Les Petits poèmes grecs/Orphée/Orphée et ses œuvres
OEUVRES D’ORPHÉE,
ORPHÉE ET SES OEUVRES.
Peu d’hommes dans les âges primitifs ont eu plus de droits à la reconnaissance des peuples ou à la célébrité que le beau génie dont je vais essayer de tracer l’histoire. Il civilisa des peuples sauvages et leur donna des mœurs et des lois ; il écrivait presque sans modèle sur la plupart des matières qui sont du ressort de l’entendement : ajoutons qu’il était à la fois hiérophante des mystères et médecin, c’est-à-dire qu’il éclairait et guérissait tour à tour l’homme qui lui devait de n’être plus barbare ; on aurait dit que, grâces aux végétaux bienfaisans dont il se faisait le dispensateur et à la religion tutélaire dont il était l’apôtre, il se plaçait entre la nature et la providence. Mais, par une bizarrerie inexplicable à une philosophie vulgaire, l’antiquité a plus cité Orphée qu’elle ne l’a fait connaître. La Grèce, pleine de son nom, a laissé entourer de nuages sa vie et ses écrits. On serait tenté de le comparer au dieu inconnu d’Athènes et de ne croire à son existence que par son apothéose.
Différentes causes ont contribué à cette union bizarre de la célébrité et de l’oubli.
Orphée, suivant les tables d’approximation de la moins conjecturale des chronologies, qui place l’expédition des argonautes grecs, dont ce sage fut un des héros, à l’an 304 de la chronique des marbres de Paros, c’est-à-dire 1278 ans avant notre ère vulgaire, ou 3078 avant l’ouverture de notre dix-neuvième siècle, dut naître il y a environ trois mille cent ans. Or, si l’on en excepte le Pentateuque, quel est le monument authentique qui remonte à cette époque ? Le fil encyclopédique qui lie les connaissances humaines se casse à chaque instant dans ces premières origines, et peut-être vaut-il mieux en accuser les révolutions physiques du globe que la jeunesse du genre humain.
Hérodote, le père de l’histoire grecque, avait, s’il faut en croire Olympiodore, cité dans Photius[1], écrit une vie d’Orphée, qui déjà n’existait plus sur la fin du siècle d’Alexandre.
Nous ne voyons point, dans la liste des ouvrages de Plutarque que le temps a anéantis, que cet écrivain célèbre, qui a tracé des portraits si ressemblans des législateurs de l’antiquité, de ses héros et de ses sages, se soit occupé d’Orphée pour le mettre en parallèle avec d’autres grands hommes.
Diogène Laërce lui-même, qui a froidement compilé sous les Antonins tout ce que ses contemporains savaient et ne savaient pas sur les philosophes les plus illustres des premiers âges, a oublié de placer Orphée, un de leurs patriarches, dans la galerie des quatre-vingt-quatre tableaux qu’il nous a laissés : seulement il consacre au portrait de ce beau génie une douzaine de lignes dans sa préface, et c’est pour calomnier sa mémoire et accréditer le conte vulgaire qu’il fut foudroyé.
Il faut traverser le moyen âge tout entier pour arriver à quelques notions conjecturales sur le législateur de la Thrace. Il existait de temps immémorial à Turin, dans le musée des rois de Sardaigne, un marbre infiniment précieux représentant Orphée déchiré par les Bacchantes. Ce marbre est d’un fini de sculpture qui rappelle le bel âge de Périclès[2]. On y voit quatre de ces furies arrachant les membres du sage qui n’est plus. La scène se passe non loin de l’Hèbre, sur le rivage duquel la lyre du poëte est abandonnée. Orphée, quoique plus que septuagénaire à l’époque de sa mort, y est peint sous les formes arrondies de l’adolescence. Ce contre-sens était peut-être dans les principes de l’art chez les Grecs : on ne croyait pas, parmi les contemporains de Praxitèle et de Phidias, que le ciseau dût s’exercer sur des squelettes ; il n’y avait pour eux qu’une belle nature, celle de la Vénus Anadyomène et de l’Apollon.
Ce n’est qu’en 1743 que l’Europe a connu le marbre de Turin[3] ; mais les mémoires qui en renferment la gravure ne se bornent pas à offrir aux yeux une frivole estampe ; on voit à la suite l’édition d!un manuscrit grec (recueilli à Milan par Constantin Lascaris, homme de lettres célèbre, de la famille des empereurs d’Orient) qui a pour titre : Prolégomènes sur Orphée. Cet opuscule grec, accompagné d’une version latine, est d’autant plus curieux qu’il paraît avoir été fait d’après des écrivains de l’antiquité que nous n’avons plus. Lascaris, sorti de Constantinople au milieu du quinzième siècle, trouva ces Prolégomènes dans un état de détérioration qui lui fit désespérer longtemps de régénérer l’ouvrage. Il fait entendre qu’ils servirent originairement de préface au poëme des argonautes. Quoi qu’il en soit de cette conjecture, l’opuscule nous guidera plus d’une fois dans le cours de cette histoire.
A mesure que nous descendons vers le siècle de Louis XIV, les nuages s’épaississent, soit parce qu’il y a moins de monumens intermédiaires entre nous et l’âge d’Orphée, soit parce que l’érudition du temps s’occupait plus à citer fidèlement des autorités contradictoires qu’à faire jaillir,des contradictions mêmes des écrivains, des traits de lumière qui menassent à la vérité.
J’ai feuilleté avec le plus grand soin le Thesaurus antiquitatum en quatre-vingt-cinq volumes in-folio de Grœvius et de Gronovius ; et, quoique ce soit un vrai trésor pour les amateurs de recherches, à une médaille près, je n’y ai pas trouvé une seule petite pièce d’airain frappée au coin d’Orphée, un seul monument qui portât l’empreinte de ce grand homme.
Dans la crainte de m’égarer plus longtemps dans un dédale de vaines conjectures, j’ai eu recours au savant Fabricius, qui passe pour avoir défriché avec le plus de succès les landes bibliographiques des premiers âges. Sa Bibliothèque grecque offre en effet sur Orphée une notice plus longue que les ouvrages mêmes dont elle présente l’analyse : toutes les sources y sont indiquées avec un scrupule religieux. Il n’y a point de distique dans Athénée, point d’hémistiche dans l’Anthologie ayant un rapport direct ou indirect avec l’époux d’Eurydice, qui n’y trouve sa place : malheureusement la critique, sans laquelle les faits ne sont que des contes de féerie, est nulle. On voit que Fabricius sait rassembler de toutes les parties du monde des pierres bien ou mal taillées pour en former des assises, mais qu’il n’a point le génie de l’architecte pour en construire un grand édifice.
Ce défaut d’ordonnance dans la bibliothèque grecque était senti par tous les gens de goût en France, en Angleterre et en Allemagne, et on en demandait de toute part la réforme : elle a été commencée en effet dans la quatrième édition donnée en 1790 par les soins de Harles[4]. Il a ajouté quelques notes tirées de la littérature moderne, quelques supplémens qui auraient plus de prix si les citations étaient toujours exactes : mais le chaos ancien est le même. En général, l’éditeur trop circonspect marche toujours avec Fabricius et ne le devance jamais : l’Orphée surtout, qui demandait à être placé sur le devant de la scène, reste dans l’ombre au fond de la perspective.
Cette critique sage et lumineuse, que j’avais cherchée vainement dans la Bibliothèque de Fabricius, devait naturellement se rencontrer dans le plus beau monument de littérature des âges modernes, dans les mémoires de l’Académie des belles lettres. Malheureusement ce beau sujet ne s’est point trouvé sous la plume des hommes célèbres à qui on doit ce grand ouvrage et dont le génie aurait rendu mon travail inutile ; dans les quarante-six volumes de la collection in-4o, je ne vois que deux mémoires où cette matière soit effleurée : l’un de l’illustre Fréret, où, à propos de Recherches sur le culte de Bacchus parmi les Grecs[5], on insinue, d’après-un opuscule perdu d’Aristote, qu’Orphée n’est probablement qu’un être de raison ; l’autre, plus direct, traite de la vie orphique[6]. On y expose presque sans critique les traditions vulgaires des savans sur le législateur de la Thrace : la dissertation est de l’abbé Fraguier et ne contient que six pages.
Privé de guides dans une matière d’autant plus délicate qu’elle prêtait davantage aux conjectures, j’ai eu recours aux meilleures éditions des œuvres attribuées à Orphée ; convaincu que la lumière, trop disséminée dans les livres étrangers à mon sujet, se trouverait réunie dans les préfaces des écrits qui occupaient ma plume, ou dans leurs prolégomènes.
L’édition princeps d’Orphée, imprimée à Florence, en 1500, quoique la base de celle des Aldes, qui parut dix-sept ans après, ayant été faite sur un manuscrit souvent incorrect et quelquefois infidèle, fourmille de fautes, suivant le jugement du célèbre Henri Estienne, qui donna en 1566 la première édition vraiment pure des trois ouvrages qui portent le nom d’Orphée, c’est-à-dire des Hymnes, du long fragment sur les Pierres et de l’espèce de poëme épique des Argonautes[7].
En 1689, un professeur de Nuremberg, nommé Eschenbach, jeune et plein d’enthousiasme pour un nom aussi célèbre que celui d’Orphée, publia à Utrecht une petite édition in-12 des trois ouvrages qu’on donne à l’antique législateur de la Thrace, avec une version latine presque littérale, des remarques grammaticales et historiques en petit nombre, et les notes de Henri Estienne et de Joseph Scaliger[8]. Critiqué par le savant Leclerc[9] avec une sévérité qui annonçait une plume rivale plutôt qu’une plume amie du bon goût, il ne se découragea point et fit paraître en 1611, sous le nom d’Épigène, un autre monument en l’honneur du grand homme dont il semblait avoir épousé la gloire[10].
Cet Épigène, que son auteur fut dix ans à composer, offre quelques détails précieux sur les nombreux ouvrages d’Orphée dont il nous reste quelques fragmens, ainsi que sur ceux que le laps des siècles a totalement anéantis, et en particulier sur l’Oronismoi, qui traite des symboles des mystères, sur le Kraterès ou l’âme du monde et sur la Théogonie. Je ne me dissimule pas que le dissertateur n’est ni un Henri Estienne en hellénisme ni un Fréret en critique. Il veut étaler son érudition plutôt qu’instruire ses lecteurs : il cite toutes les doctrines philosophiques à propos d’Orphée plutôt qu’il n’analyse celles de cet homme célèbre, et l’on est toujours sûr, quand il consacre dix pages à l’examen d’un fragment, que son opinion sur le fragment même ne se trouve que dans les dernières lignes. Malgré ce tribut qu’il paie au mauvais goût de son temps, il y a dans son livre beaucoup de recherches et quelques traits de lumières ; ce qui lui donne des droits non-seulement aux égards du dix-neuvième siècle, mais encore à sa reconnaissance.
Malgré l’Épigène, Orphée ne put faire secte en Europe comme Aristote : sa gloire même semblait se traîner lentement, grâce au silence de ses admirateurs, lorsqu’une nouvelle édition, publiée en 1764, à Leipsick, par les soins du savant Gesner, réveilla l’enthousiasme endormi et donna à l’homme de lettres qui n’arbore aucun drapeau les moyens d’apprécier un bienfaiteur des hommes, que depuis près de deux mille ans on ne semblait louer ou critiquer que sur parole.
Cette édition a pour titre Orpheos Apanta[11], et quoique ce soit un simple in-8o de 626 pages, on y trouve non-seulement Orphée, tel qu’il nous reste, tout entier, mais encore un travail sur cet écrivain, que deux siècles auparavant plusieurs volumes in-folio auraient à peine pu contenir.
Mathias Gesner, dont le nom rappelle plus d’un service rendu, soit à la poésie allemande, soit à l’histoire naturelle, soit à l’art numismatique, avait semblé faire dépendre sa renommée de cet ouvrage ; il y travailla un grand nombre d’années avec un zèle infatigable et mourut avant qu’il fût terminé. Ce fut son ami Hamberger qui le publia à Leipsick, il y a soixante-quatorze ans ; et quand celui-ci l’appela dans sa préface un homme immortel, il ne fondait que sur ce titre son immortalité.
Gesner, outre les manuscrits allemands, hollandais et français qu’il avait collationnés, avait travaillé sur deux autres infiniment précieux, celui de Vossius que possède la bibliothèque de Leyde et celui que le savant anglais Askew avait apporté de Grèce dans sa patrie : ainsi son texte ne pouvait être plus pur, et c’était un grand service rendu aux lettres, quand il s’agissait d’un ouvrage dont les altérations et les interpolations faisaient soupçonner l’authenticité.
L’édition est précédée de Prolégomènes lus en 1759 à l’académie de Goettingue, et qui sont d’autant plus substantiels que l’auteur a renfermé beaucoup de choses en dix pages.
Le poëme des Argonautes vient ensuite ; le texte grec s’y trouve en regard avec une traduction latine, assez élégante quoique littérale, et des notes critiques et grammaticales qui forment à elles seules la moitié des pages. Tout est de Gesner, à l’exception du texte grec ; encore ce texte a si peu de rapport avec l’édition princeps qu’on pourrait l’appeler aussi son ouvrage.
Les Hymnes suivent le poëme épique ; le travail de Gesner est le même, à l’exception de la traduction en vers latins, qui est du fils du fameux Jules-César Scaliger. Ces hymnes sont au nombre de vingt-six et ne forment qu’une très-petite partie de l’héritage de gloire du législateur de la Thrace.
On lit ensuite le petit ouvrage versifié sur les Pierres, dont le savant éditeur a retouché la version latine et qu’il a accompagné de notes d’une haute érudition. Quant aux fragmens d’Orphée ou sur Orphée, que Henri Estienne avait tirés des anciens et qui sont au nombre de cinquante, Gesner se contente de les donner dans la langue originale.
Ce grand travail est terminé non-seulement par un index très-bien fait, de plus de cent pages, sur la collation des manuscrits d’Orphée, mais encore par une dissertation latine d’une sage critique sur les navigations des Phéniciens au delà des colonnes d’Hercule.
Ainsi, quelques textes épars dans les écrivains de l’antiquité et du moyen âge, une faible notice de Fabricius, six pages des mémoires d’une Académie, l’Épigène d’Eschenbach et l’Orpheos Apanta de Gesner, voilà, en dernière analyse, tous les matériaux vraiment élémentaires sur Orphée ; voilà, si j’ose le dire, l’unique foyer où vont aboutir tant de rayons de gloire, disséminés dans trente siècles et parmi cent nations diverses de l’Asie et de l’Europe, sur l’instituteur d’une des religions sociales dont la raison humaine s’honore davantage.
