Hachette (p. 275-287).



XXVI

LA PETITE VÉROLE


Un jour, Camille se plaignait de mal de tête, de mal de cœur. Son visage pâle et altéré inquiéta Mme de Fleurville, qui la fit coucher ; la fièvre, le mal de tête continuant, ainsi que le mal de cœur et les vomissements, on envoya chercher le médecin. Il ne vint que le soir, mais quand il arriva, il trouva Camille plus calme ; Élisa lui avait mis aux pieds des cataplasmes saupoudrés de camphre qui l’avaient beaucoup soulagée ; elle buvait de l’eau de gomme fraîche. Le médecin complimenta Élisa sur les soins éclairés et affectueux qu’elle donnait à sa petite malade ; il complimenta Camille sur sa bonne humeur et sa docilité et dit à Mme de Fleurville de ne pas s’inquiéter et de continuer le même traitement. Le lendemain, Élisa aperçut des petites taches rouges sur le visage de Camille ; les bras et le corps en avaient aussi ; vers le soir chaque tache devint un bouton, et en même temps le mal de cœur et le mal de tête se dissipèrent. Le médecin déclara que c’était la petite vérole : on éloigna immédiatement les trois autres enfants. Élisa et Mme de Fleurville restèrent seules auprès de Camille. Mme de Fleurville voulait aussi renvoyer Élisa, de peur de la contagion, mais Élisa s’y refusa obstinément.

Élisa.

Jamais, madame, je n’abandonnerai ma pauvre malade ; quand même je devrais gagner la petite vérole, je ne manquerai pas à mon devoir.

Camille.

Ma bonne Élisa, je sais combien tu m’aimes, mais, moi aussi je t’aime, et je serais désolée de te voir malade à cause de moi.

Élisa.

Ta, ta, ta ; restez tranquille, ne vous inquiétez de rien ; ne parlez pas ; si vous vous agitez, le mal de tête reviendra.

Camille sourit et remercia Élisa du regard ; ses pauvres yeux étaient à moitié fermés ; son visage était couvert de boutons. Quelques jours après les boutons séchèrent, et Camille put quitter son lit ; il ne lui restait que de la faiblesse.

Le médecin ne vint que le soir.

Pendant sa maladie, Madeleine, Marguerite et Sophie demandaient sans cesse de ses nouvelles ; on leur défendit d’approcher de la chambre de Camille, mais elles pouvaient voir Élisa et lui parler ; vingt fois par jour, quand elles entendaient sa voix dans la cuisine ou dans l’antichambre, elles accouraient pour s’informer de leur chère Camille ; elles lui envoyaient des découpures, des dessins, de petits paniers en jonc, tout ce qu’elles pensaient pouvoir la distraire et l’amuser. Camille leur faisait dire mille tendresses ; mais elle ne pouvait rien leur envoyer, car on lui défendait de travailler, de lire, de dessiner, de peur de fatiguer ses yeux.

Il y avait huit jours qu’elle était levée ; ses croûtes commençaient à tomber, lorsqu’elle fut frappée un matin de la pâleur d’Élisa.

Camille, avec inquiétude.

Tu es malade, Élisa ; tu es pâle comme si tu allais mourir. Ah ! comme ta main est chaude ; tu as la fièvre.

Élisa.

J’ai un affreux mal de tête depuis hier : je n’ai pas dormi de la nuit ; voilà pourquoi je suis pâle, mais ce ne sera rien.

Camille.

Couche-toi, ma chère Élisa, je t’en prie ; tu peux à peine te soutenir ; vois, tu chancelles. »

Élisa s’affaissa sur un fauteuil ; Camille courut appeler sa maman, qui la suivit immédiatement. Voyant l’état dans lequel était la pauvre Élisa, elle lui fit bassiner son lit et la fit coucher malgré sa résistance. Le médecin fut encore appelé ; il trouva beaucoup de fièvre, du délire, et déclara que c’était probablement la petite vérole qui commençait. Il ordonna divers remèdes qui n’amenèrent aucun soulagement ; le lendemain il fit poser des sangsues aux chevilles de la malade, pour lui dégager la tête et faire sortir les boutons. Depuis qu’Élisa était dans son lit, Camille ne la quittait plus ; elle lui donnait à boire, chauffait ses cataplasmes, lui mouillait la tête avec de l’eau fraîche. Il fallut toute son obéissance aux ordres de sa mère pour l’empêcher de passer la nuit auprès de sa chère Élisa.

« C’est en me soignant qu’elle est devenue malade, répétait-elle en pleurant : il est juste que je la soigne à mon tour. »

Élisa ne sentait pas la douceur de cette tendresse touchante : depuis la veille elle était sans connaissance ; elle ne parlait pas, n’ouvrait même pas les yeux. On lui mit vingt sangsues aux pieds sans qu’elle eût l’air de les sentir ; son sang coula abondamment et longtemps ; enfin on l’arrêta, on lui enveloppa les pieds de coton. Le lendemain tout son corps se couvrit de plaques rouges : c’était la petite vérole qui sortait. En même temps elle éprouva un mieux sensible ; ses yeux purent s’ouvrir et supporter la lumière ; elle reconnut Camille qui la regardait avec anxiété, et lui sourit ; Camille saisit sa main brûlante et la porta à ses lèvres.

« Ne parle pas, ma pauvre Élisa, lui dit-elle, ne parle pas, maman et moi, nous sommes près de toi. »

Élisa ne pouvait pas encore répondre ; mais, en reprenant l’usage de ses sens, elle avait repris le sentiment des soins que lui avaient donnés Camille et Mme de Fleurville ; sa reconnaissance s’exprimait par tous les moyens possibles.

