste, et que, sans faire le moindre tort ni aux Grecs ni à vos alliés, elles se procureront une solde entière. J’en suis tellement persuadé, que si vous assurez la subsistance de vos troupes, je suis prêt à m’embarquer et à répondre sur ma tête du succès de l’expédition.

Mais où prendra-t-on les fonds que je demande ? vous allez l’apprendre.

Moyens indiqués pour la levée des subsides.


(Ici le greffier lit l’avis de l’orateur ; après quoi l’orateur poursuit.)


Tel est, Athéniens, le meilleur plan que j’aie pu imaginer. Quand vous irez aux opinions, choisissez le parti qui vous paraîtra le plus avantageux ; mais songez qu’il est temps d’en venir aux effets et de combattre Philippe avec d’autres armes que des lettres et des décrets. Or, il me semble que vous délibérerez beaucoup mieux, et sur la guerre, et sur les préparatifs, si vous considérez la situation du pays où vous devez porter vos armes, et si vous remarquez que Philippe profite des vents et des saisons pour exécuter la plupart de ses entreprises, avant que nous puissions les traverser. Il attend la saison de l’hiver ou celle des vents étésiens (12) pour se mettre en campagne, parce qu’alors il nous est impossible de nous transporter sur les lieux qui sont le théâtre de la guerre. Cette observation doit vous faire sentir la nécessité de fonder vos plans de guerre, non sur l’envoi de troupes levées à la hâte (car de cette manière nous arriverons toujours après l’événement), mais sur des préparatifs continuels et des troupes toujours prêtes à marcher. Vous pouvez faire hiverner vos troupes à Lemnos, à Thase, à Sciathe, et dans d’autres îles voisines, où elles trouveront des ports, des vivres et tout ce qui est nécessaire à des armées. Quant à la saison où l’on aborde facilement à terre et où les vents permettent de longer soit les côtes du pays même, soit les ports des villes marchandes ; c’est ce qu’il vous sera facile de connaître. Du reste, et sur la manière et sur le temps de faire agir vos troupes, il faut vous en reposer sur l’habileté de leur général, qui réglera sa conduite sur les circonstances. Pour vous, Athéniens, ce que vous devez faire, c’est ce que je propose dans mon décret. Oui, je le dis avec confiance, si vous fournissez d’abord les fonds que je demande, et qu’après avoir disposé tout le reste, vaisseaux, fantassins, cavaliers, vous assujettissiez, par une loi formelle, l’armée toute entière à demeurer constamment sous les armes ; en un mot, si vous faisant vous-mêmes les trésoriers et les dispensateurs de vos fonds, vous demandez au général de vos troupes un compte exact de sa conduite, vous cesserez enfin de remettre toujours les mêmes objets en délibération, et de ne faire autre chose que délibérer.

Ajoutez à cela que vous enlèverez d’abord à Philippe le plus considérable de tous ses revenus. Quel est ce revenu ? celui qu’il tire de vos alliés, aux dépens desquels il vous fait la guerre, en s’emparant de leurs vaisseaux, et en infestant la mer par ses pirateries. Quel autre avantage retirerez-vous encore de votre armement ? vous ne serez plus vous-mêmes exposés à ses insultes ; vous ne le verrez plus descendre dans les îles de Lemnos et d’Imbros(13), et emmener vos citoyens prisonniers. vous ne le verrez plus s’emparer de vos vaisseaux près de Géreste, et s’enrichir par un butin immense : dernièrement encore il descendit à Marathon, et enleva la galère sacrée[4], sans que vous ayez pu réprimer de pareils brigandages, ni faire arriver vos secours à propos.