Avant de me faire l’historien d’Orphée, je me vois condamné, sous peine de renouveler l’anecdote de la dent d’or de Fontenelle, à rechercher si mon héros a existé. Ce doute paraîtra très-étrange lorsque tant de siècles amoncelés sur sa tombe se sont réunis pour la couvrir de quelques rayons de gloire ; mais il semble accrédité par deux écrivains du plus grand nom parmi les anciens, et ce serait manquer aux premières lois de la critique que de dédaigner l’examen d’un pareil paradoxe.
C’est Aristote et Cicéron que les savans soupçonnent d’avoir tenté d’avoir raison contre l’antiquité entière : voici le texte du dernier tiré du Traité de Natura deorum. Si ce texte n’est pas exact, il entraîne dans sa chute le suffrage de l’instituteur d’Alexandre. « Aristote affirme qu’Orphée n’a jamais existé, et les vers qu’on a publiés sous son nom sont, à ce qu’on prétend, d’un nommé Cercops, disciple de Pythagore : Orpheum poetam docet Aristoteles nunquam fuisse, et hoc orphicum carmen Pythagorei ferunt cujusdam fuisse Cercopis[12]. » Ces trois lignes ont suffi pour préparer une espèce de guerre littéraire de deux cents ans qui dure encore et qui ne finira pas de longtemps.
Vossius, un des ennemis les plus déterminés d’Orphée, comme un des plus dangereux par l’universalité de ses connaissances, partit de ces trois lignes de Cicéron pour rayer du livre de vie, non-seulement ce poëte célèbre, mais encore Musée et Linus. Son paradoxe se lit dans son Traité de Artis poeticæ natura. « Il y a, dit-il, un triumvirat de poëtes grecs, composé d’Orphée, de Musée et de Linus, qui n’a jamais existé. Les noms mêmes qu’on donne à ces personnages imaginaires ne désignent que des expressions grammaticales tirées de la langue antique des Phéniciens, dont Cadmus fit usage, et de temps en temps la postérité de ce fondateur de Thèbes : Triumviros istos poeseos, Orphea, Museum, Linum non fuisse, sed nomina ab antiqua Phenicum lingua, qua usi Cadmus et aliquandiù posteri[13]. »
Linus et Musée ont appelé avec succès de la sentence de Vossius, qui seul les reléguait parmi les ombres. Quant à Orphée, dont l’ennemi semblait se cacher derrière les noms vénérables de Cicéron et d’Aristote, il a eu un peu plus de peine à se relever d’un pareil anathème.
Le trait de Vossius était d’autant plus dangereux à une époque où les livres des savans semblaient des polyglottes, qu’il fit venir les langues orientales à l’appui de son système. Il prétendit que le nom fantastique du législateur de la Thrace dérivait évidemment de l’arabe Arifa, qui signifie scire, d’où est venu en droite ligne Arif et par corruption Orphée, qui au fond ne signifie que le savant par excellence.
Il eût été dans la logique naturelle de répondre à Vossius que, puisqu’il existait un Arif qui représentait le savant par excellence, il était tout simple de l’appliquer à Orphée dont la science profonde semblait avoir passé en proverbe chez les anciens ; mais alors on ne répondait pas à un savant qui, comme Vossius, Bochart ou Rudbeck, accablait ses adversaires sous le poids des citations grammaticales. Dans les âges d’érudition qui précèdent les siècles de goût, il est rare que des textes arabes ou chaldéens ne l’emportent sur le meilleur syllogisme.
Huet, le savant évêque d’Avranches, partit du paradoxe primitif de Vossius, pour en imaginer un autre dans une branche collatérale. Il prit à son prédécesseur l’idée qu’Orphée était un héros imaginaire ; mais il prétendit que le portrait de l’Arif des Arabes avait été calqué sur celui de Moïse[14] : d’où il s’en suivait, que le poëme des Pierres, les hymnes sur les Aromates et le voyage des Argonautes pouvaient avoir pour type le sublime ouvrage du Pentateuque.
Il me semble que, pour battre en ruine Huet, qui s’appuie sur Vossius, lequel, de son côté, a pour garans Cicéron et Aristote, il suffirait peut-être de faire pressentir que le fameux texte cité du livre philosophique de la Nature des Dieux n’a qu’une bien faible autorité, surtout quand il s’agit d’une opinion des premiers âges, qui semble avoir envahi la monarchie universelle.
Cicéron, comme nous l’avons vu, cite pour son garant Aristote : Orpheum docet Aristoteles nunquam fuisse. Or, d’après l’affirmation de l’orateur de Rome, on n’a pas manqué de compulser l’Aristote tout grec de l’édition princeps, l’Aristote arabe d’Averroës et l’Aristote grec et latin de notre imprimerie royale, pour s’assurer de l’existence du passage hétérodoxe. Toutes les recherches les plus minutieuses ont été inutiles ; et les commentateurs, pour qui tout est sacré dans les œuvres de l’écrivain sur lequel ils travaillent, en ont conclu que Cicéron n’avait point cité Aristote à faux, mais que probablement le blasphème de l’instituteur d’Alexandre sur Orphée se rencontrait dans un de ses ouvrages que nous avons perdus : ce qu’un homme de sens peut se permettre de ne pas croire, mais qu’il n’aura pas l’audace de réfuter.
Le savant Eschenbach, qui publiait son Epigène il y a environ deux cents ans, alla plus loin que de jeter des soupçons sur la garantie d’Aristote ; il fit pressentir que le texte de Cicéron même pouvait être faux, ou du moins interpolé : Si tamen, dit-il, Cicero non falsus fuit aut lectio genuina est[15]. Mais Eschenbach a commenté Orphée : on peut lui croire un intérêt particulier à défendre son idole, et je ne veux tirer aucun parti de son induction. Je vais supposer que le texte du Traité de la Nature des Dieux n’a subi aucune altération, et combattre ainsi mon éloquent adversaire en lui laissant tous ses avantages.
Qu’est-ce que le fameux Traité de Natura Deorum, si ce n’est une espèce de roman philosophique destiné à mettre en scène l’académicien, le stoïcien et l’épicurien ; à les faire raisonner et déraisonner sur la théologie naturelle ; à les combattre par eux-mêmes et à tenter de substituer le doute méthodique à la croyance universelle sur l’existence de l’ordonnateur des mondes ?
L’abbé d’Olivet ne croyait qu’aux livres saints et à Cicéron : cependant cet enthousiaste de l’orateur de Rome appelle lui-même le de Natura Deorum, qu’il traduisait, le Roman théologique de l’antiquité[16]. Or un roman écrit par le plus beau génie n’est pas un guide bien sûr, quand il s’agit d’établir les vérités sévères de l’histoire.
Ajoutons que la seule idée d’avoir donné une forme dramatique à un ouvrage où l’on se permet d’abattre de son piédestal une des grandes statues de l’antiquité lui ôte une partie de ses titres à la croyance des amis austères de la vérité. Des dialogues, fussent-ils de Platon, n’ont pas en ce genre l’autorité d’un Thucydide, et une comédie de Térence ne fait pas foi comme un paragraphe de Tacite ou de Tite-Live.
Ce qui ajoute encore à mon doute raisonné sur ce fameux texte de Cicéron, c’est que ce n’est pas ce beau génie lui-même qui parle ; c’est un certain pontife Caïus Aurelius Cotta qui, en qualité d’académicien, se joue à chaque instant des hommes et des choses, blasphème les dieux dont il est le ministre, et attaque tour à tour la providence sublime de Zénon et le fantôme divinisé des intermondes d’Epicure.
Voici donc en peu de mots l’analyse du jugement qu’on peut se former du texte trop célèbre de Cicéron, qu’on a cité tant de fois sans le peser, et quelquefois sans y croire.
L’opinion anti-orphéenne est appuyée du suffrage d’un philosophe qui n’en a rien écrit dans ce qui nous reste de ses ouvrages.
Cette opinion est consignée dans un roman théologique où l’on ne parle qu’à une imagination vagabonde, et non à la raison.
Cicéron n’expose point lui-même sa pensée originelle ; mais il se cache derrière la toile, tandis que Cotta, l’ennemi de l’évidence, déraisonne à perte de vue sur les premières causes.
Ce Cotta se contredit lui-même en parlant des dogmes d’Epicure, et tout invite à croire que sa doctrine n’aurait pas été plus homogène s’il avait eu à discuter, à de grands intervalles de temps, le problème sur la personne d’Orphée et sur son existence.
Maintenant, après avoir détruit les assertions téméraires qui tendaient indirectement à faire d’Orphée un être de raison, il faut, par quelques preuves directes, justifier l’antiquité, qui semble avoir fait son apothéose.
Il y a peu d’écrivains, dans la Grèce des premiers âges, qui n’aient rendu un hommage solennel au théisme d’Orphée, à ses principes tutélaires et au génie qui respire dans ses ouvrages.
Orphée était poëte : nous n’avons de lui, ou des disciples qui l’ont fait parler, que des vers : ainsi c’est par les poëtes qu’il me convient de commencer la liste des écrivains qui ont rempli l’Europe, l’Asie et l’Afrique de sa renommée.
Pindare semble à la tête de l’école orphéenne : il le fait fils d’Apollon et de la muse Calliope, et le place dans la liste des héros qui entreprirent l’expédition si connue sous le nom de Voyage des Argonautes[17]. La filiation que lui donne le poëte lyrique n’est qu’un titre honorifique qui ne porte aucune atteinte à l’opinion générale, qui le dit issu d’un roi de Thrace. Un hommage rendu au génie poétique n’est point un titre faux dans une généalogie.
Aristophane, dans sa comédie des Grenouilles, fait dire au tragique Eschyle qu’Orphée apprit à l’homme à s’abstenir de meurtres et qu’il lui donna les chaînes tutélaires de la religion[18]. Tel est le germe sans doute des beaux vers d’Horace si connus :
Sylvestres homines, sacer interpresque Deorum,
Cœdibus et fœdo victu deterruit Orpheus,
Dictus, ob hoc, lenire tigres rabidosque leones.[19]
Euripide, quoique joué lui-même sur le théâtre d’Athènes par le cynique Aristophane, se réunit avec lui pour appuyer de son suffrage l’existence du chantre de la Thrace et sa juste célébrité. Il fait dire à un chœur de son Alceste, que, d’après les vers d’Orphée qu’il appelle en témoignage, il n’y a aucun remède contre la nécessité.
L’Hyppolite du même dramatique offre encore, à cet égard, un plus grand trait de lumière. Le poëte fait dire à Thésée, au milieu de ses imprécations contre un fils qu’il croit coupable d’un amour incestueux : « Le voilà donc cet homme en commerce avec les immortels !... Qu’il cesse de m’en imposer ; je ne crois point à un commerce qui rabaisserait la majesté des êtres que toute la terre révère... Maintenant que tu es pris dans les pièges du crime, soumis à Orphée ton maître, joue l’inspiré, affecte de ne point te nourrir de ce qui a eu vie, et repais-toi de la fumée d’un frivole savoir. »
Faisons observer qu’en combinant la chronique des Marbres de Paros avec un texte d’Apollodore, il se trouve qu’Orphée et Thésée devaient être contemporains : ainsi le témoignage d’Euripide, historien aussi sévère dans ses pièces de théâtre qu’Homère dans l’épopée, est ici infiniment précieux[20]. Si le poëte des Argonautes avait été dans l’opinion publique un être de raison, croit-on qu’Aristophane aurait passé sous silence le mensonge odieux de l’ami de Socrate ? Ennemi comme il l’était de ce grand tragique, parce qu’il tenait au sage par le commerce de la vie sociale et par celui des lumières, n’avait-il pas, au besoin, de secondes Nuées toutes prêtes pour le foudroyer ?
Ce serait ici le lieu de parler de Virgile et d’Ovide, qui, postérieurs à Cicéron, n’ont point adopté son pyrrhonisme sur Orphée : mais je n’aurais, à cet égard, rien de neuf à apprendre. Il n’est point d’homme de goût qui ne sache par cœur le beau quatrième chant des Géorgiques, et qui n’ait lu, au moins une fois, le dixième livre des Métamorphoses.
Des orateurs grecs, tels qu’Isocrate[21] et Dion Chrysostôme[22], ont parlé des ouvrages d’Orphée, sans répandre des nuages injurieux sur son existence.
Les philosophes, à cet égard, ne sont pas moins affirmatifs. Une grande partie des dialogues de Platon, et en particulier le Cratyle, le Banquet et le huitième livre des Lois, respirent la vénération pour la personne d’Orphée et pour ses ouvrages. Il faut observer que, dans sa belle Apologie de Socrate, le sage, qui est toujours l’interlocuteur dominant, parle du chantre de la Thrace avant Homère même : comme si ce nom vénérable se présentait toujours le premier à sa pensée, quand il s’agissait de donner aux hommes le double bienfait des lois et des lumières !
Maxime de Tyr parle avec enthousiasme des grandes choses qu’Orphée a exécutées avec le seul mobile de l’harmonie[23]. Stobée loue trois fois le proœmium de son poëme sur les Pierres, dont il se garde bien de lui contester la paternité[24]. Hyéroclès ne peut se lasser d’admirer l’accord parfait qui se trouve entre lui et Platon sur le dogme admirable de la providence[25].
Je ne parle ici ni de Macrobe[26], ni d’Eustathe[27], ni de Sextus Empiricus[28], ni de Jamblique[29], ni d’Athénagore[30], qui ont réfuté Cicéron et Aristote sans les nommer, en ne mettant pas l’existence d’Orphée en problème, et je me hâte d’arriver au témoignage irréfragable de l’histoire.
Hérodote qui, malgré le pyrrhonisme du demi-savoir, n’est pas toujours le père des fables, parle d’Orphée d’après son antique renommée et le met en parallèle avec Pythagore. Il suppose les institutions de ces deux philosophes émanées des fameux mystères de l’Égypte des Pharaons ; et tout ce qu’il dit à cet égard semble plein de sens et de raison[31].
Je trouve dans un faible écrivain de l’empire grec une citation d’un ancien historien, du nom de Timothée, qui rendait une justice authentique à Orphée. « Ce poëte, contemporain de Gédéon, à ce que dit Cédrène, était un des hommes les plus célèbres et les plus éclairés de son temps : on lui doit une Théogonie qui explique la formation du monde et l’organisation de l’homme ; Sapientissimus et celeberrimus poeta, qui edidit theogonias, mundi creationem et hominum formationem[32]. » Malheureusement ce suffrage perd de son poids par un mot qu’ajoute l’écrivain : c’est que la doctrine de ce législateur de la Thrace lui a été révélée par le soleil.