Pendant plusieurs jours encore Élisa fut en danger. Enfin arriva le moment où le médecin déclara qu’elle était sauvée ; les boutons commençaient à sécher ; ils étaient si abondants, que tout son visage et sa tête en étaient couverts.

Quand elle fut mieux et qu’elle commença à prendre quelque nourriture, Camille, qui allait tout à fait bien, demanda à sa mère si elle ne pouvait pas sortir et voir sa sœur et ses amies.

« Tu peux te promener, chère enfant, dit Mme de Fleurville, et causer avec Madeleine et tes amies, mais pas encore les embrasser ni les toucher. »

Camille sauta hors de la chambre, courut dehors, et, entendant les voix de Madeleine, de Sophie et de Marguerite, qui causaient dans leur petit jardin, elle se dirigea vers elles en criant :

« Madeleine, Marguerite, Sophie, je veux vous voir, vous parler ; venez vite, mais ne me touchez pas ! »

Trois cris de joie répondirent à l’appel de Camille ; elle vit accourir ses trois amies, se pressant, se poussant, à qui arriverait la première.

« Arrêtez ! cria Camille, s’arrêtant elle-même, maman m’a défendu de vous toucher. Je pourrais encore vous donner la petite vérole.

Madeleine.

Je voudrais tant t’embrasser, Camille, ma chère Camille !

Marguerite.

Et moi donc ! Ah bah ! je t’embrasse tout de même. »

En disant ces mots, elle s’élançait vers Camille, qui sauta vivement en arrière.

« Imprudente ! dit-elle. Si tu savais ce que c’est que la petite vérole, tu ne t’exposerais pas à la gagner.

Sophie.

Raconte-nous si tu t’es bien ennuyée, si tu as beaucoup souffert, si tu as eu peur.

Camille.

Oh oui ! mais pas quand j’étais très malade. Je souffrais trop de la tête et du mal de cœur pour m’ennuyer ; mais la pauvre Élisa a souffert bien plus et plus longtemps que moi.

Madeleine.

Et comment est-elle aujourd’hui ? Quand pourrons-nous la revoir ?

Camille.

Elle va bien ; elle a mangé du poulet à déjeuner, elle se lève, elle croit que vous pourrez la voir par la fenêtre demain.

Madeleine.

Quel bonheur ! et quand pourrons-nous t’embrasser, ainsi que maman ?

Camille.

Maman, qui n’a pas eu comme moi la petite vérole, pourra vous embrasser tout à l’heure ; elle est allée changer ses vêtements, qui sont imprégnés de l’air de la chambre d’Élisa. »

Les enfants continuèrent à causer et à se raconter les événements de leur vie simple et uniforme. Bientôt arriva Mme de Fleurville avec Mme de Rosbourg ; les enfants se précipitèrent vers elle et l’embrassèrent bien des fois, pendant que Mme de Rosbourg embrassait Camille. Depuis trois semaines Mme de Fleurville n’avait vu les enfants que de loin et à la fenêtre. Le matin même, le médecin avait déclaré qu’il n’y avait plus aucun danger de gagner la petite vérole ni par elle ni par Camille ; mais Élisa devait encore rester éloignée jusqu’à ce que ses croûtes fussent tombées.

Le matin, le médecin avait déclaré qu’il n’y avait plus aucun danger.

Le lendemain il y avait grande agitation parmi les enfants ; Élisa devait se montrer à la fenêtre après déjeuner. Une heure d’avance, elles étaient comme des abeilles en révolution ; elles allaient, venaient, regardaient à la pendule, regardaient à la fenêtre, préparaient des sièges ; enfin elles se rangèrent toutes quatre sur des chaises, comme pour un spectacle, et attendirent, les yeux levés. Tout à coup, la fenêtre s’ouvrit et Élisa parut.

« Élisa, Élisa, ma pauvre Élisa ! » s’écrièrent Camille et Madeleine, que les larmes empêchèrent de continuer.

Marguerite.

Bonjour, ma chère Élisa.

Sophie.

Bonjour, ma chère Élisa.

Élisa.

Bonjour, bonjour, mes enfants ; voyez comme je suis devenue belle ; quel masque sur mon visage !

Camille.

Oh ! tu seras toujours ma belle et ma bonne Élisa ; crois-tu que j’oublie que c’est pour m’avoir soignée que tu es tombée malade ?

Élisa.

Tu me l’as bien rendu aussi. Tu es une bonne, une excellente enfant ; tant que je vivrai, je n’oublierai ni la tendresse touchante que tu m’as témoignée pendant ma maladie, ni la bonté de Mme de Fleurville. »

Et la pauvre Élisa, attendrie, essuya ses yeux pleins de larmes ; son attendrissement gagna les enfants, qui se mirent à pleurer aussi. Mme de Fleurville et Mme de Rosbourg arrivèrent pendant que tout le monde pleurait.

« Qu’y a-t-il donc ? demandèrent-elles, un peu effrayées.

— Rien, maman ; c’est la pauvre Élisa qui est à sa fenêtre. » Ces dames levèrent les yeux, et, voyant pleurer Élisa, elles comprirent la scène de larmes joyeuses qui venait de se passer.

« Il s’agit bien de pleurer, aujourd’hui ! dit Mme de Rosbourg ; laissons Élisa se reposer et se bien rétablir, et allons, en attendant, arranger une fête pour célébrer son rétablissement.

— Une fête ! une fête ! s’écrièrent les enfants ; oh ! merci, chère madame ! Ce sera charmant ! Une fête pour Élisa. »

Élisa était fatiguée ; elle se retira dans le fond de sa chambre ; les enfants suivirent Mme de Rosbourg et discutèrent les arrangements d’une fête en l’honneur d’Élisa. En passant au chapitre suivant, nous saurons ce qui aura été décidé.