Savez-vous pourquoi les Panathénées(14) et les fêtes de Bacchus, ces fêtes qui vous coûtent plus qu’aucun armement naval et qui sont célébrées avec une pompe et avec une magnificence dont on ne voit point d’exemple chez les autres peuples, savez-vous pourquoi ces fêtes sont toujours solennisées au temps prescrit, quelle que soit l’habileté de ceux qui en sont chargés, et qu’au contraire toutes vos flottes, comme celles que vous aviez équipées pour Méthone, pour Pagase, pour Potidée, n’arrivent jamais qu’après coup ? c’est que la loi a réglé tout ce qui a rapport à la célébration de vos fêtes : chacun de vous sait longtemps d’avance quel est le chorège, quel est le gymnasiarque de sa tribu ; ce qu’il doit faire, ce qu’il doit recevoir, de quelle main et en quel temps il le recevra ; tout a été prévu, tout a été réglé avec le plus grand soin. Mais dans ce qui concerne la guerre et les préparatifs militaires, tout se fait sans règle, sans dessein, sans ordre. Au premier bruit de quelque mouvement de l’ennemi, nous nommons des triérarques(15), nous les admettons à proposer des échanges, et nous cherchons les moyens de fournir aux frais de la guerre ; ensuite on embarque les étrangers établis à Athènes, les gens de la campagne, et enfin les citoyens eux-mêmes. Pendant tous ces retardemens, on nous enlève ce que nos flottes allaient défendre ; car le temps d’agir, nous le perdons en préparatifs : or, les occasions n’attendent pas notre lenteur et notre négligence, et les troupes sur lesquelles nous avions compté dans l’intervalle, se trouvent absolument inutiles dans le moment tardif où nous les employons. Pour Philippe, il porte aujourd’hui l’insolence à un tel point, que dans ses lettres aux Eubéens, il ose s’exprimer en ces termes :

[On lit les lettres[5] de Philippe aux Eubéens.]

La plupart des choses qu’on vient de lire ne sont que trop vraies, mais elles ne sont pas également agréables à entendre. S’il suffisait de supprimer les choses fâcheuses, pour faire qu’elles ne fussent point arrivées, vos orateurs ne devraient s’étudier qu’à vous plaire ; mais, si les discours dans lesquels on nous flatte mal à propos ne servent en effet qu’à nous perdre[6], il est honteux, Athéniens, de vous tromper vous-mêmes, et, en différant tout ce qui vous rebute, de ne jamais rien faire qu’après coup, sans vouloir enfin comprendre que la manière de bien conduire une guerre, ce n’est pas de suivre, mais de précéder les événemens : ainsi qu’un général marche à la tête des troupes, de même un bon politique doit marcher à la tête des affaires, afin d’être toujours le maître d’agir suivant sa volonté, sans être jamais obligé de se traîner à la suite des événemens.

Pour vous, Athéniens, quoique supérieurs à tous les autres peuples de la Grèce en infanterie, en cavalerie, en vaisseaux et en revenus, il est certain que, jusqu’à ce jour, vous n’avez employé à propos aucun de tous ces avantages, et que vous n’avez été au devant d’aucun événement. Vous faites la guerre à Philippe de la même manière que les Barbares se battent au pugilat : lorsqu’un de ces grossiers athlètes reçoit un coup, il porte aussitôt la main à l’endroit où il est frappé ; le frappe-t-on dans un autre, il y porte la main encore ; mais de prévenir son adversaire, ou de parer ses coups, c’est ce qu’il ne sait pas, c’est ce qu’il ne veut pas faire. Vous pareillement, si l’on vous dit que Philippe est dans la Chersonèse, vous décrétez l’envoi d’un secours dans la Chersonèse ; si l’on vous dit qu’il est aux Thermopyles, vous décrétez l’envoi d’un secours aux Thermopyles ; s’il va d’un autre côté, vous suivez tous ses pas à droite et à gauche ; vous faites la guerre sous sa conduite ; vous ne savez ni prendre aucune mesure utile au succès de vos armes, ni rien prévoir de ce qui doit arriver, attendant toujours qu’il soit survenu ou qu’il survienne quelque événement, pour sortir de votre inaction. Autrefois peut-être vous pouviez impunément vous conduire ainsi ; mais nous voici arrivés au moment qui va décider du sort de la République, et il nous faut absolument changer de conduite.