Le patriarche de Constantinople, Photius, nous a conservé dans sa Bibliothèque cinquante récits originaux de l’historien Conon, et le quarante-cinquième est consacré à Orphée. On y voit des détails précieux sur sa vie, sur sa mort et surtout sur le culte religieux dont la reconnaissance des peuples honora sa mémoire[33] ; car il le jugeait un grand homme, et, d’après les mœurs du temps, digne de l’apothéose.
Pausanias, dans son Voyage historique de la Grèce, et surtout dans le livre IX, qui traite de son itinéraire en Béotie, a fait beaucoup de recherches sur ce héros des âges antiques. La manière dont il s’exprime sur ses ouvrages prouve qu’il les avait lus avec toute la conscience littéraire : « Quant à ses Hymnes, dit-il, ceux qui ont étudié les poëtes n’ignorent pas qu’elles sont courtes et en petit nombre ; elles cèdent, du côté de l’élégance, à celles qui sont sorties de la plume d’Homère : cependant la religion les a adoptées et n’a pas fait le même honneur au chantre d’Achille[34]. »
Diodore, le premier des Grecs, suivant Pline, qui cessa de travestir la majesté de l’histoire, primus qui desiit apud Græcos nugari, a consacré un article à Orphée, dans le dernier chapitre de son premier livre, où il traite des Grecs qui ont été dans la Haute-Égypte s’instruire des élémens des sciences ; il le place même à la tête des voyageurs les plus illustres, tels qu’Homère, Lycurgue, Solon, Platon et Pythagore[35]. Il est bien évident que si l’orateur de Rome avait raison dans le procès qu’il a intenté à Orphée, il faudrait envelopper presque tous les législateurs de l’antiquité dans le même anathème.
Je termine cette longue nomenclature, que les grands noms de Cicéron et d’Aristote rendaient nécessaire, par Diogène Laërce, l’historiographe sans génie de la plupart des beaux génies de l’antiquité. Cet écrivain, comme je l’ai déjà fait observer, ne fait point l’honneur à Orphée d’écrire sa vie ; mais du moins il en parle avec quelques détails dans son introduction. « Les Grecs, dit-il, ont été les inventeurs de la philosophie... Ceux qui en attribuent la découverte aux barbares objectent en vain qu’Orphée, Thrace d’origine, fut vraiment philosophe. Pour moi, je ne sais si l’on doit donner un pareil titre à un poëte qui a dégradé la majesté des dieux jusqu’à leur donner les passions des hommes, jusqu’à les présenter dans un état honteux de prostitution. L’opinion commune est que les Bacchantes le déchirèrent ; mais son épitaphe, qu’on voit à Dia en Macédoine, prouve qu’il fut foudroyé par Jupiter[36]. »
Il est aisé de voir que Diogène, adoptant tous les préjugés d’une vanité nationale, n’exclut Orphée de sa légende historique, n’empoisonne ses opinions, ne calomnie son théisme religieux que parce qu’il est né en Thrace et non dans le Péloponèse ; mais on peut conclure du moins des aveux de ce détracteur du sage, que ce dernier a existé, puisqu’il a écrit les dogmes de sa religion et qu’on voit son tombeau dans une ville de Macédoine.
Ce tombeau, qui probablement existait du temps de Diogène, est un monument non moins authentique que celui de l’histoire : on peut le regarder comme un brevet perpétuel d’existence ; et voilà pourquoi ceux des Pharaons qui croyaient à l’immortalité dépensèrent tant de talens d’or pour renfermer leurs augustes momies dans les pyramides. Voici l’épitaphe qu’on lisait sur le tombeau de notre philosophe : « Ici repose Orphée de Thrace, qui fut écrasé par la foudre. Les Muses prirent soin de l’ensevelir et renfermèrent sa lyre d’or avec sa cendre dans le monument qu’elles lui érigèrent[37]. »
Il me semble que cette épitaphe, en attestant qu’Orphée a vécu, atteste aussi l’odieuse malveillance de Diogène : rien n’annonce dans cette inscription funéraire que le sage ait été puni des dieux pour les avoir blasphémés. Cette mort tragique, en la supposant telle, ne serait que l’effet d’un phénomène naturel. Orphée aurait péri d’un coup de tonnerre, comme Eschyle de la chute de l’écaille d’une tortue ; et ce qui le démontre, c’est le soin que prennent les Muses de lui ériger un tombeau et de l’ensevelir avec sa lyre d’or. Assurément chez les peuples neufs, comme l’étaient les Thraces et les Macédoniens il y a plus de trente siècles, on ne s’avise pas de faire intervenir les chastes filles du ciel, comme les anciens appelaient les Muses, pour rendre des honneurs funèbres à un blasphémateur ; on ne lui érige pas un tombeau, et l’on ne prépare pas les voies à son apothéose.
Un autre monument plus durable que des tombeaux de pierre ou de marbre, que le temps détruit en silence et que les hommes en révolution renversent en un moment, est la représentation des héros, ou des grands événemens de leur vie, sur des pierres précieuses qui, soit par leur prix intrinsèque, soit par le prix d’opinion qu’y attache le fini du travail, semble défier l’influence des siècles. C’est sous ce point de vue que je parlerai de la fameuse médaille du cabinet de la Bibliothèque impériale, ayant pour titre Orpheus theologus, et qui représente ce sage célèbre au milieu des oiseaux de proie, des tigres et des lions, qu’il charme avec les sons de sa lyre. Gronovius, qui l’a fait graver dans sa grande et belle collection des Antiquités grecques et romaines, suppose, à cause du delta qui touche à l’instrument, cette médaille frappée dans l’île de Délos[38], et il en trouve l’explication dans la dix-neuvième épigramme du dixième livre de Martial.
Je passerai encore moins sous silence la célèbre cornaline du cabinet du Palais-Royal, qui représente Eurydice assise et avançant la main sur la blessure que le serpent lui a faite, pendant qu’elle cueillait des roses[39]. Cet événement est, comme l’on sait, le plus marquant de la vie du sage. On ne peut pas plus détacher le nom d’Eurydice de celui d’Orpbée, que Pylade d’Oreste, et Homère de l’immortalité que lui donne son Iliade.
Les savans éditeurs de ce cabinet de pierres gravées n’ont pas manqué, à propos de la cornaline d’Eurydice, de rappeler laborieusement les traits les plus connus de la vie publique du législateur de la Thrace. Mais, par une logique qui n’est qu’à celui d’entre eux qui a pris la plume, après avoir fait l’énumération de tous les traits qui pouvaient constater l’existence personnelle de cet homme si justement célèbre, ils en concluent froidement que c’est un être fabuleux, parce que sa vie n’est explicable à la raison que par les images fantastiques de l’allégorie.
Un critique bien plus dangereux serait l’illustre Freret, s’il avait eu à lui une opinion bien prononcée. Mais on voit qu’entraîné en sens contraire par les ennemis d’Orphée et par ses admirateurs, il n’ose résoudre le problème sur son existence. Terminons cet article en jetant un coup d’œil rapide sur les doutes raisonnés de ce grand dialecticien, qui ont, à mes yeux, plus de poids que les assertions des hommes qui travestissent l’histoire en allégories.
« Il est du moins très-douteux, dit Freret, qu’il y ait jamais eu un Orphée,... et s’il a existé, c’est au temps des Argonautes qu’il faut le placer, vers l’an 90 avant la prise de Troye, et 63 ans après l’apothéose de Bacchus, suivant Apollodore[40]. »
Les deux parties de cette phrase semblent impliquer contradiction entre elles ; car s’il est très-douteux qu’il y ait eu un Orphée, je ne vois pas pourquoi on cherche à faire coïncider son avènement avec l’apothéose de Bacchus, personnage pour le moins aussi merveilleux que le législateur de la Thrace. Il n’est pas dans l’ordre naturel d’inscrire sur des tables de chronologie l’être dont on révoque en doute l’existence.
Ce que ce grand critique ajoute semble, au premier coup d’œil, plus spécieux : « Il n’est fait mention d’Orphée, dit-il, ni dans Homère, ni dans Hésiode ; et c’est Philammon, et non l’époux d’Eurydice, qui est le chantre des héros grecs dans les Argonautes de Phérécyde. »
Mais ici Freret, et j’en demande pardon à sa mémoire, semble se tromper à la fois sur les faits et sur les raisonnemens.
Les écrivains cités ici par ce grand critique ont bien plus fait que de nommer Orphée ; ils se sont imprégnés pour ainsi dire de sa doctrine et s’en sont fait honneur dans leurs ouvrages. C’est un fait attesté par les anciens et qui n’aurait pas dû échapper à l’érudition profonde d’une des meilleures têtes de nos académies.
L’oubli du nom d’Orphée dans la liste des Argonautes de Phérécyde n’est constaté que par un faible scoliaste[41] et ne prouve rien quand le nom est rétabli dans toutes les autres listes qui nous restent de l’antiquité[42]. D’ailleurs nous savons par Suidas que ce Phérécyde recueillit le premier les œuvres d’Orphée[43], et tout porte à croire qu’il ne fut jamais que l’éditeur et non l’auteur du poëme des Argonautes.
Il suffit de lire sans préjugé la théogonie d’Hésiode et de la comparer avec les fragmens qui nous restent de celle d’Orphée, pour voir que cette dernière est l’ouvrage original, tandis que l’autre ne semble qu’une copie défigurée. D’ailleurs un des meilleurs critiques de la Grande-Bretagne, Thomas Gale, le dit formellement dans ses notes sur Apollodore. A l’en croire, Hésiode a moins imité que corrompu la théogonie primitive de son modèle[44]. Cet ouvrage, qui dans le temps fit du bruit dans la république littéraire, est de 1675. Freret, accoutumé à mettre à contribution les écrivains célèbres de tous les âges pour donner du poids à sa chronologie anti-newtonienne, a dû le connaître, et il devait ou le prendre pour guide ou le réfuter.
Quant à Homère, l’erreur de Freret est plus étrange encore. Nous avons plus d’un garant que le créateur de l’Iliade mettait souvent en vers sublimes la théorie religieuse d’Orphée. Homère, dit Clément d’Alexandrie dans ses Stromates, a pris diverses choses au poëte de la Thrace et les a insérées dans ses ouvrages[45]. Athénagore, dans son Ambassade chrétienne, assure qu’Orphée donna le premier un nom aux cieux, qu’il créa leur généalogie et qu’Homère le copia quelquefois[46]. Il est difficile d’expliquer le parti pris par un aussi grand critique, de taire les autorités qui contrariaient ses opinions, tandis qu’il faisait valoir d’une manière aussi tranchante celles qui en étaient l’appui ; à moins qu’on ne dise que, depuis que la lettre de Thrasybule avait échappé à son pyrrhonisme[47], son dédain pour les pères de l’église était tel qu’il les regardait ainsi qu’Orphée comme des êtres non existans ; mais n’appuyons pas sur ces petites taches d’un écrivain célèbre qui nous a laissé tant et de si beaux titres pour honorer sa mémoire.
Je termine ce que je crois pouvoir appeler ma démonstration historique de l’existence d’Orphée par un trait de Pausanias qui vaut un monument ; c’est qu’il y avait une famille grecque du nom de Lycomides, qui, de temps immémorial, apprenait par cœur des poëmes d’Orphée et les chantait dans la célébration des mystères[48]. C’était à quelques égards les Lévites des Hébreux, qui veillaient à la conservation du Pentateuque.
Il y a donc eu un Orphée qui a rempli la terre entière de son nom, et ce nom n’est ni une dérivation étymologique des langues orientales, ni la froide copie d’un héros, ni une vaine allégorie.
L’opinion de la non-existence d’Orphée avait fait si peu de fortune parmi les anciens qu’il s’en est trouvé qui, ne pouvant expliquer par un seul individu toutes les merveilles de la vie de cet homme célèbre, l’ont partagé en trois. L’exemple en avait été donné antérieurement par rapport à Hercule et au grand Jupiter. C’est un moyen très-commode de multiplier la racedes héros, lorsque la nature semble s’épuiser à en organiser un dans l’espace de plusieurs siècles.
C’est ainsi que Suidas distingue l’Orphée de Thrace d’un Orphée de Crotone, patrie de l’athlète Milon, et c’est à ce dernier qu’il fait honneur du poëme des Argonautes[49].
Pausanias, de son côté, en suppose un né en Égypte[50] ; ce qui achève d’altérer sur ce point les sources de l’histoire.
Une critique sage fait pressentir que l’Orphée de Pausanias n’est pas différent du législateur de la Thrace et de l’époux d’Eurydice. Nous avons vu qu’avant de civiliser ses concitoyens, il avait fait un voyage en Égypte pour s’y instruire des élémens des sciences, gravés en hiéroglyphes sur les pyramides. Or les Égyptiens ont eu la manie de tous les peuples anciens qui ont eu le bonheur d’avoir un siècle de lumières : ils ont adopté les héros étrangers qui venaient leur rendre hommage, et bâti sur cette chimère de l’amour-propre leur généalogie nationale. Si Pausanias avait été aussi patriote que les prêtres de Thèbes ou de Memphis, il aurait revendiqué un héros presque indigène, qui n’avait ni par son nom, ni par sa vie, et encore moins par ses écrits, aucun point de contact avec les esclaves des Pharaons.
Je serais tenté de n’être pas tout-à-fait si sévère par rapport aux deux Orphées de Suidas : non que ce lexicographe du onzième siècle ait beaucoup d’autorité en raison et en histoire ; mais il a travaillé sur des mémoires anciens, et en particulier sur ceux d’un annaliste de son nom, dont Strabon faisait quelque cas, ainsi que le scoliaste d’Apollonius de Rhodes et Étienne de Byzance[51]. Il a donc pu avoir une garantie près de la postérité, que son nom seul ne présente pas ; mais j’ai un motif bien plus puissant encore pour croire que la grande célébrité d’Orphée a pu être partagée entre deux personnages, séparés par un intervalle de temps que la chronologie vulgaire ne peut calculer : et ce motif, que je ne tarderai pas à faire valoir, je crois l’entrevoir dans un examen approfondi de la géographie du poëme des Argonautes.
Je ne ferai qu’indiquer en ce moment ce grand trait de lumière, qui aurait dû éclairer d’autres critiques célèbres, plus faits que moi pour le faire valoir ; la place naturelle de cette discussion est à la fin de ce mémoire, quand, n’ayant plus rien à dire sur la personne d’Orphée, je m’occuperai à porter l’analyse sur le plus brillant de ses ouvrages.
Orphée, suivant un manuscrit grec antique, interprété par Constantin Lascaris, naquit soixante-dix-sept ans avant le commencement de la guerre de Troie ; Egée régnait alors dans Athènes, et Laomédon dans Troie[52]. C’était à l’époque de la fin des douze travaux de l’Hercule de Thèbes, et quinze avant la naissance de ce Thésée, que le héros devait accompagner dans la fameuse expédition des Argonautes.
