Les Petits poèmes grecs/Pindare/Néméennes/IV

IV.

A TIMASARQUE, D’ÉGINE,

Vainqueur à la lutte.

Douce allégresse qui suis la vicloire, tu es le meilleur médecin des fatigues et des travaux de l’athlète, surtout quand nos hymnes, sages filles des Muses, font palpiter son cœur au bruit de leurs accens : alors l’onde attiédie d’un bain est pour ses membres fatigués moins salutaire que la louange qu’accompagne la lyre. Nobles inspirations du génie et des Grâces, les paroles d’un poëte vivent plus longtemps que les hauts faits qu’elles ont célébrés.

Telles sont celles par lesquelles je prélude à cet hymne que je consacre au puissant Jupiter, à Némée et à Timasarque, vainqueur à la lutte. Puisse la cité des Éacides, renommée au loin par son amour pour la justice et l’hospitalité, recevoir aussi le tribut de louanges qu’elle mérite. Oh ! si Timocrite, père du vainqueur que je chante, jouissait encore de la lumière, quelle serait la joie de son cœur ! avec quels transports, variant les accords de sa lyre, unirait-il ses chants aux nôtres pour célébrer les victoires que son fils a remportées à Cléone, aux luttes de la superbe Athènes et à Thèbes aux sept portes !

Là, près du magnifique tombeau d’Amphitryon, les enfans de Cadmus accueillirent Timasarque et le couvrirent à l’envi de fleurs ; ils honoraient en lui Égine, sa patrie, et le regardaient comme un ami qui vient chez ses amis au sein d’une ville hospitalière. Ils le reçurent dans l’auguste palais d’Hercule , de ce héros avec qui le vaillant Télamon saccagea la ville de Troie, vainquit les Méropes et le terrible Alcyon. Ce redoutable géant ne succomba qu’après avoir fracassé sous un énorme rocher douze chars et deux fois autant de guerriers qui les montaient, prodige qui ne peut paraître incroyable qu’à celui qui n’a jamais éprouvé l’art funeste de Bellone. Ainsi périt Alcyon : il était juste qu’il payât sous les coups d’Hercule les maux affreux que sa main avait faits.

Mais les heures s’écoulent, et les lois que ma Muse s’est imposées me défendent de m’éloigner de l’objet de mes chants ; je cède d’ailleurs au désir pressant qui m’entraîne à tenir ma promesse pour le retour de la Néoménie. Quoique tu sois au milieu d’une mer d’écueils, ô ma Muse, sache les affronter avec courage et braver les efforts de nos ennemis. Hâte-toi donc d’aborder ; au grand jour, l’éclat de ta gloire éclipsera tes rivaux. Que l’envieux conçoive au sein des ténèbres de vains projets, qui d’eux-mêmes retombent en poussière. Pour moi, je sens que la puissance du génie que m’a donné la fortune, recevra dans l’avenir le sceau de l’immortalité.

O ma douce lyre, fais entendre tes accords lydiens, et que ta douce harmonie rende cet hymne agréable à OEnone et à Cypre, où régna Teucer fils de Télamon. Que de rois à vus naître OEnone ! Ajax régna à Salamine, sa patrie ; Achille, dans cette île dont l’éclat se répand au loin sur le Pont-Euxin ; Thétis, domina à Phtie, et Néoptolème fut souverain de la vaste et fertile Épire dont les monts sourcilleux s’étendent depuis la forêt de Dodone jusqu’à la mer d’Ionie. Pélée jadis la rendit tributaire des Emmoniens, lorsqu’il eut pris à main armée Iolcos, situé au pied du mont Pélion.

Après avoir été en butte aux ruses perfides d’Hippolyte, épouse d’Acaste, ce héros eut encore à éviter les embûches que le fils de Pélias lui tendit avec une astuce digne de Dédale. Mais Chiron vint à son secours et l’arracha au cruel destin que lui réservait Jupiter. Cependant avant qu’il lui fût permis d’épouser une des Néréides aux trônes élevés, Pélée dut encore lutter contre la violence des feux dévorans, braver les griffes et les dents acérées des lions ; alors seulement au jour de son hymen, il vit s’asseoir à sa table les dieux du ciel et de la mer, qui le comblèrent de leurs dons et lui donnèrent cette puissance qu’il devait transmettre à sa postérité.

Mais il n’est pas donné à un mortel de franchir les colonnes d’Hercule où le soleil termine sa carrière. Tourne, ô ma Muse ! la proue de la nef vers l’Europe : tu ne peux dans un seul récit redire tous les hauts faits des enfans d’Éaque. N’est-ce pas déjà assez pour toi de proclamer les victoires des Théandrides, et ces luttes fameuses d’où ils sortirent vainqueurs à Olympie, à l’Isthme, et à Némée. Ces lieux à jamais célèbres ont été les témoins de leur valeur et les ont vus retourner dans leur patrie, le front ceint de couronnes dont la gloire ne peut être ternie.

Qui mieux que moi sait, ô Timasarque ! combien de sujets sublimes ta patrie offrit en tout temps à nos hymnes triomphaux. Docile à tes désirs, je veux élever à Calliclès, ton oncle maternel, une colonne qui surpasserait en éclat le marbre de Paros. De même que le feu purifie l’or et lui donne un nouveau lustre, de même les hymnes des favoris des Muses répandent sur l’athlèle vainqueur une gloire qui le rend égal aux rois. Puisse Calliclès, sur les bords de l’Achéron, m’entendre célébrer la couronne d’ache vert, qu’il ceignit à Corinthe, dans ces jeux consacrés au dieu dont le trident ébranle la terre... Mais plutôt qu’Euphanès, ton aïeul, chante ses louanges, ô mon fils ! n’est-il pas juste que chacun honore ses contemporains ? Il les chantera avec joie ; car quel est le mortel qui ne se flatte pas de raconter avec plus de vérité les faits dont il a été témoin.

Qui de nous par exemple en louant Mélésias s’exposerait à la critique ou au blâme ? Son éloquence impétueuse entraîne tous les cœurs ; et, s’il est bienveillant pour les bons, il est aussi le plus redoutable adversaire des méchans.