Je m’imagine que c’est quelque Dieu, honteux pour Athènes de tout ce qui se passe, qui a mis dans le cœur de Philippe cette ambition insatiable dont il est dévoré ; car, s’il avait assez de modération pour donner des bornes à ses conquêtes, et ne plus former de nouveaux projets, il en est parmi vous, ou je me trompe fort, qui consentiraient à oublier la honte dont nous nous sommes couverts aux yeux de la Grèce, et tout ce qui nous fait regarder comme des hommes sans honneur et sans courage ; mais, comme il tente chaque jour de nouvelles entreprises, et que son ambition n’est jamais satisfaite, peut-être vous arrachera-t-il enfin à votre inaction, si toutefois vous ne désespérez pas entièrement de vous-mêmes.

Je m’étonne que vous ne fassiez aucune des réflexions qui devraient se présenter à votre esprit en voyant qu’une guerre commencée par le désir de nous venger, se termine par le besoin de nous défendre : mais il est évident que si l’ennemi ne trouve personne qui l’arrête, il ne s’arrêtera jamais de lui-même. Est-ce donc là ce que nous voulons attendre ? et croyez-vous que, si vous vous contentez d’envoyer des galères vides avec je ne sais quelles espérances conçues follement sur la foi de celui-ci ou de celui-là, croyez-vous que tout ira bien ? Ne prendrons-nous pas enfin le parti de monter nous-mêmes sur nos vaisseaux ? Ne marcherons-nous pas en personne avec des troupes composées, non plus seulement d’étrangers, mais aussi de soldats Athéniens ? Ne tenterons-nous pas une descente en Macédoine ? Mais où aborderons-nous ? dira quelqu’un. Eh ! la guerre elle-même, Athéniens, la guerre vous fera connaître les endroits faibles de votre ennemi, pourvu seulement que vous ayez le courage de l’attaquer ; mais, si vous continuez à rester tranquilles dans vos foyers, occupés seulement à écouter les orateurs qui s’accusent et s’injurient les uns les autres, il est impossible, absolument impossible de compter sur aucun succès.

En quelque endroit que vous tentiez une expédition, j’ose assurer que, si une partie seulement des citoyens monte sur la flotte, la bienveillance des Dieux et de la Fortune secondera nos efforts ; mais, partout où vous vous contenterez d’envoyer un général sans troupes, un décret sans force, de vaines espérances émanées de la tribune, quel succès pouvez-vous attendre ? Autant ces arméniens excitent la risée de vos ennemis, autant ils consternent vos alliés ; car il est impossible, absolument impossible qu’un homme exécute seul tout ce que vous désirez. Il peut bien faire des promesses, donner de belles paroles, et rejeter ensuite sur celui-ci ou sur celui-là tous les mauvais succès ; mais c’est là précisément ce qui a ruiné vos affaires. En effet, lorsque le général de ces malheureux étrangers non payés a été battu, et qu’on vient à cette tribune vous faire mille rapports infidèles de sa conduite, et que vous aussitôt, le jugeant avec la même facilité qu’on l’accuse, vous vous contentez de dénonciations vagues pour le condamner ou l’absoudre au hasard, je vous le demande, que peut-on attendre d’un semblable gouvernement ?

