Les Pensées d’une reine/Pensées diverses

Calmann Lévy (p. 149-160).

XV

PENSÉES DIVERSES


I

Pourquoi le gris est-il une couleur distinguée ? parce qu’il ne tranche pas.


II

Ne pas suivre vos conseils, ce n’est rien. Les suivre à moitié, c’est terrible ; c’est vous faire grimacer.


III

À un mariage, les hommes rient et les femmes pleurent.


IV

La graisse et la fatuité rendent insensible au froid, ce qui ne les empêche pas de donner des vapeurs.


V

Le brin d’herbe se redresse sous vos pas, aussi frais qu’auparavant. Malheureusement, vous êtes suivi par d’autres, qui font un sentier et l’herbe disparaît.


VI

Le coq réunit en sa personne le Turc et le chevalier : il cumule.


VII

Enlevez les belles ailes irisées à un papillon, il ne reste qu’un vilain reptile.


VIII

Un secret est comme un trou à votre habit : plus vous voulez le cacher, plus vous le montrez.


IX

Le sommeil est un voleur généreux : il donne à la force ce qu’il prend au temps.


X

L’atmosphère de certains nouveaux venus pénètre rapidement tout un cercle et le change, comme une nouvelle couleur change les autres auxquelles on la mêle.


XI

Les flatteurs commencent toujours par dire qu’ils ne sauraient flatter.


XII

Les comètes et les grands hommes laissent une traînée de lumière, dans laquelle s’agite une foule d’atomes.


XIII

Si les pauvres martyrs avaient su combien c’est peu de chose de changer d’idées, il n’y aurait pas eu de bûchers.


XIV

La pruderie est un parfum qui dissimule de l’air vicié.


XV

Beaucoup de blessures reçues font de vous un héros aux yeux du monde, un invalide aux vôtres.


XVI

Quand on veut affirmer quelque chose, on appelle toujours Dieu à témoin, parce qu’il ne contredit jamais.


XVII

Il n’y aurait pas de martyrs s’il n’y avait pas de foule.


XVIII

En émettant une opinion, on se heurte à quelqu’un, comme une vague à un rocher : parfois on se retire ; on se brise en écume.


XIX

Vous devenez maussade quand vous pressentez une prière que vous n’aimez pas à refuser. C’est comme si vous tourniez contre le vent avec votre parapluie, pour l’empêcher de faire la tulipe.


XX

La nuit tout est de feu, les étoiles, les pensées et les larmes.


XXI

Beaucoup de gens ne critiquent que pour ne pas paraître ignorants. Ils ignorent que l’indulgence est la marque de la plus haute culture.


XXII

L’emportement est une espèce de volupté ; mais lorsque votre sang se calme, vous avez le sentiment d’avoir reçu une raclée.


XXIII

Les gens emportés oublient immédiatement l’objet de leur colère et sont fort étonnés qu’on se souvienne de leur emportement. Il n’y a que le mauvais sang qu’on avale qui vous reste sur le cœur.


XXIV

La piété est la nostalgie du Paradis perdu.


XXV

Si des gens éprouvent le besoin de sentir leur bon Dieu tout près d’eux, dût-il les châtier incessamment, laissez-les : vous n’avez rien de mieux à leur donner.


XXVI

Il faut être ou très pieux, ou très philosophe ; il faut dire : Seigneur, que ta volonté soit faite ! — ou : Nature, j’admets tes lois, même lorsqu’elles m’écrasent.


XXVII

Chacun de nous, presque, a eu son Gethsémani et son calvaire. Ceux qui ressuscitent n’appartiennent plus à la terre.


fin