Les Petits poèmes grecs/Pindare/Isthmiques/II

II.

À XÉNOCRATE(1) D’AGRIGENTE

Quand les poètes des jours anciens, ô Thrasybule ! assis sur le char des Muses à la chevelure d’or, faisaient résonner sous leurs doigts la lyre harmonieuse, leurs hymnes aussi doux que le miel chantaient de jeunes favoris, dont les charmes, tels qu’un fruit mûri par l’automne, appelaient les voluptés de l’aimable Vénus. La Muse n’était pas avide alors ; ses chants n’étaient point mercenaires, et Terpsichore n’avait pas encore vendu au poids de l’or la mélodie de ses accens.

Maintenant plus indulgente, elle nous permet d’adopter la maxime franche et véridique de cet Argien qui, n’ayant plus ni amis ni richesses, s’écriait : L’argent, l’argent ! voilà tout l’homme.

Tu es sage, ô Thrasybule ! et tu comprends comment ces paroles peuvent se rattacher aux chants par lesquels je célèbre la victoire isthmique que Neptune vient d’accorder aux coursiers de Xénocrate. C’est à l’Isthme que ce dieu s’est plu à orner sa tête d’une couronne de sélinum dorien pour honorer en lui le vaillant écuyer et le flambeau d’Agrigente. À Crisa, le puissant Apollon jeta sur lui un regard favorable et le combla de gloire. À Athènes, accueilli avec honneur par les enfans d’Érechtée, il n’eut qu’à se louer de la rapidité avec laquelle Nicomaque fit voler ses coursiers et dirigea son char dans la carrière.

Dés son entrée dans la lice olympique, les prêtres de Jupiter Éléen, chargés de proclamer l’ouverture des jeux solennels, reconnurent en lui ce citoyen généreux qui leur avait donné l’hospitalité ; ils le saluèrent avec affection, lorsqu’au sein de leur terre natale, ils le virent se prosterner devant la statue d’or de la Victoire, dans l’auguste enceinte de Jupiter Olympien, où les fils d’Énésidame furent environnés d’honneurs immortels. Ces demeures sacrées, ô Thrasybule ! ne vous sont point inconnues à tous deux ; elles retentissent sans cesse du chant des hymnes et des plus mélodieux concerts.

Il n’est ni écueil, ni sentier difficile au poëte qui porte à des familles illustres le juste tribut des sœurs de l’Hélicon. Puissé-je, semblable à l’athlète qui lance au loin son disque, élever mes chants à la hauteur où Xénocrate lui-même s’est élevé, en surpassant ses concitoyens par l’affabilité de ses mœurs ! Objet des respects de tout le monde, il sait cependant se confondre dans la foule ; fidèle à l’usage des enfans de la Grèce, il a rassemblé de toutes parts de vigoureux coursiers, et prend soin de les nourrir. Avec quelle magnificence ne se plaît-il pas à orner les festins célébrés en l’honneur des dieux ! Jamais le souffle de l’adversité ne l’a contraint à couvrir sa table hospitalière du voile de la parcimonie ; et il sait si bien réunir dans sa maison toutes les jouissances de la vie, qu’on y goûte, l’été, la fraîcheur des rives du Phase, et l’hiver, la douce température des bords du Nil.

Que la crainte d’exposer ton père à l’envie qui assiège le cœur de l’homme ne te porte pas, ô Thrasybule ! à laisser dans l’oubli ses vertus. Hâte-toi de publier mes hymnes ; ma Muse ne les a point inspirés pour qu’ils demeurent immobiles. Et toi, Nicasippe, quand tu seras auprès de mon hôte, répète-lui ce chant consacré à la gloire de sa famille.

ISTHMIQUE II.

14. Cette ode composée en l’honneur de Xénocrate est adressée à son frère Thrasybule. Callistrate raconte que Xénocrate ayant offert à Pindare une somme peu proportionnée à son travail, celui-ci s’en vengea en adressant son hymne à Thrasybule. Le début semble confirmer ce récit.

15. Aristodème était de Sparte. Pindare l’appelle Argien peut-être parce qu’il regarde Argos comme la capitale de tout le Péloponnèse ou bien parce que les Argiens avaient comme les Lacédémoniens le mérite de la concision.

16. Érechtée était roi d’Athènes et père de Cécrops.

17. Nicomaque, écuyer de Xénocrate.

18. Les fils d’Énésidame, Théron et Dinomène.

19. Le Phase, fleuve de la Scythie, pays très froid.

20. Le Nil, fleuve d’Égypte coulant sous un ciel brûlant.

21. Nicasippe était sans doute un messager dépêché tout exprès par le poëte vers Thrasybule pour lui remettre son hymne.