Quel est donc le moyen de remédier à de tels abus ? c’est que vous alliez vous-mêmes vous joindre à vos troupes pour être les soldats et les inspecteurs de vos généraux pendant la campagne, et leurs juges quand vous serez rentrés dans vos foyers. Car il ne suffit pas de savoir par ouï-dire, il faut voir de vos propres yeux ce qui se passe dans vos armées. Ceux qui les commandent ont tellement perdu tout sentiment d’honneur, qu’ils s’exposent deux ou trois fois à perdre la vie par le jugement de leurs concitoyens, et qu’ils n’osent pas s’exposer une seule fois à la perdre dans un combat contre l’ennemi ; ils préfèrent la mort des voleurs et des brigands à celle des guerriers ; car un malfaiteur doit mourir par la main du bourreau, mais un général, par celle de l’ennemi. Quelques-uns de nos nouvellistes répandent que Philippe trame avec Lacédémone la ruine de Thèbes et la destruction de tous les gouvernemens populaires ; d’autres disent qu’il a envoyé des ambassadeurs au Roi de Perse[7] ; d’autres, qu’il fortifie des places en Illyrie ; en un mot, chacun de nous s’en va débitant de côté et d’autre la nouvelle qu’il a inventée. Pour moi, je suis très-convaincu assurément qu’il est enivré de ses prospérités, et qu’il s’abandonne à ses songes ambitieux avec d’autant plus de confiance, qu’il ne voit personne qui lui résiste, et qu’il a le cœur enflé de ses succès ; mais je suis convaincu aussi qu’il ne se conduit pas de manière à laisser pénétrer ses desseins par les plus sottes gens de notre ville ; or, les plus sottes gens de notre ville, ce sont les nouvellistes. Mais si, laissant là toutes ces vaines conjectures, nous regardons comme une chose bien connue, que cet homme est notre ennemi ; qu’il nous dépouille de nos possessions ; que depuis long-temps il nous outrage ; que tous les secours, dont nous nous étions flattés, se sont tournés contre nous ; que désormais nous n’avons plus d’espoir et de ressource qu’en nous-mêmes ; et qu’en refusant aujourd’hui de porter la guerre dans la Macédoine, un jour, peut-être, nous serons forcés de la soutenir aux portes de notre ville ; si tout cela nous est bien connu, alors nous saurons ce qu’il nous importe véritablement de savoir, et nous cesserons de nous repaître de vains discours : car, de chercher à connaître l’avenir, ce n’est pas là ce qui doit vous occuper ; mais de savoir que cet avenir vous sera funeste, si vous persévérez dans votre inaction et dans votre indifférence sur les affaires publiques, voilà ce qu’il vous importe de bien connaître.

Pour moi, je n’ai jamais cherché à vous plaire aux dépens de vos intérêts[8] ; et aujourd’hui encore je viens de vous exposer mon opinion avec autant de liberté que de franchise et de bonne foi. Je voudrais avoir la certitude qu’il est aussi avantageux à l’orateur de vous donner les meilleurs conseils, qu’à vous de les recevoir. Alors je vous aurais parlé avec beaucoup plus de confiance. Mais, quoique j’ignore de quelle manière vous recevrez mes avis, comme je suis convaincu de l’avantage que vous trouverez à les suivre, je ne balance pas à vous les proposer. Puissiez-vous embrasser le parti qui doit vous être le plus utile à tous ! considérable du pays, ne voulut point reconnaître les nouveaux souverains qu’on lui donnait, et se jeta entre les bras de Philippe, qui, pour maintenir la révolte, que probablement il avait suscitée lui-même, porta ses armes dans la Chersonèse. — Olynthe. Nous parlerons d’Olynthe plus au long et plus à propos, au sujet des trois Olynthiennes. Philippe pouvait avoir déjà commis quelques actes d’hostilité contre cette ville, mais il n’en avait point formé le siège, ni fait aucune démarche en conséquence : car Démosthène ne passerait pas aussi légèrement sur une entreprise dont il parle ailleurs avec tant de force. Ce qui est une preuve que cette Philippique a été prononcée avant les Olynthiennes. — En Eubée. Eubée, île de la mer Égée. Philippe fit plusieurs tentatives sur cette île, lesquelles tantôt réussirent, tantôt échouèrent, suivant que les Athéniens envoyaient des généraux habiles ou mal habiles, au secours de la faction qui se déclarait pour eux. — Haliarte, ville de Béotie. Diodore nous apprend que, peu d’années avant cette harangue, les Phocéens, remportèrent divers avantages sur Philippe en Béotie. Les Athéniens, unis avec eux d’intérêt et d’amitié, eurent sans doute part à leurs succès. — Et tout récemment encore aux Thermopyles. Philippe, comme nous l’avons dit dans le sommaire, sous prétexte d’aller punir les Phocéens sacrilèges, avait voulu franchir ce passage, qui lui ouvrait une entrée dans l’Attique ; les Athéniens étaient accourus à propos, et l’en avaient empêché.