Il ne faut point s’amuser ici à réfuter Pindare, qui fait naître cet homme célèbre de la muse Calliope[53], ni Hygin, qui lui donne Apollon pour père[54]. Cette généalogie céleste est évidemment une allégorie, pour désigner le grand nom qu’il s’est fait par ses poëmes. Diodore, moins enthousiaste, et par conséquent plus vrai, le fait fils d’un Æagrius ou Æagre, roi de la Thrace méridionale ; opinion qui mérite d’autant plus notre assentiment, qu’Orphée lui-même, ou son disciple Onomacrite, le dit dans son poëme des Argonautes[55]. Cet Æagre, comme on s’en doute bien, n’était pas un monarque à la manière des Xerxès et des Ninyas ; on pourrait le comparer aux Caciques sans couronne du nouveau monde, vers le temps de sa conquête : car les Thraces, à cette époque, sortaient à peine du chaos de la barbarie, et on les accusait d’être anthropophages[56].
Orphée, appelé à gouverner des hommes qui se mangeaient entre eux, sentit qu’il fallait les refondre en les jetant dans le creuset de la nature. Telle est l’origine de son fameux système diététique, des merveilles qu’il parut opérer avec l’harmonie, du culte tutélaire qu’il donna aux Thraces, de ses écrits philanthropiques et de ses voyages.
Modeste comme le sont tous les hommes de génie, qui ont d’autant plus de défiance de leurs lumières, qu’ils en inspirent moins aux autres, Orphée commença par s’instruire par lui-même des progrès de la civilisation chez les peuples étrangers qui passaient à cet égard pour l’avoir portée le plus loin. L’Égyptien, qui se croyait né du sol qu’il habitait, l’appela le premier dans son sein[57]. Il vit, en abordant au Delta, un peuple triplement abâtardi par l’inertie de son ciel, par le despotisme de ses rois et par l’abjection de ses dieux : cependant il sentit que, pour juger une monarchie entière, il ne fallait pas s’arrêter à une pareille écorce. Il était fils de roi, et à ce titre aucune porte ne lui était fermée. Il obtint des Pharaons la permission de visiter l’intérieur des pyramides ; et là, il s’instruisit en silence des élémens des connaissances humaines qu’Hermès y avait gravés dans la langue mystérieuse des hiéroglyphes.
Chez les peuples neufs, dont les premiers rois sont toujours dans le ciel, il n’y a guère d’hommes éclairés que parmi les prêtres : Orphée se présenta chez ceux de la Haute-Égypte, en fut accueilli, et obtint d’eux la clé de leur double doctrine : ceux-ci, enchantés de son affabilité et de ses grâces, lui firent un honneur qui devait moins parler à sa sensibilité que flatter leur amour-propre : ils l’adoptèrent.
Les prêtres égyptiens, pour établir une ligne de démarcation entre l’homme instruit et celui qui ne l’était pas, et les gouverner tous deux, avaient créé, en l’honneur d’Isis, une espèce d’ordre religieux où l’on célébrait des mystères. Orphée s’y fit initier et transporta l’institution en Grèce[58], en la combinant avec celle des mystères de Bacchus, émanés de la même source, et déjà dégradés par l’introduction des femmes qu’on avait eu la maladresse d’en rendre dépositaires.
On connaît la partie élémentaire des constitutions de ces trois ordres religieux, dévoués à Isis, à Bacchus et à Cérès.
Peut-être Orphée, né avec plus de génie que les hiérophantes d’Héliopolis qui l’instruisaient, eût-il tort d’apporter dans la Thrace et au Péloponèse des mystères dont il était si facile d’abuser[59] : la religion primordiale ne semble pas avoir besoin d’être entourée de voiles ; il faut, comme j’ai dit dans un autre ouvrage, quand il s’agit du contrat tacite qui lie le ciel et la terre, ne point avoir de double doctrine, et que la langue populaire ne soit que la traduction littérale de celle des sages, c’est-à-dire l’expression d’un respect raisonné et de la plus pure reconnaissance.
Cependant il faut être juste : l’époque où Orphée parut semble justifier sa mémoire ; la Grèce, alors à peine civilisée, avait besoin de la massue de ses Hercules pour la délivrer des espèces de sauvages robustes qui tyrannisaient ses villes naissantes et des bêtes féroces qui dévastaient ses campagnes. La Thrace, où était le trône mobile de son père Æagre, avait encore dans son sein des antropophages. Ce n’est pas avec un froid système de lois, c’est avec de grands spectacles qu’on maîtrise de pareils rassemblemens d’hommes : il semble nécessaire d’avoir une doctrine populaire pour le peuple et une doctrine philosophique pour ce qui ne l’est pas ; de diviniser la nature entière pour la multitude, et de concentrer le culte du sage à l’autel de l’ordonnateur des mondes. Ensuite la civilisation fait des progrès, la raison s’épure, les lumières se réunissent à un seul foyer ; alors la double doctrine disparaît, le peuple cesse de l’être, et comme il n’y a qu’un père de la nature, il n’y a pour ses nombreux enfans qu’un mode religieux de reconnaître ses bienfaits.
Ajoutons que ces mystères mêmes avec lesquels on tente de dégrader la mémoire d’Orphée, pouvaient, dans un âge de barbarie, être regardés comme un monument de raison ; il suffit de les mettre en parallèle avec ceux de Bacchus, qui étaient alors parmi les Grecs dans la plus haute faveur, pour se convaincre combien l’époux d’Eurydice avait de supériorité sur l’amant léger et perfide d’Ariane et d’Érigone.
Bacchus, qui avait volé à l’Egypte ses mystères, et qui les dénaturait pour en paraître l’inventeur, prenait tous les petits moyens de la tyrannie pour empêcher que la raison n’en empoisonnât les cérémonies. Quand, suivant Diodore, que je vais analyser, il rencontrait des incrédules qui se permettaient d’en rire, il les rendait insensés, probablement à l’aide d’un breuvage, ou bien il les faisait déchirer par ses amazones. C’est à l’occasion de ce nouvel attentat du fanatisme, qu’il inventa un nouveau stratagème de guerre ; il fit du thyrse de ses Bacchantes une lance, dont le fer était caché sous des feuilles de lierre : l’ennemi, qui ne se défiait pas d’un pareil artifice, s’approchait d’un sexe dont la force semble toujours dans sa faiblesse, et trouvait la mort. L’histoire dit que Bacchus punit ainsi un Myrhane, roi de l’Inde, un prince grec nommé Penthée, et un Lycurgue, souverain de la partie de la Thrace qui est située sur l’Hellespont[60].
Orphée, le plus pacifique des hommes parce que la morale qu’il prêchait était toute dans son cœur, n’adopta point ce farouche prosélytisme ; il crut que le culte du père de la nature devait se propager par la persuasion et non par les assassinats : tels dans la suite des âges ont été aussi les principes des hommes d’état qui ont laissé une grande renommée, de Confucius, de Marc-Aurèle, du législateur de la Pensylvanie, et de notre immortel Fénélon.
L’origine de la licence barbare des mystères de Bacchus provenait évidemment, ainsi que je l’ai déjà fait entrevoir, de ce que le héros grec avait eu la faiblesse d’y faire initier un sexe plus fait pour respirer dans l’élément du plaisir que pour goûter les jouissances intellectuelles. En effet, des femmes telles que l’antiquité nous représente les Bacchantes, qui s’abandonnaient à l’ivresse, qui célébraient à demi-nues leurs orgies religieuses, qui passaient leur vie vagabonde au milieu des soldats dont elles partageaient la licence, ne sont pas des êtres bien respectables, et il était permis aux détracteurs des mystères de les prendre pour de féroces Messalines.
Orphée, trop ami de l’ordre et des mœurs pour ne pas rectifier une institution religieuse déjà aussi éloignée de ses élémens, coupa le nœud gordien en refusant d’admettre les femmes dans ses mystères. Cette modification, provoquée par la haine publique qui poursuivait les Bacchantes, attira de tout côté des hommes de bien et des sages au culte pur du héros de la Thrace, mais les femmes qu’il refusa d’initier ne lui pardonnèrent point cet acte de raison et de courage. Nous verrons dans la suite que, désespérant d’en faire un second Bacchus, elles osèrent l’assassiner.
Parmi les dogmes qu’Orphée emprunta aux mystères de l’Isis égyptienne, pour les transplanter dans la Grèce, le plus remarquable, suivant les historiens de sa vie, est celui d’un Tartare, imaginé, dit-on, pour contenir les hommes pervers. Mais ces historiens calomnient à mon gré la nature humaine : plus on se rapproche du berceau des sociétés, plus il y a dans l’homme de moralité originelle ; plus l’idée d’un dieu rémunérateur et vengeur s’y montre dans toute son énergie ; plus on sent le besoin d’atteindre les délits secrets, dans les replis cachés de la conscience, par le dogme réprimant de l’immortalité.
Il suit de cette considération que Pausanias a eu tort de laisser entendre, à propos de la descente d’Orphée aux enfers, que ce sage inventa un mode d’expier les crimes[61] : un tel mode ne s’invente point ; surtout chez un peuple neuf. Il suffit de replier un moment son ame sur elle-même pour sentir que l’ordre primitif est indépendant de nous ; que quand nous le troublons volontairement, le vengeur n’est pas loin, et que c’est notre cœur lui-même qui prononce la sentence.
Il résulte aussi que Diderot, qui avait de la vertu quoique athée, a cependant calomnié Orphée, quand il a fait pressentir que c’était un fourbe éloquent, qui fit parler les dieux pour maîtriser les hommes et les empêcher de s’entre-détruire[62]. Il n’y a point de fourberie à faire sanctionner par le cœur humain le frein des délits secrets ; il n’y en a point à placer l’être qui démérite entre une justice vengeresse et ses remords.
Nous verrons, par l’analyse des ouvrages importans d’Orphée, que l’unique politique qu’il mit dans la religion qu’il donna aux Thraces fut de la rendre populaire plutôt qu’intellectuelle : tout le monde était peuple chez cette horde de sauvages, et s’il avait défini Dieu à la manière sublime de Moïse ou de Newton, personne dans sa patrie n’aurait fait un pas vers la civilisation, parce que personne n’aurait pu l’entendre.
C’est probablement vers l’époque de l’institution des mystères dans l’île de Samothrace, qu’Orphée perdit Æagre son père, et vint à Libèthre, chef-lieu de sa petite principauté, où, suivant le manuscrit de Lascaris, il s’occupa à faire des lois et des livres.
C’est à Libèthre, d’après le même historien, que Jason vint trouver Orphée, pour l’engager à l’accompagner dans l’expédition des Argonautes. Le motif n’avait rien de ce merveilleux qui accompagne les moindres détails de la vie des conquérans de la Toison-d’Or : il s’agissait simplement de donner des leçons de cosmographie au pilote du navire, qui en était dépourvu. Ce n’est pas ici le lieu de m’étendre sur ce Périple mémorable, dont le héros de la Thrace fit un poëme épique ; je me contenterai de dire que, revenu de la Colchide, il se fixa à Libèthre, où il vécut à la fois en prince et en philosophe[63].
Les anecdotes de la vie privée d’Orphée sont peu connues ; le temps a détruit presque tous les monumens historiques qui auraient pu nous les transmettre. D’ailleurs, à une distance de trente-un siècles, les objets n’intéressent qu’en masse.
Cependant trois traits de cette vie mémorable ont échappé aux ravages du temps, grâce au concert des poëtes et des philosophes pour les faire passer aux générations à naître : ce sont les merveilles que le législateur des Thraces opéra avec sa lyre, le beau délire de son amour pour Eurydice et l’événement tragique qui amena sa mort.
Orphée monta sa lyre de sept cordes et exécuta avec elle des prodiges ; c’est-à-dire de ces choses supérieures aux connaissances contemporaines, qui sont toujours des prodiges dans l’âge des fables[64].
Peut-être faudrait-il aussi pour l’honneur des Thraces, ou si l’on veut de la raison humaine, expliquer avec ce symbole son talent d’apprivoiser les tigres et d’amollir les rochers. De pareilles merveilles ne deviennent vraisemblables qu’au moyen de ses succès dans la civilisation des barbares : il était plus flatté, sans doute, de mettre de l’harmonie entre les hommes, que d’en tirer de sa lyre à sept cordes.
Ajoutons qu’une autre cause peut encore avoir influé sur les phénomènes surnaturels qu’Orphée semblait opérer avec sa lyre. A sa voix, disent les poëtes qui se sont faits ses historiens, l’onde cesse de couler, les fleuves rapides remontent vers leurs sources, les arbres accourent, les monstres s’apprivoisent, et la nature en silence demeure suspendue. Tout cela s’explique quand on se transporte sur le lieu de la scène. N’oublions pas qu’il s’agit ici des Mystères, où l’hiérophante parlait à l’imagination ardente des initiés par de grands spectacles ; n’oublions pas que les prêtres de Thèbes avaient pu montrer à Orphée ces spectacles du côté des machines, faire raisonner devant lui la statue de Memnon, sans attendre le lever du soleil, et alors on verra le noyau de vérité qu’enveloppe l’écorce fabuleuse des métamorphoses.
Orphée, le demi-dieu de l’harmonie, n’épousa point la dissonnante Agriope, quoiqu’en dise Diogène Laërce ; il unit sa destinée à celle de la sensible Eurydice, et ses chastes amours ont traversé tous les siècles, en intéressant pour une héroïne qui avait mérité de son époux le plus beau des dévouemens.
Tous les hommes de goût, dignes d’apprécier le chef-d’œuvre des Géorgiques, connaissent le tableau ingénieux de la descente d’Orphée aux enfers, pour ravoir, à force d’éloquence et de sensibilité, son intéressante Eurydice. On croit, sous le pinceau de Virgile, voir les ombres oublier leurs tourmens pour danser au son de sa lyre, Ixion cesser de tourner sa roue, et le vautour de Prométhée abandonner le cœur de sa victime. Mais un tableau n’est point un monument d’histoire : il faut remonter au trait primitif qui a pu électriser tous les grands peintres, échauffer toutes les belles imaginations, et ce trait se rencontre, mais diversement interprété, dans plusieurs textes anciens, où l’on n’a cherché à parler qu’à la froide raison.
