Librairie Beauchemin, Limitée (Laurent-Olivier Davidp. 189-192).

ODELLTOWN


Les patriotes, partis de Napierville le 9 au matin, arrivèrent à Lacolle, le soir, vers cinq heures. Leur marche ne fut troublée que par quelques coups de fusil qu’ils reçurent en passant sur le pont de Lacolle. Comme ils étaient fatigués, ils accueillirent avec plaisir l’ordre de se préparer à passer la nuit à Lacolle.

Un incident fâcheux leur causa beaucoup de malaise. Vers huit heures, leur général, le Dr Nelson, leur était ramené prisonnier, pieds et poings liés, par un détachement de patriotes qui prétendait l’avoir arrêté, lorsqu’il était en train de passer la frontière.

Les chefs du détachement avaient eu l’intention de le livrer immédiatement à l’ennemi, et il eut toutes les peines du monde à se faire ramener au camp ; sans les capitaines Nicolas et Trudeau, il n’y serait pas revenu.

La confiance des patriotes fut ébranlée, et, un moment, ces pauvres gens se croyant trahis, eurent l’idée de se débander, mais Nelson protesta avec tant d’énergie contre les intentions odieuses qu’on lui prêtait, qu’il les convainquit de son innocence. Il ne manque pas de gens qui croient encore que, pris de découragement et effrayé de la responsabilité qu’il assumait, il voulut réellement s’évader. En l’absence de preuves certaines, mieux vaut croire qu’il était allé en avant pour faire, comme il le prétendit, une reconnaissance. Nelson jura à ses soldats qu’il leur prouverait sa sincérité en les conduisant, le lendemain matin, à Odelltown, où l’ennemi les attendait.

Odelltown, situé à trois milles de Lacolle, est un point stratégique important, une base d’opération précieuse dans une guerre entre le Canada et les États-Unis.

Odelltown et Lacolle au pouvoir des bureaucrates, c’était la ruine des plans de Nelson qui se trouvait privé de ses communications avec les États-Unis pour avoir des secours ou opérer sa retraite en cas de défaite. Tous les patriotes, convaincus de l’importance d’enlever ce poste à l’ennemi, se couchèrent satisfaits de la résolution qui venait d’être prise. Le lendemain, 10 novembre, ils furent sur pied de bonne heure et partirent pour Odelltown au nombre de quatre à cinq cents, armés, comme nous l’avons dit. Il était entendu que les patriotes qui n’avaient pas de fusils prendraient ceux des ennemis qui seraient tués pendant le combat.

Les volontaires, au nombre de trois cents, étaient bien armés, pourvus de munitions, en possession d’un canon, et fortement retranchés dans l’église d’Odelltown. Les chefs patriotes virent bien que le combat serait rude, la victoire difficile à gagner ; mais il était trop tard pour reculer, il fallait marcher.

La petite armée s’avança en trois colonnes, celle du centre sous le commandement du major Hébert, la droite commandée par Hindelang, qui avait pour lieutenant M. Hypolite Lanctôt, et la gauche sous les ordres du général en chef Nelson.

Ce fut la colonne du centre qui essuya, la première, le feu de l’ennemi ; le cheval du major Hébert, atteint légèrement par un boulet de canon, renversa son cavalier et s’élança à bride abattue à travers les champs. Hébert se releva aussitôt, et, voyant le danger auquel la colonne qu’il commandait était exposée en suivant le chemin public, donna ordre à ses soldats de se diviser et de se joindre aux colonnes de la droite et de la gauche, qui s’étaient embusquées, l’une derrière une grange, et l’autre derrière une clôture construite partie en bois et partie en pierre. De ces deux postes les patriotes entretinrent pendant près de cinq heures un feu nourri sur les volontaires qu’ils atteignaient difficilement, et seulement, lorsque pour tirer, ceux-ci apparaissaient aux fenêtres de l’église.

Il y avait parmi les patriotes des chasseurs dont le tir était admirable, et qui, répétant ce que les Laflèche et les Bourdages avaient fait à Saint-Denis, culbutaient chaque soldat qui se présentait, la mèche à la main, pour faire partir le canon placé devant l’église.

Les volontaires, furieux des ravages que faisaient parmi eux les balles des patriotes embusqués derrière la clôture et surtout derrière la grange, résolurent de leur porter un coup mortel en mettant le feu à cette grange. Après plusieurs tentatives qui leur coûtèrent la vie de sept ou huit hommes, ils réussirent ; bientôt la grange s’écroula, et les patriotes, privés de cet abri, allèrent joindre ceux qui combattaient derrière la clôture, où la position n’était pas aussi avantageuse.

Pour comble de malheur, vers quatre heures, les munitions des patriotes étaient presque épuisées, les volontaires recevaient un renfort de cent hommes de Caldwell Manor, et, quittant l’église, se préparaient à cerner les patriotes.

« Nous sommes perdus, » dit le brave major Hébert à ceux qui l’entouraient. Un conseil des officiers fut improvisé à la hâte, et l’ordre de retraiter fut donné. La retraite se fit en assez bon ordre ; les volontaires, fatigués du combat, ne jugèrent pas à propos de poursuivre les vaincus.

Quelle fut la conduite de Nelson pendant cette journée ? Il est étonnant que les opinions soient si partagées à ce sujet ; les uns disent qu’il s’enfuit au commencement de la bataille, les autres affirment qu’il se comporta bien pendant l’action et ne disparut qu’à la fin du combat. Il paraît certain, malheureusement, qu’il partit plus tôt qu’il n’aurait dû le faire, cherchant son salut dans la fuite, pendant que les pauvres gens qu’il avait jetés dans l’insurrection se battaient et tombaient en braves.

Parmi ceux qui se distinguèrent le plus il faut citer, Hindelang, qui, s’exposant au feu de l’ennemi avec le plus grand sang-froid, disait à ses hommes : « En avant, mes amis, ne craignez rien, les balles ne vous feront pas plus de mal qu’à moi. »

M. Hypolite Lanctot eut un de ses parents tué sous ses yeux, et un autre blessé grièvement, pendant qu’ils se battaient tous deux avec bravoure.

Les patriotes comprenant qu’après cette défaite tout était fini, se débandèrent à quelques milles d’Odelltown. Un bon nombre furent arrêtés en voulant franchir la frontière ; plusieurs parvinrent à s’évader ; les autres s’en retournèrent dans leurs foyers. Il y en a qui vécurent pendant des mois dans leurs caves, leurs greniers ou leurs granges afin d’échapper à la vengeance des bureaucrates.

Environ deux cent patriotes, commandés par l’énergique Malhiot, avaient formé un camp à la montagne de Montarville ; ils se dispersèrent avant l’arrivée des troupes envoyées de Sorel pour les soumettre. Les patriotes de Beauharnois en firent autant ainsi que nous l’avons déjà dit.

Alors commença l’œuvre de la vengeance.