(4) Les Grecs appelaient étrangers tous ceux qui n’étaient pas citoyens de leur république, et barbares tous ceux qui n’étaient pas Grecs. On distinguait encore dans la milice athénienne l’étranger d’avec le mercenaire. Le premier nom se donnait aux soldats que la république empruntait de ses alliés ; le second, à ceux dont elle payait les services.

(5) Forces imaginaires qui n’existent que dans vos lettres. Les Athéniens, depuis quelque temps, se dispensaient du service ; ils écrivaient pour qu’on leur envoyât des troupes étrangères : on leur faisait espérer qu’on leur en enverrait un certain nombre, que souvent on ne leur envoyait pas, parce qu’ils les payaient mal. Le Grec dit : de toutes les armées épistolaires, c’est-à-dire, des armées qui n’existent que dans des lettres. — Je veux des troupes composées de citoyens. Athènes originairement n’avait point d’autres soldats que ses propres citoyens. Chacun, sans distinction, servait à son tour ; et l’on punissait comme déserteur quiconque, le jour marqué, ne se rangeait pas sous le drapeau. Cela ne s’observait plus du temps de Démosthène. Le général, choisi par la faction la plus puissante, formait son armée d’étrangers et de mercenaires, qui servaient mal. Démosthène s’élève, et avec raison, contre cet abus qu’il voudrait abolir, et demande le rétablissement de l’ancienne discipline.

(6) L’armée que demande Démosthène paraîtra bien peu de chose, et presque digne de risée ; mais, outre que les Grecs étaient dans le système de ne lever que de petites armées, avec lesquelles cependant ils défirent les troupes innombrables du roi de Perse, Démosthène ne demande pour le moment qu’un corps de troupes légères pour harceler et inquiéter Philippe. — Dix galères légèrement armées. Par galères légères, ou légèrement armées, les Grecs n’entendaient que les galères armées en guerre, qui escortaient les galères de transport pour la cavalerie ou pour l’infanterie. — Philippe ayant sa marine. Philippe disposait des ports et des flottes de Thessalie. D’ailleurs il avait déjà fait bâtir des arsenaux de marine et construire des vaisseaux des bois de son pays.

(7) Corinthe, ville célèbre de la Grèce. La guerre dont parle ici Démosthène, précéda cette harangue de quarante-trois ou quarante-quatre années : elle dura huit ans. Tandis qu’Agésilas, roi de Lacédémone, faisait la guerre en Asie, les émissaires du roi de Perse, pour affaiblir ou pour éloigner ce dangereux ennemi, entreprirent et vinrent à bout de soulever Thèbes contre Lacédémone. Athènes entra dans la confédération avec Corinthe. On choisit cette dernière ville pour le lieu de l’assemblée. Les Athéniens prirent les armes, et leurs troupes allèrent joindre celles des confédérés sur le territoire de Corinthe. — Polystrate, Iphicrate, Chabrias, et d’autres. Iphicrate et Chabrias, généraux Athéniens fameux. Ils se distinguèrent surtout dans la guerre de Corinthe. L’histoire ne fait aucune mention d’un Polystrate qui ait eu part à cette guerre. Peut-être faudrait-il lire Callistrate, qui, suivant le témoignage de Xénophon et de Diodore, fut collègue d’Iphicrate et de Chabrias dans la guerre dont il s’agit. Si l’on en croit Démosthène, Athènes employa encore dans cette occasion d’autres généraux, dont les noms ne sont pas parvenus jusqu’à nous, excepté celui de Callias, fils d’Hipponique, dont il est parlé dans Xénophon.