La tradition des temps primitifs, à cet égard, semble avoir été adoptée par un insipide écrivain de l’empire grec, appelé Tzetzès. Il dit, vers le commencement de sa Chiliade, qu’Orphée guérit sa femme de la morsure d’un serpent ; c’était un secret qu’il tenait des Égyptiens : mais que celle-ci étant morte peu de temps après, peut-être par sa faute, ce double événement avait fait naître la tradition que le poëte avait retiré Eurydice des Enfers, pour l’y voir ensuite retomber. Ce récit s’accorde très-bien avec la belle sculpture en relief de la cornaline du Palais-Royal.
Un détracteur d’Orphée, interlocuteur dans le Banquet de Platon, dénature l’héroïsme conjugal de ce sage, en faisant entendre qu’il ne vit aux Enfers que le fantôme d’Eurydice ; juste punition, ajoute-t-il, d’avoir feint, à la mort de sa femme, une douleur qu’il ne ressentait pas. Exposer l’opinion de ce sophiste, que toute l’antiquité contredit, c’est assez l’avoir réfutée.
Pausanias mérite un peu plus d’attention dans la clef qu’il donne de ce singulier événement. Eurydice, dit-il, ayant cessé d’être, Orphée alla consulter un oracle de la Thesprotie, où l’on avait l’art d’évoquer les morts : il voulut saisir une ombre qui lui était chère ; elle lui échappa, et il se tua de désespoir.
Quelle que soit l’opinion qu’on adopte à cet égard, il semble prouvé, du moins par le texte cité du Banquet de Platon, qu’Orphée survécut peu à la perte de son Eurydice ; mais on varie sur l’événement tragique qui amena sa mort.
Lascaris, d’après son manuscrit grec, qui cite pour son garant le distique d’un certain Cnidius de Macédoine, croit qu’Orphée fut foudroyé par Jupiter dans une promenade, et il n’en donne aucun motif ; mais on le soupçonne, par un texte de Pausanias, qui arme contre le héros la main du père des dieux, pour avoir révélé à des profanes les Mystères qu’il avait empruntés des prêtres égyptiens. Cette opinion, motivée ou non, mérite peu d’être pesée dans les balances de la raison : on sait d’ailleurs que le prodige d’un héros foudroyé était répété chez les anciens, toutes les fois qu’ils ne pouvaient rendre raison de la mort naturelle d’un grand personnage. Il le fut par les Grecs antérieurs à Homère, quand ils voulurent expliquer le naufrage d’Ajax, et par les Romains, dès leur monarchie naissante, quand ils voulurent justifier le meurtre de Romulus.
Le bon Plutarque fait entendre, mais avec son scepticisme ordinaire[65], qu’Orphée fut tué par les Thraces mêmes qu’il avait civilisés, sans désigner de quel sexe étaient ses assassins. Cette tradition tient un peu à se rapprocher de celle dont tant de vers et de monumens attestent, si non la vérité, du moins la vraisemblance.
Diodore fait un pas encore plus marqué vers une sorte d’évidence, quand il prétend que les femmes de la Thrace, irritées de ce que leurs maris les abandonnaient pour suivre leur législateur, conspirèrent contre lui, s’enivrèrent pour suppléer par l’effervescence du sang à l’absence du courage, et assassinèrent lâchement ce grand homme.
La plus répandue des traditions est celle que je serais tenté d’adopter : Les Bacchantes, qu’Orphée avait éloignées de ses Mystères, conservaient de cette espèce de dédain un ressentiment secret, qui ne tarda pas à s’exhaler[66]. Le héros thrace, après la mort de son Eurydice, se voyant pour ainsi dire seul avec la nature, eut la maladresse de vanter le célibat comme le souverain bien. Ses farouches ennemies, alarmées d’être abandonnées de leurs époux, profitèrent de la licence des fêtes de Bacchus pour s’armer de leurs thyrses perfides, fondirent sur lui et le massacrèrent.
Une seule circonstance m’arrête pour ajouter une foi entière à ce récit : c’est l’âge qu’Orphée devait avoir, quand les Bacchantes assouvirent cette espèce de vengeance d’Atrée. Si l’on admet le témoignage d’Apollodore et de l’historien grec cité par Lascaris, qui fait naître ce sage soixante-dix-sept ans avant la guerre de Troie, et qu’on le combine avec un texte du poëme des Pierres, qui le fait survivre à l’incendie de cette métropole de l’Asie mineure, il est difficile de croire qu’il n’eût pas quatre-vingt-dix ans, quand il périt d’une manière aussi tragique.
Quelle que soit la tradition qu’on adopte sur la mort d’Orphée, il est certain qu’elle fut un sujet de deuil pour tous les êtres qui n’avaient point fait divorce avec leur cœur. Quand son corps sanglant, dit Ovide, fut jeté dans les flots, sa langue murmura encore quelque chose d’inarticulé, mais de tendre, que répétèrent les échos plaintifs du rivage ; et les cordes de sa lyre, mises en vibration par les ondes, rendirent quelques sons harmonieux. J’aime cette image touchante dans le poëte des Métamorphoses, qui d’ordinaire affecte plus d’esprit que de sensibilité : ce qu’il ajoute ensuite, que la tête du sage s’étant arrêtée près de l’île de Lesbos, un serpent qui voulut la mordre fut changé en rocher, offre une allégorie pleine d’énergie sur la rage impuissante de l’envie et sur son supplice.
Pausanias, tout aride qu’il est dans le cours de ses voyages, le dispute à cet égard à l’amant de Corinne, parle charme de ses tableaux : A en croire les Thraces, dit-il, les rossignols qui ont leurs nids près du lieu où repose les cendres d’Orphée chantent avec plus de mélodie que les autres. Cette douleur générale, dans la Thrace comme dans la Grèce, réfute assez la calomnie de Diogène Laërce, que le héros, puni pour ses blasphèmes, fut foudroyé par Jupiter.
Un autre motif qu’on pouvait donner chez un peuple livré à un culte populaire, c’est que, d’après la croyance d’une partie de l’antiquité, la tête d’Orphée, séparée de son corps, rendit longtemps des oracles. Or la superstition, tout aveugle qu’elle est dans son principe et dans ses effets, ne va pas consulter, au pied des autels, un blasphémateur que le ciel a foudroyé.
J’ai dit que la consternation produite par le massacre d’Orphée s’était propagée dans toute la Grèce ; et l’on ne doit pas s’en étonner, puisque ce sage, plus considéré, suivant l’usage, hors de sa patrie que dans son sein, à force de vivre dans le Péloponèse s’était fait vraiment grec. Il en avait non-seulement la manière de vivre, mais encore l’habillement. Le fameux peintre Polygnote l’avait représenté vêtu parfaitement à la grecque, dans un de ses meilleurs tableaux, au rapport de Pausanias[67].
Orphée a été calomnié dans son isolement loin des femmes après la mort de son Eurydice, par un des poëtes qui l’ont chanté le plus dignement[68] ; mais ce n’est pas chez un peuple neuf, comme celui des Thésée et des Hercule, que l’imagination se déprave ; il faut arriver à un siècle d’immoralité pour que l’homme pervers flétrisse l’isolement d’un Orphée ou l’amitié d’un Socrate pour un Alcibiade.
Orphée, après avoir bien mérité de ses contemporains par les talens de sa vie publique et les vertus de sa vie privée, semble avoir encore plus mérité de la postérité par ses ouvrages.
On est étonné, en lisant les anciens, du nombre étonnant d’écrits de ce beau génie, dont les titres ont échappé à l’oubli : il s’instruisait de tout pour écrire sur tout ; il semblait qu’il avait parcouru l’échelle entière des connaissances humaines ; et le recueil de ses livres, s’il existait, formerait à lui seul une espèce d’encyclopédie.
On citait, par rapport au système des êtres animés, sa Génération des douze années primitives et ses Origines du monde et des dieux, ou son Peri Dios kai Eras, où il donne un sexe aux intelligences intermédiaires entre le père de la nature et les hommes, pour les empêcher de s’anéantir.
Les ministres du culte religieux parlaient avec respect de ses Initiations aux Mystères et de son traité des Sacrifices.
Les amis des sciences naturelles ne tarissaient pas sur l’éloge de son Traité sur l’Astronomie[69]. On ne parlait pas avec moins d’enthousiasme de son livre de la Pluralité des mondes[70], écrit plus de trois mille ans avant le chef-d’œuvre de notre Fontenelle. Je serais tenté de croire, par rapport à cette belle opinion philosophique si digne de la sagesse du père de la nature, puisqu’elle multiplie le nombre de ses adorateurs, qu’elle est née de l’intelligence d’Orphée pour se répandre ensuite, par l’intermède de ses disciples, en Asie et en Europe. Il est certain du moins que les philosophes grecs qui ont propagé la doctrine de la pluralité des mondes, tels qu’Anaximandre, Anaxagore, Zénon d’Elée, Démocrite, Platon et Epicure[71], sont tous postérieurs de plusieurs siècles au législateur de la Thrace. On arrive ensuite, par une chaîne d’écrivains du moyen-âge, jusqu’à un enthousiaste du nom de David Fabricius, qui n’est point le savant auteur de la Bibliothèque grecque, et qui s’est vanté dans les universités d’Allemagne d’avoir vu les habitans de la lune de ses propres yeux et sans le secours d’aucun télescope[72].
Outre ces écrits universellement estimés, on trouve dans des textes épars de la saine antiquité, la nomenclature de trente-cinq ouvrages, sur lesquels le savant Eschenbach a tenté, dans son Epigène, de rassembler quelques faibles traits de lumières.
Le Koribanticon, dont Suidas fait honneur à Orphée, traitait de l’origine des choses telle qu’on la présentait dans les mystères de la Samothrace, célébrés par les prêtres de Jupiter.
Le Peplos kai diktion déchirait le voile populaire sur le débrouillement du chaos et sur la guerre des Titans pour détrôner le père des dieux. Ce livre où il y avait beaucoup de philosophie occulte pouvait, dit-on, avoir été écrit, d’après la théorie du législateur de la Thrace, par un de ses disciples les plus célèbres, par Zopyre d’Héraclée.
Le Krateres traitait de l’âme du monde, sujet bien vague, bien systématique, bien fait pour faire fermenter des têtes pensantes, telle que celle de Timée de Locres, qui, dans des temps postérieurs, lui prêta l’appui de son ingénieuse métaphysique. C’est dans ce Krateres qu’on trouve l’idée première de l’œuf générateur, dont l’analyse occupera peut-être quelques lignes dans-ce mémoire. Hésiode s’est emparé de cet œuf, principe de tout, dans sa Théogonie, et Aristote dans la lettre qu’une opinion peu probable lui a fait écrire à Alexandre. L’écrit d’Orphée, germe de tous ces commentaires poétiques et philosophiques, est cité avec éloge par Proclus, par Eusèbe et par Clément d’Alexandrie[73] ; mais le temps destructeur n’a pas plus respecté sa réputation que l’obscurité des productions contemporaines.
La Théogonie semble le supplément du Krateres ; c’est là qu’on trouvait la réunion, en un seul corps de doctrine, de la mythologie grecque et orientale, l’origine des symboles des anciens, l’explication de leurs allégories. Les poëtes avaient gâté par leurs tableaux le culte simple et pur de l’ordonnateur des mondes ; il est beau de voir un poëte législateur y ramener les initiés des mystères et les poëtes ; c’est-à-dire les hommes qui avaient alors, par leurs lumières, le plus d’influence sur la multitude.
C’est dans cette Théogonie que, suivant le scoliaste d’Apollonius[74], on voit Saturne ou le Temps, père de l’Amour ; généalogie plus conforme à la marche de la nature, quoique moins brillante, que celle de l’auteur des Métamorphoses.
C’est aussi dans le même ouvrage qu’Orphée faisait l’énumération de trois cent soixante dieux destinés à servir de providence à chacun des jours de l’année ; alors on ne connaissait pas les Epagomènes. Saint-Justin, dans son livre de la Monarchie céleste, avoue que ce n’étaient que des dieux du second ordre ; car le polythéisme d’0rphée n’a jamais existé que dans la bouche des Bacchantes qui l’assassinèrent, ou sous la plume des écrivains jaloux qui le calomnièrent.
L’Hieroi-Logoi semble aussi mériter une grande attention, parce qu’on nous en a conservé des vers que, suivant Aristobule cité par Eusèbe, l’hiérophante lisait dans la célébration des mystères[75]. Pythagore les croyait vraiment d’Orphée[76]. Le martyr Saint-Justin en rapporte un fragment[77] qui commence à la manière d’une ode d’Horace : Je vais dévoiler de grandes choses ; profanes, retirez-vous. Le vers le plus remarquable de ce morceau est celui qui rend un hommage solennel au théisme du sage : Il n’y a qu’un Dieu, né de lui-même, et d’où tous les êtres ont tiré leur origine[78].
J’ai dit qu’Orphée semblait avoir parcouru, comme Bacon, presque toute l’échelle des connaissances humaines : on peut en juger par son Traité de Physique, où Timée de Locres puisa ses idées sur la nature ; par son Onosmatique, composée originairement de douze cents vers, où étaient les élémens d’une grammaire générale ; par son Peri botanon, ou Traité des Plantes, dont Pline l’ancien a fait un grand éloge[79], et par son Amnokorie et ses Ephémérides, qui renfermaient des règles et des institutions sur l’économie rurale et sur l’agriculture[80].
Je ne parle ici ni du Jodecateridos ni du Kresmoi, qui traitent de l’art de prédire et des règles sur les sortilèges, parce que ces ouvrages, surtout le dernier, sont postérieurs à Orphée, suivant Suidas, et que ce sont les disciples de ce sage qui ont mis ces écrits sous son nom, pour leur donner une célébrité qu’ils ne pouvaient tenir, ni de la frivolité du sujet ni du talent des sophistes qui les avaient fabriqués[81].
Tous les ouvrages que je viens dé citer n’existent plus pour nous depuis au moins quinze cents ans, et c’est une perte irréparable pour l’historien des hommes, qui, en partant de cette époque de trente siècles, voudrait juger par lui-même des pas de géant que nous avons faits vers la perfectibilité pendant les âges de lumière, et des pas rétrogrades qui nous ont entraînés vers la barbarie, dans les orages des révolutions.
Il me reste maintenant à porter un moment l’analyse sur les trois ouvrages que nous avons sous le nom d’Orphée. Il faut s’en faire une idée saine avant de tenter de résoudre le problème (qui semble, au premier aspect, insoluble), s’ils portent le cachet de ce sage, si nous les devons à une fraude pieuse des premiers chrétiens, ou s’ils ont été rajeunis sous la plume de ses admirateurs, tels que Phérécyde, Onomacrite et Pythagore.