(8) Artabaze, satrape rebelle de l’Asie mineure. Investi par soixante-dix mille hommes, et près de succomber, il appela à son secours Charès, que les Athéniens avaient mis à la tête d’une puissante armée, avec ordre de remettre dans le devoir Byzance, Rhodes, Côs et Chio, révoltées contre eux. Charès abandonna la guerre dont il était chargé par la république, alla secourir Artabaze, le dégagea, et reçut une récompense proportionnée au bienfait. Démosthène rejette la faute de Charès sur la désobéissance des soldats qu’on ne payait point. (9) Dix généraux, dix taxiarques, dix phylarques. Chacune des dix tribus élisait tous les ans un nouveau général. Athènes avait donc tous les ans dix nouveaux généraux. Le commandement roulait entre eux tous, et chacun exerçait son jour la charge de généralissime. Le général, entre tous les autres droits de sa charge, avait celui de lever, d’assembler et de congédier les troupes. Il pouvait, en outre, être continué : Phocion le fut quatre fois. Un seul, ordinairement, était envoyé à la tête de l’armée ; les autres, qui restaient dans la ville, étaient comme chez nous les ministres de la guerre. Dans les cérémonies de la religion, ils suivaient les processions dont ils augmentaient la pompe. Le taxiarque commandait l’infanterie de sa tribu ; le phylarque commandait la cavalerie de la sienne. Le phylarque obéissait à l’hipparque, qui commandait la moitié de la cavalerie athénienne.

(10) Lemnos, île de la mer Égée. Byzance, Rhodes, Côs et Chio, soulevées contre Athènes, tâchèrent d’envahir Lemnos, qui était soumise aux Athéniens, avec une flotte de cent voiles. Les Athéniens marchèrent à son secours sous la conduite de leurs meilleurs capitaines. Après l’entreprise de Philippe sur les Thermopyles, qui arriva quatre ans après, ils se contentèrent de poster à l’entrée de l’Attique, pour la défendre contre les tentatives de ce prince, un corps de cavalerie sous les ordres de Ménélas. Tourreil prétend que ce Ménélas était frère de Philippe, né d’une autre mère. Mais d’autres ont observé avec raison que c’était un autre Ménélas, inconnu d’ailleurs. Quoique Ménélas et Philippe ne vécussent pas en fort bonne amitié, il n’est guère vraisemblable qu’Athènes eût donné une telle confiance au frère de son ennemi. Quoiqu’il en soit, le Ménélas dont il est ici question, était certainement un étranger ; et Démosthène se plaint qu’on eût choisi un étranger pour commander un corps de troupes athéniennes.

(11) Dacier évalue la drachme attique à dix sols de notre monnaie. La mine valait cent drachmes, et par conséquent cinquante livres. Le talent valait soixante mines, et par conséquent mille écus. D’après ces évaluations, la somme totale que demande Démosthène pour l’entretien des troupes, se monte à 276,000 livres ; il est facile d’évaluer les autres sommes partielles.

(12) Par les vents Étésiens, Démosthène entend ici l’été, temps où ces vents régnaient, et où les Grecs, à cause de la chaleur, se mettaient en quartier de rafraichissement. Philippe, plein d’activité, choisissait pour ses entreprises les saisons les plus rudes où ses ennemis étaient dans l’inaction. Ajoutez que ces vents, étant du nord, étaient contraires pour aller d’Athènes en Macédoine.

  1. C’est la première des quatre harangues nommées vulgairement Philippiques.
  2. Les notes marquées entre ( ) par les chiffres 1, 2, 3, etc., ont été renvoyées à la fin du discours.
  3. Métaphore empruntée des jeux où l’on étalait les prix aux yeux des athlètes pour animer leur ardeur :
    Medio potuit Deus omnia campo. Lucain.
  4. Il y avait deux galères sacrées, la galère Paralienne et la galère de Salamine. (Voyez le Dictionnaire grec-français de M. Planche, au mot Πάραλος (Paralos).)
  5. Nous n’avons pas ces lettres : il paraît qu’elles étaient conçues en termes fort injurieux pour les Athéniens.
  6. Prompte à croire tout ce qui nous perd, pourvu qu’il nous flatte. Boss. Ceux qui cherchent à nous perdre, parce qu’ils ne s’étudient qu’à nous plaire. Mass.
  7. Au Roi de Parte, en grec, au Roi. Les Grecs appelaient le Roi de Perse le grand Roi, ou simplement le Roi.
  8. Quoique Démosthène parlât pour la première foi » contre Philippe, il avait déjà prononcé plusieurs harangues pour le bien de la république, et par conséquent il avait eu plus d’une occasion de conseiller ses concitoyens en homme droit et sincère.