Le poëme sur les Pierres, ou le Peri Lithon, semble avoir une sorte d’authenticité, à cause de son introduction écrite en prose par Démétrius Moschus, dont Stobée fait trois fois l’éloge dans le cours de quelques pages. Il y est dit qu’Orphée vint au-devant de Théodamas, fils de Priam, roi de Troie, pour assister à un sacrifice offert au soleil ; pendant la route, le prince et le sage s’entretinrent du prix d’un certain nombre de pierres précieuses, de leurs vertus médicinales, de leurs usages dans les mystères : telle est l’origine de cette production, dont le mérite, très-indépendant du style, ne peut être senti que par les personnes qui attachent un grand prix à tout ce qui traite de l’histoire naturelle.
Après le préambule de Moschus, il y en a deux autres en vers qu’on annonce comme d’Orphée. Ces trois introductions à un opuscule qui n’a pas vingt-cinq pages paraissent hors de toute proportion à un goût épuré ; mais il faut observer que l’ouvrage ne nous est pas parvenu complet : sur quatre-vingts pierres dont il devait traiter, la belle édition de Gesner n’en rassemble que vingt. Si nous avions le corps du livre entier, nous pourrions juger si son organisation comporte trois têtes.
Le cristal, le jaspe, l’opale, le corail et d’autres productions minérales ou animales passent en revue dans ce tableau, dont le caprice seul semble avoir réglé les rangs : d’ailleurs les chapitres n’y ont aucune proportion pour l’étendue. L’ophite est délayé en cent trente vers, et il n'y en a que deux consacrés à la topaze. Cet ouvrage se ressent du berceau de l’art.
Les hymnes portent bien plus l’empreinte du talent d’Orphée que le poëme du Peri Lithon ; on peut en juger par les fragmens cités de ceux qu’on lisait de temps immémorial dans la célébration des mystères : malheureusement dans ces poëmes, que l’érudition des Henri Estienne et des Gesner a restaurés, il est difficile de distinguer l’or d’Orphée de l’alliage que ses disciples y ont introduit. Le législateur de la Thrace dédia son recueil primitif à Musée, son fils : ce que nous en avons est composé de quatre-vingt-six chapitres versifiés, qui n’ont entre eux aucun rapport d’ordonnance, dont le plus petit a six vers et le plus considérable vingt-sept. Le but de ces trente-six poëmes est le même : il s’agit toujours de recommander les mystères aux sages, et le culte religieux populaire à la multitude ; d’indiquer les expiations comme le remède souverain des maladies de l’âme et de parler dignement de Dieu et de la nature.
La célébrité de ces hymnes a amené une grande dissension parmi les critiques qui ont voulu les apprécier : le docte Heinsius[82] leur donne le titre de Liturgie de Satan, et le jésuite Kircher, qui a tant écrit de paradoxes sur la nature parce qu’il ne la voyait que de son cabinet, a prétendu que ces poëmes renfermaient la théologie la plus sublime[83]. En mettant à part la faiblesse de cette production du côté du style, il me semble que la raison doit plus s’accommoder de l’éloge outré de Kircher que de l’injure théologique de Heinsius.
Le vrai titre d’Orphée à la palme du génie a dû être, dans les âges primitifs, et doit être encore de nos jours le poëme sur le voyage des Argonautes.
Mais ici se présente une grande difficulté que j’ai fait entrevoir vers le commencement de ce mémoire ; et comme seul des historiens de ce sage je l’ai aperçue, je dois être le premier à tenter de la résoudre.
Le voyage des Argonautes, tel qu’on nous l’a transmis, n’est pas, sous tous ses points de vue, une petite expédition de flibustiers, destinée à enlever une toison d’or et une femme sur une plage inhospitalière du Pont-Euxin. Cette frivole conquête ne méritait pas d’être transmise dans l’histoire de la Grèce antique, dans ses poëmes et sur ses monumens : elle n’était pas digne que des prédécesseurs, je ne dis pas des rivaux d’Homère, employassent la trompette de l’épopée pour en éterniser la mémoire.
Il est certain qu’outre le poëme de ce genre qu’on attribue à Orphée nous en possédons un second d’Apollonius de Rhodes, qui succéda au célèbre Eratosthène dans la garde de la bibliothèque des Ptolémées, et un troisième de Valérius Flaccus, contemporain de Domitien, qui eut la bassesse de lui en offrir la dédicace. Il est certain aussi qu’Epiménide composa six mille cinq cents vers sur ce voyage du navire Argo ; ce même Epiménide qui dormit, dit-on, cinquante sept ans dans une caverne, et qui, s’étant couché ignorant, se réveilla philosophe.
Or il n’est pas dans la vraisemblance que quatre poëtes de divers âges et de diverses nations se soient donné le mot pour changer en Odyssée la petite expédition d’une chaloupe pontée qui longe des côtes pour aller à la conquête d'une frivole toison. En vain le mauvais goût a régné en France depuis les rois de la première race jusqu’à François Ier ; on ne s’est pas avisé de faire cinq poëmes épiques sur les voyages de Mêrovée ou sur les expéditions de Childebrand.
Tout le monde, ainsi que j’ai déjà eu occasion ailleurs de le faire pressentir, connaît la petite invasion de la Colchide, dont le sage Diodore nous a tracé le tableau. Il s'agissait de la futile conquête de la dépouille dorée d’un bélier qui servait de palladium à la petite monarchie du père de Médée : mais quand on veut concilier ce récit simple et dénué de merveilleux avec les poëmes de Valérius, d’Apollonius de Rhodes, et surtout d’Orphée, on est arrêté à chaque pas ; on croit voyager dans deux mondes différens, qui n’ont de rapport entre eux que par la ressemblance d’un petit nombre de phares qui en éclairent la route.
On ne quitte le monde de la féerie pour se retrouver dans le monde de la raison, qu’en admettant qu’il y a eu, à deux époques infiniment éloignées l’une de l’autre, deux expéditions d’Argonautes ; l’une, exécutée par des héros des âges primitifs, et l’autre par le ravisseur efféminé des Médée et des Hypsipyle.
Tout contribue à confirmer cette opinion qu’une connaissance approfondie de la théorie du globe empêche de mettre au rang des simples hypothèses : les merveilles de récits épiques qui contrastent avec la simplicité de la narration de Diodore, l’abus que les Grecs, les plus grands plagiaires des peuples civilisés, ont fait des noms des héros des deux expéditions, en les confondant à dessein dans leurs travaux ainsi que dans leur célébrité, et surtout la différence frappante des deux géographies, qui suppose que le monde diversement dessiné présentait un aspect contraire dans la double invasion de ce qu’on nomme la Colchide.
Ce mémoire n’étant destiné qu’à donner les résultats de ce que je crois avoir approfondi dans un autre ouvrage, je me hâte de désigner les deux expéditions des Argonautes, en appelant l’une le Périple de Jason et l’autre le Périple des âges primitifs.
Hercule, qui se trouve le héros de l’un et l’autre voyage, ne l’est que par un vain rapport de nom. On sait qu’il y a eu deux Hercules que Diodore fait vivre à un nombre infini de siècles l’un de l’autre, et qu’on honorait également dans le fameux temple de Gadès : le dernier est le fils d’Alcmène, qui aida Jason à enlever Médée ; l’autre est le Mélescarth de Sanchoniaton, qui unit les deux mers au détroit de Gibraltar.
Il en est d’Orphée comme d’Hercule. Les anciens, qui ont partagé ce héros de la Thrace, ne pouvant expliquer autrement toutes les merveilles de sa vie romanesque, ont rendu hommage, peut-être sans le savoir, à la tradition des deux Périples.
Il est inutile de rappeler ici toutes les preuves de détail qui s’offrent en foule lorqu’on distingue le voyage de l’Hercule de l’Orient de la petite expédition du bâtard d’Alcmène. Je n’en indiquerai qu’une ici : c’est celle de l’odyssée attribuée au sage de la Thrace, où le culte d’un Dieu rémunérateur et vengeur se trouve présenté avec des circonstances parfaitement inconnues aux Grecs vers les temps de la guerre de Troie.
Les Argonautes, fait-on dire à Orphée, voyagèrent dans des champs élysiens, séjour du juste, ensuite dans une espèce de Tartare, nommé Cimmérie, qui sert de prison aux pervers. « Cette Cimmérie, et ici je copie le Périple, est inaccessible au feu du soleil…. Notre route nous conduisit vers un de ces promontoires dont les plages glacées sont arrosées par le fleuve de l’Achéron : non loin est le peuple des songes, ainsi que les portes de l’enfer ; c’est là qu’Ancée harangua les Argonautes et leur fit espérer la fin de leurs travaux. »
La position de ce Tartare cimmérien, non loin du cercle polaire, est un peu plus heureuse que celle que le chantre harmonieux d’Énée donne à son lac Averne, qu’on voit encore auprès des ruines du temple d’Apollon[84]. Il est certain que cette partie de l’Italie n’offrait pas un ciel moins riant du temps de Virgile que du nôtre : des pervers condamnés à y passer leur vie seraient tentés d’y voir la récompense de leur perversité.
Une des plus fortes preuves qu’il y a eu deux expéditions d’Argonautes, exécutées, à un intervalle immense, par deux Hercules et chantées par deux Orphées, est celle qui se tire de la géographie contradictoire qu’ont adoptée les hommes qui ont fait des Périples d’après les Mémoires orphéens qu’ils n’entendaient pas, et en particulier Apollonius de Rhodes et Onomacrite.
Et cette géographie cesse d’être contradictoire dès qu’on admet, d’après un principe devenu, j’ose le dire, classique en histoire naturelle, que, par l’effet de la retraite graduée des mers, le globe de nos Busching, de nos Danville et de nos Du Bocage n’est point dessiné tel qu’il était au temps des Méla, des Strabon et des Ptolémée, et que celui des Méla, des Strabon et des Ptolémée présentait une projection de cartes tout autre que dans les âges primitifs.
De ce principe si simple, mais si fécond en grands résultats, il suit que l’Hercule de l’Orient a pu, en partant de la mer qui baigne le Caucase, exécuter une navigation mémorable autour du globe, tel qu’il était dessiné à cette époque, afin de reconnaître le continent de l’Europe récemment élevé au-dessus de l’Océan ; navigation qui a laissé des traces profondes soit dans les trois odyssées qui nous restent, soit dans la mémoire des hommes.
Le premier Orphée, que je me représente comme un des plus anciens législateurs qui aient civilisé le monde, était de cette expédition. C’est celui-là dont la lyre, ou l’éloquence harmonieuse, attirait les tigres et amollissait les rochers, car rien, dans ce qu’on appelle l’âge d’or, ne s’opère qu’avec la baguette des merveilles ; c’est lui qui chanta en vers, la seule langue de ces siècles reculés, les longs travaux, la constance héroïque et les succès mémorables des premiers Argonautes.
Quant à la petite expédition de pirates, qui ne tendait qu’à descendre sur une plage inhospitalière du Pont-Euxin pour y enlever de l’or et des femmes, les Grecs, qui enviaient toutes les gloires, qui s’emparaient sans scrupule de toutes les antiques célébrités, ne crurent pas que l’Hercule, fils d’Alcmène, et l’Orphée de la Thrace fussent des héros assez grands pour justifier la renommée colossale qu’ils voulaient leur donner. Ils fondirent donc habilement les deux expéditions et réunirent les deux Orphées et les deux Hercules, bien convaincus que si leur usurpation traversait un certain nombre de siècles sans que le reste de la terre réclamât contre cette ingénieuse imposture, et surtout si leurs historiens montraient quelque génie, l’Orphée et l’Hercule des temps primitifs ne seraient que leurs héros indigènes.
Tout porte à croire que l’histoire de la première navigation fut écrite ou du moins traduite dans l’origine en phénicien. Lascaris conduit lui-même à cette induction quand il dit, dans ses Prolégomènes antiques sur Orphée, que le héros employa l’alphabet phénicien, ainsi que l’historien de Troie, Dictys de Crète. Or, les poëtes grecs, qui voulurent relever les héros subalternes du siècle de Jason, abusèrent de l’équivoque des termes de cette langue pour donner quelque base à leurs fables mythologiques. Comme le mot syrien gazath signifie en même temps un trésor et une toison, ils inventèrent le conte de la Toison d’or ; le terme saur, qui désigne à la fois un rempart et un taureau, fit naître l’idée du taureau vomissant des flammes, qui servait de rempart contre les ravisseurs du trésor ; enfin le mot nachas, qui sert également à exprimer de l’airain et un dragon, conduisit à la fable du Serpent ailé, que le chef des Argonautes endormit pour s’emparer impunément de la toison[85]. Toute cette histoire, dépouillée de l’enveloppe hiéroglyphique que lui avait donnée la tradition du Périple oriental, signifie simplement qu’il y avait une grosse somme d’or renfermée dans un port de la Colchide ; qu’un navigateur audacieux trouva le moyen d’assoupir la vigilance des soldats couverts d’airain, qui étaient préposés à sa garde, et qu’ensuite il s’empara de la forteresse malgré les feux qu’on lui lançait du haut des murailles. Quand on a la patience de lire, dans cet esprit de sage critique, les anciens contes de la mythologie et les rapsodies alchimiques qui traitent du grand œuvre, on rencontre çà et là quelque vérité qui dédommage de l’ennui que tant d’absurdités frivoles causent à la raison.
J’ai parlé de rapsodies à propos des Argonautes, et je m’éloigne moins de mon sujet qu’on ne pense. Suidas, dans son lexique, et Eustathe, dans ses Notes sur Denys le géographe, ont écrit sérieusement que Jason alla en Colchide pour chercher le grand œuvre. Le trésor qu’on y gardait avec tant de soin était, disent-ils, un livre précieux qui apprenait à convertir en or les métaux, et comme ce livre était écrit sur une membrane de bélier, on l’appela la Toison d’or. Assurément les Grecs du siècle de Jason étaient trop ignorans pour exposer leur vie dans le dessein de conquérir un livre, mais cette tradition a pu naître de la trace profonde que le voyage des Argonautes primitifs avait laissée dans la mémoire des peuples. Ce voyage était si mémorable que les poëtes, comme je l’ai déjà remarqué, y ont trouvé la matière d’un grand nombre de poëmes épiques, et les Paracelses du moyen âge, l’apologie de leurs rêveries érudites sur la pierre philosophale.
Le poëme du premier Orphée sur le Périple des Argonautes primitifs a été fondu, comme nous l’avons vu, avec, celui d’Orphée de Thrace sur le voyage des Argonautes de Jason, et cette disparate dans les événemens, jointe à celle que de savans hellénistes ont cru voir dans le style de l’ouvrage qui nous reste, a fait douter de l’authenticité de ce monument littéraire. Il faut placer sous les yeux les pièces du procès, afin de mettre les bons esprits à portée de prononcer.
D’abord il faut déclarer franchement qu’à un petit nombre de vers près, soit cités dans les historiens, soit déclamés dans les Mystères, et qu’une tradition orale a pu conserver, il n’existe, dans le catalogue des trente-cinq ouvrages dont il est parlé dans l’Épigène d’Eschenbach, aucune production authentique des deux Orphées[86]. La discussion ici ne roule que sur les Hymnes, sur le poëme des Pierres et surtout sur le Périple des Argonautes, qui portent le nom du chantre de la Thrace dans les belles éditions de Gesner, de Henry Estienne et d’Eschenbach.
Un texte de Diogène Laërce, accrédité par Jamblique[87], a pu amener le pyrrhonisme sur ce que nous appelons les œuvres existantes d’Orphée. Le premier dit que Pythagore avait écrit quelques ouvrages qu’il avait mis sous le nom de cet homme célèbre : Pythagoram nonnulla scripsisse et ad Orpheum auctorem retulisse. Mais cette vague inculpation, que les écrivains de poids de l’antiquité ne semblent point avoir accueillie, ne décide point la question. Il ne s’agit point nommément, dans la phrase de Diogène, des trois livres de la collection de Gesner ; d’ailleurs il est avéré, par une tradition immémoriale, que les Hymnes et le poëme des Argonautes, ainsi que les idées génératrices répandues dans les trente-cinq livres mentionnés dans l’Épigène, étaient répandues chez les anciens avant la grande célébrité de Pythagore.
Une opinion un peu plus plausible est que ce que nous avons d’Orphée ayant été recueilli par ses disciples aura été embelli, ou si l’on veut défiguré, en passant par leur plume. On accuse principalement de ce délit littéraire Prodicus,Théognète et Onomacrite.
Il faudrait peut-être alors, en réfléchissant au prodigieux éloignement où nous sommes des mémoires originaux d’Orphée, savoir gré aux amis de sa gloire, qui ont dérobé ces espèces de tables sacrées au naufrage des temps ; il faudrait, malgré le vernis étranger qui couvre ces productions primordiales, regarder les éditeurs du sage de la Thrace du même œil que nous regardons Platon, qui dans ses immortels dialogues a conservé aux siècles la doctrine de Socrate.
Huet, le savant évêque d’Avranches, donna le premier le signal d’anéantir l’existence littéraire d’Orphée. Il prétendit dans ses Questions Alétanes, que les Hymnes, les Pierres, et surtout le poëme des Argonautes, avaient été composés par des chrétiens postérieurement à l’époque où fleurit Origène[88], et cette assertion a été répétée de nos jours et empoisonnée par Diderot, qui ajouta que ces faussaires de la religion du Christ recoururent à cette petite ruse pour donner à leurs dogmes absurdes quelque poids aux yeux des philosophes[89]. La prétention d’Huet, dénuée de preuves historiques, et l’assertion de Diderot, d’après les termes injurieux qui ont échappé à sa haine contre la religion de ses pères, ne demandent pas que j’entre en lice pour les réfuter.
La seule objection vraiment imposante est celle des hellénistes, qui trouvent dans le style des trois poèmes d’Orphée des traces évidentes de leur composition par quelque Annius de Viterbe, aussi mal-adroit que celui qui a ressuscité les annales du Bérose de Babylone.
Ces critiques, dont l’autorité est d’un grand poids, partent d’un texte de Jamblique, qui, sur la foi de Métrodore, affirme qu’Orphée écrivit ses poëmes dans l’ancien dialecte dorique[90] ; tandis que le manuscrit grec interprété par Lascaris les suppose écrits originairement en phénicien. Or, disent les partisans de l’obscur Métrodore, le dialecte des Doriens ne se rencontre ni dans les Hymnes, ni dans le poëme des Argonautes, ainsi l’homme de goût ne saurait les lire sans s’indigner de voir le beau nom d’Orphée prostitué à de pareilles rapsodies.
Un critiqué estimable, sinon homme de goût, du moins homme très-versé dans l’hellénisme, Schneider, a beaucoup fait valoir cette preuve scientifique dans ses Analecta critica, qui ont paru en 1777. Il prétend que la langue des Hymnes ainsi que des Argonautiques est un jargon moitié grec et moitié latin, tel qu’on pouvait le parler à l’époque où les langues de Démosthène et de Tite-Live commençaient à se défigurer. Cependant, moins hardi que le savant Huet, il fait remonter jusqu’au commencement de l’ère vulgaire l’époque où on nous donna pour les originaux d’Orphée les romans philosophiques des Annius de Viterbe[91].
Malheureusement pour l’hypothèse de Schneider, il s’est trouvé dans l’université de Leyde un autre helléniste d’un grand nom, David Ruhnkenius, non moins versé dans la belle littérature du siècle de Périclès, qui a défendu les Hymnes et le poëme des Argonautes contre les imputations injurieuses de leur détracteur. Il a prétendu qu’une lecture réfléchie de ces deux ouvrages ne lui avait présenté aucun amalgame de grec et de latin ; il a ajouté que les idées qui y étaient répandues tenaient, par leur originalité, de l’âge d’or, et que le style lui semblait très homérique ; seulement il penche à attribuer ces productions originales et dignes d’Homère à la plume d’Onomacrite[92].
Il ne m’appartient pas de décider entre les deux opinions contradictoires de Schneider et de Ruhnkenius ; leurs noms comme leur hellénisme m’en imposent : je me contente de faire observer que la lutte des amis d’Orphée et de ses détracteurs n’est point finie ; que les uns ne lancent aucun trait que le bouclier des autres ne repousse, et qu’à la fin du dix-huitième siècle les athlètes étaient encore en présence sur le champ de bataille.
Après avoir pesé avec quelque soin toutes les pièces du procès, voici quelle serait ma manière de penser ; mais je ne la présente que comme une opinion, et non comme un jugement. Content de m’exprimer avec franchise, de n’avoir point de doctrine secrète et d’éloigner toute arrière pensée, je ne demande que la tolérance que je professe jusqu’à ce que l’on m’oppose une plus grande masse de lumière.
Le poëme des Pierres porte avec lui une espèce de type d’antiquité, à cause du fameux Proœmium en prose de Démétrius Moschus, qui précède les deux préambules en vers de l’auteur original. Je ne vois pas que les critiques allemands, entre autres le redoutable Schneider, aient dit de cet ouvrage ce que le jésuite Hardouin disait de l’Énéide de Virgile, imaginée à son gré par des moines dans les cloîtres de Cîteaux. D’ailleurs, le peu d’objets importans que ce poëme renferme, en prouvant l’enfance de l’art à l’époque où il a été composé, prouve aussi son originalité. Assurément si un faussaire l’avait écrit vers le siècle d’Origène, il aurait été bien maladroit de ne pas profiter des découvertes de Pline dans cette partie de l’histoire naturelle. La grande raison qu’on objecte, que ce traité en vers ne nous apprend rien de neuf, est précisément celle que je ferais valoir pour le donner à l’Orphée de Thrace : tout, jusqu’à la réduction de quelques chapitres en simples distiques, et à la mutilation du poème qui a perdu les deux tiers de son étendue, semble annoncer qu’il ne s’est rien glissé d’hétérogène dans sa composition primitive. Des imposteurs qui l’auraient refait n’auraient ni imaginé des chapitres de deux vers, ni réduit à vingt opuscules le livre que les âges antérieurs avaient vu en quatre-vingts.
Il est plus difficile d’avoir une opinion bien prononcée sur les Hymnes que sur les Pierres ou le Peri Lithon, parce qu’il y a eu nécessairement des altérations primitives à mesure que ces poëmes sacrés passaient par la bouche des initiés ; parce qu’ils perdaient leur originalité, soit par leur brièveté, qui les rendait populaires, soit par les amendemens des disciples du sage qui cherchaient à les rectifier. Leur faiblesse, quand on les met en parallèle avec les hymnes qu’on attribue à Homère, ne serait point alors un titre pour consacrer leur authenticité : tout m’invite à croire que cette production, telle qu’elle nous est restée, porte peu, en général, le cachet des âges antérieurs à la guerre de Troie. Sur les trente-six dont Gesner nous a donné le recueil, je ne serais tenté d’en excepter que trois ou quatre, qui respirent à mon gré cette précieuse simplicité antique[93] ; encore les convenances grammaticales du style pouvant contrarier mon sentiment intérieur, je me garderai bien de les indiquer.
Le poëme des Argonautes est celui des livres attribués à Orphée que j’ai étudié avec le plus de soin et sur lequel mes doutes raisonnés peuvent avoir le plus de poids.
Il me paraît démontré, du moins suivant mes faibles lumières, que ce Périple d’une haute importance est un assemblage, quelquefois régulier et plus souvent informe, de deux ouvrages écrits, à un intervalle incalculable, par deux Orphées, dont l’un a chanté une navigation mémorable autour du monde nouveau de l’Europe, et l’autre a célébré le petit exploit de pirate de Jason sur une côte inhospitalière du Pont-Euxin.
D’après cette explication, qu’un coup d’œil philosophique sur les deux géographies des temps primitifs et du moyen âge semble devoir impérieusement réclamer, toutes les contradictions apparentes du Périple disparaissent. Par exemple, on insinue que l’ouvrage est apocryphe de ce qu’il y est fait mention des feux lancés du cratère du mont Etna, tandis que, d’après les monumens écrits, la première éruption connue est d’un âge infiniment postérieur à la guerre de Troie. La réponse à cette objection se trouve dans l’histoire physique du globe : plus on se rapproche des premiers âges, plus il est évident que l’incendie des pyrites, occasionné par la filtration des eaux de la mer, qui pesaient sur les flancs des montagnes, a dû rendre fréquens les grands phénomènes du volcanisme. D’autres critiques ont infirmé l’autorité du poëme des Argonautes parce qu’il y est fait mention des Thyrréniens, dont le nom n’était pas connu au temps de l’Orphée de Thrace. Tous ces nuages s’anéantissent quand on veut reculer l’époque de la publication du Périple jusqu’au siècle de Pisistrate.
Voici donc ma pensée toute entière sur cet ouvrage.
Il y a eu un Orphée primitif, qui a écrit, à une époque inaccessible à la chronologie, l’histoire d’une navigation mémorable attribuée à d’antiques Argonautes. Cet Orphée n’existe que par son nom dans les monumens de l’histoire ; mais son livre était connu, soit par une tradition écrite, soit par une simple tradition orale, dans la Grèce et dans l’Asie Mineure, très-longtemps avant la guerre de Troie.
Le second Orphée est venu ; il se trouvait dans le vaisseau de Jason lorsque celui-ci exécuta péniblement et à grands frais la petite expédition de la Colchide ; il la chanta, et, comme il avait du génie, son poëme agrandit les héros de la Toison-d’Or et leur donna une sorte d’immortalité.
Cet Orphée fit secte : ses disciples, pour ajouter à l’enthousiasme que son nom inspirait, lièrent sa vie à celle de l’Orphée primordial, réunirent, mais sans beaucoup d’art, les deux Périples, et telle est l’origine de l’espèce d’odyssée qui nous reste sur les Argonautes.
Cette odyssée n’est donc probablement d’aucun des deux Orphées[94] ; mais elle a été faite avec fidélité sur leurs mémoires, et cette fidélité est d’autant plus grande qu’on n’a point songé à voiler les contradictions qui naissent du rapprochement des deux Périples.
Les anciens attestent que le poëme des Argonautes a été rédigé par Onomacrite, qu’une chronologie peu suspecte fait contemporain de Pisistrate[95].
Pour ne rien laisser à désirer dans ce mémoire, il n’est point indifférent de le terminer par des considérations rapides sur la doctrine du second Orphée, telle qu’elle résulte des fragmens qui nous en restent, des témoignages qui lui ont été rendus par des écrivains de poids, et de l’idolâtrie de ses disciples, qui a semblé un moment justifier son apothéose.
Orphée ne croyait pas le monde éternel : cette éternité de la matière modifiée ne remonte guère au delà d’Ocellus Lucanus, et elle n’a acquis une sorte de consistance que depuis qu’une philosophie audacieuse plaça l’Être des êtres dans les intermondes d’Epicure.
C’est dans le Kraterès d’Orphée qu’on rencontre les premiers élémens de son système sur l’origine des choses, mais ces élémens sont enveloppés des nuages de l’allégorie : on voit que l’auteur a une doctrine publique pour le peuple et une doctrine secrète pour les sages qu’il initie dans ses mystères.
Les principes générateurs d’Orphée, dans sa langue hiéroglyphique, sont l’éther, le chaos et la nuit. L’éther est le principe du bien, ou l’Oromase de la Perse, le chaos est le génie du mal, ou l’Arimane ; l’ordonnateur du monde les concilie ensemble et les unit. Il résulte de cet hymen étrange, mais que l’introduction du mal physique et du mal moral semble justifier, il en résulte, dis-je, un œuf que Dieu confie à la nuit. Cet œuf se partage en deux pour former le ciel et la terre, la nuit le féconde, et voilà l’organisation de l’univers.
Lorsqu’on explique Orphée par lui-même, c’est-à-dire son Kraterès par d’autres productions où sa pensée primitive est moins enveloppée, on arrive à une philosophie plus digne de la morale éternelle des âges primitifs.
Jupiter ou l’âme du monde, c’est-à-dire l’Être suprême, préexistait de toute éternité ; il renfermait dans son sein tout ce qui était, ainsi que tout ce qui est et tout ce qui sera : ainsi il n’y a que deux substances nécessaires : Dieu, ou le principe actif, et le chaos, ou la matière inerte qui constitue le principe passif. La matière, modifiée par l’agent universel, arrive à sa perfection par toutes sortes de développemens, mais elle ne change pas essentiellement de nature : tous les êtres émanés de Dieu iront un jour se perdre dans son sein.
Les mondes organisés depuis la rupture de l’œuf générateur finiront un jour par une conflagration générale, et de leurs cendres fécondées il naîtra un nouvel univers.
L’intervalle entre l’Être des êtres et nous est rempli par des intelligences du second ordre et ensuite par des héros qui tiennent de la nature de l’homme et de celle des demi-dieux.
L’homme tient à l’ame du monde par son immortalité. Quand il n’est que faible, il trouve sur la terre des lustrations religieuses propres à le restituer à son principe ; s’il est pervers, un Tartare à terme limité l’attend ; si sa vie a été exemplaire, il trouvera au delà de la tombe sa récompense.
Il me semble que cette doctrine, dont on trouve des traces dans Plutarque, dans Porphyre, dans Jamblique et dans Proclus[96], n’est pas tout à fait indigne de la raison du dix-neuvième siècle. Mahomet n’avait pas une cosmogonie si pure, et cependant il a envahi la croyance d’un tiers du globe : il est vrai que son épée lui rendit à cet égard plus de services que son évangile.
Un fait qui paraît bien étrange à ceux qui ne sont pas versés dans la littérature de la haute antiquité, c’est que toute la morale d’Orphée et toute sa religion étaient en vers[97]. Mais à ces époques reculées tout s’écrivait ainsi, jusqu’aux lois et aux traités de paix : le rhythme, chez les peuples neufs, grave les pensées utiles dans la mémoire en les rendant populaires. Les poëtes bardes ont été les premiers historiens des Gaules ; et parmi nous le poëme de la Rose et les chants des troubadours sont antérieurs aux bonnes chroniques en prose, à celles des Joinville et des Ville-Hardouin.
Tous les vers d’Orphée, quand il s’agit de religion, consacrent sa croyance dans l’ordonnateur des mondes : ses idées à cet égard sont aussi grandes que celles de Marc-Aurèle, et, dans ce sens, la poésie ne mérita jamais mieux qu’alors le nom de langage des dieux.
Le peuple, les conquérans et le temps, plus destructeur encore, mêlèrent des absurdités à l’ancienne théogonie de l’Orphée de Thrace ; mais les beaux principes religieux qu’elle consacre se conservèrent plusieurs siècles dans la célébration des mystères avec toute leur intégrité ; et si la doctrine annoncée par les hiérophantes de la Grèce avait été publique, Athènes n’aurait point eu à rougir du supplice de Socrate.
- ↑ Biblioth. cod. 80.
- ↑ Cette aventure(dit l’éditeur), hoc saxo luculenter expressam, qui græcam antiquitatem primis labris attigerit facile agnoscit.
- ↑ Marmora Taurinensia. — Augustæ Taurinorum, in-4o, ex typographia regia. Le marbre d’Orphée se trouve au tome premier.
- ↑ Fabicii Bibliotheca græca, editio quarta, curante Harles, Hamburg, Ernest Bohn, 1790, in-4o.
- ↑ Mémoires de l’Académie des inscript., XXIII.
- ↑ Acad. des Inscript., t.V, p. 117.
- ↑ L’édition princeps est in-4o, et purement grecque, ainsi que celles des Aldes et de Henry Estienne ; elle porte pour titre, Orphei Argonautica et Hymni. Le traité de Lapidibus ne s’y trouve pas : l’éditeur a mis, à la place, des hymnes attribuées au philosophe Proclus.
Le premier écrivain qui donna une version latine d’Orphée est un italien assez peu connu, nommé Cribello. Elle est en prose mesurée, que l’auteur appelle des vers : son format est in-folio, et porte la date de 1519.
Trente-six ans après Cribello, Perdrier, savant de Paris, non moins inconnu dans les lettres, donna une seconde traduction qu’il eut le bon esprit de faire en prose. Elle porte pour titre : Orphei opera, per Renatum Perdrierium parisiensem, ex officinâ Operini ; Basileæ, 1555. Elle est du format in-8o. Ces deux versions, de Perdrier et de Cribello, faites sans littérature grecque et surtout sans goût, ne sont connues aujourd’hui que des bibliographes. - ↑ Orphei Argonautica, Hymni, et de Lapidibus, curante Andrea Christiano Eschenbachio, noribengerse, cum ejusdem ad Argonautica notis et emendationibus ; accedunt Henrici Stephani in omnia et Josephi Scaligeri in Hymnos notæ. Trajecti ad Rhenum, apud Guillelmum Vande Water 1689.
- ↑ Bibliothèque universelle, t. XV.
- ↑ Andr. Christian. Eschenbach Epigenes de poesi orphica, in priscas orphicorum carminum memorias liber commentarius. Noribergæ, 1611, in-4o. Cet ouvrage précieux pour le temps est très-rare, même en Allemagne.
- ↑ Le second titre est : Orphei Argonautica, Hymni, libellus de Lapidibus et Fragmenta, cum notis H. Stephani et Andr. Christ. Eschenbachii : textum ad eodd. Mss. et editiones veteres recensuit, notas suas et indicem græcum adjecit, Jo. Mathias Gesnerus, curante Hambergero. Lipsiæ, sumptibus Fritsch, 1764.
- ↑ Lib. I, cap.38.
- ↑ De Artis poeticæ natura, cap. 18.
- ↑ Demonstrat. evangelic. Propos. 4, cap. 8.
- ↑ Epigenes, de poesi orphica, in præmio.
- ↑ Préface du Traité de la Nature des Dieux, p. 10.
- ↑ Pythic. I.
- ↑ Aristoph. Ranæ, vers. 1064.
- ↑ Horat. Art. Poetic.
- ↑ Outre l’Alcesteet l’Hyppolyte d’Euripide, voyez aussi son Rhesus, vers 941 et 943.
- ↑ Busiridis Laudatio, édition grecque et latine d’Anastase Auger, donnée par Didot l’aîné, en 1782. t. II, p. 288.
- ↑ De regno orat. 4. (Voyez le même Dion Chrysostôme, orat. 80, édition in-f° de Morel, avec la diatribe de Casaubon. Lutetiæ, ex typis regiis, 1604.
- ↑ Dissert. 10 et 33. ( Voyez l’édition in-4o, grecque et latine, de Davisius et de Markland, donnée à Londres, en 1540, p. 105 et 439.
- ↑ Florileg. p. 17, 23 et 129.
- ↑ Hyeroclis, alexandrini philosophi, In aurea carmina commentarius, lib. 4, édition grecque et latine,in-8°, Londres, 1742.
- ↑ Saturnal. lib. I, cap.8.
- ↑ Commentar. ad Dionys., per leget in limine.
- ↑ Adversus mathematic. lib. II. (Voyez Sexti Empir. opera quæ extant, edente Henrico Stephano, in-fol. Genevæ. 1621, parte secund, p. 70.
- ↑ Jambilic, chalcidensis, de vita Pythagoræ, græcè et latinè, cap. 34, in-4o, ex bibliopoleo Commeliniano, 1598.
- ↑ Legat. pro christianis.
- ↑ Euterpe, ou lib. II.
- ↑ Voyez le tom. 1er de l’édition grecque avec la version de Xylander, donnée au Louvre en 1647.
- ↑ Photii Myriobiblon seu Bibliotheca, édit. in-fol. grecque et latine, de 'Hoeschelius, Oliva, Paul Étienne, 1611, narrat. Conon, p. 451.
- ↑ Pausaniæ accurata Græcæ descriptio, édition grecque et latine de Xylander, Francofurti, anno 1583.
- ↑ Diodori Siculi, Bibliotheca historica, græcè et latinè, edente Wesselingio. Amslolodami, 1746, in-fol. 2 vol. — t. er.
- ↑ Laert. Diogen. de Vitis dogmatis, et apophtegmatio eorum qui in philosophià claruerunt, græcè et latine, edente Menagio. Londini, in-fol., 1664, in proemio, p. 2.
- ↑ Laert. Diogen. loco citato.
- ↑ Thesaurus græcarum antiquitatum, edente Jacobo Gronovio, Lugd. Batavor. 1695,in-fol., t. er, au mot Orpheus.
- ↑ Description des pierres gravées du Cabinet du duc d’Orléans, 2 vol in-fol. Paris, 1784. La cornaline d’Eurydice est la première du second volume.
- ↑ Recherches sur le culte de Bacchus parmi les Grecs dans les Mémoires de l’Académie des Belles-lettres, t. XXIII, p. 248 et 251.
- ↑ Scholiast. Apollon, lib. Ier.
- ↑ Voyez, en particulier, celle d’Apollodore, Notæ Thom. Gale in Apollodor, p. 26, et Apollonii Rhodii Argonauticon, belle édition en 2 vol. in-4o, grecque et latine, edente Joan. Shaw, Oxonii, et typographeo Clarendoniano, 1777, t. Ier, lib. Ier, p.226.
- ↑ Suidæ Lexicon græco-latinum, edente Kustero, Cantabrigiæ, 1705, in-fol. 3 vol. (Voyez tome III au mot Serapion.)
- ↑ Apollodori Atheniensis Bibliotheces, dans l’Historiæ poeticæ scriptores antiqui, édition grecque et latine, de 1675.
- ↑ Clem. Alexandr. Stromat. lib. 3, p. 618.
- ↑ Legat. pro christian.
- ↑ J’indique ici l’opinion très-répandue à cet égard, sans la garantir comme sans la réfuter.
- ↑ Strabon. Rerum geographicar, edente Welters, grec. et lat. Amstelod, 1707, in-fol., 2 vol., t. Ier, lib. 7.
Scholiast Apollonii Rhodii, ad lib. 1, 535.
Stephan. Byzant. de Urbibus, edente Berkeley, Lugd. batavor, 1688, in-fol., in voce Amuros. - ↑ Suidæ Lexicon. t. Ier, au mot Eudocia.
- ↑ In Beot.
- ↑ Eleat, cap.20.
- ↑ Marmor. Taurin., t. Ier, p. 107. Cette opinion offre plus de probabilité que celle d’Eusèbe, qui le place à l’an 750 depuis Abraham, Euseb. Cyronic. Hyeronimo interpret.
- ↑ Pythic. 1.
- ↑ Lib. 14.
- ↑ Voyez Constantin Lascaris, Marmor. Taurinens., t. Ier, loc. cit.
- ↑ Il y avait encore de ces hordes d’anthropophages près le Pont-Euxin du temps d’Aristote. Politic. lib. 8.
- ↑ Diod. Sicul. lib. 4.
- ↑ Le manuscrit de Constantin Lascaris dit dans l’Ile de Samothrace.
- ↑ L’abréviateur de Trogue Pompée, Justin, parle de la théologie d’Orphée et de ses mystères, au livre XI de son Histoire universelle.
- ↑ Diod. Sicul. lib. 4.
- ↑ In Beot.
- ↑ Opinions des philosophes, œuvres de Diderot, t. V, p. 415.
- ↑ C’est l’expression même dont se sert Lascaris : Et ibi vixit ut princeps et philosophus.
- ↑ Voyez, sur ses découvertes en musique, ainsi que sur ses succès, Diod. Sicul. lib. 4, Senec. Tragœd. Hercul. furens, et Boet. De consolat., lib.3.
- ↑ De sera numinis vindicta.
- ↑ L’historien Conon prétend que ce fut l’unique motif de la mort d’Orphée. Phot. Myriobibl. Conon, narrat. 45.
- ↑ In Phocid.
- ↑ Ovid. Metamorphos., lib. 10, vers 83.
- ↑ Nous apprenons, par un dialogue de Lucien sur cette matière, qu’Orphée, qui dans ses voyages avait probablement visité l’observatoire de Babylone, avait le premier donné aux Grecs des élémens d’astronomie.
- ↑ Plutarch. De placitis philosophor., lib. 2 ; Euseb. Præparat. evangel. lib. 15, et Stob. Eclog. physic. 54.
- ↑ Stobeus, Eclog. physic. ; Plutarch. De placit. philosophor. et Sympos. Plat. in Conviv. et Cicer. de Natur. Deor., lib I.
- ↑ Fabric. Bibl. Græc. t. Ier, p. 179.
- ↑ Procl. lib. 1 ; Euseb. ’Præpar. evangel., lib. 3, et Clém. Alexandr. Stromat., lib. 5.
- ↑ Lib. 3.
- ↑ Præparat. evangelic., lib. 13.
- ↑ Clément. Alexandr. Stromat., loc. citat.
- ↑ Cohortat. ad gentes.
- ↑ Unus est, ex se ipso geuitus ; ab uno omnia nata sunt.
- ↑ Histor. natur. lib. 25, cap. 2.
- ↑ Les onze premiers vers des Éphémérides sont cités par Scaliger dans le Traité De emendatione temporum.
- ↑ On a fondé des conjectures sur le goût d’Orphée pour l’astrologie, par deux textes, l’un de Lucien, de Astrolog. et l’autre du commentateur Servius, in Æneid., lib. 6.
- ↑ In Aristarcho.
- ↑ In Ædipo, t. II.
- ↑ Ce lac Averne se voit gravé dans le beau voyage pittoresque de Naples et de Sicile, de l’abbé Saint-Non.
- ↑ Toutes ces étymologies sont tirées de Bochart, l’homme de son temps le plus versé dans les langues orientales. Phaleg., lib. 4, cap.31.
- ↑ Je comprends dans cette proscription quelques-uns des fragmens d’Orphée qu’on voit à la tête de l’édition de Henry Estienne, et peut-être les 66 vers du Peri-seismon, ou Pronostics sur les tremblemens de terre, qu’on trouve dans l’appendice de l’Anthologie.
- ↑ Diog. Laert. in Pythagor. et Jamblic. in vita Pythagor.
- ↑ Quæstion. Aletan., lib. 2.
- ↑ Opinions des philosophes, t. V, de ses œuvres, Philosophie fabuleuse des Grecs.
- ↑ De vita Pythagor., cap 34.
- ↑ Analec. critic. fascicul 1, sect. 4, Trajecti ad Viadrum, 1777.
- ↑ Epistol. critic., p. 69.
- ↑ Ces hymnes de choix ont encore une autre garantie : c’est de se trouver dans deux des plus beaux manuscrits du poème des Argonautes : dans celui de la bibliothèque des Médicis, Bandini, t. II, et dans le Cabinet royal de Madrid, teste Yriarto, p. 86.
- ↑ Déjà, du temps de Pausanias, on doutait de l’authenticité des livres publiés sous le nom de l’Orphée de Thrace, et ce doute tombait particulièrement sur la Théogonie et sur le Teletai, ou le livre des Mystères.(Voyez, lib. 1, cap 14 et 37.)
- ↑ Tatian. Orat. ad Græc., cap 62, et Clem Alexandr. Stromat. lib. 1.
Le poëme d’Onomacrite a aussi pour garans Scepsius et Mimnerme, deux écrivains de poids, cités par Strabon. Geograph., lib. 1, cap. 46. - ↑ Voyez Plutarch., in Symposiac, et de Isid. et Osirid. Porphir. de Myster. et de Abstinent. Jamblich. , in vita Pythagor. Proclus in Timeum. Il n’y a pas jusqu’à l’œuf générateur d’Orphée qui n’ait été adopté par le Sanchoniaton de la Phénicie et par les adorateurs d’Oromase, dans la religion de Zoroastre. Ce furent les grandes idées que présentait ce symbole qui firent défendre l’œuf dans le régime diététique d’Orphée et de Pythagore.
- ↑ On attribue même à ce sage la découverte du rhythme du vers. (Voyez Théodoret Therapeut., lib. 1, et Antipater de Sidon, dans le troisième livre de l’Anthologie.